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A OUT 1787.

MÉMOIRE

Où l'on examine quelles font les caufes qui ont mérité an Sucre raffiné à Orléans la préférence fur celui des autres Raffineries du Royaume ;.

Par M. PROZET, Maître en Pharmacie, Intendant du Jardin des Plantes de la Société Royale de Phyfique, d'Hiftoire-Naturelle & des Arts d'Orléans :

Lu à la Société de Phyfique d'Orléans dans la féance du 30 Avril 1784.

LES erreurs qui naiffent des préjugés font celles dont on se dépouille difficilement, & qui nuifent le plus aux progrès des arts. Détruire les idées fur lefquelies on les fonde en en démontrant la fauffeté, c'eft rendre fervice à l'artifte, c'eft l'éclairer fur la théorie, dont l'influence s'étend toujours fur la pratique.

L'art de raffiner le fucre apporté des Antilles, peut fans contredit être regardé comme celui qui fournit à notre ville la branche la plus utile de fon commerce. Ce n'est pas que les procédés propres à ce travail foient inconnus dans les autres villes du royaume; mais foit défaut de moyens ou erreur dans la pratique, il eft certain qu'aucune des raffineries de nos villes maritimes n'a pu donner au fucre qu'elles purifient la féchereffe & la compacité qui diftingue celui que fourniffent les raffineries d'Orléans.

Cette fupériorité dans la qualité du fucre a été, & eft même encore attribuée par plufieurs, à la nature des eaux de cette ville. Ce fentiment me paroît infoutenable: car ces eaux ne pofféderoient cette qualité que relativement à un ou plufieurs principes qui leur feroient unis, & dont la présence dans le raffinage, priveroit le fucre de quelques parties hétérogènes & nuifibles, ou lui en fourniroit quelques autres qui lui manquent & qui font effentielles à fa perfection. Or, comme la raffinerie de Saint-Mefmin & celle du Portereau fabriquent du fucre qui a la qualité requise, quoique cependant la première employe de l'eau du

&

Loiret, ou qui provient de cette rivière, & l'autre de l'eau de la Loire, que le fucre que fourniffent les raffineries de l'intérieur de la ville, où l'eau de puirs eft en ufage, ne l'emporte ni ne le cède en fupériorité à celui des deux premières: il me paroît naturel d'en conclure que la fécherelle & la dureté du fucre font indépendantes de la nature des eaux. En effet, celles que je viens de citer différent trop en pureté pour pouvoir en affimiler les effets, à moins de prétendre que le principe propre à raffiner ne foit caché & commun à toutes, & alors il faudra fpécifier quel il eft, & définir fa nature.

Loin d'admettre un être que l'analyse ne peut démontrer, je pense au contraire que les matières hétérogènes que la plupart de ces eaux récèlent, font plutôt nuisibles qu'utiles au raffinage du fucre, & que l'action de l'eau dans cette opération fe borne feulement à l'effet de fa propriété diffolvante, qui eft toujours relative à fon degré de pureté ; ainfi on peut dire qu'à cet égard, les raffineries d'Orléans n'ont nul avantage fur celle des autres villes dont les eaux font potables.

Des affertions ne fuffifant pas pour prouver des faits, je vais présenter le tableau analytique & comparatif des eaux de notre ville. Je prouverai enfuite que les fubftances qu'elles tiennent en diffolution, loin de contribuer à la perfection du fucre, y feroient plutôt nuifibles. Enfin, comme pour apprécier juftement l'action de l'eau dans les différentes opérations que l'on fait fubir au fucre, il faut que j'expofe quelles font les matières dont il eft important de le priver pour parvenir à le purifier; ceci me conduit néceffairement à développer la théorie de l'art du Raffineur, & à chercher la caufe déterminante de cette qualité, qui fait préférer à toute autre le fucre qui fort de nos faffineries.

L'eau, dans fon état de pureté, eft la même par-tout. C'est un être fimple homogène, que nos efforts ne peuvent altérer ni décomposer; mais la nature en établiffant cette force admirable, par laquelle tous les corps fe recherchent & font effort pour s'approcher, force d'où dépend l'harmonie de l'univers, a doué avec tant de profufion cet élément de cette tendance à l'union, que nulle part on ne le trouve pur ou dans fon état de fimplicité radicale. L'eau que nous regardons comine la meilleure pour nos ufages économiques, récèle toujours quelques molécules falines, & une affez grande quantité d'air. Il paroît même que la falubrité de l'eau dépend effentiellement de fon union avec les particules aériennes, puifque nous voyons que celle qui en eft privée, quoique d'ailleurs abfolument pure, comme l'eau diftillée, eft lourde & fatigue tellement les organes digeftifs qu'elle excite des naufées.

