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les choses vont trop vite pour votre caractère. » D'un autre côté, le Roi en voulait à M. de Chabrol de sa franchise, et il ne lui avait point pardonné une conversation qu'il avait eue avec lui, quelques jours auparavant.

« - On prétend, lui avait dit le Roi, que l'impôt pourrait être refusé; qu'en pensez-vous ? — Sire, avait répondu M. de Chabrol, si l'impôt n'est pas voté les Chambres, on ne le payera point, et il y aura des gens de votre propre maison qui le refuseront. »

par

Cette franchise avait déplu. Le successeur de M. de Chabrol fut M. de Montbel, qui passa alors du ministère de l'intérieur à celui des finances. M. de Chabrol, dans son court passage au ministère des finances, avait témoigné d'une ardente application au travail; il était pratique, fort ingénieux dans les détails, fort économe, fort étroit même dans certaines parties de son administration centrale, mais en même temps équitable et large dans la dotation des grands travaux qui accroissent l'aisance et la prospérité générales. Son plan, qui n'a pu être réalisé, eût procuré soit par la nouvelle conversion des rentes qu'il proposait, soit par le fonctionnement de l'amortissement autrement appliqué, de grandes ressources et de grands bénéfices.

Il a laissé la mémoire d'un bon ministre, son grand rapport est demeuré un monument.

Exegit monumentum !

Le successeur de M. de Chabrol, M. de Montbel, n'a laissé de son très-court passage aux finances que

IV.

le souvenir de son dévouement à la famille qu'il servit

si loyalement.

Aucun lien, aucun travail spécial ne le rattachait à la grande famille financière.

Né à Toulouse, le 4 juillet 1787, M. de Montbel y avait fait son éducation d'une manière distinguée, et il était connu dans sa ville natale par ses qualités aimables et douces, lorsqu'en 1826, une sympathie générale le désigna au choix du Roi, pour remplacer à la mairie de la ville M. le comte d'Hargenvilliers. - La mairie d'une grande ville comme Toulouse est chose importante; M. de Montbel en épousa immédiatement les intérêts comme un fils dévoué; il y laissa, en effet, des traces nombreuses de son intelligente administration.

Il fit plus, il y laissa un souvenir de son courage.

Le 24 mai 1827, la Garonne avait débordé, entraîné dans ses eaux les arbres, les maisons, qui ne purent se défendre des fureurs de cette terrible inondation.

La petite île de Tounis, située au milieu du fleuve, allait être engloutie, trois ouvriers cernés par les eaux y poussaient les derniers cris, ils allaient périr. Sur la rive, toutes les autorités de la ville et vingt mille personnes assistaient à ce déplorable spectacle.

On avait offert jusqu'à 10,000 fr. pour aller délivrer ces malheureux, et les bateliers hésitaient, désespérant de pouvoir arriver, lorsque M. de Montbel, s'avançant seul, s'écria: « Mes amis, y a-t-il ici quatre hommes de bonne volonté qui veuillent venir avec moi? Tous,» répondirent-ils! Et alors la tête dé

couverte, après avoir fait une courte prière, tous poussèrent leurs barques à l'eau.

Dans la première barque montèrent M. de Montbel, et le général Raynaud du génie; cinq autres barques suivirent.

Longtemps perdus dans les flots, ils arrivèrent enfin, sauvèrent les trois malheureux, revinrent, et à genoux sur le port, adressèrent à Dieu une seconde prière.

Tel fut le souvenir laissé par M. de Montbel à ses frères de Toulouse.

Ce dévouement, sa bonne administration, son amitié pour M. de Villèle, le désignèrent en 1828 pour la députation. Il réunit deux cent vingt et un suffrages sur trois cent trente.

A la Chambre, M. de Montbel s'était fait connaître. par des travaux utiles dans les commissions, mais surtout par son dévouement à M. de Villèle, au sujet de la ridicule accusation intentée par M. Labbey de Pompierres, contre l'intégrité de celui que l'on ne craignait point d'accuser de concussion.

M. de Montbel, dans l'intérêt même de son ami, avait été le premier à demander l'enquête, qui, on se le rappelle, vint aboutir à la honte de ceux qui l'avaient proposée.

Sa situation à la Chambre, et d'autres motifs l'avaient suffisamment désigné comme un des hommes dévoués auxquels la confiance du Roi pouvait offrir un portefeuille. M. de Montbel avait en effet été nommé ministre de l'intérieur le 18 novembre 1829; c'est là

que le Roi allait le chercher aujourd'hui pour en faire. un ministre des finances.

M. de Montbel ne marqua son passage au ministère des finances par aucun acte spécial; quatre ordonnances seulement reçurent sa signature; l'une sur les essais des monnaies et leur titre, l'autre sur le transport des rentes rachetées par la caisse d'amortissement, une. troisième sur les coupes de bois de l'État, une qua

trième sur la taxe des bestiaux aux tarifs des octrois. Sa mémoire n'y est restée attachée que par le souvenir de noble fidélité que les circonstances vont lui demander.

Quelques jours après le remplacement de M. de Chabrol par M. de Montbel, la flotte française était partie pour Alger.

Nous avons dit plus haut comment, en 1819, une convention conclue par la France avec le dey, Hussein-bey, avait réglé à 7,000,000 la créance réclamée par les deux négociants algériens, Bacri et Busnach, à raison des blés qu'ils avaient fournis au gouvernement sous le consulat et l'empire.

Or, comme il y avait d'un autre côté des Français qui étaient les créanciers de ces mêmes négociants, sur ces 7,000,000 une somme de 2,500,000 fr. avait été réservée et déposée provisoirement à la caisse des dépôts et consignations; le reste seulement, c'est-à-dire, 4,500,000 fr. avait été compté aux deux négociants.

Hussein-bey, qui, de son côté, était créancier de Bacri et Busnach pour des laines qu'il leur avait vendues, protesta alors contre le dépôt de 2,500,000 fr. et prétendit avoir droit non-seulement sur cette somme,

mais encore sur les 7,000,000, qu'il demanda d'abord, et exigea ensuite.

Nous ne pouvions payer deux fois; nous refusâmes donc, et sur ce refus le dey avait pris le parti d'en écrire directement au Roi, qui n'avait point répondu. - Irrité de cette sorte de déni de justice, et plus irrité encore des mauvais rapports que le consul de France, M. Deval, entretrenait avec lui, le dey, sur quelques paroles assez offensantes d'ailleurs échappées à M. Deval, s'emporta et lui donna un coup d'éventail.

Ce coup d'éventail lui coûta la régence.

Demande d'une réparation, refus, blocus d'Alger, envoi de l'amiral La Bretonnière, le vaisseau la Provence canonné par les batteries algériennes, tout cela ne fut qu'un; dès lors, le Roi résolut d'aviser.

Plus timide, le prince de Polignac avait signé à la fin de 1829, avec le vice-roi d'Égypte, une convention secrète, d'après laquelle, moyennant 10 millions qui lui seraient comptés, et quatre vaisseaux de ligne qu'on lui prêterait, il se chargeait de réduire le dey. Les premiers acomptes de ces millions étaient même déjà partis, lorsque le Roi, qui ignorait tout, déchira ce traité indigne de la France, et déclara qu'il se chargeait seul de cette expédition.

Une expédition militaire, dans un pareil moment, souriait à la dignité du Roi; il y avait dans cette expédition plus d'un intérêt engagé : l'armée qu'on se rattachait par la victoire; la catholicité que l'on relevait en chassant un prince musulman; le commerce que l'on affranchissait en le délivrant de ce nid de pirates;

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