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comble. Il eft fans doute plus impardonnable encore d'employer des mots compofés, dont la première moitié eft prife du grec & l'autre du françois ou du latin, comme, par exemple, ceux de pyro-muqueux, de Pyro-ligneux, de muriatique oxigené, &c.

Loriqu'on a quelque connoiffance du grec, lorfqu'on parcourt les beautés de cette langue, qu'on voit, malgré la fimplicité de fes élémens, avec quelle richeffe, quelle vivacité, quelle grace elle peint tous les fentimens, toutes les idées, toutes leurs nuances, toutes les opérations de l'efprit les plus éloignées des premières fenfations, tous les travaux des fciences & des arts, il eft bien naturel de vouloir lui dérober quelque chofe, pour en enrichir nos jargons, déjà faits de toutes pièces. Mais on ne voit pas que par-là on achève de les priver à jamais du premier de fes avantages, celui de naître pour ainfi dire d'elle-même, de fortir toute entière de fept à huit cens mots radicaux (1), qui fe retrouvant dans tous les autres, & les formant par des développemens fimples, par des variétés de terminaifons méthodiques, rendoient à Athènes ou à Syracufe tous les écrits facilement intelligibles, même à l'homme du peuple. Ajoutez à cela, que cette langue, vraiment philofophique autant que poëtique & oratoire, mettoit entre les mains de ceux qui la parloient ou l'écrivoient, tous les moyens de rectifier les idées fauffes. Je m'écarterois de mon objet, fi j'examinois en détail combien elle a influé dans le rôle important qu'a joué la Grèce; mais il n'eft pas hors de propos d'indiquer cette influence, comme un digne fujet de méditation pour les fages qui afpirent à perfectionner la raifon humaine, en réformant les fignes par lelquels elle fe développe. Ce n'eft pas non plus ici le lieu de chercher pourquoi, malgré tant d'avantage, la philofophie grecque eft, à quelques égards, reftée dans l'enfance, ou s'eft même écarrée des routes du vrai.

Je finis donc, Meffieurs, en obfervant qu'oxigène & hydrogène gnifient précisément le contraire de ce qu'ont voulu les Auteurs de la Nomenclature. La traduction du premier mot, eft engendré par l'acide, & non générateur de l'acide; celle du fecond, engendré par l'eau, & non générateur de l'eau. Chez les Grecs, Diogène vouloit dire fils de Jupiter; Archigène, fils de chef; Protogène, engendré le premier : parmi nous, homogène & héterogène ne doivent pas s'expliquer par générateur de mémes chofes, générateur de chofes différentes, mais par de même genre, de différens genres.

(1) Les Meffieurs de Port-Royal auxquels les lettres doivent plufieurs Ouvrages importans, & entr'autres la première Logique raifonnable, & les premières bonnes Grammaires, ont fait un grand travail pour démêler au milieu de tous les mots de la langue grecque, ceux qu'on peut regarder comme les racines des autres. Ils en ont porté le nombre à deux mille cent forkante; un examen un peu attentif fait voir qu'on peut le réduire de beaucoup plus que de moitié,

1

Quant à quelques mots un peu ridicules, tels que calorique, carbone, carbonique, carbonate, &c. je n'en parlerai point; c'eft les premiers, c'eft peut-être les feuls dont le public fera juftice.

Si mon nom faifoit à la chofe, je le mettrois au bas de cette lettre ; mais heureusement il n'y fait rien, & je le tais. Ce n'eft pas que je craigne de bleffer, , par mes obfervations, des favans amis de la vérité & de la difcuffion qui feule peut la faire fortir. Si j'avois pu avoir cette crainte, elle feroit plus injurieufe pour eux, que les critiques les plus amères. Mais encore une fois, je ne l'ai pas eue, & je n'ai pas fait de pareilles critiques.

Je puis au refte les affurer que je vis dans la retraite & dans l'obfcurité; que je n'ai aucun rapport avec le parti qu'ils regardent peut-être comme un rival jaloux; que leurs noms font refpectables pour moi; que leur gloire m'eft chère, que mon cœur paie à tous leurs travaux un jufte tribut de reconnoiffance, & que je fuis perfuadé qu'en revenant fur leurs pas, en rentrant dans une route qui doit leur être familière,

ils pourront, mieux que perfonne, peut-être, donner une nomenclature chimique, digne de fervir de modèle pour la réforme de toutes les

autres.

MÉMOIRE

DE M. PROZET,

De l'Académie des Sciences d'Orléans;

SUR LE RAFFINAGE DU SUCRE.

EN cherchant à détruire un préjugé nuisible au progrès de l'art, j'ai donné, & feulement pour le befoin que j'en avois, un apperçu de la théorie du raffinage. Les principes que j'y ai établis ne me font pas particuliers; ce font ceux que Bergman avoit développés, que Macquer & plufieurs autres Chimiftes avoient adoptés. M. de Morveau, qui avoit également adopté la théorie du favant Suédois, a à la vérité, changé de fentiment dans la nouvelle Encyclopédie; mais mon Mémoire, fait en 1784, étoit entre les mains de M. de la Métherie, lorfque cet Ouvrage a paru. M. Boucherie a pris quelques idées de M. de Morveau; mais comme il n'a appuyé fes raifonnemens que fur des prétentions hypothétiques & des affertions hafardées, il ne me fera pas difficile d'en détruire le prestige.

