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qu'importe en effet que Marseille fut détruite, si le parlement étoit vainqueur ! Il le fut. Le commandant reçut l'ordre de se transporter à Marseille avec huit mille hommes de troupes et un train considérable d'artillerie. Il arrive, et ces portes qu'il devoit renverser étoient couronnées par des arcs de triomphe, et cette milice qu'il devoit combattre préparoit des fêtes, et ce peuple qu'il falloit punir, content d'avoir repoussé le parlement, manifestoit son allégresse par des cris de vive le roi !

Mais les ordres donnés par des ministres qui croyoient la ville révoltée, n'en furent pas moins exécutés, quoiqu'on l'eût trouvée fidèle. Il falloit rendre inutile le travail des vingt-quatre commissaires examinateurs des comptes, et l'on cassa le conseil des trois ordres ; il falloit punir cette milice citoyenne qui avoit osé résister au parlement, et elle fut accusée; il falloit la remplacer par une autre qui ne pût être dangereuse pour ceux à qui la première avoit été redoutable, et l'on en créa une autre dans cette vue. Les capitaines furent pris exclusivement dans deux classes de citoyens, les nobles et les négo

cians de la première classe. Les lieutenans furent nommés, partie par les capitaines, partie par les échevins; le nombre des chefs fut augmenté; le nombre des volontaires diminua dans la même proportion, ou pour mieux dire, il n'y en eut presque jamais : l'amour-propre avoit recruté les officiers, le défaut de confiance écarta le soldat.

Les choses demeurèrent en cet état jusqu'au 23 Juillet. C'est à cette époque que les nouvelles désastreuses des craintes et des efforts de la capitale donnèrent une commotion violente à toutes les parties de l'empire, et firent prendre à toutes les grandes villes ces mesures fermes et généreuses qui sauvèrent la France. Marseille suivit leur exemple. M. de Caraman sentit le besoin de rassurer le peuple et rappela le conseil des trois ordres. Mais impatiens d'exprimer leur væu, six mille citoyens sassemblèrent dans une salle de M. Arquier. Là une pétition fut rédigée et adressée au con. seil général : les ministres prévaricateurs, les ennemis de l'empire, les oppresseurs de Marseille lui furent dénoncés. On demanda que les canons braqués sur la ville fussent retirés; que huit mille soldats postés dans les faux

bourgs

bourgs fussent éloignés, et le conscil acquiesça à ces demandes.

La députation des communes de Provence avoit fait de vains efforts auprès des anciens ministres pour obtenir la révocation de la déclaration du roi qui attribuoit exclusivement au parlement d'Aix la connoissance des troubles de Provence. Elle fut plus heureuse auprès du nouveau ministère. Le bruit se répandit alors que le parlement instruisoit secrettement une procédure contre Marseille. Un curé citoyen de cette ville, venoit d'être décrété de prise de corps dans une affaire du même genre, enlevé en plein jour par cent soldats et enfin renvoyé sur ses réponses en état d'assigné pour être ouï, tant il avoit

clairement établi son innocence. Un de ses paroissiens impliqué dans un procès de même nature avoit été arrêté à Marseille, et délivré par le peuple. On craignit que le parlement, prêt de voir les accusés échapper à sa vengeance, ne se hâtât de les condamner. Par une sorte d'inspiration soudaine, le peuple s'assemble, demande des armes à la municipalité et se rend à Aix pour délivrer les prisonniers, comme autrefois l'on partoit pour les croisades G

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M. de Caraman qui avoit reconnu le danger de chercher à arrêter ce mouvement populaire, se borna à le diriger. L'abbé de Bausset se mit à la tête du peuple, afin de le contenir et choisit deux citoyens honnêtes pour le seconder. Les habitans d'Aix accueillirent cette croisade patriotique avec des transports de joie. Soixante-trois prisonniers furent délivrés la petite armée les ramena le même jour à Marseille sur des chariots ornés de guirlandes. La milice les reçut hors des portes de la ville où elle formoit une double haie sur leur passage; un peuple immense étoit placé en amphithéâtre sur toutes les avenues; les soldats portoient au bout de leurs fusils des tronçons de chaînes brisées, ou des carcans enlevés sur la route; les prisonniers levoient les mains au ciel et bénissoient leurs libérateurs; les larmes couloient de tous les yeux, jamais Marseille n'avoit eu de fête plus intéressante. L'armée reçut l'ordre de défiler devant le portrait du roi, que l'on mit sous un dais dans la salle du conseil. Là, toutes les armes furent déposées en un faisceau, des aumônes abondantes furent recueillies pour les prisonniers, et les citoyens d'Aix qui les

avoient accompagnés reçurent en présent un drapeau d'union de la ville de Marseille.

Les nouvelles que l'on reçut alors de Versailles ajoutèrent encore à la joie publique. Le roi venoit d'accorder une amnistie générale pour tous les troubles qui avoient eu lieu jusqu'alors en Provence, et la connoissance des émotions populaires de cette province fur exclusivement accordée au prévôt général. II ne restoit plus à desirer aux Marseillois que d'organiser enfin leur garde nationale sur le plan général de celles qui s'établissoient alors dans tout le royaume, et de substituer un corps utile et sûr par sa force réelle et par sa formation, à une armée d'officiers, dé nuée de soldats, et qui bien que composée de beaucoup d'honnêtes citoyens, n'étoit cependant rien moins qu'une milice nationale. C'étoit le vœu du conseil général des trois ordres, c'étoit celui de la majorité des citoyens, c'étoit celui de M. de Caraman luimême. Mais ce ne fut pas celui des aristocrates du corps qu'on vouloit réformer. On ne put parvenir dans le conseil des troia ordres à délibérer sur aucune des motions dont la milice étoit l'objet. Les officiers de

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