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clure du fait au droit, comme fi l'état des chofes étoit la nature des choses? Cet axiome, que la poffeffion fait le droit, eft il reconnu en politique comme en jurifprudence? Montesquieu femble dire au peuple, le gouvernement devroit être tel, par la feule raifon qu'il eft tel; & par la même raison, il doit demeurer tel. Il dit aŭ chef d'une nation, comment veux-tu régner En defpote? en monarque ? fans loix ou par les loix? Voici les moyens, voici les refforts publics & fecrets qui te conviennent; enfin on croiroit qu'il veut confeiller les fouverains plus que les citoyens ; il enfeigne l'autorité plus que la liberté (1).

propres aux différentes fociétés qui les adoptent. Certainement il n'y a & ne peut y avoir qu'une feule constitution, un feul gouvernement bon en lui-même, & pour celui qui ne les confidere qu'en philofophe & dans la fpéculation; mais un bon politique, qui a long-temps étudié les hommes & les fociétés, eft forcé quelquefois d'abandonner dans la pratique, ou du moins de plier aux circonftances les principes qu'il avoit fi rigoureusement adoptés dans le cabinet....

(1) Montefquieu auroit pu, comme Languet, la Béotie, & fur-tout Rouffeau, développer le principe éternel fur lequel devroient s'appuyer tous les fyftêmes de politique; mais devons-nous lui faire un crime de n'avoir point traité en grand ce qui n'entroit même pas dans le plan de fon ouvrage ? Il fentoit, avec quelque raifon

Nous voici parvenus à l'objet effentiel de l'ouvrage que nous analyfons. L'auteur y attaque vivement la diftinction que Montesquieu fait de la monarchie & du defpotifme; il l'accufe d'être trop favorable au pouvoir abfolu, & d'avoir une fauffe idée de la conftitution françoife; écoutons fes raisons.

Les noms collectifs qui défignent les gouvernemens, dit-il, embraffent tant d'idées qu'il n'en eft aucun qu'on puiffe concevoir d'une ma niere fimple & abfolue. Le defpotisme pur, s'il existoit, feroit le feul, parce que tous les pouvoirs s'y réuniffent dans l'unité fouveraine, tous les gouvernemens font donc effentiellement mixtes. Montefquieu les divife en trois efpeces mais fes trois efpeces doivent fe fubdivifer à l'infini; pourquoi donc défigner fi vaguement ces modifications (1)♪

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nemens;

peut-être, combien il eft difficile de changer les gouver il crut plus utile de tracer les loix qui devoient les faire profpérer, & qui pouvoient prévenir par leur fageffe les révolutions toujours funeftes aux empires....

(1) Lui-même reconnoît deux fortes de républiques, Polybe étendoit jufqu'à fix les diverfes formes de gouvernement. A l'exemple d'Ariftote, tous les publiciftes avoient diftingué différentes monarchies. Puffendorf & Burlamaqui ont nommé ces différences les modifications de la fouveraineté. Note de l'auteur.

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ce grand ouvrage. Il préfente des résultats divers fuivant les différens points de vue d'où il eft obfervé. Une prudence craintive, en éteignant l'éclat des vérités, altere leurs véritables traits; une modération fcrupuleuse, en voulant corriger, adoucir, ébranle & atténue. Une forte de fccpticifme politique y favorife tous les intérêts, & laiffe dans les nuages les abus, les droits, les biens & les maux.

C'est principalement au fyftême fur la monar chie qu'il faut appliquer ces réflexions; les fou verains, les nations & le philofophe n'y liront point les mêmes choses; les fouverains y verront avec complaifance que tout pouvoir réfide en eux, émane de leur perfonne facrée ; les nations fe croiront gouvernées par des loix fixes & établies; mais le philofophe ne s'attache pas comme eux aux feules expreffions; il approfondit leurs ténebres, queftionne leur ambiguité; il les compare, faifit leurs variations; il étudie la penfées fecrette de l'auteur; il l'épie, la furprend dans les endroits où, ne traitant les objets qu'indirectement, fa plume retient, avec moins de circonfpection, les aveux finceres de la raifon & de la confcience.

Montefquieu s'efforce en vain de faire contrafter le defpotifme & la monarchie ; il lui échappe de dire: « Quoique la maniere d'obéir » foit

foit différente dans ces deux gouvernemens, le » pouvoir eft le même » (1). Le monarque eft donc un vrai defpote; car le defpotifme ne

(1) Dans les principes de Montefquieu, le pouvoir du monarque eft le même que celui du defpote, parce qu'ils font l'un & l'autre la fource de tout pouvoir politique & civil; mais ils exercent ce pouvoir d'une maniere bien différente. La volonté momentanée du defpote eft la loi fuprême; il n'est lié par aucune autre de fes volontés précédentes, fon autorité paffe toute entiere dans les mains du moindre magiftrat, & celui-ci n'ayant aucune regle fixe l'exerce arbitrairement. Le monarque au contraire gouverne par des loix fondamentales; une de ces loix de la monarchie veut qu'il foit établi par le prince des loix particulieres fixes fur tous les objets qui, par leur nature & leur importance, en font fufceptibles, & que la prévoyance peut fouftraire aux décifions inftantanées, foit du monarque, foit de fes représentans. Il fe foumet lui-même à ces loix, & c'eft fur elles qu'on le juge comme le moindre de ses sujets. En les établiffant, il ne peut avoir d'autre intérêt que celui de la juftice & de l'équité; & lorfque leur applica tion pourroit le bleffer en quelque chofe, il est forcé, pour ne pas contredire fa volonté déjà manifeftée, de s'y foumettre entiérement. Les corps intermédiaires, quand ils ne font pas corrompus; les états des provinces, les villes même qui ont des privileges à conferver, le corps entier du peuple, rappellent le monarque aux loix qu'il a confenties ou établies, & il est forcé d'être jufte par tous ces motifs autant que pour fon propre intérêt. 1790. Tome VII,

B

confifte pas à mal gouverner, mais à pouvoir mai gouverner. Entre Pierre-le-Grand, qui affranchit & civilife fes peuples; & Louis XIV, qui impofe arbitrairement les fiens, & finit par fupprimer jufqu'au foible droit de remontrances des cours, quelle eft la différence? Le defpote ufe de fon pouvoir pour se faire monarque ; le monarque use de fon pouvoir pour se faire defpote (1).

Voulez-vous l'entendre dire littéralement que monarchie & defpotisme font chofes pareilles ? «Constantin changea le defpotifme militaire en » un defpotifme militaire & civil (2), & s'approcha de la monarchie ».

(1) Il ne faut point raisonner du gouvernement mo narchique corrompu comme de celui qui ne l'eft point. Montefquieu doutoit qu'il y en eût eu véritablement de tels. « Au moins, dit-il, eft-il difficile qu'ils aient sub» fifté long-temps dans leur pureté ; c'est un état violent » qui dégénere toujours en despotisme ou en républi» que. La puiffance ne peut jamais être également par»tagée entre le peuple & le prince, l'équilibre eft trop » difficile à garder; il faut que le pouvoir diminue d'un » côté pendant qu'il augmente de l'autre ; mais l'avan» tage eft ordinairement du côté du prince qui eft à la tête des armées ». Lettres perfannes....

(2) C'eft-à-dire, gradua les peines felon les rangs plus ou moins diftingués des coupables. Voyez l'Esprit des Loix, tome I, page 183....

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