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décréta l'attribution de cette affaire à la sénéchaussée de Marseille.

Si la conduite de M. Bournissac ne fut punie que par le mépris de l'indignation qu'elle avoit fait naître, il ne le dut qu'au peu de confiance que le châtelet avoit inspiré. Ce tribunal provisoirement chargé, d'abord de l'instruction, quelque tems après du jugement définitif des crimes de lèze-nation, fit bientôt remarquer que cette importante commission étoit au-dessus de son courage et de ses forces, et que le patriotisme n'avoit pu y triompher de l'esprit de corps. La conjuration des ministres contre la nation, leurs attentats contre ses représentans, les fureurs du prince de Lambesc, la complicité présumée de MM. de Broglie et de Bézenval avec les chefs du · complot, les événemens du 6 Octobre, et plusieurs faits particuliers relatifs au projet d'enlever le roi, de le transporter à Metz et d'y lever son étendart contre l'Assemblée Nationale, en un mot, tous les délits contre la sûreté générale du royaume lui avoient été dénoncés, et il avoit montré dans plusieurs de ces affaires peu de zèle et d'activité, de la foiblesse ou de l'impéritie dans d'autres,

dans quelques-unes même une choquante impartialité.

Il est certain que les formes provisoirement décretées par l'Assemblée Nationale pour les jugemens criminels, rendoient très-difficile la conviction des crimes, hors le cas de flagrant-délit, et que la réunion de la publicité de l'instruction et d'un conseil pour les accusés, à la nécessité de la preuve légale, of froit peut-être trop de chances aux coupables pour se soustraire au glaive des loix. Mais l'impossibilité de créer tout d'un coup la jurisprudence des jurés et la nécessité de prémunir l'accusé contre la partialité du juge et les préventions du peuple, obligèrent de sacrifier à des considérations d'humanité la sûreté de la vindicte publique. D'un autre côté, il étoit peut-être embarrassant de déterminer l'instant et le point précis où l'obéissance des généraux aux chefs du pouvoir exécutif, devenoit un crime punissable, au milieu de l'incertitude des opinions et des idées, incertitude inévitable au moment d'une révolution aussi soudaine.

Ce n'est donc pas le jugement de M. Beenval que nous censurons; coupable aux

yeux de l'homme, il pouvoit être innocent aux yeux des juges. Mais comment ces juges osèrent-ils se permettre d'embarrasser ou d'intimider les témoins par des questions captieuses, des observations iròniques, des sou rires perfides, des airs d'intelligence avec cet accusé? Comment ces juges purent-ils dé charger d'accusation les ministres? Il est vrai que les conspirations ne s'écrivent pas; mais les faits les démontrent, et si les agens subalternes ne peuvent répondre de l'exécution d'ordres émanés de leurs supérieurs légitimes dont les motifs leur sont inconnus, les auteurs mêmes de ces ordres ne peuvent alléguer la même raison pour leur défense. Et certes les ministres ne pouvoient ignorer ni leur objet dans le rassemblement des troupes dont ils avoient investi la capitale, ni leurs attentats contre la liberté du corps législatif, contre son autorité, contre son existence même. Et les actes de violence exercés par M. de Lambesc, à la vue d'un peuple immense, pouvoient-ils être révoqués en doute ou justifiés par aucune excuse plausible? Et le mandement de M. l'Evêque de Tréguier n'étoit-il pas authentique, reconnu par lui-même ; ne

portoit-il pas tous les caractères de la rébellion contre la souveraineté nationale? L'acte d'un magistrat, revêtu des formes légales, appelant au nom de la religion les peuples à la révolte, devoit-il être confondu avec tous ces pamphlets anonymes, productions éphémères sans force et sans autorité? Comment donc tous ces attentats demeurèrent-ils impunis? Comment le châtelet à qui la publicité de l'instruction offroit une sauve - garde contre les imputations des malveillans, parvint-il à soulever contre lui tous les esprits, au point de se rendre suspect de chercher à occasionner ces explosions qui pensèrent plus d'une fois éclater dans le sanctuaire même de la justice et devenir fatales aux accusés, dans le dessein perfide de décourager à force de désordres et de malheurs les amis de la révolution et de nous ramener au despotisme par l'excès de l'anarchie?

Sans imputer à ce tribunal des vues aussi criminelles, il est néanmoins impossible de ne pas reconnoître dans l'ensemble de sa conduite ce génie de la robe toujours ennemi de la liberté, pour qui l'autorité constitue le droit, pour qui la juste résistance à la, plus

cruelle

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85 cruelle tyrannie est une révolte; ce génie qui ne put voir des coupables dans des ministres conjurés contre une nation entière, et qui, si le sort en eût autrement décidé, auroit sans balancer déployé l'appareil imposant des formes judiciaires, et dressé des gibets pour les vainqueurs de la Bastille, le maire de Paris, le commandant général, les chefs de la milice parisienne, et les plus zélés défenseurs du peuple; ce génie ambitieux, vil et superbe à la fois, qui ne sert que pour commander, qui ne voit dans les loix que des formalités, et dans les formalités que des moyens d'étendre sa puissance, de renverser tout ce qui s'y oppose, et de régner sans rival.

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