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et remplie par les principaux chefs de la cabale aristocratique. Ces factieux qui vouloient acheter au rabais le droit d'être les tyrans de leurs égaux, avoient proposé trois millions à la France, avant d'obtenir la garantie de leurs usurpations; mais après l'avoir obtenue, ils avoient réduit à neuf cent mille francs les dons de leur générosité intéressée, et s'efforçoient encore de faire valoir leur prodigieuse munificence par le tableau des maux de leur patrie dont ils étoient eux-mêmes les auteurs, de la ruine de son commerce qui avoit fui avec la liberté, et de l'extrême misère de leurs concitoyens qu'ils s'occupoient à asservir et non à soulager. Les représentans du peuple françois ne crurent pouvoir accepter les présens des oppresseurs du peuple Genevois, et les refusèrent à l'unanimité ab-. solue.

Un événement d'une nature bien diffé rente, mit à une pénible épreuve leur sagesse et leur justice. Les états de Flandre et

pardonner, et les aristocrates de l'assemblée en profitèrent pour le rendre suspect à leurs adversaires et se venger de la prédilection qu'il leur avoit marquées

de Brabant venoient de rompre les liens qui les attachoient à la domination impériale, et de déclarer leur indépendance. Un envoyé de Vandernoot qui se qualifioit agent général du peuple Brabançon, apportoit à l'Assemblée Nationale et au roi, le manifeste de cette nouvelle puissance.

La France qui, dans sa longue servitude, s'étoit toujours montrée la protectrice des opprimés, repousseroit-elle à l'époque gloricuse de sa régénération à la liberté, la démarche d'un peuple qui se sentoit le courage de l'imiter et de revendiquer ses droits? Mais la France pouvoit - elle s'ériger en arbitre des droits respectifs de Joseph II et des états, et la volonté générale de la nation, scule juge d'une si grande cause, étoit-elle suffisamment manifestée par une simple délibération d'une assemblée à laquelle on pouvoit contester le caractère de représentation nationale, que l'on savoit influencée par l'aristocratie féodale et épiscopale, et dirigée par des ambitieux et des intrigans ? Dans le premier moment, le public demandoit d'une voix que la liberté des Brabançons fût reconnue. Le corps législatif cut le courage de résister à ce

noble, mais imprudent enthousiasme, et persuadé qu'il seroit contre la sagesse d'accueillir avec précipitation, et contre sa dignité et sa justice, de rejeter les demandes d'un peuple qui aspire à être libre, éloigna prudemment l'ouverture du paquet et le moment de la dé

cision.

Elle ne montra pas moins de respect pour les droits des nations dans les décrets qu'elle rendit à cette époque relativement à la Corse. Cette île sujette, ou plutôt esclave de la république de Gênes, avoit long-tems gémi sous le plus affreux despotisme. Après une longue lutte de la liberté contre la tyrannie, elle se déclara enfin indépendante en 1735 dans une assemblée générale, et cette déclaration fut renouvelée en 1755, lorsque Paul Paoli fut élu commandant - général. Les Génois, dont les armées furent mises en déroute sur le bord de la mer par douze hommes et par douze femmes, eurent recours à la France pour punir cette prétendue révolte, et M. de Choiseuil, après y avoir entretenu des troupes pendant quatre ans pour garder les postes que. ces républicains y possédoient, fit avec eux en 1768 une transaction par laquelle ils có

doient au roi un droit d'administration qu'ils n'avoient pas et qui ne pouvoit être exercé que par la force. Cette île étoit censée par ce traité appartenir à la France. Mais le sénat de Gênes se réservoit de rentrer dans sa prétendue souveraineté en lui remboursaut les frais qu'elle auroit faits pour assouvir sa vengeance et lui conserver ses droits chimériques; frais immenses et qui furent complettement à sa charge., puisque les revenus qu'elle tira de cette île furent toujours bien au-dessous des frais que nécessitoit son ad.

ministration.

Les Corses refusèrent de ratifier cet étrange marché par lequel on vendoit un peuple comme un troupeau de moutons. Il fallu les conquérir, et ce ne fut qu'en versant des flots de sang, que nos soldats parvinrent à les mettre au nombre des compagnons de leur servitude. Subjugués plutôt que soumis, ils devinrent par force sujets du roi, mais non membres volontaires de l'empire fran çois. A l'époque des états généraux, l'espoir. de l'affranchissement prochain de la nation réveilla leur amour pour la liberté, et ils chargèrent leurs députés de demander for

mellement qu'ils en fussent déclarés partic intégrante. Ils partagèrent avec transport les triomphes de l'Assemblée Nationale et la virent avec joie substituer à l'absurde régime des intendans et des subdélégués, les mêmes divisions et subdivisions que Paoli y avoit déjà introduites pour la facilité de l'administration, dans le tems que cette île combattoit pour la liberté. Mais la consternation s'y répandit avec le bruit qu'on alloit ou la céder à Gênes, ou la retenir sous le despotisme militaire; et ce bruit paroissoit d'autant mieux fondé, que, de tous les décrets de l'Assemblée Nationale, l'on n'y avoit encore publié au mois de Novembre que la loi martiale.

Une si cruelle incertitude excita une fermentation générale. L'île entière se couvre d'armes, non plus contre les François, mais pour eux et pour la même cause. On déclare à M. de Barrin, alors commandant pour le roi, que l'on veut enfin former une garde nationale: toute la ville de Bastia s'assemble à cet effet dans l'église paroissiale de S. Jean; le commandant s'y rend lui-même. Tout-àcoup on entend battre la générale; M. de Reully, colonel du régiment du Maine, e

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