Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

.

rer leurs auges en petits compartimens, de manière qu'ils puiffent tenir chacun de l'eau féparément, comme on le voit dans la fig. 25. Mais c'est ce qu'on ne fait jamais. De-là il fant regarder les moutons & les cochons comme la meilleure nourriture fraîche 'qu'on puiffe avoir à la mer, le mouton y étant en général très-bon, & le cochon excellent.

Il peut arriver que plufieurs des provifions dont nous avons recommandé de fe munir, deviennent prefqu'inutiles, par le foin qu'aura eu le Capitaine de s'en pourvoir; mais alors on pourra en difpofer en faveur des pauvres paffagers, qui, payant moins pour leur traversée, font logés parmi les matelots, & n'ont point de droit aux provifions du Capitaine, mais feulement fur celles de l'efpèce dont on nourrit les gens de l'équipage, Ces paffagers quelquefois font abattus, triftes & malades; mais il y a parmi eux des femmes, des enfans, & les uns & les autres n'ont fouvent aucun moyen de fe procurer les chofes dont nous venons de parler, & dont cependant ils peuvent avoir très-grand befoin. En leur diftribuant une partie de votre fuperflu, vous pourrez leur être d'un grand fecours, leur rendre la fanté, leur fauver même la vie ; enfin, les rendre heureux, plaifir toujours très-vif pour les ames fenfibles.

Ce qu'il y a de plus mauvais dans les vaiffeaux, c'est la cuifine; il n'y a point, à proprement parler, de cuifinier de profeffion; on choifit ordinairement, pour en faire les fonctions, le dernier des matelots qui eft communément un cuifinier auffi mal-propre que déteftable; auffi c'est un proverbe parmi les matelots anglois, que Dieu donne la viande, & le Diable les cuifiniers; mais les gens qui ont meilleure opinion de la Providence, & qui croyent qu'elle fait toujours tout pour le mieux, penferont autrenient; ils diront que fachant que l'air de la mer & l'exercice ou le mouvement qu'on a par celui du vaiffeau doivent fortement exciter l'appétit; elle a donné de mauvais cuifiniers aux gens de mer pour les empêcher de trop manger; ou que prévoyant qu'ils auroient de mauvais cuifiniers, elle leur a donné un grand appétit pour les empêcher de mourir de faim. Cependant, fi vous n'avez aucune foi à ces fecours de la Providence, vous pouvez avec une lampe & un réchaud à efprit-de-vin préparer vous-même quelques alimens, comme un hachis & une foupe, &c. Il ne fera pas mal auffi d'avoir dans vos provifions quelques pâtés en pot ou autres chofes de ce genre, qui, fi elles font bien arrangées, fe conferveront bonnes pendant fort long-tems. Un petit four de fer-blanc, dont on met l'ouverture devant le feu de la cuiline, n'eft pas encore inutile, un domestique peut y faire rôtir un morceau de mouron ou de cochon. Tenté quelquefois de manger du bœuf falé, ce bœuf étant fouvent très-bon, vous trouverez que le cidre eft la meilleure liqueur pour appaifer la foif qu'occafionnent ordinairement les viandes & le poiffon falés. Le biscuit de mer eft quelquefois trop dur pour les dents de

quelques perfonnes, on le ramollit en le faifant tremper; mais le pain biscuité eft ce qu'il y a de meilleur ; car étant fait de bon pain fermenté, coupé par tranches & cuit une feconde fois, il s'imbibe d'eau très-promptement, fe ramollit de même, fe digère très-bien, il forme, par conféquent, une nourriture excellente & bien meilleure que celle du bifcuit, qui n'eft fermenté.

pas

Je dirois en paffant que ce pain biscuité étoit originairement le véritable bifcuit préparé pour se garder à la mer ; car le mot de bifcuit, en françois, fignifie cuit deux fois. Souvent les pois bouillent mal & ne se ramolliffent pas; alors en mettant dans la chaudière un boulet de fer de deux livres, le roulis du vaiffeau réduira, par le moyen de ce boulet, les pois en une espèce de purée comme de la moutarde.

Ce que j'ai vu arriver nombre de fois à la mer, où la foupe, fervie fur une table dans de grands plats, fe répand de tous côtés par les mouvemens du vaiffeau, m'a fait fouhaiter foavent que nos potiers d'étain fiffent nos plats à foupe avec des divifions ou des compartimens formant de petits plats propres à contenir de la foupe feulement pour une perfonne: à-peuprès comme on le voit représenté dans le plan, fig. 26. Par cette difpofition la foupe, dans un roulis extraordinaire, ne fe répandroit pas hors du plat, & n'iroit pas tomber dans l'eftomac des gens qui font à table, & les échauder, comme cela n'arrive que trop fouvent; elle resteroit dans les compartimens que nous avons propofés, comme on le voit représenté de côté dans la fig. 27.

