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les commissaires civils avaient réunis en troupe, pour les contenir VIII Epoq. au moins par la discipline militaire; mais ces dispositions locales n'avaient point encore pris le caractère d'une mesure légale et générale.

Au 2.

A leur sortie du Cap, pendant l'embrasement, les commissaires publièrent, dans une proclamation, que la volonté de la république française et celle de ses délégués, était de donner la liberté à tous les nègres guerriers qui combattraient pour la république sous les 20 juin 1, 93. ordres des commissaires civils.

Ce premier acte d'une extension indéfinie, qui appelait tous les noirs à la liberté, était motivé par l'invasion des troupes espagnoles qui, pénétrant dans la province de l'est, s'emparèrent du bourg d'Ounaminthe et de plusieurs postes français. Les Espagnols avaient des corps de nègres dans leur armée.

Cette idée de l'affranchissement des noirs s'était répandue depuis longtemps de l'Europe dans les colonies; les écrits philanthropiques y avaient pénétré jusque dans les ateliers. L'opposition entre les blancs et les hommes de couleur libres, les avait forcés, à l'envi l'un de l'autre, d'armer les esclaves en leur faveur, et l'affranchissement réel ou promis, était toujours le prix attaché à cet acte de dévouement.

Dès 1789, l'affranchissement des noirs avait été demandé. Le décret rendu, le 5 mars 1793, laissait aux commissaires un droit implicite de prononcer sur la discipline et le régime intérieur des

ateliers.

Le 21 juin, une proclamation avait donné la liberté aux nègres qui combattraient pour la république. L'effet de cette mesure avait d'abord été d'y rattacher plusieurs chefs noirs. Toussaint-Louverture commandait alors en second sous Biassou et Jean-François; cet homme qui depuis a pris une si grande place dans l'histoire de SaintDomingue, se trouve peint dans un écrit contemporain de cette première époque; et ce portrait dégagé des événements qui ont suivi, devient curieux pour l'histoire.

Tome II.

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VIII Epoq. 1795.

An 2. Troubles de

gue, par Ga

lon.

<< Toussaint-Louverture, doué par la nature d'un caractère hu<«< main, sensible et généreux, et d'une grande facilité de con

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ception, avait à peine pu donner la moindre culture à ces heuSt. - Domin- «reuses dispositions dans les liens de l'esclavage; il avait appris à lire ran de Cou« et à écrire, lorsqu'il gardait les bestiaux de l'habitation de Breda ; «<et ces premiers éléments des connaissances humaines lui don « nèrent dans la suite les moyens de perfectionner ses dispositions « militaires; il n'avait pris les armes avec ses frères que par le seul << amour de la liberté. Ennemi généreux, même envers ses tyrans, « il n'avait jamais souillé par la cruauté la cause honorable qu'il « défendait. Plusieurs fois ses représentations touchantes avaient «<arrêté les actes de férocité de Biassou et de plusieurs autres gé, néraux nègres ; c'est un témoignage que les prisonniers blancs n'ont ◄ cessé de lui rendre. Presque seul accessible à tous les sentiments << de l'humanité, au milieu de la démoralisation générale qui se manifestait parmi les hommes de toutes les couleurs, il avait for «tement réclamé contre l'avidité infâme des chefs nègres et de leurs correspondants espagnols, qui, en pillant les habitations des « blancs, enlevaient les familles des nègres pour les envoyer vendre

«

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« à la Havanne. Une ame si élevée lui avait donné une grande in«fluence parmi ses frères, dont un très-grand nombre n'aurait pas manqué de suivre son exemple; mais Toussaint - Louverture n'ayant vécu, depuis l'insurrection des nègres, qu'avec eux et avec « les Espagnols, ne connaissait notre révolution que sous les traits << que lui prêtaient les ennemis de la France; et les fureurs des partis divers à Saint-Domingue, n'étaient pas propres à dissi« per les préventions qu'il avait reçues. Extrêmement attaché au catholicisme, dirigé dans ces pratiques de dévotion par des prêtres espagnols, il craignait de se soumettre à un gouvernement qu'on lui représentait surtout comme l'ennemi de cette religion. »

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Soit que les circonstances fussent pressantes, soit que Sontonax craignît l'opposition de son collégue Polverel; après une députation

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nombreuse de la commune du Cap, à la tête de laquelle était VIII Epoq.
un autre Vergniaud, l'affranchissement des esclaves dans la province
du nord, fut solennellement proclamé ; et peu de temps après, des
députés des trois couleurs furent élus et envoyés à la convention.
Cette mesure ne pouvait manquer de devenir bientôt commune aux
provinces du sud et de l'ouest.

Polverel avait là à combattre l'opposition des propriétaires et des hommes de couleur; pour retarder la proclamation de l'affranchissement général, il avait recouru à divers moyens; tels que la liberté du travail certains jours de la semaine, et même la distribution des habitations vacantes par l'émigration des colons; mais les mêmes violences du parti opposé; l'appel des troupes espagnoles, le plan formé de leur livrer la colonie, forcèrent de rendre général l'affranchissement proclamé dans le nord; et ce grand acte de législation, qui n'aurait dû être émis que dans le calme, et plus encore par la persuasion et avec une exécution graduée, cct acte proclamé pendant l'orage, hors de temps et de mesure, au milieu des oppositions de l'intérêt et de l'opiniâtreté des partis, plus arraché par la force qu'obtenu par la raison, n'eut que des résultats funestes la licence prit la place destinée à la liberté, et la servitude légalisée vint enfin mettre un terme à la licence. On accusa la raison de toutes les erreurs des passions; on la rendit responsable de tous leurs excès, et l'on en conclut, peut-être pour des temps indéfinis, que ce qui avait été mal fait n'était pas possible.

