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à cet égard mes recherches ont été infructueufes: les argiles qui nous avoifinent m'ont conftamment donné de l'alun mêlé de vitriol martial, fans qu'il m'ait été poffible d'en tirer du fel de Sedlitz, quoique ces fortes de terres n'en foient pas toujours dépourvues, ainfi que je l'ai

démontré dans le Mémoire cité.

Les carrières de Mefail-Montant recéloient cependant la pierre que je defirois, mais c'étoit à MM. Quinquet & Delarbre qu'il étoit réservé de la trouver. Vers la fin du mois d'août, le premier m'en montra un morceau, & la curiofité me fit defirer d'en pofféder un échantillon. Celui qui me fut apporté, étoit long & mince, il étoit mammeloné, terminé par deux branches dont l'intervalle étoit rempli d'une terre grife fortement adhérente à la langue, & qui vue à la loupe, ne me paroiffoit pas avoir tous les caractères que cet. inftrument fait reconnoître dans les argiles ordinaires.

J'en dérachai fur le champ trois ou quatre fragmens chacun de la groffeur d'une lentille, fur lefquels il fut verfé quelques gouttes d'eau, dont ils furent bientôt imbibés, fans cependant le bourfouffler, ni perdre leur forme; ils ont confervé la dureté qu'a naturellement la terre dont ils avoient été détachés, & couverts d'eau plufieurs jours de fuite, ils ont conftamment oppofé à la pointe d'un canit la résistance qu'y oppose la terre elle-même dans fon état de ficcité. Cette fimple expérience jointe à l'aspect de cette terre ou pierre tendre, me fit juger que, graces aux recherches de MM. Delarbre & Quinquet, je tenois enfin un foffile qui donneroit par la vitriolifation, du fel de Sedlitz.

Je ne perdis pas un inftant, j'avois reçu mon échantillon de pechstein de Mefnil-Montant le premier feptembre fur les dix heures du matin, & avant midi un morceau de la terre du poids de deux cens foixante grains étoit déjà imbibé d'acide vitriolique foible, & tout de fuite il fut mis dans une autre petite capfule de verre, un fragment du pechstein luimême détaché de l'intérieur de mon échantillon: celui-ci pefoit cinquante-cinq grains; il ne fut pas pénétré par l'acide, mais implement

mouillé.

Tout refta tranquille jufqu'au quatrième jour que j'apperçus les rudimens de quelques criftaux fur les bords anguleux du morceau de terre qui dès ce moment parut difpofée à fe gerfer. Le 6 du même mois, l'exfoliation étoit décidée : le 10 les lames fe féparèrent facilement les unes des autres; le fel étoit devenu plus abondant, & à la fimple vue on pouvoit déjà caractériser les criftaux : l'acide employé étant faturé, le goût me fit connoître que c'étoit vraiment du fel de Sedlitz. Je pris alors le parti de verfer de l'eau diftillée pour emporter tout le fel qui s'étoit formé : la terre édulcorée & bien égouttée fut de nouveau arrofée d'acide vitriolique. Le 18 il fe forma d'autres cristaux, mais en bien moins grande quantité que la première fois. L'acide étoit dominant,

& je crus m'appercevoir les jours fuivans que les criftaux n'augmentoient.

ni en nombre ni en volume.

Tandis que la vitriolifation de la terre qui accompagnoit mon échantillon de pechstein fe faifoit, celle du pechftein lui-même s'opéroit avec un peu plus de lenteur; mais enfin dès le dixième jour, c'est-à-dire, le 11 feptembre, on pouvoit déjà voir fa partie fupérieure couverte de fept ou huit petits criftaux qui vers le 20 avoient tous les caractères du fel de Sedlitz. Ce fragment que je garde eft, aujourd'hui 9 octobre, entiè rement couvert du même fel: les criftaux groffiront fans doute; mais le tems eft depuis plus de quinze jours fi humide, & par conséquent fi peu propre à mon opération, que je fuis obligé de le laiffer en expérience tout le tems néceffaire pour découvrir fi dans la fuite le petit morceau de pechftein fe délitera, s'exfoliera, ce qui est assez ordinaire aux fofiles fufceptibles de la vitriolifation.

En attendant, il eft bien démontré que la terre qui accompagne le pechstein de Mefail-Montant & ce pechstein lui-même contiennent la terre alkaline, qui unie à l'acide vitriolique conftitue le fel de Sedlitz ou d'Epfom, ce qui rapproche un peu cette pierre des fmectiques, des ferpentines ollaires & des ftéatites (1).

Le fel connu fous les noms de Sedlitz & d'Epfom eft d'un grand usage parmi nous, le malheur eft que nous fommes contraints de le tirer de l'étranger. Et pourquoi, me direz-vous, Monfieur, n'en pas fabriquer en France? Je faifois des vœux en 1779 pour qu'on s'en occupât, je les fais encore aujourd'hui; s'ils étoient exaucés nous employerions pour l'ufage de la Médecine un fel auquel nous pourrions donner à notre tour le nom d'une fource minérale qui le contiendroit, auffi bien que celles de Sedlitz & d'Epsom ; mais non; il nous faut des étoffes étrangères, des eaux minérales étrangères, &c. &c. nous tirons à grands frais des eaux de Sedlitz & de Spa, & nous oublions que la fource de Spa eft à Pougues, près Nevers, & fur les rives de la riche Loire, & que celles de Sedlitz font à Cranfac, fur les bords de la Dordogne.

