Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

de la bouche de M. de Lafayette les vérités qu'elle n'avait pas osé se dire à elle-même. Cette dernière observation excita un grand tumulte. Quelques membres nièrent l'authenticité de la lettre. «< Quand elle ne serait pas signée, s'écria M. Coubé, il n'y a que M. de Lafayette qui ait pu l'écrire. » Guadet demanda la parole pour un fait, et soutint que la lettre ne pouvait pas ètre de M. de Lafayette, parce qu'il parlait de la démission de Dumouriez, qui n'avait eu lieu que le 16, et qu'elle était datée du 16 même. « Il serait donc, impossible, ajoute-t-il, que le signataire parlât d'un fait qui ne devait pas lui <«< être connu. Ou la signature n'est pas de lui, <«< ou elle était ici en blanc, à la disposition <<< d'une faction qui devait en disposer à son gré. -Il se fit une grande rumeur à ces mots. Guadet reprenant, dit que M. de Lafayette était incapable, d'après ses sentimens connus, d'avoir écrit une lettre pareille. Il doit savoir, ajouta-t-il, que lorsque Cromwell... - Le député Dumas ne pouvant plus se contenir à ce dernier mot, demande la parole; une longue agitation éclate dans l'assemblée. Néanmoins Guadet se ressaisit de la tribune, et reprend: Je disais... On l'interrompt de nouveau. Vous en étiez, lui dit-on, à Cromwell...-J'y reviendrai, replique-t-il... Je disais que M. de Lafayette

1

[ocr errors]

doit savoir que lorsque Cromvell tenait un langage pareil, la liberté était perdue en Angleterre. Il faut ou s'assurer qu'un lâche s'est couvert du nom de M. de Lafayette, ou bien prouver par un grand exemple au peuple Français, que vous n'avez pas fait un vain serment, en jurant de maintenir la constitution. »

Une foule de membres attestent la signature de M. de Lafayette, et, malgré cela, sa lettre est renvoyée au comité des douze, pour en constater l'authenticité. Elle est ainsi privée de l'impression et de l'envoi aux départemens.

Cette généreuse démarche fut donc tout-àfait inutile, et devait l'être dans l'état des esprits. Dès cet instant le général fut presque aussi dépopularisé que la cour; et si les chefs de la Gironde, plus éclairés que le peuple, ne croyaient pas Lafayette capable de trahir son pays, parce qu'il avait attaqué les Jacobins, la masse le croyait cependant, à force de l'entendre répéter dans les clubs, les journaux et les lieux publics.

Ainsi, aux alarmes que la cour avait inspirées au parti populaire, se joignirent celles que Lafayette vint y ajouter par ses propres démarches. Alors ce parti désespéra tout-à-fait, et résolut de frapper la cour, avant qu'elle pût mettre à exécution les complots dont on l'accusait.

On a déja vu comment le parti populaire était composé. En se prononçant davantage il se caractérisait mieux, et de nouveaux personnages s'y faisaient remarquer. Robespierre s'est déja fait connaître aux Jacobins, et Danton aux Cordeliers. Les clubs, la municipalité et les sections renfermaient beaucoup d'hommes qui, par l'ardeur de leur caractère et de leurs opinions, étaient prêts à tout entreprendre. De ce nombre étaient Sergent et Panis, qui plus tard attachèrent leur nom à un événement formidable. Dans les faubourgs on remarquait plusieurs chefs de bataillon qui s'étaient rendus redoutables; le principal d'entre eux était un brasseur de bière nommé Santerre. Par sa stature, sa voix, et une certaine facilité de langage, il plaisait au peuple, et avait acquis une espèce de domination dans le faubourg Saint-Antoine, dont il commandait le bataillon. Santerre s'était déja distingué à l'attaque de Vincennes, repoussée par Lafayette en février 1791; et, comme tous les hommes trop faciles, il pouvait devenir très dangereux selon les inspirations du moment. Il assistait à tous les conciliabules qui se tenaient dans les faubourgs éloignés. Là se réunissaient le journaliste Carra, poursuivi pour avoir attaqué Bertrand de Molleville et Montmorin; un nommé Alexandre, commandant du fau

bourg Saint-Marceau; un individu très connu sous le nom de Fournier l'Américain; le boucher Legendre, qui fut depuis député à la convention; un compagnon orfèvre appelé Rossignol; et plusieurs autres qui, par leurs communications avec la populace, remuaient tous les faubourgs. Par les plus relevés d'entre eux ils communiquaient avec les chefs du parti populaire, et pouvaient ainsi conformer leurs mouvemens à une direction supérieure.

[ocr errors]

On ne peut pas désigner d'une manière précise ceux des députés qui contribuaient à cette direction. Les plus distingués d'entre eux étaient étrangers à Paris, et n'y avaient d'autre in-. fluence que celle de leur éloquence. Guadet, Isnard, Vergniaud, étaient tous provinciaux et communiquaient plus avec leurs départemens qu'avec Paris même. D'ailleurs, très ardens à la tribune, ils agissaient peu hors de l'assemblée, et n'étaient point capables de remuer la multitude. Condorcet, Brissot, députés de Paris, n'avaient pas plus d'activité que les précédents, et par leur conformité d'opinion avec les députés de l'Ouest et du Midi, étaient devenus Girondins. Roland, depuis le renvoi du ministère patriote, était rentré dans la vie privée. Il habitait une demeure modeste et obscure dans la rue Saint-Jacques. Persuadé que la cour avait

[ocr errors]

le projet de livrer la France et la liberté aux étrangers, il déplorait les malheurs de son pays avec quelques-uns de ses amis, députés à l'assemblée. Cependant il ne paraît pas que l'on travaillât dans sa société à attaquer la cour. Il favorisait seulement l'impression d'un journalaffiche, intitulé la Sentinelle, que Louvet, déja connu aux Jacobins par sa controverse avec Robespierre, rédigeait dans un sens tout patriotique. Roland, pendant son ministère, avait alloué des fonds pour éclairer l'opinion publique par des écrits, et c'est avec un reste de ces fonds qu'on imprimait la Sentinelle.

Vers cette époque, il y avait à Paris un jeune Marseillais plein d'ardeur, de courage et d'illusions républicaines, et qu'on nommait l'Antinoüs,tant il était beau. Il avait été député par sa commune à l'assemblée législative, pour réclamer contre le directoire de son département; car cette division entre les autorités inférieures et supérieures, entre les municipalités et les directoires de département, était générale dans toute la France. Ce jeune Marseillais se nommait Barbaroux. Avec de l'intelligence, beaucoup d'activité, il pouvait devenir utile à la cause populaire. Il vit Roland, et déplora avec lui les catastrophes dont les patriotes étaient menacés. Ils convinrent que le péril-devenant

« PreviousContinue »