Page images
PDF
EPUB

le remplacement par d'autres juges. Elle sollicita aussi le changement d'un systême d'impositions, dans lequel les contributions presqu'uniquement établies sur le prix du pain et de la viande, épargnoient les riches et dévoroient chaque jour une grande partie de la subsistance du peuple. Un mouvement soudain et irrésistible de l'indignation publique causé par les scandaleuses imprudences d'un protégé de l'intendant, adjudicataire des fermes municipales, et riche de plusieurs millions, ternit un peu la gloire de ses premiers combats contre la tyrannie. La multitude crut pouvoir détruire elle-même sur-le-champ les abus qu'elle dénonçoit, et la maison du fermier fut dévastée. Ce premier acte de violence mit en péril la ville entière. Ce peuple d'étrangers, d'inconnus, de matelots de toutes les nations, ce ramas d'hommes sans fortune, sans ressources, sans état, dont les grands ports de commerce sont toujours remplis, s'attroupa dès le lendemain : les négocians trembloient déjà pour leurs magasins prêts à être livrés au pillage. Mais les jeunes citoyens se réunissent pour la défense commune, les brigands sont investis et dispersés,

la ville est préservée; et pour prévenir le retour des mêmes dangers, ses libérateurs sont formés en milice bourgeoise. Ainsi Marseille eut l'honneur d'avoir devancé l'établissement des gardes-nationales.

Cette milice citoyenne se conduisit avec un zèle infatigable. Les patrouiiles purgèrent la ville des malfaiteurs ; trois cents scélérats dont plusieurs avoient déjà subi des peines, furent déposés dans des prisons publiques : le reste s'enfuit d'une ville où les espérances du crime n'en compensoient plus les dangers. Des éloges votés par tous les corps, des drapeaux offerts par le commandant de la province, et par-dessus tout, les bénédictions du peuple furent la récompense de leurs généreux services.

Le parlement de Provence parut craindre de laisser informer sur ces troubles par les juges ordinaires, et demanda que cette redou table instruction lui fût exclusivement confiée. La Provence étoit alors divisée en deux partis qui s'accusoient réciproquement d'être les auteurs et les fauteurs de ces désordres; il étoit donc plus nécessaire que jamais d'avoir des juges qui ne fussent pas pris dans la triple

aristocratie des nobles, des privilégiés, des possédant-fiefs. Il obtint cependant cette attribution qui pouvoit devenir si funeste à la liberté publique. La déclaration du roi, vraisemblablement libellée par ce tribunal luimême, selon l'usage de ce tems - là, où les hommes et les corps en crédit dictoient eux-mêmes les loix qu'ils faisoient ensuite promulguer par le conseil, portoit sur-tout de rechercher les auteurs, de remonter aux causes, d'informer sur les propos : on n'avoit oublié aucun instrument de la tyrannie.

Cette loi de sang répandit la désolation dans la Provence. Des citoyens furent proscrits, des villages dévastés; mais c'étoit Marseille sur-tout que menaçoit l'orage. Marseille qui dans les assemblées primaires s'étoit élevée contre le parlement, contre l'intendant qui en étoit en même-tems premier président, et contre un protégé de cet intendant. L'aristocratie y désignoit déjà ses victimes parmi les chefs de cette milice qui défendoit le peuple et que le peuple défendoit à son tour; elle étoit prête à les saisir lorsque Marseille contesta au parlement son attribution. Des délibérations unanimes du conseil des trois

ds ordres qui avoit député aux états généraux, portèrent aux pieds du trône les réclamations d'un grand peuple.

Elles y furent d'abord dédaignées. Cependant le parlement, effrayé de la résistance qu'il éprouvoit, résolut d'employer d'autres armes il travailla à diviser entr'eux les citoyens et à les calomnier auprès des ministres. = La crainte et l'intérêt firent des créatures à

l'intendant, les suppôts des fermiers s'y joignirent. La conduite de la garde citoyenne fut indignement travestie; des fautes de discipline furent transformés en délits; quelques actes d'autorité dans les affaires de police furent présentés comme des actes de révolte: l'on parvint enfin à faire voir au gouvernement cette milice fidèle, comme une troupe de révoltés, et le parlement demandoit une armée pour entrer dans Marseille par la brèche, comme un roi méconnu, mais vainqueur, qui punit des sujets rebelles.

De plus grands forfaits aggravoient encore le crime de Marseille et excitoient ses ennemis à la vengeance. Un chat avoit été pendu; la milice citoyenne l'avoit souffert, et les amis de l'intendant prétendoient que ce chat n'étoit

[ocr errors]

qu'un emblême. La flatterie avoit donné le nom de cet intendant à une fontaine publique le peuple y avoit substitué celui de M. Necker; et la milice citoyenne n'avoit pas fait verser des flots de sang pour empêcher cet attentat. Enfin le conseil des trois ordres, le conseil' électeur des députés aux états généraux, avoit nommé vingt-quatre commissaires pour vérifier le compte des anciens échevins, et ces commissaires avoient découvert ou de grandes fautes en arithmétique, ou de grandes erreurs en administration. C'en étoit assez pour grossir le parti de l'intendant, de tous ceux à qui ses faveurs, ses entreprises, ses spéculations n'avoient pas été étrangères.

De tels crimes parurent irrémissibles aux yeux du parlement. Il demanda des troupes au commandant pour châtier une ville coupable, et sur son refus, les chambres s'assemblèrent. Le premier mouvement fut de le décréter; mais on se borna à lui envoyer une députation. Les troupes ne risqueront rien, lui dit on, on tirera sur toutes les fenêtres uvertes. Fh! qu'importe, s'écrie à ce sujet M. de Mirabeau dont nous tirons ces détails

« PreviousContinue »