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cette milice environnoient le conseil ; les échevins éludoient les délibérations; des capitaines étoient conseillers de ville; une épée fut même tirée dans le conseil contre un motionnaire. Les esprits s'aigrirent, la milice avoit mis de l'amour-propre à rester telle qu'elle étoit formée; la journée funeste du 19 Août lui prépara bientôt d'éternels regrets.

Ce jour-là, une affiche fut trouvée au coin d'une rue, portant invitation aux citoyens de se rendre à quatre heures du soir à une place appelée la Tourette, qui touche au fort S. Jean. La milice regarda cette affiche comme un défi; elle prit aussi-tôt les armes, prépara des cartouches, et ses menaces annoncèrent tous les malheurs que l'on devoit craindre ou d'un dessein prémédité, ou de l'amour-propre et de l'impatience. A midi, M. de Caraman fit annoncer par un placard, qu'il alloit s'occuper sans relâche de la formation de la garde bourgeoise; mais dans l'instant même qu'on l'affichoit, des lieutenans de la milice s'opposèrent à sa publication. A trois heures, le fils de M. de Caraman alla s'assurer par luimême qu'il n'y avoit pas d'attroupemens à la Tourette. Mais la milice se croyoit bravée,

elle s'obstina à s'y rendre, ne prévoyant pas sans doute les suites de cette imprudence: elle n'y trouva que des ouvriers qui travailloient et qu'elle voulut chasser, des enfans qui la huèrent en la voyant maltraiter ces ouvriers, des gens qui buvoient sous des cabanes, quelques curieux au coin d'une rue, en tout moins de cent personnes. Elle fait feu sans en avoir reçu l'ordre, sous prétexte de quelques coups de pierres qui sont plus que douteux. Un citoyen percé de trois balles demeure sur la place. Bientôt la milice se débande d'elle-même au milieu des imprécations du peuple qui la poursuit, et plusieurs ne sauvent leur vie qu'en abandonnant leurs habits et leurs armes. Dès le lendemain vingthuit capitaines sur soixante donnèrent leur démission et refusèrent de servir dans un corps qui avoit perdu le droit de défendre les citoyens; plus de deux cents lieutenans suivirent leur exemple. Mais un événement imprévu répandit le même jour la consternation dans la ville entière. Le peuple toujours exalté dans ses vengeances, le peuple sur lequel les scènes dramatiques ont un si dangereux pouvoir, portoit dans les rues le cadavre du ci

toyen qui avoit été tué à la Tourette. On le déposa tour à-tour dans le corps-de-garde de la milice, devant l'hôtel du commandant, et dans la maison de M. la Flèche un des échevins. Là des brigands s'introduisirent; aucun vol, dit on, ne fut commis; mais les meubles d'un salon furent incendiés. Les troupés entrèrent sur-le-champ dans la ville, vingt-trois coupables furent arrêtés dans la maison du consul, et le prévôt-général appelé à Marseille.

Cet homme, qui portoit dans son cœur et dans sa tête toute l'aristocratie d'un parlement entier, ne vir dans cette affaire que des autorités outragées à rétablir, et n'envisagea comme autorités que le conseil municipal qui n'en devoit plus avoir depuis le rétablissement du conseil des trois ordres, et une prétendue garde nationale, nulle par sa formation qui ne donnoit aucun moyen de protéger la sûreté publique, plus nulle encore par sa création émanée d'un acte arbitraire d'un conseil sans pouvoirs. Tout le reste ne lui parut qu'assemblées illicites et séditieuses, les bons citoyens que des rébelles, l'expression de l'amour de la patrie et de la liberté que des

crimes de lèze - majesté, et l'inquisition la plus odieuse, les vexations les plus atroces, des moyens naturels de parvenir à exercer au nom des loix les vengeances d'un parti implacable La mort du citoyen tué sur la Tourette demeure impunie, les insultes faites à la milice au retour de cette fatale expédition sont seules poursuivies ; dans l'espace d'un mois cent citoyens sont décrétés pour leurs opinions et pour leurs pensées. Ce n'est pas tout, ce prévôt informe sur la milice, pour la milice, contre les détracteurs de la milice; il prend pour assesseurs, il s'associe pour juges. deux lieutenans de cette milice, et il place les parties sur le tribunal. Tout le reste de cette monstrueuse procédure est assorti à son commencement. Les décrets de l'Assemblée sont méconnus, l'information porte sur des faits antérieurs à l'amnistie, l'instruction est uniquement dirigée contre les patrictes, les accusés ne sont pas gardés dans les prisons de la justice, mais dans les citadelles; la loi de la publicité de la procédure est éludée, ou plutôt toutes les loix sont violées, et l'on ne feint d'observer les formes que pour les outrager avec plus d'insolence. Tant d'excès in

dignèrent l'Assemblée Nationale qui ordonna que cette procédure seroit jugée par la sénéchaussée de Marseille, que les décrétés seroient transférés dans ses prisons, et renvoya au tribunal chargé du jugement des crimes de lèze-nation plusieurs requêtes présentées par les accusés contre le prévôt Bournissac.

Celui-ci n'en poursuivit pas moins son syst tême d'oppression, sous les auspices de M. l'abbé Maury, dans la personne duquel il trouva un zélé défenseur, et qui fit dans cette affaire un plaidoyer au lieu d'un rapport. Mais l'Assemblée, choquée de tant de parẻ tialité et convaincue par les propres réponses du même lu les rapporteur, qu'il n'avoit pas pièces justificatives, renvoya l'examen de cette affaire au nouveau comité des rapports. M. de Mirabeau, après avoir réfuté les arguties de l'abbé Maury, rétabli les faits qu'il avoit dénaturés dans son récit, et attaché le prévôt prévaricateur au gibet de l'opinion publique, considérant que ce n'étoit pas un coupable de plus qu'il falloit poursuivre, mais les amis de da liberté qu'il falloit sauver, consentit luimême à le mettre hors de cause, et l'Assemblée Nationale, sans en faire aucune mention,

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