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LA PHYSIQUE,

SUR L'HISTOIRE NATURELLE, ET SUR LES ARTS ET MÉTIERS.

MÉMOIRE

SUR LES LUNETTES NOMMÉES BINOCLES;

Et fur un voyage aux côtes maritimes occidentales de France: Lu à la rentrée publique de l'Académie Royale des Sciences, le 18 d'Avril 1787;

Par M. LE GENTIL.

L'INVENTION des lamettes qui ne fut d'abord qu'un effai fort groffier, ne tarda pas à fe perfectionner. La curiofité, innée à tous les hommes, aux aftronom for-tout, avides de découvertes dans le ciel,

fit bientôt naître des artistes célèbres en ce genre; & la Dioptrique oculaire fit des progrès rapides en peu de tems. Nous n'entendons point parler des accroiffemens qu'a reçus cet art dans ces derniers tems par l'invention des lunettes achromatiques; mais des efforts que l'on a faits dans le dernier fiècle, & dans les commencemens de celui-ci pour perfectionner la vifion; ce qu'on peut y ajouter encore; & ce qu'il peut en réfulter d'utile pour les obfervations aftronomiques.

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Plufieurs perfonnes fe font rendues célèbres dans l'art de travailler les grands verres, principalement le célèbre Mathématicien Huyghens Archoëker, Borelly, de la Hyre, & plufieurs autres: mais perfonne n'a approché de la perfection comme Campani, il les a furpaffés de beaucoup, & l'on regrettera toujours que cet habile ouvrier n'ait point donné fon fecret, s'il en avoit cependant un ; & fi.ce fecret ne confiftoit pas feulement dans le choix de la matière, & dans la grande dextérité de l'Artifte, comme nous le foupçonnons; car malgré tout l'avantage que nous ont procuré les lunettes achromatiques depuis leur invention, pofe affurer que toutes celles que nous avons ne tranchent pas l'objet auffi nettement que le fait un excellent objectif fimple; & fi elles ont la préférence aujourd'hui, elles la doivent très-certainement en grande partie à leur peu de longueur qui les rend infiniment commodes pour les obfervations aftronomiques.

Pour perfectionner la vifion, on imagina dans le dernier fiècle de fe fervir de deux objectifs pour regarder avec les deux yeux. Ou nomma cette double lunette binocle. Il eft bien certain qu'en regardant un objet avec les deux yeux, il exifte réellement deux images de cet objet, peintes féparément dans chaque œil ; fans doute qu'elles fe réuniffent dans le cerveau, en s'appliquant l'une fur l'autre pour produire une fenfation unique. En fuppofant égales en intenfité les deux images qui contribuent à produite cette fenfation, on doit voir beaucoup mieux avec les deux yeux qu'avec un feul.

Il femble en effet que la nature ne nous ait donné deux yeux que pour mieux voir, comme dit M. Bailly, pour avoir une fenfation plus forte par deux impreffions reçues: ce n'eft pas qu'on voie l'objet fous un plus grand angle avec deux lunettes ; mais il en résulte beaucoup plus de clarté, & nous jugeons toujours les objets éclairés plus proches de nous. (Hift. de l'Aftron. modern. tom. II, pag. 139.)

Le P. de Rheita eft le premier, que je fache, à qui cette idée foit venue. Il est réellement l'inventeur de cette double lunette ; & le premier il en a fait l'effai: il nous affure qu'il a vu les objets beaucoup plus grands, & plus éclairés, c'est-à-dire, comme nous venons de l'expliquer, qu'il les a jugés beaucoup plus près de lui, parce qu'il les avoit vus beaucoup plus éclairés en les regardant avec les deux yeux.

Le P. Cherubin, Capucin d'Orléans, dans fa Dioptrique oculaire, a

beaucoup écrit fur les binocles, & en leur faveur; mais il m'a paru qu'il a plus parié de leurs effets d'après le P. de Rheyta que d'après les propres obfervations, & qu'il s'eft plus occupé de l'art de les conftruire, & de faire aifément mouvoir les oculaires, que d'expériences. La manière dont il s'y prend nous a paru fort ingénieuse.

Mais malgré ce qu'ont pu dire en faveur des binocles ces deux Religieux, les lunettes fimples ont prévalu, foit à caufe de la difficulté de faire les binocles, foit à caufe de l'embarras pour s'en fervir; car il faut convenir qu'il n'eft pas bien facile du premier abord d'appliquer les deux yeux à un long binocle, & de fuivre en même-tems le mouvement d'un aftre. Cet inconvénient eft caufe, fans doute, que Hartfoeker ne paroît · pas approuver les binocles.

Je ne parle pas, dit-il, des lunettes binocles, puifqu'il eft certain que Pembarras qu'elles caufent furpaffe de beaucoup l'utilité que l'on en pourroit espérer par-deffus les autres, & qui dans le fond feroit encore très-peu de chofe.

