Page images
PDF
EPUB

dont nous étions les interprètes. Les députés nous ayant écoutés en silence, et aucun d'eux ne répondant à l'orateur, l'un de nous, M. Boulay de la Meurthe, leur fit observer qu'étant venus au nom de la ville de Paris exprimer ses intentions, nous avions à rendre compte du résultat de notre démarche. « Pouvons-nous faire espérer à nos com» mettans, s'empressa-t-il d'ajouter, que vous vous >> associerez à notre résistance, ou, du moins, » que vous protesterez contre un attentat aux li>> bertés nationales? Que dirons-nous à ceux qui >> nous envoient? »

M. Labbey de Pompières, en sa qualité de doyen des députés présens, nous répondit « que leur >> réunion n'avait pas un caractère officiel; que » son but était de se concerter sur ce qu'il conve>> nait de faire; que, d'ailleurs, ses collègues et lui »> ne formaient qu'une fraction de la chambre, et » que par conséquent aucun d'eux n'avait le » droit de parler au nom de la représentation na» tionale. » Puis il ajouta « qu'en ce qui le » concernait personnellement, il s'associait d'in» tention aux efforts des bons citoyens, et qu'il >>> faisait des vœux pour le succès de leur généreuse >> entreprise.

Nous quittâmes la réunion pour rendre compte à nos amis, dans les bureaux du National, de l'accomplissement de notre mission; et nous convin

mes de nous retrouver le même soir, 27 juillet, chez M. Cadet de Gassicourt.

Je m'y rendis à sept heures et demie. Bientôt l'assemblée fut assez nombreuse pour que nous pussions nous occuper utilement.

Les boutiques étaient fermées, les réverbères brisés; plusieurs barricades avaient été détruites par les troupes royales; des charges de cavalerie venaient d'avoir lieu dans la rue Saint-Honoré, devant la maison de M. Gassicourt. C'était le commencement du combat entre la troupe et les citoyens.

Il fut décidé que douze commissaires seraient nommés, un pour chaque arrondissement, afin d'imprimer à la résistance une sage direction, et d'établir des centres d'action sur les points principaux de la capitale. On choisit, séance tenante, les douze commissaires, et l'on me désigna pour le deuxième arrondissement 1.

Dans la nuit du 27 au 28, et dans la matinée suivante, je fis tout ce qu'on attendait de moi pour seconder le mouvement 2.

1 A cette réunion se trouvaient, entre autres, MM. Thiers, Schonen, Chevalier, Cauchois-Lemaire, Béranger (le poète), Boulay de la Meurthe, etc.

2 Ces faits et la plupart des précédens sont consignés dans un ouvrage contenant l'historique de la RÉVOLUTion de juillet, dont je crois pouvoir extraire le passage qui suit : « La nuit du 27 au 28 » et la journée du 28 furent consacrées à faire des barricades, à ras> sembler des armes, à organiser des points de résistance. M. Audry

Le 28, tandis que la fusillade s'engageait vivement, je dus, comme juge, aller siéger au tribunal de commerce. L'imprimeur du Courrier français avait refusé à ce journal l'usage de ses presses, se fondant sur la défense de l'autorité et le cas de force majeure. Sur la plaidoirie de M. Mérilhou en faveur de cette feuille, le tribunal rendit un jugement qui, dans ce moment, exerça une grande et salutaire influence.

La section du tribunal qui le rendit était composée de MM. Ganneron, Lemoine Tacherat, Lafont fils, Truelle et moi. Après les plaidoiries, nous nous retirâmes dans la salle des délibérations, et là nous fûmes tous d'accord pour condamner l'imprimeur, sans avoir égard aux ordonnances. Il n'y eut pas, sur le principe, la moindre discussion.

En sa qualité de président, et conformément à l'usage, M. Ganneron rédigea le projet de jugement. Les motifs développés dans les considérans ne m'en parurent pas assez énergiques, et, sur l'observation que j'en fis avec M. Truelle, M. Ganneron voulut bien adopter et écrire les deux paragraphes principaux, tels que j'en avais proposé la

» de Puyraveau et M. Gisquet secondèrent le mouvement de tout >> leur pouvoir. M. Gisquet rassembla dans sa maison, rue Bleue, » de la poudre et des armes, et sa maison fut, pendant les journées » du 28 et du 29, le centre de réunion de tous les patriotes, qui, déjà » dès le 28, avaient élevé les barricades de la rue Cadet. » Deux ans de règne, page 66.

rédaction. Cette circonstance n'affaiblit en rien le mérite du concours de notre président, et je ne l'aurais point rappelée, si elle n'était pas des plus honorables pour lui, sur qui pesait la plus grande part de responsabilité.

Le jugement rendu disait en substance «< que >> les ordonnances du 25 juillet, étant contraires à » la Charte, n'étaient pas obligatoires pour les >> citoyens, aux droits desquels elles portaient at>> teinte, etc., etc. »

Ce jugement du tribunal de commerce, immédiatement imprimé et affiché dans tout Paris, contribua beaucoup à fortifier le dévouement des citoyens, en donnant un caractère légal à la résistance.

Bientôt se présentèrent à mon domicile les onze commissaires, mes collègues, à l'effet de rendre compte des événemens qui se succédaient dans les différens quartiers de Paris, comme aussi pour nous concerter sur les mesures urgentes à prendre.

Nous reconnûmes la nécessité de procéder à la réorganisation de la garde nationale, à l'armement des citoyens, pour mettre plus d'ensemble dans les mouvemens de la population.

Je me souviens avec plaisir que M. Thiers vint chez moi d'office en ce moment, et fit part à la réunion du succès des patriotes sur plusieurs points qu'il venait de parcourir.

On me demanda, peu d'instans après, chez M. Audry de Puyraveau, où quelques députés étaient réunis. Celui-ci me dit qu'il avait désiré ma présence pour ranimer la confiance de ceux de ses collègues qui lui paraissaient encore irrésolus.

Là j'appris que plusieurs membres de la chambre venaient de se rendre en députation auprès du duc de Raguse. Là je vis M. de Lafayette : je lui fis observer que, l'action prenant un caractère de plus en plus sérieux, le dévouement des citoyens aurait besoin d'être soutenu par la popularité d'un grand nom, et je lui demandai s'il voulait permettre qu'on invoquât le sien, qu'on le présentât, lui, comme le chef du mouvement. Voici la réponse du général Lafayette : « Vous savez, monsieur Gis» quet, si j'aime la liberté; je suis prêt à donner ma » vie pour elle; mais, député, je ne dois rien faire » que d'accord avec mes collègues. »>

Dans la soirée (28 juillet), nous nous occupâmes, conjointement avec M. le colonel Bro et M. Delaborde, de réorganiser la deuxième légion de la garde nationale. Nous choisîmes, pour y établir l'étatmajor provisoire, le manége de la rue Cadet; nous y passâmes la nuit. M. Odiot père vint nous y joindre. Avant le jour, cette réorganisation était préparée, et les citoyens, convoqués par nos soins, procédèrent, dès le matin du 27, au choix de leurs officiers.

« PreviousContinue »