Dans les Etats-Unis de l'Amérique, la prédication persuasive avait obtenu ce que la justice et la raison réclamaient. Dans les colonies françaises, la législation dure, impérative et brusque, souleva les contradictions, aida la malveillance, et manqua son but.

L'exaspération des esprits servit alors les projets des émissaires. de l'étranger, pour porter les partis aux mesures les plus extrêmes; toute cette partie de Saint Domingue qui comprend une partie des

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VIII Epoq. trois provinces sous le nom de la grande Anse, formée par le Cap où est la forteresse du Mole-Saint-Nicolas, et le Cap d'Ammarie, fut livré aux Anglais; leurs vaisseaux parurent d'abord au port du quartier, appelé Jérémie, et en peu de temps tous les ports situés sur cette côte, Saint-Marc, Leogane, la Pointe, l'Archaies, Goave, leur furent livrés par une capitulation signée à la Jamaïque; le Port-au-Prince, dit depuis le Port-Républicain, résista plus longtemps, et ne céda qu'à plusieurs attaques réitérées. Les commissaires se retirèrent alors dans la province du sud, où quelquès communes étaient restées fidelles à la république.

Sontonax, oubliant son caractère public, et se livrant à son emportement, publia une proclamation pour se retirer avec les défenseurs dans les Mornes, montagnes escarpées au centre de l'île; mais avant i ordonnait que la retraite fût éclairée par l'incendie de tous les lieux habités que l'on serait forcé d'abandonner. Son collégue Polverel improuva et arrêta ces horribles mesures qui renouvelaient les résolutions désespérées de Sagunte et de Numance; et peu de temps après, un vaisseau arrivant de France, leur apporta ́à Jacmel, où ils étaient depuis peu de jours, leur décret d'accusation et l'ordre de leur arrestation, pour être traduits à la barre de la convention nationale.

Cet ordre obtenu par les colons déportés, était resté plusieurs mois entre les mains du conseil exécutif, sans qu'il en eût donné la publication. Cependant la nouvelle en était parvenue à SaintDomingue par la voie de l'Angleterre, et le discrédit de l'autorité prépicita les événements et les succès des Anglais. Les commissaires cédèrent sans tenter aucune résistance ni aucuns moyens d'évasion. Le même bâtiment apporta le décret de la liberté générale des noirs. Cette grande mesure servit de contre-poids au départ des commissaires civils, et d'aliment à la guerre, en ralliant les partisans de cette opinion, qui bientôt rallièrent à eux une armée

noire.

Toussaint-Louverture, dont la conduite accroissait de jour en jour

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le crédit et la fortune, se rattacha au parti de la république, ra- VIII Epoq. mena l'ordre dans la colonie, et contint les Anglais ils restèrent encore longtemps maîtres de la grande Anse et de plusieurs quartiers dans l'intérieur des terres, jusqu'au temps où ils en furent chassés par cette même armée noire, qu'ils avaient presque dédaigné de combattre, et devant laquelle on vit des corps entiers de troupes anglaises mettre bas les armes. Les pays qui séparaient les deux armées, longtemps ravagés par l'une et par l'autre, ressentirent dans la suite toutes les secousses qui, pendant dix années, ébranlèrent l'ancien continent.

Le décret d'abolition de l'esclavage avait été rendu dans la con- 16 pluviose. vention nationale à l'unanimité, et presque sans aucune discussion contradictoire. A la même séance, les trois députés de Saint-Domingue, un blanc, un nègre et un jaune, furent installés, prononcèrent un long rapport sur la situation actuelle de cette colonie;

et, peu de jours après, une fête populaire solennisa dans la capitale 30 pluviose. le décret que la convention venait de rendre.

On aurait pu croire qu'elle appelait à elle une nouvelle race pour réparer ses pertes par une adoption forcée. Le dernier appel pour l'élection d'un président n'avait donné pour résultat du scrutin qu'un total réduit à 190 présents; et tandis qu'elle proclamait l'abolition de l'esclavage dans les deux mondes, elle-même sentait river tous les jours les fers qu'elle avait consenti de recevoir. Le comité de salut public, au terme de sa formation, devait être renouvelé tous les mois, et cette règle sage n'était depuis longtemps qu'un vain formulaire. Ceux qui auraient pu les remplacer, craignaient de lutter contre eux, et n'étaient pas assez sûrs l'un de l'autre pour le tenter, sans avoir la certitude du succès. Le reste trop insouciant se voyait sans peine délivré de l'embarras de prononcer entre des partis opposés. Le comité de salut public gardait le timon des affaires, parce qu'aucun parti n'était assez lié pour oser le prendre, et aucun individu assez audacieux pour essayer de le lui ôter. Maintenu à chaque période pour la forme, il rendait compte aussi pour la

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