C'eft en raison de cette force attractive de l'eau, que celle qui tombe fur la furface de la terre diffout en s'infiltrant à travers fes couches tous les fels qu'elles contiennent, elle fe charge en même-tems des matières gazeufes qui fe produifent ou fe dégagent, tant par la décompofition des

fubftances minérales, que par celle des corps organifés, que les révolutions arrivées au globe ont enfouis dans fon fein. L'union que l'eau contracte avec ces fluides aériformes, & fur-tout avec celui connu fous le nom de gaz acide crayeux ou air fixe, lui donne la faculté de diffoudre diverfes fubftances terreufes & métalliques. Toutes ces matières diffoutes font entraînées par elle dans fon cours fouterrain; là elles fubiffent des altérations & des décompofitions qui tiennent à la nature des lieux qu'elles traversent. La plupart cependant parviennent avec l'eau à la furface de la terre, & elles y demeureroient unies fi ce fluide étoit ftagnant & privé du contact de l'air; mais l'abforption que fait la maffe atmosphérique des différens gaz & l'action attractive que l'air exerce fur elle produifent la précipitation de la plus grande partie des fubftances terreufes ou minérales, & un relâchement dans la force d'adhéfion des molécules principes des fels diffous qui procure leur défunion & entraîne néceffairement la décompofition des corps qu'elles formoient. Cet effet a lieu fur-tout dans les eaux dont le cours eft long & rapide, tel que celui des grandes rivières, auffi voyons-nous que celles qui, comme notre Loire, coulent dans un lit dont le fond eft de fable, & exempt de plantes, fourniffent l'eau la plus pure & la plus falubre.

Une pinte d'eau de Loire, abstraction faite de la quantité d'air qu'elle contient, ne m'a donné par l'analyfe qu'environ un grain de substance faline qui étoit du fel marin à bafe terreufe.

J'ai trouvé une grande différence dans les produits de l'eau du Loiret, puifque j'ai obtenu de vingt-cinq pintes d'eau de cette rivière cinquante-fix grains de terre calcaire, dix-huit grains dé félénité, douze de fel marin & quarante-huit grains d'une matière faline, mucilagineufe, extractive. Cependant fi l'on réfléchit que cette petite rivière récèle dans fon fein des fources qui y fourdiffent de tous côtés, que fon cours eft ralenti par plufieurs digues, qui le traverfent & le rendent, pour ainst dire, ftagnant, que fon lit bourbeux donne naiffance à une infinité de plantes qui y croiffent, y périffent & s'y décompofent, on fera peu furpris de l'infalubrité de fes eaux.

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Les eaux des puits d'Orléans font à-peu-près dans le même état que celle du Loiret. Toutes tiennent en diffolution de la terre calcaire, ou chaux aérée & de la félénite, dans des proportions d'autant plus grandes que l'on s'éloigne davantage de la rivière, en fe portant vers les hauts quartiers de la ville. Ce feul fait feroit fans doute fuffifant pour établir que les eaux des puits de la ville tirent leur origine de la Loire, fi la moindre profondeur de ces puits, toujours relative à la proximité de ce fleuve, n'en fourniffoit encore une autre preuve convaincante.

D'après cet expofé fuccinct des produits chimiques des eaux d'Orléans, il eft aifé de conclure que l'eau de la Loire étant la plus pure, & par conféquent celle dans laquelle la mifcibilité, ou tendance à l'union, eft

moins fatisfaite, doit être auffi celle qui eft la plus propre au raffinage; puifque fous un volume égal elle eft en état de diffoudre une plus grande quantité de fucre.

plus

Les eaux du Loiret & celles des puits d'Orléans peuvent être employées indifféremment à cet ufage: cependant je préférerois l'eau des puits les voifins de la rivière; peut-être m'objectera-t-on que la préfence de la félénite & de la terre calcaire fournit des circonftances dans l'opération qui la facilitent & l'accélèrent, mais il eft aife de prouver que la première y eft abfolument inutile: je ferai plus, lorfque j'examinerai quelle eft la fubftance dont il eft effentiel de priver le fucre dans le raffinage, je prouverai que fi la félénite étoit abondante dans l'eau, & qu'elle pût fe foutenir en diffolution conjointement avec le fucre, elle feroit abfolument contraire aux vues que l'on fe propose.