Mais ce jugement d'Hartfoeker nous a paru très-précipité, en mêmetems qu'injufte, d'autant plus qu'il ne paroît pas qu'Hartfoeker parle d'après les obfervations: il ne dit point en avoir fait l'effai. Nous allons voir qu'un bon binocle peut donner de l'avantage : d'ailleurs, on s'y fait très-aifément ; & au moyen de fupports commodes, qu'on peut imaginer & fe procurer, il eft très-facile de fuivre un aftre, même affez long-tems: j'ofe même affurer que j'ai remarqué que le binocle ne fatigue nullement les yeux. Il femble bien plutôt qu'il foit fait pour les repofer; au lieu qu'une lunette feule les fatigue confidérablement, étant l'un & l'autre dans une espèce d'état de contrainte; le gauche, parce qu'on eft forcé de le tenir continuellement fermé; le droit, parce qu'on eft contraint de le tenir ouvert, & dans une tenfion la plus forte qu'il eft possible; ce que doivent éprouver tous les obfervateurs.

J'ajouterai enfin que les Aftronomes ne doivent point confidérer leurs peines ni leurs aifes; que c'eft la chofe dont ils doivent le moins s'embarrafler vis-à-vis l'objet qu'ils ont en vue.

Ayant réfléchi fur cette idée, j'ai cru appercevoir que les expériences qu'on avoir faires dans le dernier fiècle fur les binocles n'avoient pas été pouffées jufqu'au terme où elles pouvoient l'être; que par conféquent cette idée avoit été abandonnée un peu trop légèrement; je réfolus donc de les réperer il y a quatre à cinq ans: j'ai cru d'ailleurs que c'étoit une expérience philofophique à tenter, de favoir fi on voyoit des deux yeux, c'eft-à-dire, beaucoup mieux qu'avec un feul, & avec une lumière double, comme femblent nous le dire la forme du nerf optique, & la conftruction de nos deux yeux, telles qu'on les trouve dans le Traité de Descartes & celui d'Hartfoeker fur la Dioptrique & la vifion.

C'eft de ces expériences dont je prie cette illuftre affemblée de me

permettre de lui rendre un compte précis & fuccinct en faveur de ceux qui voudroient les répéter, & juger le fait par eux-mêmes.

L'héliomètre de M. Bouguer, tel qu'il l'imagina & le compofa de deux objectifs entiers de douze pieds de foyer chacun, me parut très-propre à remplir mon idée. J'avois entre les mains cet héliomètre depuis la mort de cet illuftre confrère. L'ouverture de ces objectifs etoir de treize fignes, cette proportion ne pouvoit pas excéder celle qui devoit fe trouver entre les deux axes de mon binocle; car il faut que les deux lunettes qui compofent un binocle foient parallèles entr'elles, & que leur diftance refpective foit égale à celle qui fe trouve entre les deux yeux de l'obfervateur.

Je fis donc conftruire deux tuyaux quarrés de douze pieds de longueur, chacun d'un bois fort léger, & je les accouplai au moyen de trois colets également de bois, un à chacun des deux bouts, & le troisième vers le milieu. Je pouvois écarter & rapprocher ces deux tuyaux l'un de l'autre par le moyen d'une vis en fer que contenoit chaque coller, & en appliquant des cartes à jouer entre deux, à l'endroit des collets. Je me propofois bien au refte de perfectionner tout cet aflemblage fi certe première expérience réuffifloit à mon gré j'appliquai enfuite mes obejctifs à ces tuyaux, & me fervis d'oculaires de trois pouces de foyer, Je ne groffitfois avec ces oculaires qu'environ quarante-huit fois, ce qui n'est qu'un très-foible groffiffement; mais M. Bouguer n'avoit employé que le même groffiilement pour fon héliomètre. Pour trouver fans un trop long tâtonnement la distance qu'il devoit y avoir entre les centres de mes objectifs & de mes oculaires, c'est-à-dire, la distance entre les deux axes optiques de mon binocle; plufieurs fois je fis prendre par une perfome fort adroite, avec un compás dont les pointes étoient très fines, la longueur exacte d'un de mes yeux, en les tenant bien ouverts; & fachang la diftance du centre d'un œil au centre de l'autre eft égale à deux fois la longueur d'un des deux, j'arrangeai mes deux tuyaux en conféquence, & je me trouvai tout de fuite au point néceffaire, lorfque je regardai la première fois avec mon binocle. Cette diftance fe trouva d'un peu moins de vingt-huit lignes; mais elle doit varier felon les fujets.

que

Je fus, on ne peut pas plus furpris, en voyant pour la première fois l'effet de cette lunette, même fur les obiets terreftres. Le premier que je regardai fut le dôme du Val-de-Grace qui eft à ma portée, de l'Obfervatoire royal, où j'ai fait les premiers effais de ce binocle: je regardai d'abord cet objet avec chaque lunette féparément pour les mettre leur point; puis avec les deux yeux, & ce fut ici où je bis fingulièrement affecté de la forte impreffion que je reçus en regardant la boule & la croix qui terminent ce dôme: le beau champ de la lunette, la groffeur apparente de l'objet, fa netteté par comparaifon avec ce que je voyois

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