Après vous avoir entretenu de ces chofes de peu d'importance, permettez que je finiffe par quelques réflexions générales.

Réflexions générales fur la Navigation.

Lorfque la navigation ne s'occupe que du tranfport des denrées de première néceffité d'un pays où elles abondent, dans un autre pays où elles manquent; lorfqu'elle prévient par-là les famines, qui étoient fi fréquentes & fi funeltes avant qu'elle eût été inventée & qu'elle fût devenue auffi générale; on ne peut s'empêcher de la regarder comme un des arts qui contribue le plus au bonheur du genre-humain.

Mais quand elle n'eft employée qu'à tranfporter des chofes inutiles, ou purement de luxe, il eft alors plus qu'incertain que les avantages qui en résultent l'emportent fur les malheurs qu'elle entraîne, en expɔfant la vie de tant d'individus fur le vafte Océan. Et quand on ne s'en fert pour piller des vaiffeaux & tranfporter des efclaves, elle n'eft plus évidemment qu'un moyen affreux d'augmenter le nombre des calamités de la nature humaine.

que

On est épouvanté quand on penfe à la multitude de vaiffeaux & d'hommes qu'on expofe journellement pour aller chercher du thé en Chine, du café en Arabie, du fucre & du tabac en Amérique: toutes

chofes dont nos ancêtres fe paffoient fi bien. Le commerce du fucre emploie près de mille vaiffeaux: & celui du tabac à-peu-près autant, Quant à l'utilité du tabac, il y a peu de chofe à en dire; & quant à celle du fucre, combien ne feroit-il pas plus méritant de facrifier le plaifir momentané que nous avons à en prendre une ou deux fois par jour avec notre thé que d'encourager les cruautés fans nombre qu'on exerce tous les jours pour nous le procurer?

Un célèbre moralifte François a dit que lorfqu'il confidère les guerres que nous fomentons en Afrique pour avoir des Nègres, le grand nombre qui en périt néceffairement dans ces guerres, la multitude de ces infortunés qui meurent dans le tranfport par la maladie, le mauvais air & la mauvaise nourriture; enfin, combien il en périt encore par la dureté du traitement qu'ils éprouvent dans l'efclavage: il ne peut s'empêcher, en voyant un morceau de fucre, de fe le représenter comme tout couvert de taches de fang humain ; mais s'il avoit ajouté à ces considérations, celle des guerres que nous nous faifons pour prendre & reprendre les îles qui portent cette denrée, les flottes & les armées qui périffent dans ces expéditions, il n'auroit pas vu ce fucre fimplement taché de fang, il l'enauroit vu comme teint en entier. Ce font ces guerres qui font que les puiffances maritimes de l'Europe, les habitans de Paris & de Londres payent le fucre beaucoup plus cher que ceux de Vienne; quoique ces derniers foient éloignés de près de trois cens lieues de la mer. En effet, une livre de fucre ne coûte pas feulement aux premiers le prix qu'ils l'achètent, mais encore ce qu'ils payent pour les impôts néceffaires pour entretenir les flottes & les armées qui fervent à défendre & conferver les fles qui le produifent.

J'ai l'honneur d'être, &c.

OBSERVATIONS

SUR LA CRISTALLISATION de l'Huile DE VITRIOL; Par M. CHAPTAL..

LE 3 du mois de janvier 1786, les ouvriers de ma fabrique d'acides minéraux, en retirant des galères l'huile de vitriol rectifiée, en trouvèrent une cornue qui n'avoit pas le degré de concentration suffisant, & en remplirent une dame-jeanne, qu'ils déposèrent, felon la coutume, dans un coin du hangar. Le furlendemain, ils voulurent prendre cette huile pour lui faire fubir une feconde rectification. Mais quel fut Jeur étonnement, lorsqu'ils trouvèrent dans la bouteille une maffe fo

lide qui en occupoit le milieu, & d'où partoient des cristaux qui alloient fe terminer contre les parois du vafe! Ils fe hâtèrent de confier ce prodige à M. Berard, directeur de ma fabrique, qui m'inftruifit de ce phénomène le furlendemain. Je crus d'abord qu'on avoit laiffé dans le hangar quelque bouteille remplie d'eau, & que les bulles d'air qu'on obferve louvent dans la glace, difpofée fur la même ligue du centre à la circonférence de la bouteille, en avoient impofé à M. Berard, & que c'étoient là les criftaux de l'huile de vitriol dont il me parloit. Je lui fis part de mes doutes. Il s'obftina à me dire que c'étoit une véri table criftallifation d'huile de vitriol.

Mes doutes ne me parurent pas fuffifamment éclaircis. Mais des occupations réitérées ne me permirent d'aller à la fabrique que le 18; on avoit confervé cette bouteille, & l'ouverture en étoit fimplement fermée par un bouchon de terre cuite.

