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nisation large fut donnée au régiment, qui eut son état-major, ses officiers de tous grades, nommés par le colonel improvisé; bref, tout fut fait en vingt-quatre heures.

Quel était celui qui avait levé, organisé ce corps, pour en prendre le commandement ? un homme sans aucune consistance, un ancien garçon tailleur, qui n'avait pas même combattu pendant les trois jours; du reste, homme résolu, entreprenant, quoiqu'il sût à peine écrire, un condamné en police correctionnelle pour escroquerie, en 1816', le sieur Buchoz-Hilton! Un nommé Tournier, faiseur d'affaires de bas étage, devint son lieutenant-colonel.

Le régiment des volontaires de la Charte, composé de plus de dix-huit cents hommes, s'installa primitivement à Picpus; il s'établit quelques jours après dans les casernes de Rueil et de Courbevoie.

Informé de l'existence subreptice de ce corps, le maréchal Gérard, ministre de la guerre, ordonna et n'obtint que difficilement sa dissolution. Il voulut bien accorder quelques grades aux hommes de mérite et de bonne foi qui en faisaient partie, et en forma le noyau du 66° régiment d'infanterie de ligne.

Il va sans dire que Tournier et Buchoz-Hilton

1 Voir la Gazette des Tribunaux du 31 août 1834.

furent écartés; ce dernier parvint depuis à une dégoûtante célébrité, par les moyens ignobles qu'il employa pour se venger et par ses démêlés avec la justice.

Mais la création d'une force armée, qu'avaient pu, jusqu'à un certain point, motiver les circonstances, et l'usurpation facile des grades et des emplois, n'étaient pas les seuls actes reprochables : il avait fallu nourrir, habiller, équiper ce régiment. Les officiers ne s'étaient point refusé des armes de luxe, des épaulettes, de brillans uniformes, etc., et l'argent manquait... Alors on avait frappé sur les marchands, sur les fabricans, des réquisitions arbitraires, illégales. Peut-on rien refuser à celui qui demande une fourniture avec une escorte de dix-huit cents hommes? Il est vrai que le fournisseur recevait, en échange de sa marchandise, un bon de M. le colonel Buchoz-Hilton.

Les détails de cette affaire me sont bien connus ; c'est moi qui, en ma qualité de membre du conseil municipal, ai présidé la commission chargée par M. Odilon-Barrot, alors préfet de la Seine, de vérifier ces réquisitions, de liquider la dépense. Plusieurs milliers de pièces me sont passées par les mains, et la ville de Paris a eu à payer, pour demnités, une somme d'environ 90,000 francs. On peut maintenant juger, par les illégalités commises en un si court espace

de temps,

in

des excès

de toute nature, des déprédations énormes sur lesquels on aurait eu à gémir si quinze jours seulement s'étaient écoulés sans qu'on reconstituât le pouvoir. L'incapacité, l'audace pouvaient s'emparer des administrations, et les exploiter sans contrôle; dix, vingt régimens comme celui de la Charte, se seraient formés sur le modèle existant; et jusqu'où auraient pu aller, dans ce cas, les exactions et les désordres?

D'ailleurs, ces forces ne dépendant pas d'un centre commun d'autorité, n'auraient pas manqué de seconder les factions, de se vendre aux ambitieux; et elles seraient devenues l'occasion et l'instrument de la guerre civile..... On frémit quand on pense aux déchiremens qui ont menacé le pays.

CHAPITRE DIXIÈME.

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