Mais pourquoi, dira-t-on, nous forcer à ufer d'un fel factice, tandis que nous pouvons nous en procurer de naturel? Allons, puifqu'il le faut, révélons donc le fecret à ceux qui l'ignorent; la vérité eft que les fels d'Epfom, de Sedlitz (2) qu'on vend par tout le royaume font des fels factices, qui fe font en traitant avec l'acide vitriolique les eaux-mères du

(1) Outre la terre alkaline notre pechstein contient auffi du fer, en forte que le fel de Sedlitz qu'il fournit eft ferrugineux; mais il eft facile de lui enlever tout le fer qu'il peut contenir. Voyez le Mémoire cité.

(2) J'en excepterai le fel qui fe fait dans une faline de Franche-Comté, qui eft un vrai fel de Glauber, & qui fe vend fous le nom de fel d'Epfom. Voyez le Mémoire cité.

fel marin. Or, ayant chez nous depuis plufieurs années des manufactures d'acide vitriolique, dans chacune defquelles on en fait bien au-delà de ce que les arts cultivés parmi nous en peuvent confumer, ne feroit-il pas utile de diriger l'emploi de cet excédent vers l'objet que je propofe depuis dix ans. Déjà l'on fabrique de l'alun en traitant une terre argileuse avec cet acide; eh bien, la ferpentine ollaire, fi on l'avoit fous la main, pourroit avec avantage être travaillée comme les argiles: celle du Limoufin m'a donné, ainfi que celle d'Allemagne, livre pour livre de fel de Sedlitz débarraffé de tout fon fer. Au défaut de la ferpentine ou des autres pierres de ce genre, ayons, ainfi que les Anglois, recours aux eaux-mères du fel marin. Je préfume que la Baffe-Normandie où on prépare un fel qu'en langage de la ferme on appelle, quart de bouillon, fourniroit abondamment le fel de Sedlitz & d'Epfom.

N'êtes-vous pas bien étonné, Monfieur, de ce qu'en parlant de la base du fel de Sedlitz, je parois éviter avec affectation d'employer le mot magnéfie fous lequel on prétend depuis quelques années la défigner, & que tout récemment des Chimiftes d'un ordre fupérieur ont en quelque forte confacré en l'adoptant dans la nouvelle Nomenclature qu'ils viennent de publier?

Je le fuis bien davantage, en voyant que ces Meffieurs, qui ont fait main-baffe fur l'ancienne Nomenclature chimique, ont fait grace au mot magnéfie. Eh! qu'a donc de commun la terre qui fait la base du fel de Sedlitz avec la pierre magnétique? Car on ne peut pas fuppofer que cette même terre prenne fon nom d'un canton de la Macédoine appelé Magnéfie, dont au rapport de Pline, on tiroit de l'excellente pierre magnétique ou aimant.

D'un autre côté, pourquoi donc conferver dans une nouvelle Nomenclature des mots équivoques? Entrez, Monfieur, dans une pharmacie de la capitale, vous y trouverez de la magnéfie angloise & de la magnéfie nitreufe: la première aura été extraite par précipitation du fel de Sedlitz, l'autre par précipitation ou calcination des eaux-mères de nitre.

Il est encore une autre fubftance qui porte le même nom, à la vérité; un peu corrompu par les verriers & potiers qui l'appellent dans leur jargon la manganèfe, mais dont le nom latin a toujours été magnesia, & a conftamment défigné une fubftance minérale qui n'a nul rapport avec les magnéfies angloife & nitreufe dont l'emploi n'eft connu qu'en Médecine.

Les Auteurs de la nouvelle Nomenclature fe font bien apperçus qu'il étoit néceffaire d'éviter l'équivoque, & pour y parvenir ces Meffieurs difent dans leur Dictionnaire françois & latin que magnefia fignifiera dorénavant la magnéfie, ou, ce qui eft la même chofe, la terre bafe du fel de Sedlitz, & que magneftum fignifiera la manganèfe, c'est-à-dire, la magnéfie ou la manganefe des verriers; en forte que fuivant le nouveau

Dictionnaire fulfas magnefiæ fignifie le fel de Sedlitz, & fulfas magnefii, le vitriol de manganèle.

Je ne déciderai pas, Monfieur, fi les définences mafculine & neutre pour le latin, fi les mots mafculin & feminin pour le françois, fuffifent pour repouffer l'équivoque, mais on peut au moins en douter.

