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testables, présentée avec la précision et la clarté de M. Thouret, l'éloquence de M. de Mirabeau et la logique pressante de MM. Garat le jeune, Barnave, Dupont et d'une foule d'autres orateurs, ne se battoient plus qu'en retraite, faisant naître des incidens pour éloigner la décision, portant à la présidence M. Camus, comme autrefois l'avocat du clergé, mais qui montra autant de sagesse que d'impartialité; répétant quelques raisonnemens usés, et argumentant de l'intérêt de la nation et de celui de la religion qu'ils sembloient ne pouvoir séparer de celui de leurs domaines. Ils allèrent même jusqu'à employer des moyens de séduction en proposant des sacrifices; mais ce nouveau systême de défense ne fut pas moins victorieusement renversé.

Comment douter en effet qu'une nation agricole ne dût tourner toutes ses vues vers l'accroissement des produits de son sol, la principale source de ses richesses? Comment douter qu'il ne fût du plus grand intérêt pour elle de donner à ses terres des propriétaires réels qui porteroient sur tous les points de sa surface ce zèle et cet attachement de la pro

priété que rien ne supplée, au lieu de laisser de vastes et nombreuses possessions à des propriétaires fictifs toujours remplacés par des usufruitiers ennemis naturels de la propriété, ou par des administrateurs qui s'y intéressent peu? Comment douter que dans un pays où la population est immense et la distribution des fortunes monstrueusement inégale, il ne fût de la plus haute importance de diviser les propriétés afin de diminuer le nombre des individus qui ne possédant rien, tiennent moins par cette raison à la chose publique, et sont si dangereux dans l'ordre social sous tous les rapports politiques et

moraux ?

Il faut une religion dans l'état, il faut que cette religion ait ses ministres sans doute. Mais falloit-il que ces ministres formassent dans l'état un corps particulier? Non; parce que des corps particuliers placés dans la société générale rompent l'unité de ses principes et l'équilibre de ses forces. Falloit-il que ce clergé fût propriétaire? Non; le clergé ne pouvant avoir de propriété collective sans former une corporation, l'intérêt public s'y oppose et même son intérêt particulier. Ses

membres, comme fonctionnaires publics, doivent être salariés, et des salaires distribués entre les prêtres, d'une manière équi-table relativement à l'importance de leurs fonctions, feroient disparoître le scandale de la misère d'un grand nombre, et de l'excessive opulence de quelques individus, suite nécessaire de l'énorme disproportion qui se trouve entre leurs traitemens respectifs. L'intérêt de la religion est-il d'avoir un clergé dont les trois quarts soient salariés par l'autre comme l'étoit celui de France, où la plupart des prêtres utiles étoient les serviteurs à gages d'un petit nombre de riches oisifs, dont le faste insultoit la pauvreté du peuple et dont les mœurs déshonoroient le caractère? En quoi la majesté du culte seroit-elle dégradée, si les ministres des autels étoient stipendiés comme le sont les ministres de la justice, les ministres du roi et le premier ministre de la nation, le roi lui-même? Les apôtres et leurs successeurs, durant les trois premiers siècles de l'église, formoient-ils un corps propriétaire? et cependant furent-ils jamais plus respectés et plus respectables? L'intérêt de la religion est que ses ministres se fassent

honorer par leur sainteté, par leur bienfai sance, par toutes les vertus, et non par des richesses, du luxe, des vices brillans et d'insolentes prétentions. A l'égard des prétendus sacrifices que proposoit le clergé, comment pouvoit-il offrir ce dont il n'avoit pas le droit de disposer? De quel front osoit-il faire présent à la nation de ce qui n'appartenoit qu'à elle ?

L'Assemblée étoit convaincue, néanmoins elle hésitoit encore. M. Chapelier avoit porté le dernier coup au clergé, par un résumé clair et précis des raisonnemens invincibles qu'on lui avoit opposés, et par les nouveaux points de vue sous lesquels il avoit présenté la question. M. de Mirabeau, s'apercevant que la très-grande majorité réunie de sentimens, n'étoit partagée que sur les expressions, et qu'il répugnoit à plusieurs membres de prononcer une translation de propriété, substitua dans le projet de décret une expression heureuse de M. d'Arche, et proposa l'Assemblée de déclarer que les biens du clergé étoient à la disposition de la nation. Le clergé, vaincu par le raisonnement, n'opposa plus à ses adversaires que du tumulte et des

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clameurs. Enfin après deux heures de déserdre, l'on parvint à commencer l'appel nominal; et le 2 Novembre 1789, à cinq heures et demie du soir, fit rendu le décret suivant, à une grande majorité.

« L'Assemblée Nationale déclare, 1°. que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces.

32°. Que dans les dispositions à faire pour subvenir à l'entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d'aucune cure, moins de douze cents livres par année, non compris le logement et les jardins en dépendans ».

Peu de jours après, l'Assemblée arrêta par un autre décret, que le roi seroit supplié de surseoir à toute nomination de bénéfice, excepté toutefois des archevêchés, évêchés et cures; qu'il seroit pareillement sursis à toute disposition de quelque nature qu'elle pût être, de tous titres à collation ou patronage ecclésiastique, qui ne seroient pas à charge

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