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lui avait donné sa confiance et avait chéri en lui ses vues modérées et pacifiques. DuportDutertre, ministre du parti constitutionnel, fut aussi menacé d'une accusation, mais il la prévint, demanda à se justifier, fut absous par l'ordre du jour, et immédiatement après donna sa démission. Cahier de Gerville la donna aussi, et de cette manière le roi se trouva privé du seul de ses ministres, qui eût auprès de l'assemblée une réputation de patriotisme.

Séparé des ministres que les feuillans lui avaient donnés, et ne sachant sur qui s'appuyer au milieu de cet orage, Louis XVI, qui avait renvoyé Narbonne parce qu'il était trop populaire, songea à se lier à la Gironde, qui était républicaine. Il est vrai qu'elle ne l'était que par défiance du roi, et qu'une fois livré à elle, il était possible qu'elle s'attachât à lui. Mais il fallait qu'il se livrât sincèrement, et cette éternelle question de la bonne foi s'élevait encore ici comme dans toutes les occasions. Sans doute Louis XVI était sincère quand il se confiait à un parti, mais ce n'était pas sans humeur et sans regrets. Aussi, dès que ce parti lui imposait une condition difficile mais nécessaire, il la repoussait; la défiance naissait aussitôt, l'aigreur s'en suivait, et bientôt une rupture était la suite de ces alliances malheureuses entre des cœurs que

des intérêts trop opposés occupaient exclusivement. C'est ainsi que Louis XVI, après avoir admis auprès de lui le parti feuillant, avait repoussé par humeur Narbonne, qui en était le chef le plus prononcé, et se trouvait réduit, pour apaiser l'orage, à s'abandonner à la Gironde. L'exemple de l'Angleterre, où le roi prend souvent ses ministres dans l'opposition, fut un des motifs de Louis XVI. La cour conçut alors une espérance, car il faut s'en faire une même dans les plus tristes conjonctures. Elle espéra que Louis XVI, en prenant des démagogues incapables et ridicules, perdrait de réputation le parti dans lequel il les aurait choisis. Cependant il n'en fut point ainsi, et le nouveau ministère ne fut pas tel que l'aurait désiré la méchanceté des courtisans.

Depuis plus d'un mois, Delessart et Narbonne avaient appelé un homme dont ils avaient cru les talens précieux, et l'avaient placé auprès d'eux pour s'en servir: c'était Dumouriez, qui tour à tour commandant en Normandie, et dans la Vendée, avait montré partout une fermeté et une intelligence rares. Il s'était tantôt offert à la cour, tantôt à l'assemblée constituante, parce que tout parti lui était égal, pourvu qu'il pût exercer son activité et ses talens extraordinaires. Dumouriez, rapetissé par le siècle, avait

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passé une partie de sa vie dans les intrigues diplomatiques. Avec sa bravoure, son génie militaire et politique, et ses cinquante ans, il n'était encore, à l'ouverture de la révolution, qu'un brillant aventurier. Cependant il avait conservé le feu et la hardiesse de la jeunesse; dès qu'une guerre ou une révolution s'ouvrait, il faisait des plans, les adressait à tous les partis, prêt à agir pour tous, pourvu qu'il pût agir. Il s'était ainsi habitué à ne faire aucun cas de la nature d'une cause; mais quoique trop dépourvu de conviction, il était généreux, sensible, et capable d'attachement, sinon pour les princpes, du moins pour les personnes. Cependant avec son esprit si gracieux, si prompt, si vaste, son courage tour à tour calme ou impétueux, il était admirable pour servir, mais incapable de doniner. Il n'avait ni la dignité d'une conviction profonde, ni la fierté d'une volonté despotique, et il ne pouvait commander qu'à des soldats. Si avec son génie il avait eu les passions de Mirabeau ou la volonté d'un Cromwel, ou seulement le dogmatisme d'un Robespierre, il eût dominé la révolution et la France.

Dumouriez, en arrivant auprès de Narbonne, forma tout de suite un vaste plan militaire. Il voulait à la fois la guerre offensive et défensive. Partout où la France s'étendait jusqu'à ses li

mites naturelles, le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et la mer, i voulait qu'on se bornât à la défensive. Mais dans les Pays-Bas, où notre territoire n'allait pas jusqu'au Rhin, dans la Savoie, où il n'allait pas jusqu'aux Alpes, il voulait qu'on attaquit sur-le-champ, et qu'arrivé aux limites naturelles on reprît la défensive. C'était concilier à la fois nos avantages et les principes; c'était profiter d'une guerre qu'on n'avait pas provoquée, pour en revenir, en fait de limites, aux véritables lois de la nature. Il proposa une quatrième armée, destinée à occuper le midi, et en demanda le commandement qui lui fut promis.

Dumouriez s'était concilié Gensonné, l'un des commissaires civils envoyés dans la Vendée par l'assemblée constituante, député depuis à la législative, et l'un des membres les plus influens de la Gironde. Il avait remarqué en outre que les jacobins étaient la puissance dominatrice; il s'était présenté dans leur club, avait lu divers mémoires qui avaient été fort applaudis, et n'en avait pas moins continué sa vieille amitié avec Delaporte, intendant de la liste civile et ami dévoué de Louis XVI. Tenant ainsi aux diverses puissances qui allaient s'allier, Dumouriez ne pouvait manquer de l'emporter et d'être appelé au ministère. Louis XVI lui fit offrir le

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porte-feuille des affaires étrangères, que le décret d'accusation contre Delessart venait de

' rendre vacant; mais, encore attaché au ministre accusé, le roi ne l'offrit que par intérim. Dumouriez se sentant fortement appuyé, et ne voulant pas paraître garder la place pour un ministre feuillant, refusa le porte-feuille, et l'obtint sans intérim. Il ne trouva au ministère que Cahier de Gerville et Degraves. Cahier de Gerville, quoique ayant donné sa démission, n'avait pas encore quitté les affaires. Degraves avait remplacé Narbonne. Il était jeune, facile, et inexpérimenté. Dumouriez sut s'en emparer, et il eut ainsi dans sa main les relations extérieures et l'administration militaire, c'est-à-dire les causes et l'organisation de la guerre. Il ne fallait pas moins à ce génie si entreprenant. A peine arrivé au ministère, Dumouriez mit le bonnet rouge aux Jacobins, parure nouvelle empruntée aux Phrygiens, et devenue l'emblème de la liberté. Il leur promit de gouverner pour eux et par eux. Présenté à Louis XVI, il le rassura sur sa conduite aux Jacobins; il détruisit les préventions que cette conduite lui avait inspirées; il eut l'art de le toucher par des témoignages de dévouement, et de dissiper sa sombre tristesse à force d'esprit. Il lui persuada qu'il ne recherchait la popularité qu'au profit du trône, et pour le ren

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