Sur ce que j'ai dit que le fuc de canne appelé vefou demeureroit toujours dans l'état fyrupeux, fi l'art ne venoit au fecours de la nature pour débarraffer le fel fucré des matières hétérogènes qui s'opposent à la criftallifation du fucre, M. Boucherie me répond en me difant qu'avant de parler de ce fuc, j'aurois dû l'examiner. J'avoue que le defir de m'inftruire fur la nature du vefou, ne m'a jamais porté hors du royaume;

je

je ne fuis point Raffineur, mais je n'ai pas négligé pour cela de prendre des informations de ceux qui le connoiffent. Je ne m'appefantirai pas fur les citations de mes autorités, je n'en ferai qu'une, parce qu'elle eft d'un Cultivateur américain, Membre de la Société Royale de Londres & que fon Ouvrage a reçu l'approbation de l'Académie Royale des Sciences

de Paris.

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Indépendamment du fucre & de la mélaffe, dit-il, le vefou eft encore chargé de parties graffes qui enveloppent celles de la mélasse & du fucre, qui empêcheroient leur féparation, & dont la chaux & la cendre » font reconnues les agens les plus propres à débarraffer la matière; c'est » ce qu'on appelle l'enivrage.

»Ne mettez point d'enivrage. Si vos cannes font bonnes, elles vous » donneront une mélaffe parfaitement liée, qui ne laiffera point échapper de maffe; c'est une mafle folide affez (emblable à de la cire. Si vos » cannes font mauvaises, elles vous donneront un liquide fore approchant » du goudron: goudron qu'il faudroit réduire en charbon pour lui » donner une confiftance folide; & fi la matière n'a que la cuite » ordinaire, vous ne trouverez peut-être aucun grain de fucre dans la forme; ceux qui auroient pu s'y trouver, au moyen d'un enivrage convenable qui auroit enlevé la graiffe, fe trouvant dans ce dernier cas > embarrassés avec la graiffe & la mélasse » (1).

Au travail en grand, que j'avois en vue, M. Boucherie oppose une expérience faite fur une affiette; il prétend qu'une deffication, fuivant la méthode de Lagaraie, elt une cristallifation entière ; enfin, il affure que par une évaporation fpontanée le vefou criftallife en totalité fans laiffer de réfidu où d'eau-mère. Il n'a fans doute pas fait attention qu'outre la matière extradive étrangère au fucre dont le rapprochement occafionnedans le brut la couleur rouge, il y a encore une partie réfineufe & une portion de la matière glutineufe. Si ces fubftances hétérogènes exiftent, de fon dans le fucre brut, à plus forte raifon doivent-elles être plus abondantes dans le vefou: & M. Boucherie ne craint pas d'avancer qu'il a fait cristallifer entièrement le vefou fans réfidu ni eau-mère ; qu'il nous inftruise donc de la forme qu'affectent les criftaux de la matière extractive, de la réfine & de la matière glutineufe, afin que nous puiffions difcerner les vrais cristaux du fucre d'avec ceux de ces matières qui dans le raffinage gênent la criftallifation, & nuifent par leur vifcofité à l'écouLement du fyrop.

aveu,

M. Boucherie nie l'existence d'un acide en excès dans le fuc de canne.

(1) Voyez page 404 de l'Efai fur l'art de cultiver la Canne & d'en extraire le Sucre; por M. D.C...x, de la Société Royale de Londres. A Paris, chez Cloufier, rue Saint-Jacques, vis à-vis les Mathurins, 1781.

Il prétend avoir démontré à M. Macquer & à M. d'Arcet que le vefou ne manifefte au goût ni par l'action des réactifs la préfence d'aucun acide; mais Berginan n'a jamais prétendu que dans le vefou l'acide fût affez abondant pour fe manifefter au goût, & fi les réactifs ne peuvent le démontrer dans l'inftant, c'eft qu'il y eft dans un état de combinaison avec les parties huileufes qu'il unit au fucre dont il empêche la criftallifation. Le goût ni les réactifs ne peuvent de même démontrer dans nos mélaffes un acide furabondant, & cependant M. de Morveau penfe qu'on ne doit point hésiter à croire que la mélafle ne foir du fucre altéré & devenu incriftallifable par le développement d'un acide analogue à celui que le fucre fournit dans la diftillation. M. Sage regarde auffi les mélasses comme une portion de fucre non décompofée, mais noircie par l'acide qui s'eft feparé par le trop grand feu qu'on fait éprouver au fvrop.