Au refte, Monfieur, la difpute fur ce mot ne peut durer long-tems, & elle feroit finie, ou plutôt n'auroit point eu lieu, fi un Chimifte trèsverfé dans l'art des expériences, m'avoit permis d'en citer une qui lui étoit propre & par laquelle il réduifoit le natrum en terre alkaline; fa modeftie m'empêcha d'en faire ufage, & il fallut me contenter de terminer mon Mémoire fur la ferpentine par ces quatre lignes : « D'après les propriétés de la terre qui fert de bafe au fel de Sedlitz, ne pourroit-on pas préfumer que cette même terre concourt à former les fels alkalis fixes, fur-tout le natrum? Si jamais on parvient à s'en affurer, fa » dénomination fera alors à jufte titre, celle que Margraff lui a déjà affignée, en l'appelant terre alkaline ».

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Aujourd'hui, Monfieur, que je n'ai prefque plus de doute à cet égard, j'ose espérer que vous ferez affez indulgent pour me pardonner l'averfion que j'ai contre le mot magnésie, averfion qui, dans l'exacte vérité, n'est fondée que fur l'équivoque qui, en fait de médicamens, ne fauroit être repouffée avec trop de chaleur.

Je fuis, &c.

A Paris, ce 9 O&obre 1787.

EXTRAIT DE LA RELATION DU VOYAGE De M. DE SAUSSURE au Mont-Blanc.

M. DE SAUSSURE eft parvenu au fommet du Mont-Blanc le 3 août dernier accompagné de dix-neuf perfonnes. Comme la relation de fon voyage a déjà été imprimée dans plufieurs papiers publics, nous en donnerons feulement un extrait. Ils partirent le premier de Chamouni & furent coucher à 779 toifes de hauteur. Le fecond jour ils couchèrent à 1455 toifes, & le troifième ils parvinrent à la cîme à 11 heures du matin, où ils reftèrent jufqu'à trois heures & demie. Ils refpiroient avec peine, étoient fans force, fans appétit, éprouvoient un mal-aife continuel. Deux des guides ne purent y tenir, & furent obligés de redefcendre.

La forme de la cîme de la montagne eft en dos d'âne tout couvert d'une neige dont la furface eft écailleufe. On n'en voit fortir aucun rocher, fi ce n'est à 60 ou 70 toifes au-dessous de la cîme. Les plus élevés de ces rochers font de granit. Ceux du côté de l'eft font mêlés d'un peu de ftéatite. Ceux du midi & du côté de l'oueft contiennent beaucoup de fchorl & un

peu de pierre de corne. Un des plus élevés à l'eft préfente évidemment des couches à-peu-près verticales. Ce qui avoit déjà été vu par M. Paccard. Les plus hauts font deux petits rocs de granit très-rapprochés l'un de l'autre, dont le plus élevé avoit été fracaffé depuis peu par la foudre; car notre célèbre Phyficien trouva fes fragmens épars tout autour de lui fur la neige nouvelle à plufieurs pieds de diftance.

M. de Sauffure n'y a vu d'autres animaux qu'une phalène & un papillon de jour. Il a trouvé des lichens fur les rocs les plus élevés.

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Le baromètre s'arrêta à 16 pouces + de ligne. D'où ce favant Phyficien conclut, d'après les obfervations correfpondantes faires à Geneve par M. Senebier, que la hauteur du Mont-Blanc eft d'environ 2450 toises, comme l'avoit estimé M. le Chevalier Schukbrugh.

Le thermomètre de mercure à boule ifolée fufpendu à 4 pieds audeffus de la cîmè à midi au foleil étoit à-1,3, & à l'ombre à —2,3; un autre thermomètre dont la boule étoit teinte en noir + 1,9. Les mêmes à 2 heures au foleil - 1,3, à l'ombre foleil+1,9.

-2,5 & le noir au L'hygromètre à midi au foleil 44, à l'ombre 51.

Les boules de l'électromètre divergeoient de 3 lignes. L'électricité étoit pofitive.

L'eau entra en ébullition à 68 degrés 0,993 de ligne. Elle étoit chauffée par une lampe à l'efprit-de-vin conftruite fur les principes de M. Argant. Il fallut demi-heure pour faire bouillir l'eau, tandis qu'il ne faut à Geneve que 15 à 16 minutes, & fur les bords de la mer 12 ou 13.. La couleur du ciel étoit couleur de bleu de roi le plus foncé. Le vent étoit nord & froid.

La déclinaifon de l'aiguille étoit comme au Prieuré de Chamouni où le fils de M. de Sauffure faifoit des obfervations correfpondantes à celles de fon illuftre père, il fe forma une croûte fur l'eau de chaux versée dans de petits verres, & les alkalis cauftiques devinrent effervefcens,

Les ombres étoient fans couleurs.

L'odorat & le goût avoient toute leur perfection.

Un coup de piftolet tiré fur la cîme ne fit pas plus de bruit qu'un pétard de la Chine n'en fait dans une chambre.

Après quatre heures de féjour & de repos fur la cîme, le pouls de M. de Sauffure battoit 100 pulfations par minute, celui du P. Balmat 98, & 'celui de Tetu 112; à Chamouni les mêmes dans le même ordre, 72, 49,60.

Tel eft le précis des principales obfervations que le tems a permis à ce célèbre Naturalifte de faire fur la cîme de la montagne qui paffe pour la plus élevée de l'ancien continent.

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