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l'assemblée. L'un de vous, dit-il à ses ministres, la contre-signera; et il prononça ces paroles d'un ton qu'on ne lui avait jamais connu.

Dumouriez alors lui écrivit pour lui demander sa démission. Cet homme, s'écria le roi, m'a fait renvoyer trois ministres parce qu'ils voulaient m'obliger à adopter les décrets, et il veut maintenant que je les sanctionne ! Ce reproche était injuste, car ce n'était qu'à la condition de la double sanction que Dumouriez avait consenti à survivre à ses collègues. Louis XVI le vit, lui demanda s'il persistait. En ce cas, lui dit-il, j'accepte votre démission. Tous les ministres l'avaient donnée aussi. Cependant le roi retint Lacoste et Duranthon, et les contraignit à rester. MM. Lajard, Chambonas et Terrier de MontCiel, pris parmi les feuillans, occupèrent les ministères qui étaient devenus vacans.

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« Le roi, dit MTM Campan, tomba à cette épo<< que dans un découragement qui allait jusqu'à << l'abattement physique. Il fut dix jours de suite << sans articuler un mot, même au sein de sa famille, si ce n'est qu'à une partie de trictrac qu'il faisait avec madame Élisabeth après son dîner, il était obligé de prononcer les mots indispensables à ce jeu. La reine le tira de cette position, si funeste dans un état de crise où chaque minute amenait la nécessité d'agir, en

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<< se jetant à ses pieds, en employant tantôt des images faites pour l'effrayer, tantôt les ex<< pressions de sa tendresse pour lui. Elle récla<<< mait aussi celle qu'il devait à sa famille, et alla jusqu'à lui dire que, s'il fallait périr, ce devait

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« être avec honneur, et sans attendre qu'on vînt « les étouffer l'un et l'autre sur le parquet de << leur appartement. ». (Voyez Mme Campan, tome 2, page 205. )

Il n'est pas difficile de présumer les dispositions dans lesquelles Louis XVI dut revenir à lui-même et au soin des affaires. Après avoir abandonné une fois le parti des feuillans pour se jeter vers celui des girondins, il ne pouvait revenir aux premiers avec beaucoup de goût et d'espoir. Il avait fait la double expérience de son incompatibilité avec les uns et les autres, et, ce qui était plus fâcheux, il la leur avait fait faire à tous. Dès lors il dut plus que jamais songer à l'étranger, et y mettre toutes ses espérances. Cette disposition devint évidente pour tout le monde, et elle alarma ceux qui voyaient dans l'envahissement de la France la chute de la liberté, le supplice de ses défenseurs, et peutêtre le partage ou le démembrement du royaume. Louis XVI n'y voyait pas cela, car on se dissimule toujours l'inconvénient de ce qu'on préfère. Épouvanté du tumulte qu'avait produit la

déroute de Mons et de Tournai, il avait envoyé Mallet-du-Pan en Allemagne avec des instructions écrites de sa main. Il y recommandait aux souverains de s'avancer avec précaution, d'observer les plus grands ménagemens envers les habitans des provinces qu'ils traverseraient, et de se faire précéder par un manifeste dans lequel ils attesteraient leurs intentions pacifiques et conciliatrices. (12) Quelque modéré que fût ce projet, cependant ce n'en était pas moins l'invitation de s'avancer dans le pays; et d'ailleurs, si tel était le vœu du roi, celui des princes étrangers et rivaux de la France, celui des émigrés courroucés, était-il le même ? Louis XVI étaitil assuré de n'être pas entraîné au delà de ses intentions? Les ministres de Prusse et d'Autriche témoignèrent eux-mêmes à Mallet-du-Pan les méfiances que leur inspirait l'emportement de l'émigration, et il paraît qu'il eut quelque peine à les rassurer à cet égard. (13) La reine s'en défiait tout autant; elle redoutait surtout Calonne comme le plus dangereux de ses ennemis (14); mais elle n'en conjurait pas moins sa famille d'agir avec la plus grande célérité pour sa délivrance. Dès cet instant le parti populaire dut regarder la cour comme un ennemi d'autant plus dangereux qu'il disposait de toutes les forces de l'état; et le combat qui s'engageait devint un

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combat à mort. Le roi, en composant son nouveau ministère, ne choisit aucun homme prononcé. Dans l'attente de sa prochaine délivrance, il n'avait qu'à passer quelques jours encore, et il lui suffisait pour cela du ministère le plus insignifiant.

Les feuillans songèrent à profiter de l'occasion pour se rattacher à la cour, moins, il faut le dire, par ambition personnelle de parti, que par intérêt pour le roi. Ils ne comptaient nullement sur l'invasion; ils y voyaient pour la plupart un attentat, et de plus un péril aussi grand pour la cour que pour la nation. Ils prévoyaient avec raison que le roi aurait succombé avant que les secours pussent arriver; et, après l'invasion, ils redoutaient des vengeances atroces, peut-être le démembrement du territoire, et certainement l'abolition de toute liberté.

dès

Lally-Tollendal, qu'on a vu quitter la France que les deux chambres furent devenues impossibles; Mallouet, qui les avait encore essayées lors de la révision; Duport, Lameth, Lafayette et autres, qui voulaient conserver ce qui était, se réunirent pour tenter un dernier effort. Ce parti, comme tous les partis, n'était pas très d'accord avec lui-même, mais il se réunissait dans une seule vue, celle de sauver le roi de ses fautes et de sauver la constitution avec lui. Tout parti

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obligé d'agir dans l'ombre est réduit à des démarches qu'on appelle intrigues, quand elles ne sont pas heureuses. En ce sens les feuillans intriguèrent. Dès qu'ils virent le renvoi de Servan, Clavière et Roland, opéré par Dumouriez, ils se rapprochèrent de celui-ci, et lui proposèrent leur alliance, à condition qu'il signerait le veto contre le décret sur les prêtres. Dumouriez, peutêtre par humeur, peut-être par défaut de confiance dans leurs moyens, et sans doute aussi par l'engagement qu'il avait pris de faire sanctionner le décret, refusa cette alliance, et se rendit à l'armée, avec le désir, écrivait-il à l'assemblée, qu'un coup de canon réunît toutes les opinions sur son compte.

Il restait aux feuillans Lafayette, qui, sans prendre part à leurs secrètes menées, avait partagé leurs mauvaises dispositions contre Dumouriez, et voulait surtout sauver le roi, sans altérer la constitution. Leurs moyens étaient faibles. D'abord la cour, qu'ils cherchaient à sauver, ne voulait pas l'être par eux. La reine, qui se confiait volontiers en Barnave, avait toujours employé les plus grandes précautions pour le voir, et ne l'avait jamais reçu qu'en secret. Les émigrés et la cour ne lui eussent pas pardonné de voir les constitutionnels. On lui recommandait en effet de ne point traiter avec eux, et de

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