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fession de leur culte.... Or, cette liberté ne peut être ravie à personne; elle est consacrée à jamais dans la déclaration des droits.... »

Ces raisons étaient sans doute excellentes, mais on n'apaise avec des raisonnemens ni les ressentimens ni les craintes des partis. Comment persuader à une assemblée qu'on devait permettre à des prêtres obstinés d'exciter le trouble et la guerre civile? le directoire fut injurié, et sa pétition au roi fut combattue par une foule d'autres adressées au corps législatif. Camille Desmoulins en fit une très hardie à la tête d'une section. On pouvait y remarquer déjà la violence croissante du langage, et l'abjuration de toutes les convenances observées jusque là envers les autorités et le roi. Desmoulins disait à l'assemblée qu'il fallait un grand exemple. . .; que le directoire devait être mis en état d'accusation... ; que c'étaient les chefs qu'il fallait poursuivre. . . .; qu'on devait frapper à la tête, et se servir de la foudre contre les conspirateurs...; que la puissance du veto royal avait un terme ; et qu'on n'empêchait pas avec un veto la prise de la Bastille...

Louis XVI, décidé à refuser sa sanction, différait cependant de l'annoncer à l'assemblée. Il voulait d'abord par quelques actes se concilier l'opinion. Il prit ses ministres dans le parti constitutionnel. Montmorin, fatigué de sa laborieuse

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carrière sous la constituante, et de ses pénibles négociations avec tous les partis, n'avait pas voulu braver les orages d'une nouvelle législature, et s'était retiré malgré les instances du roi. Le ministère des affaires étrangères, refusé par divers personnages, fut accepté par Delessart, qui quitta, pour le prendre, celui de l'intérieur. Delessart, intègre et éclairé, était sous l'influence des constitutionnels ou feuillans; mais il était trop faible pour fixer la volonté du roi, pour en imposer aux puissances étrangères et aux factions intérieures. Cahier de Gerville, patriote prononcé, mais plus roide qu'entraînant, fut placé à l'intérieur pour satisfaire encore l'opinion publique. Narbonne, jeune homme plein d'activité et d'ardeur, constitutionnel zélé, et habile à se populariser, fut porté à l'administration de la guerre par le parti qui composait alors le ministère. Il aurait pu avoir une influence utile sur le conseil, et rattacher l'assemblée au roi s'il n'avait eu pour adversaire Bertrand de Molleville, ministre contre-révolutionnaire, et préféré par la cour à tous les autres. Bertrand de Molleville, détestant la constitution, s'enveloppait avec art dans le texte pour en attaquer l'esprit, et voulait franchement que le roi essayât de l'exécuter, « mais afin, disait-il, qu'elle fût démontrée inexécutable. » Le roi ne pouvait pas

se résoudre à le renvoyer, et c'est avec ce ministère mêlé qu'il essaya de poursuivre sa route. Après avoir tenté de plaire à l'opinion par ses choix, il essaya d'autres moyens pour se l'attacher encore davantage, et il parut se prêter à toutes les mesures diplomatiques et militaires proposées contre les rassemblemens formés sur leRhin.

Les dernières lois répressives avaient été empêchées par le veto, et cependant tous les jours de nouvelles dénonciations apprenaient à l'assemblée les préparatifs et les menaces des émigrés. Les procès-verbaux des municipalités et des départemens voisins de la frontière, les rapports des commerçans venant d'outre-Rhin, attestaient que le vicomte de Mirabeau, frère du célèbre constituant, était à la tête de six cents hommes dans l'évêché de Strasbourg; que, dans le territoire de l'électeur de Mayence et près de Worms, se trouvaient des corps nombreux de transfuges, sous les ordres du prince de Condé; qu'il en était de même à Coblentz et dans tout l'électorat de Trèves; que des excès et des violences avaient été commis sur des Français, et qu'enfin la proposition avait été faite au général Wimpfen de livrer Neuf-Brisach. Ces rapports, ajoutés à tout ce qu'on savait déjà par la notoriété publique, poussèrent l'assemblée au dernier degré d'irritation. Un projet de décret fut

aussitôt proposé, pour exiger des électeurs le désarmement des émigrés. On renvoya la décision à deux jours pour qu'elle ne parût pas trop précipitée. Ce délai expiré,la délibération fut ouverte. Le député Isnard prit le premier la parole: il fit sentir la nécessité d'assurer la tranquillité du royaume, non pas d'une manière passagère, mais durable; d'en imposer par des mesures promptes et vigoureuses, qui attestassent à l'Europe entière les résolutions patriotiques de la France. «Ne craignez pas, disait-il, de provoquer contre vous la guerre des grandes puissances; l'intérêt a déjà décidé de leurs intentions, vos mesures ne les changeront pas, mais les obligeront à s'expliquer... Il faut que la conduite du Français réponde à sa nouvelle destinée. Esclave sous Louis XIV, il fut néanmoins intrépide et grand; aujourd'hui libre, serait-il faible et timide? On se trompe, dit Montesquieu, si l'on croit qu'un peuple en révolution est disposé à être conquis; il est prêt au contraire à conquérir les autres. (Applaudissemens.)

« On vous propose des capitulations! On veut augmenter la prérogative royale, augmenter le pouvoir du roi, d'un homme dont la volonté peut paralyser celle de toute la nation, d'un homme qui reçoit trente millions, tandis que des milliers de citoyens meurent dans la détresse!

(Nouveaux applaudissemens.) On veut ramener la noblesse! Dussent tous les nobles de la terre nous assaillir, les Français tenant d'une main leur or, et de l'autre leur fer, combattront cette race orgueilleuse, et la forceront d'endurer le supplice de l'égalité.

<< Parlez aux ministres, au roi et à l'Europe, le langage qui convient aux représentans de la France. Dites aux ministres que jusqu'ici vous n'êtes pas très-satisfaits de leur conduite, et que par la responsabilité vous entendez la mort. (Applaudissemens prolongés. ) Dites à l'Europe que vous respecterez les constitutions de tous les empires, mais que, si on suscite une guerre des rois contre la France, vous susciterez une guerre des peuples contre les rois! » Les applaudissemens se renouvelant encore, « Respectez, s'écrie l'orateur, respectez mon enthousiasme, c'est celui de la liberté. Dites, ajoute-t-il, que les combats que se livrent les peuples par ordre des despotes, ressemblent aux coups que deux amis, excités par un instigateur perfide, se portent dans l'obscurité! Si le jour vient à paraître, ils s'embrassent et se vengent de celui qui les trompait. De même si, au moment que les armées ennemies lutteront avec les nôtres, la philosophie frappe leurs yeux, les peuples s'embrasseront à la face des tyrans détrônés,

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