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invoqué par tous les adverfaires de la réforme nationale; en adorant fon influence falutaire

fignifiant une efpece de gouvernement, nous lui obfer. verons que Montefquieu ne la défend pas plus que le defpotifme; qu'il indique feulement les loix qui lui font propres. Il croit certains climats, certaines difpofitions ou circonftances particulieres plus favorables aux uns qu'aux autres, & je pense que tout homme qui aura profondément médité les raifons qu'il en donne fera de fon avis. Qui ofera aflurer en effet que toutes les grandes fociétés, pour être heureufes (car c'eft le but de tous. les fyftêmes de politique), doivent adopter la même forme & le même régime? Une nation peut être plus ou moins ignorante, plus ou moins corrompue; les limites de fon territoire peuvent avoir plus ou moins d'étendue, & fes mœurs & fon caractere varient à l'infini.

Je fais qu'il n'eft qu'une espece de gouvernement qui puiffe convenir à une nation refferrée dans fes limites, dont le territoire eft peu fertile, & chez qui les paffions ne s'exaltent pas trop; mais je fais auffi que ce même gouvernement ne fauroit fe foutenir chez un grand peuple corrompu, vain, frivole, accoutumé aux jouif fances de la molleffe & du luxe, précipité dans toutes fes opérations, affez orgueilleux pour obéir difficile ment à ceux qu'il regarde comme fes inférieurs ou même fes égaux, faifant tour avec paffion, incapable de s'arrêter à un jufte milien, & par conféquent de fe gouverner par lui-même; un tel peuple ne fauroit défendre long-temps fa liberté ; & cette liberté même, quand tout

profcrivons fon autorité ennemie. Hâtons-nous & ofons lui faire fon procès pour n'avoir plus qu'à lui dreffer des autels.

Montefquieu écrivoit dans un temps où le peu ple étoit affervi aux grands, efclaves eux-mêmes, par leur corruption, de la faveur des monarques. La féodalité régnoit encore fur les efprits par le préjugé des rangs, des titres & des noms. Alors Fontenelle penfoit qu'une main pleine de vérité ne devoit s'ouvrir qu'avec précaution. Le courage confiftoit à fecouer quelques opinions fuperftitieuses, à prêcher la tolérance, à médire des papes, & à fe moquer de Janfénius. L'odieufe perfection de la police inquifitoriale avoit fait du gouvernement un mot ridiculement facré, qu'on ne pouvoit prefque prononcer ni en bien ni en mal; ce n'étoit point un fceptre de fer,

confpireroit à la lui conferver, deviendroit entre fes mains une véritable tyrannie.

Si l'auteur prend le mot d'aristocratie pour l'abus du pouvoir des grands, nous ignorons dans quel chapitre de l'Esprit des Loix il a trouvé cette défense de l'aristocratie. Nous pourrions citer au contraire les endroits où il s'éleve fortement contre ces abus qui font les effets naturels de la corruption des principes. C'eft à les corriger que le leg flateur doit s'appliquer uniquement, & les adverfaires de la réforme nationale auroient tort d'invoquer à cet égard le génie de Montefquieu....

c'étoit un fceptre de plomb. Cette forte de defpotifme, pour ainfi dire négatif, fembloit d'autant plus irrémédiable, que ces déguisemens & ces myfteres lui donnoient un dehors modéré aux yeux inattentifs d'une nation que le p'aifir & la vanité confolent de tout, & qui n'avoit point encore appris à s'indigner.

Voilà, dit l'auteur, le tableau qu'il faut placer à la tête de l'efprit des loix comme un frontifpice glor eux qui releve fa philofophique audace & juftifie fes erreurs, fes réticences, fes incertitudes même & fon obfcurité, plus ou moins volontaires.

Du temps de Montefquieu, les vrais principes du droit naturel & du contrat focial n'avoient pas été découverts; les publiciftes s'étoient égarés d'abord fur les traces d'Ariftote, qui, loin d'établir les principes généraux des gouverne

n'avoit fait que décrire le droit politique de la Grece. Grotius forma le premier un systême de droit naturel; fa métaphyfique confufe revêtue du jargon de l'école, & encore embrouillée par fes nombreux commentateurs, avan ça peu cette science. Hobbes épaiffit les ténebres par fes fauffes lumieres ; en ne donnant d'autre base que l'intérêt perfonnel à la morale & à la politique, aux droits & aux devoirs, il arma les uns contre les autres les fouverains &

les fujets, & tira de la nature même les princi pes de la rebellion & de la tyrannie. Cumberland combattit fon épicurifie par le ftoïcifme & pofa le premier les fondemens des loix naturelles, fur lesquels Puffendorf conftruifit enfin un édifice moins chancelant. Avant eux, Bodin avoir habilement foumis l'érudition à la philofophie; il avoit fu comparer les faits & tirer de ces rapprochemens de vaftes conféquences. Mais tous ces écrivains s'étoient peu occupés de rechercher ce qui doit être dans ce qui eft, ou même dans ce qui fut. Machiavel & Gravina font ceux dont Montefquieu a le plus profité; il ne paroît pas avoir fuivi Locke ni Sidney; mais peut-être la fougue féditieufe de ce dernier l'éloigna de fes principes. Des fyftêmes chimériques, des abftractions fubtiles défiguroient de fon temps l'origine des fociétés par la vaine recherche de ce que l'on appelloit l'état de la nature: en tirant les principes des hypothefes, on ne donnoit au droit naturel que des fondemens précaires; on en donnoit d'inébranlables aux abus, en déduisant les principes des faits; l'érudition fervoit de logique; les exemples formoient les théories; les citations prouvoient les conféquences.

Montefquieu n'alla point fe perdre dans la contemplation vague d'un état antérieur à la fociété ; il se plaça d'abord au sein des fociétés établies,

obfervant, décrivant leurs effets; mais oubliant trop de les interroger fur leur origine, leur objet & leur perfection. On verra bientôt, ajoute l'auteur, comment le grand édifice de l'efprit des loix manque en effet & par le fondement & par le faîte; on verra la foibleffe à côté de la force, le génie imitateur dans le génie créateur, & l'homme dans le grand homme.

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En examinant les premieres bafes de l'efprit des loix, l'auteur, en effet, regrette de ne point y trouver ces vérités fondamentales qui font devenues depuis les élémens de tout ouvrage philofophique; il cite cependant des paffages qui prou vent que Montesquieu ne les avoit point ignorées mais il craignoit de leur donner tous les développemens dont elles étoient fufceptibles. Quel eft, ajoute-t-il, le point initial que Montesquieu fubftitue à ces premiers principes? la conformité des loix avec le gouvernement établi? Quoi donc, ne conviendroit-il pas mieux d'examiner fi ce gouvernement eft raisonnable ou insensé, juste ou partial, funefte ou salutaire? Sont-ils tous également bons (1)? Faut-il con

(1) Toutes les conftitutions ne font pas également bonnes, 1°. parce qu'elles font plus fufceptibles les unes que les autres de fe corrompre; 2°. parce qu'une infinité de circonstances peuvent les rendre plus ou moins

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