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femme lui apporte en mariage deviennent la propriété du royaume, parce qu'il ne l'époufe point comme fimple particulier, mais en fa qualité de roi ; & quoique les reines aient part aux acquifitions de leurs maris avant qu'ils foient parvenus à la couronne, elles n'ont cependant aucun droit à ce qu'ils ont acquis après, parce que ces biens font fenfés achetés des deniers publics, & non des deniers particuliers du roi. C'eft fur ce principe qu'on jugea en France Philippe de Valois & Jeanne de Bourgogne fa femme.

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Mais afin que les deniers publics dans les différens royaumes ne foient point employés à d'autres ufages qu'à l'utilité publique, on ne laisse point aux princes le droit de les lever à leur volonté. L'empereur d'Allemagne jure de n'imposer aucune espece de tribut que par l'autorité des états de l'empire; les rois de Pologne, de Hongrie & de Dannemarck en font autant. Il en eft de même de ceux d'Angleterre depuis l'ordonnance d'Edouard I. En France, les rois ne mettoient des impôts fur la nation qu'en l'assemblée des trois états; delà le décret fameux de Philippe de Valois, qui veut qu'on n'impofe le peuple que dans une grande néceffité, & du confente ment des états généraux; & afin que celui-ci n'eut aucun doute fur la deftination de ces de

niers, ils étoient anciennement enfermés dans des coffres dont chaque diocese donnoit la garde à des gens d'une probité reconnue (qu'on appelloit autrefois les élus), afin qu'ils payaffent eux-mêmes les foldats que les villes avoient enrôlés, ce qui fe pratiquoit de même dans les autres pays, & principalement en Flandres & dans les provinces voisines.

Pour en revenir à ce qui regarde le domaine; c'est une des plus anciennes loix du royaume de France, & un droit né avec le royaume même, que le domaine ne peut être aliéné. Il y a deux exceptions à faire : 1°. l'apanage des enfans ou des freres du roi, enforte cependant que le droit de vaffelage demeure toujours; 2°. le cas de néceffité où l'état fe trouveroit par l'effet d'une guerre, mais ce ne feroit alors qu'avec paction rédhibitoire; autrefois on ne pouvoit l'aliéner en aucune maniere que par un décret des états généraux, & maintenant que le parlement a été rendu fédentaire, il faut que celui de Paris, qui eft aujourd'hui la cour des pairs, & la chambre des comptes & du trésor, aient auparavant ap⋆ prouvé cette aliénation, comme portent les édits des rois Charles VI & IX. Bun plus, les anciens rois de France ne pouvoient même fonder des églifes, quoique ce fût une action bien louable, fans le confentement des états; ainfi le roi Chil

debert n'ofa fonder l'abbaye de Saint-Vincent de Paris, fans le confentement des François & des Neuftriens. Il en fut de même de Clovis II & de plufieurs autres. Ils ne peuvent même fe deffaifir du droit de régale ou nomination des évêques à quelqu'église que ce foit ; & fi quelques-uns d'entr'eux l'ont fait, comme Louis XI, Philippe IV & Philippe-Augufte, en faveur des églifes de Sens, d'Auxerre & de Nevets, le parlement s'y est toujours oppofé, & a déclaré la conceffion nulle. Lorfque le roi eft facré à Reims, il jure d'observer cette loi; & ce qu'il fait de contraire à fa difpofition a autant de force que s'il vendoit ou achetoit le pays du giand turc ou du fophi. Delà les déclarations de Philippe VI, de Jean II, de Charles V, VI & VIII, qui révoquent toutes les aliénations faites. par leurs prédéceffeurs ; les états de Tours en présence de Charles VIII ont aufli révoqué plufieurs aliénations faites par Louis. XI, & dépouillé les héritiers de Tancrede du Chaftel, fon grand favori, de plufieurs places qu'il lui avoit données de fon autorité privée; enfin, les der niers états tenus à Orléans ont ratifié tout ce qui avoit été fait à cet égard.

Pour faire voir plus clairement encore que le royaume eft au-deffus du roi, & que celui-ci me fauroit rien ôter de la majesté qu'il a reçuè

du

du peuple, nous prouverons qu'il ne peur alié ner la fouveraineté de la moindre partie de fon royaume. C'eft vainement, en effet, que Cha lemagne voulut effayer quelquefois d'affujettir la France à l'empire d'Allemagne. Les François s'y oppoferent toujours, & on en feroit venu aux mains, fi l'empereur n'y eût renoncé. Lorfqu'on a cédé aux Anglois une portion du royau me, la fouveraineté en a été prefque toujours exceptée ; & fi quelquefois ils l'ont obtenue par force, comme il arriva lors du traité de Bretigny, par lequel le roi Jean fut contraint de leur céder la fouveraineté fur la Gascogne & le Poitou, ces fortes de traités n'ont pas obligé davantage que ceux par lefquels un tuteur ou curateur prifonnier (le roi Jean l'étoit alors), enga geroit, pour fe racheter, les biens de fes pupilles. C'eft en vertu de ce même droit que le parlement caffa le traité de Conflans, par lequel le foi cédoit Amiens & quelques villes voisines à Charles, duc de Bourgogne ; & de nos jours le parlement n'a-t-il pas caffé le traité de Madrid fur le duché de Bourgogne, entre Charles V & François I, alors prifonnier? Le teftament de Charles VI, par lequel il donnoit le royaume à Henri, roi d'Angleterre, eft encore une preuve de ce que nous venons de dire, & fur-tout de l'extrême folie de Charles. Mais fans citer d'autres 1790. Tome VII.

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faits, je demande : à quel titre le roi pourroitil vendre ou donner le royaume ou une partie du royaume ? Peut-on trafiquer des hommes libres, quand les protecteurs ne peuvent trafiquer de leurs affranchis ni seulement les contraindre de refter où ils veulent? Et ce raisonnement a d'autant plus de force que les fujets ne font ni esclaves ni affranchis, mais freres du roi, fi on les confidere individuellement, & feigneurs du royaume, fi on les confidere collectivement & réunis en corps.

Si le roi n'est point feigneur propriétaire du royaume & du domaine, n'en est-il point au moins l'ufufruitier? Non. Car celui qui a l'ufufruit d'une chose la peut engager. Or, nous avons prouvé que les rois ne peuvent engager le fifc ou domaine du royaume. L'ufufruitier peut donner de fon fruit; mais les dons trop confidérables des rois font regardés comme nuls; on n'alloue point ses dépenses inutiles & fuperflues, & l'on regarde comme un larcin tout ce qu'il emploie à autre chofe qu'au bien public. En France fur tout les dons du roi ne font légitimes que lorsqu'ils font approuvés par la chambre des comptes. Delà les apostilles de la chambre ordinaire fur les registres des comptes rendus par des rois prodigues: Trop donné foit répété. Cette même chambre jure folemnellement de ne rien approuver de contraire au bien du

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