Si le fuc de canne étoit criftallifable fans réfidu ni eau-mère, l'ufagedes leffives alkalines feroit auffi inutile pour la défecation de ce fuc, que pour la faturation d'un acide qui, fuivant M. Boucherie, n'existe pas.. Quoiqu'il reconnoiffe leur utilité pour le premier objet ; il prétend que leur ufage eft très-nuifible. Auffi a-t-il propofé un moyen par lequel il' eft parvenu à rendre toutes les mélaffes criftallifables. Il a produit le même effet en Amérique fur cette forte de fyrop; mais fi les expériences qui lui font connues relativement au vefou lui donnent un espoir de fuccès, il doit convenir qu'il n'eft point encore démontré.

Quoique je fois très-perfuadé que la mélaffe ne foit en grande partie que du fucre altéré par un acide, j'ofe avancer que les fuccès de M. Boucherie pour rendre les mélaffes criftallifables font au moins auffi hypothétiques que fes efpérances fur le vefou.

1°. Si M. Boucherie favoit rendre les mélaffes criftallifables, il eft certain qu'il fe feroit contenté de priver fon fucre brut de la partie extractive, ennemi très dangereux, & qu'il n'auroit pas vendu des mélaffes auffi douces que celles qui forrent de nos raffineries. Or, je fais qu'il a fait ce négoce; donc il n'a pas le moyen de rendre les mélailes criftallifables.

2°. Si M. Boucherie pouvoit rendre les mélaffes criftallifables, il auroit fait une fortune immenfe à n'acheter que des mélaffes pour les convertir en fucre. Il eft fi avantageux de pouvoir changer une marchandise de trois quatre fols la livre au plus, en une qui fe vend-dix-huit à vinge, qu'on doit conclure de ce qu'il ne l'a pas fait, qu'il eft encore à la recherche des moyens d'y parvenir.

à

3°. Enfin, M. Boucherie, qui auroit eu, en rendant les mélaffes crifrallifables, un moyen de retirer du fucre brut vingt à ving-cinq livres de fucre par cent de plus que nos Raffineurs, n'auroit pas manqué de profiter de cet avantage pour faire tomber la vente du fucre d'Orléans, par la

baiffe du prix. Or, il a toujours tenu le prix de fon fucre au-dessus de celui

d'Orléans.

J'attribue la couleur grife ineffaçable que le fucre contracte par l'excès de l'eau de chaux, fuivant quelques Raffineurs, à la décompofition de la partie rouge du fang dont le fer s'unit aux molècules faccharines & altère Jeur couleur. J'ajoute encore que quel que fût l'excès de l'eau de chaux, jamais cette couleur n'auroit lieu fi on fe fervoit, pour la clarification, d'une autre matière que le fang de bœuf. M. Boucherie me répond trèsjudicieufement qu'on n'eft perfuadé en Phyfique que par des faits, & il m'objecte que la diflolution du fucre très-pur dans l'eau de chaux aura plus de couleur que celle qui fera faite dans l'eau diftillée. Je lui obferverai que je n'ai point dit que l'eau de chaux ne colorât pas le fucre: j'ai feulement foutenu que la couleur grife ineffaçable qu'on a obfervée dans le fucre provenoit du fer contenu dans le fang. C'eft ici un cas particulier que j'explique; mais pour que les faits perfuadent, il faut qu'ils foient vrais, & malheureusement ayant répété l'expérience des deux diffolutions, j'ai vu que la couleur étoit la même. A la vérité j'ai employé du fucre royal d'Orléans.

M. Boucherie n'eft pas conféquent dans fes raifonnemens; car les chofes devoient, d'après les principes, fe paffer ainfi que je les ai obfervées. En effet, la couleur du fucre ne dépend, fuivant lui, que du rapprochement de la matière extradive. Or, le fucre très-pur eft privé d'un ennemi auffi dangereux: la chaux ne peut donc pas augmenter l'intensité de la couleur d'une fubstance qui n'existe plus.

Cette expérience, qui ne m'a rien prouvé, devoit cependant, felon M. Boucherie, me conduire à des obfervations qui m'auroient évité une partie des erreurs dans lesquelles je fuis tombé. Une des principales, que je confonds toujours l'acide qui eft le principe conftitutif du fucre avec l'acide faccharin, qui provient de la combinaison de ce fel avec l'acide nitreux.

En propofant des idées nouvelles, M. Boucherie auroit dû faire connoître les expériences fur lefquelles il les fonde. Sûrement la combi naifon de l'acide du fucre avec l'acide nitreux, pour former l'acide faccharin, doit préfenter des phénomènes qu'il feroit intéreffant de publier. Bergman penfe que l'acide faccharin eft l'acide propre du fucre. Macquer, ainfi que MM. Cavendifch & Sage ont adopté le fentiment du chimiste Suédois; ils croient que l'acide nitreux ne fert qu'à mettre à nud l'acide faccharin, en le dépouillant des parties inflammables auxquelles il eft uni dans le fucre. M. Viegleb veut au contraire que l'acide faccharin ne foit que l'acide nitreux déguifé par le phlogiftique. MM. Lavoifier, de Fourcroy & de Morveau font perfuadés que l'acide faccharin eft un produit de l'opération qui le fournit ; que les deux fubftances qui concourent à le former font également décompofées;

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