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pour les mœurs la glorieuse école du courage et des vertus brillantes des guerriers.

Quelques expressions peu mesurées échappées à M. Dubois de Crancey sur des abus si funestes au bien du service, fournirent un prétexte à la malveillance pour calomnier le Corps législatif. Des lettres perfides circulè rent dans toutes les garnisons, furent distribuées dans les chambrées, et le vengeur de l'honneur de l'armée, celui qui s'indignoit de voir le beau nom de soldat profané par quelques brigands, fut accusé d'avoir insulté tout le militaire françois, et d'avoir dit impunément au milieu des représentans de la nation que tous ses guerriers étoient un ramas de brigands. Toutes les troupes s'indignèrent à la seule idée d'un tel affront, et des lettres de tous les régimens firent entendre à l'Assemblée Nationale le cri de l'honneur outragé. Les ennemis triomphoient, ils se flattoient déjà de voir le soldat égaré dans son ressentiment, se déclarer contre les amis du peuple, de voir une affaire particulière entre un individu et l'armée, devenir une affaire publique qui pourroit être fatale à la cause de la liberté. L'événement trompa leur cruelle es

pérance. Une lettre explicative de M. Dubois de Crancey, appuyée d'une lettre du président du Corps législatif, dissipa les nuages que la calomnie avoit élevés, et fit évanouir les mauvaises impressions que la malignité avoit fait naître.

Tel étoit l'esprit des officiers des troupes de terre. Celui qui animoit les officiers de la marine n'étoit pas moins à craindre. Accoutumés à mépriser tout ce qui n'étoit pas eux, ils ne pouvoient sans indignation entendre le mot d'égalité: c'étoit un blasphême politique, un attentat contre leur dignité, une révolte contre la majesté du grand corps. Leur brusque franchise ne permettoit pas à leur colère de se déguiser, et ils témoignoient ouvertement leur horreur pour des principes qui leur paroissoient aussi contraires à la nature qu'à leurs préjugés. Des marques de hauteur de leur part, des marques sentiment de la part des citoyens, augmentèrent la haine réciproque. Des imprudences amenèrent des voies de fait, la tranquillité publique fut troublée dans tous les ports, et la ville de Toulon en particulier devint le théâtre de scènes inouies

de res

qui furent sur le point de devenir très-sanglantes.

L'agitation de cette ville commença au mois de Juin 1789 et fut produite, comme il arrive souvent, par les mesures mêmes que des chefs imprudens avoient prises pour la prévenir. M. de Bethisy qui commandoit la gar→ nison en l'absence de M. de Coincy, crut devoir déployer au milieu d'une cité paisible cet appareil militaire qui annonce une invasion étrangère, ou une fermentation intestine. Des canons furent placés aux portes de la ville, des revues fréquentes et inusitées, des promenades militaires et nocturnes de la garnison sur les remparts ou hors des murs, le son de la générale devenu presque journalier tous ces mouvemens fatiguoient les troupes et inquiétoient les citoyens; la défense de porter la cocarde nationale dans un tems où toute la France la regardoit comme le signe du patriotisme, les irritoit; l'enlèvement militaire exécuté par ses ordres de la communauté entière des cabaretiers assemblée au couvent des minimes pour ses affaires particulières, et l'emprisonnement des syndics de cette communauté, achevèrent

de mettre le comble à l'indignation, et cet officier auroit pu payer de sa tête sa démence aristocratique, si une prompte fuite ne l'avoit dérobé à la colère du peuple.

M. d'Albert de Rioms, célèbre par ses exploits dans la dernière guerre, commandoit dans le port. Ce général estimable par ses talens et encore plus par ses vertus domestiques, mais infecté de la double aristocratie de la noblesse et de la marine, s'étoit rendu généralement suspect par le serment aussi imprudent qu'inutile qu'il exigea le s Août, des officiers, sous-officiers et canonniers qui étoient sous ses ordres, de se défendre pour garder l'arsenal et les effets qui y sont appartenans au roi et à la nation, contre toute attaque, quelque prétexte et quelque dénomination qu'elle pût avoir; et encore plus par l'ordre donné aux ouvriers du port à l'époque du départ de M. de Bethisy, de se rendre à l'arsenal avec leurs femmcs et leurs enfans, si l'on battoit la générale pendant la nuit.

Cette disposition jeta l'alarme dans toute la ville. Les ouvriers croyant qu'on ne vor◄ loit les attirer dans l'arsenal avec leurs femmes

et leurs enfans que pour les égorger; les citoyens, qu'on vouloit les priver du secours que les ouvriers pourroient leur fournir, se réunissent entr'eux et jurent de ne jamais se séparer. Plusieurs personnes s'enfuient, dans la crainte d'un massacre général; ceux qui restent passent la nuit dans l'attente de quelque événement, Chacun s'arme pour sa sûreté, et c'est alors que se forme à Toulon la garde nationale, à l'établissement de laquelle M. d'Albert paroît avoir concouru. Mais des impressions du genre de celles qu'il venoit de donner ne s'effacent jamais, et le peuple ne vit plus en lui qu'un conspirateur et un ennemi de la nation. L'inflexibilité de son caractère et sa hauteur ne lui permirent même pas de chercher les moyens de se concilier la faveur publique.

Au mois de Novembre, sur une ordonnance de la municipalité, tous les citoyens. de Toulon arborèrent enfin la cocarde. Les ouvriers de l'arsenal auxquels M. d'Albert l'avoit jusqu'alors interdite, s'en décorèrent aussi; plusieurs même voulurent se faire enrôler dans la milice citoyenne. Mais le commandant le leur défendit avec menaces; cette

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