lui doit la justice de dire qu'il se livra avec un zèle et une constance dignes de tous les éloges à ce grand œuvre d'humanité. Le jour même de la premiere motion de M. de Castellane sur les lettres de-cachet, l'Assemblée vit paroître dans son sein un vieillard de cent vingt ans, né le 10 Novembre 1669, dans la plus monstrueuse de toutes les servitudes, la mainmortabilité des montagnes du Jura. ILavoit vécu quarantesix ans sons Louis XIV, et il venoit en personne rendre grace du bienfait de la liberté accordée à ses compatriotes. Il se nommoit Jean, fils de Jean Claude Jacob, de la paroisse de Saint-Sauverain, département du Jura. A son arrivée, l'Assemblée entière se leva par respect, et voulut que ce doyen du genre humain assistât couvert à sa séance. Elle prouva par cet hommage qu'après avoir eu peu d'égards pour la vieillesse des empires, les corps antiques et les vieilles institutions, elle savoit du moins respecter la vieillesse individuelle et l'antiquité d'un mortel. Le roi l'avoit entretenu avec intérêt et gratifié d'une pension de deux cents livres. Le corps législatif ouvrit en sa faveur une souscription pa triotique, et lorsqu'il se retira, le président lui témoigna le vœu général de le voir jouir long-tems au milieu de ses concitoyens du spectacle de la liberté de sa patrie. Mais le moment fixé par la nature devoit bientôt arriver, et deux mois après ce vénérable vieillard parvint au terme de sa longue carrière. CHAPITRE V. Situation critique des finances. Causes géné rales et particulières de cette crise. Insuffi sance des ressources de M, Necker. De la Caisse d'Escompte. Projet du ministre de la transformer en banque nationale. Mesure provisoire adoptée par l'Assemblée pour alimenter le trésor public. L'ASSEMBLÉE NATIONALE emportée pas le mouvement rapide de la révolution, avoit pu laisser à peine tomber un regard sur la situation des finances, Deux emprunts, dont le premier trop légèrement réduit à un intérêt parcimonieux avoit peut-être achevé do ruiner le crédit en écartant du trésor public les fonds des capitalistes ; et la contribution du quart des revenus acceptée de confiance sur la demande de M. Necker, et dont les produits étoient bien loin d'égaler l'espérance qu'on en avoit conçue, n'offroient que de foibles ressources dans la crise où se trouvoir l'empire par l'anéantissement simultané de presque toutes les branches de ses revenus. Les impôts indirects ne se payoient plus, la réduction de la gabelle n'avoit pu faire supporter une odieuse taxe depuis long tems jugée, condamnée, et par le roi et par le peuple. La perception des impôts indirects étoit même presque totalement suspendue par la mauvaise volonté, ou par l'impuissance des contribuables. Diversés causes concouroient à déranger à notre préjudice la balance du commerce : les immenses achats de bled que l'on avoit été contraint de faire hors du royaume, pour éloigner les horreurs de la famine, avoient fait sortir une grande quantité de métaux monnoyés; et le traité de commerce avec la Grande - Bretagne avoit rendu notre industrie tributaire de la sienne, en nous constituant débiteurs envers elle d'une somme de marchandises manufacturées que nos propres fabriques fournissoient autrefois. Nos troubles intérieurs avoient fait fuir les étrangers de nos foyers, et leurs capitaux de nos fonds publics; la plupart s'empressoient de les en retirer, et nous perdions à la fois l'or qu'il auroient consommé chez nous et celui qué nous étions forcés de leur rendre. Les prodigieuses émigrations des particuliers les plus riches, la terreur qui resserroit partout le numéraire, et la malveillance qui l'accaparoit et l'enfouissoit pour augmenter le désordre en arrêtant la circulation, tout concouroit à augmenter notre détresse. Il falloit un miracle pour prévenir notre ruine, et ce miracle, on l'attendoit du ministre des finances. Mais le systême de cet administrateur se trouva trop éloigné de ce qu'exigeoit alors la disposition générale des esprits, pour être accueilli avec la même faveur que ses opérations précédentes. Le renversement subit de notre antique gouvernement et la création presque magique de la constitution avoient rempli les citoyens de fierté et d'audace. Ce n'étoit plus le tems d'étayer des ruines qui s'écrouloient de toutes parts; on vouloit des chef d'œuvres nouveaux, on vouloit que tout fût assorti au majestueux édifice qu'on venoit d'élever. Mais le premier ministre, fatigué depuis plus d'un an, à soutenir sur une terre ébranlée et au milieu des plus violens orages, un colosse chancelant, sans base et sans appui, loin de se livrer à des conceptions hardies, redoutoit les moindres secousses, et ne vouloit mettre |