Je ne fus pas peu étonné, lorfque j'apperçus une maffe ou grouppe de cristaux, qui pefoit au moins foixante livres, puifque mes bouteilles font ordinairement de cette contenance. Il y avoit dans le fond une couche de deux pouces d'huile de vitriol, provenant d'un commencement de fonte ou deliquium des criftaux.

Je m'empreffai de caffer la dame-jeanne, pour avoir le plaifir de manier ces criftaux & d'en déterminer la figure. Le thermomètre étoit en ce moment +7; l'onctueux de la furface de ces criftaux étoit celui de l'huile de vitriol. La température étoit plus chaude au tact que celle de tous les corps voisins, tels que les pierres, les bois, les verres, &c. La couleur étoit d'un jaune rembruni, la caffure liffe, unie & vitreufe.*

Je détachai de ce grouppe plufieurs criftaux bien formés, & dans tous la forme m'a paru un prifme hexaèdre, applati & terminé par une pyramide hexaèdre. Un examen plus approfondi du criftal m'a préfenté les formes fuivantes :

L'épaiffeur du prifme eft à peine le quart de la largeur. La pyramide d'un prifme de huit pouces fept lignes, avoit onze lignes de longueur.

Les deux grands côtés du prifme applati forment deux parallélogram mes; quatre petits s'uniffent à angles aigus, & forment un angle obtus à · leur réunion aux grands côtés du prifme.

Les petits côtés du prifme fe terminent du côté de la pyramide par une ligne inclinée aux grands côtés du prifme, & qui forme avec eux un angle obtus. Par ce moyen, la pyramide réfulte de l'affemblage de fix triangles ifofcèles.

Je n'ai pas trouvé de criftal à deux pyramides. Ils étoient tous implantés dans une maffe commune qui occupoit le milieu de la bouteille.

A mesure que je maniois les criftaux à l'air libre & à une chaleur de fept degrés au-deffus de zéro, il découloit de la maffe, de l'huile

noirâtre qui noirciffoit le bois, & attaquoit fi fortement mes mains, qu'elles devinrent luifantes, calleufes, & que l'épiderme en fut

détruit.

Je remplis un vaiffeau de verre, à large ouverture, de quinze à feize livres de ces criftaux bien figurés. Je les ai montrés & laiffé manier, pendant mon cours, à trois ou quatre cens auditeurs, & je les ai conservés jusqu'au 30 janvier, alors le deliquium a été complet.

L'huile de vitriol, provenue de la fonte de ces cristaux, est d'un jaune noirâtre, marquant de foixante-trois à foixante-quatre degrés à mon pèfe-liqueur, qui donne foixante-fix dans la bonne huile du commerce. J'ai rectifié avec foin une grande partie de l'huile provenue de ces cristaux tombés en deliquium. J'ai adapté pour cet effet à ma cornue un récipient bien lutté, & l'appareil des gaz. Mais je n'ai retiré que de la très-belle huile de vitriol, & un flegme très-acide. Deux livres neuf onces de ce deliquium m'ont fourni une livre dix onces d'huile très-concentrée, & quinze onces d'efprit de vitriol à vingt-trois degrés. L'état du thermomètre, depuis la production du phénomène jufqu'à la fonte des cristaux, a été comme il fuit;

Les 2, 3, 4, 5 de janvier, il defcendit fous zéro de deux & même de trois degrés les au matin. Depuis ce jour, il s'eft conftamment tenu au-dessus de zéro, & a été jusqu'au 12, fon terme moyen a été entre fept & huir,

Ce phénomène me parut nouveau & intéreffant. Je defirois un froid affez vif pour pouvoir répéter l'expérience, & je commençois à désespérer, lorfque, le 9 mars, l'air fe refroidit au point de me faire espérer de reproduire ce phénomène. Dans la nuit du 9 au 10, le thermomètre defcendit à 1. Le lendemain, le thermomètre marquant -3, je difpofai, à huit heures du matin, des appareils convenables fur une terraffe expofée au levant.

Je me fervis de capfules de verre pour mes expériences, & mis dans cés vases, 1°. de l'huile de ma fabrique, concentrée, blanche comme l'eau, & donnant foixante-fix & demi au pèfe-liqueur.

2o. De l'huile de vitriol provenant du deliquium des premiers cristaux, & concentrée au foixante-cinquième degré.

3°. Le flegme provenu de ces concentrations, & marquant vingt-trois degrés.

4°. De l'huile rapprochée par la concentration, jufqu'au foixantequatrième degré.

5°. L'huile provenue du deliquium des criftaux, qui avoit été expofée à l'air pendant trente-fept jours, & ne marquant plus que foixante degrés. Ces huiles, plus ou moins fortes, reftèrent expofées à l'air tout le jour & Foute la nuit du 16 au 11.

Le 11, à huit heures du matin, le thermomètre marquant — 2, je

« PreviousContinue »