L'inutilité de la félénite dans le raffinage du fucre, fe déduit du peu de folubilité de ce fel vitriolique à base de chaux; en effet, de même que la nature a établi une loi par laquelle tous les corps tendent à s'unir, de même auffi établit-eile différens degrés de cette force, de manière que les uns tendent avec une énergie inexprimable à s'unir avec certains, tandis qu'on en voit d'autres qui ont, pour ainfi dire, une antipathie conftante entr'eux ; cette affinité d'élection eft précisément ce qui conftitue les différens degrés de folubilité dans l'eau, de diverfes fubftances connues, Ainfi d'après la connoiffance de l'inégalité de cette force, il eft aifé de conclure que la félénite étant prefque infoluble dans l'eau, puisqu'il faut cinq cens parties de ce fluide pour en diffoudre une de ce fel, doit être féparée toutes les fois que l'on préfentera à l'eau un corps dont le rapport fera plus grand avec elle. Or, comme le fucre eft de toutes les matières connues celle dont la folubilité dans l'eau eft la plus grande, il eft clair que dans le raffinage du fucre où l'on fait plus que fatisfaire cette force, puifqu'on va même jufqu'à l'épuifer, il eft clair, dis-je, que la félénite ne peut refter unie à l'eau, qu'il faut néceffairement qu'elle le précipite & qu'elle paffe dans les écumes, par conféquent elle eft abfolument inutile & étrangère à la purification du fel effentiel fucré..

La néceffité de l'emploi de la chaux pour raffiner le fucre pourroit faire préfumer que la terre calcaire, tenue en diffolution dans les eaux des puits d'Orléans feroit peut-être avantageufe pour cette opération : il y a apparence même que c'est d'après cette confidération, que quelques célèbres Raffineurs ont prétendu que plus une eau étoit dure, plus elle étoit propre à purifier le fucre; mais avec une légère attention on verra que cette terre calcaire n'étant tenue en diffolution dans l'eau, que par un léger excès du gaz acide crayeux, & que ce gaz étant très-vaporefcible s'exhale dès les premiers mouvemens de chaleur que l'eau reçoir, on verra, dis-je, que l'intermède fe diffipant, les corps qu'il unifloit doivent fe féparer avec d'autant plus de facilité, que l'on préfente à l'un

des deux une fubftance avec laquelle il a un rapport infini. La terre calcaire que les eaux contiennent eft donc inutile dans la purification du fucre, puifqu'elle fe précipite dans le commencement de l'opération. Suppofons même qu'elle foir avantageufe; comme elle n'agit que comme chaux, il eft toujours aifé de fuppléer à fon défaut par l'eau de chaux, que le hafard plutôt que le raifonnement a mis en ufage dans l'art du Raffineur.

Après avoir prouvé que les matières hétérogènes, diffoutes dans les eaux d'Orléans, font inutiles dans le raffinage du fucre, je vais examiner quelles font les fubftances nuifibles à fa pureté, & dont l'art du Raffineut tend à le débarrasser.

Si dans tous les arts, celui qui les exerce connoiffoit parfaitement la nature des fubftances fur lefquelles il travaille, s'il favoit comment & pourquoi il agit, on verroit moins de méprifes fondées le plus fouvent fur des préjugés ou fur des routines anciennes, qui quoique ridicules, n'en parciffent pas moins facrées à celui qui les fuit; on employeroit alors les moyens les plus propres, les plus fimples, les plus expéditifs & en même-tems les plus sûrs pour parvenir au but que l'on le propofe. Pour déterminer d'une manière précife quelles font les fubftances hérérogènes qu'il faut féparer dans le raffinage, il eft donc néceffaire d'être bien inftruit de la nature des principes conftituans du fucre.

Cette fubftance eft un fel effentiel doux, formé dans le végétal par l'intime union d'un acide particulier, avec un peu de terre légère & beaucoup de parties phlogistiques ou inflammables; il eft toujours mêlangé d'une grande quantité de matières mucides, graffes, qui quoiqu'étrangères à fa conftitution, contribuent cependant beaucoup à augmenter fa faveur douce.

Plufieurs plantes contiennent le fel effentiel fucré, mais il n'en eft point qui le fourniffent avec autant d'abondance que fa canne à fucre, arundo faccharifera. Les expériences du célèbre Margraff ont prouvé que le corps fucré fe trouve différemment modifié dans les plantes qui le contiennent; difpofé dans les unes à paffer fur le champ à l'état concret, & dans les autres à refter toujours liquide & fous la forme de miel. Le fuc de la canne à fucre, appelé vefou dans les Iles, demeureroit, exemple, toujours dans l'état firupeux, fi l'art ne venoit au fecours de la nature, pour débarraffer le fel fucré des matières hétérogènes qui s'oppofent à fa criftallifation. La connoiffance de la nature & des qualités de ces matières eft donc le feul objet vers lequel le Sucrier & le Raffineur doivent diriger leur étude.

par

Quoiqu'il y ait très-grande apparence que le hafard feul ait déterminé Jes premiers artiftes fur les moyens propres à purifier le fucre, & que ceux qui depuis ont opéré fur cette matière, aient toujours fuivi une routine aveugle; on eft cependant forcé de convenir qu'ils ne pou

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