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MÉMOIRE

POUR SERVIR A L'HISTOIRE.

de la RESPIRATION DES POISSONS;

Par M. BROUSSONET.

LA refpiration eft une de ces fonctions effentielles, un moyen d'exif

tence dont la Nature a doué tous les êtres vivans; on en retrouve des traces jufque dans les plantes; mais quoique fon but dans cette fonction importante foit par-tout le même, les moyens qu'elle a mis en œuvre pour le remplir font variés à l'infini,

Parmi les différens ordres d'animaux, il en eft qui ne reçoivent que de l'air dans les organes de la refpiration, d'autres qui n'y font paffer que de l'eau; & cette confidération offre les caractères d'une divifion très-fenfible dans le règne animal.

La différence des organes de la circulation est toujours en raison de celle qu'on obferve dans ceux de la refpiration; l'une & l'autre de ces fonctions fubiffent en quelque forte, dans les différentes claffes d'animaux, une dégénération graduelle: ainfi dans les oiseaux les poumons font très-étendus, ils communiquent à plufieurs cavités particulières, & l'air pénètre dans l'intérieur des os. Le cœur eft divifé en deux ventricules, munis chacun d'une oreillette, & leur fang eft plus chaud que celui des quadrupèdes & des cétacées. Ceux-ci ont les poumons moins étendus, ces parties ne fe portent pas au-delà du thorax; leur cœur, comme dans les premiers, eft divifé en deux ventricules & deux oreillettes, mais leur fang eft moins chaud'; il l'eft cependant beaucoup plus que celui des reptiles & des quadrupèdes ovipares, dont les poumons font membraneux, formés par des efpèces de veffies & garnis de fibres mufculaires ; il n'y circule qu'une petite portion du fang, le refte paffe immédiatement d'un ventricule à l'autre. Les infectes préfentent enfuite des différences plus fenfibles; leur cœur eft membraneux, à peine fufceptible de mouvement; ils ont, au lieu de poumons, des vaisleaux par ticuliers répandus dans différentes parties du corps; leur fang, fi on peut donner ce nom à la liqueur qui paroît en tenir lieu, n'a point acquis ce degré de couleur & de chaleur qui caractérise ce fluide dans les autres animaux. Ici le rapprochement devient fenfible avec les molaffes, les coquillages aquatiques & les crabes, qui refpirent de l'eau comme les poiffons.

Les phyficiens modernes ont donné l'explication des phénomènes de la refpiration; ils ont fait voir d'une manière très-lumineuse, comment l'air vital répandu dans l'atmosphère fe change en air fixe, en fe combinant avec le principe phlogistique, ou la bafe de l'air fourni par le fang.

Il paroît que la refpiration s'exécute d'une manière analogue dans tous les animaux qui refpirent de l'eau, & particulièrement dans les poiffons; mais avant d'entrer dans aucun détail, j'établirai les degrés de reflemblance qu'ont entr'eux les organes qui, dans les animaux de ces deux ordres, concourent également au même but.

que

Les organes de la refpiration dans tous les animaux qui ne respirent de l'air, font placés à l'intérieur : on ne fauroit les appercevoir fans déchirer les parties qui les environnent: les organes analogues à ceuxci dans les animaux qui ne refpirent que de l'eau, font au contraire prefque à découvert; on peut les voir fans détruire aucune partie. Cette différence eft fur-tout remarquable dans quelques quadrupèdes ovipares, dont les organes de la refpiration font placés extérieurement dans le premier période de leur vie, où ils demeurent fous l'eau, & qui destinés enfuite à vivre dans l'air, acquièrent des poumons fitués à l'intérieur. Une autre différence qui dépend de la précédente, eft que plus la respiration, eft parfaite dans les différentes claffes d'animaux, plus les organes en font cachés. Dans les oifeaux, en qui la respiration s'exécute de la manière la plus parfaite, l'air eft porté dans les cavités de la plupart des os, & bien plus à l'intérieur par conféquent que dans les quadrupèdes dont les poumons font plus cachés que ceux des reptiles & des quadrupèdes ovipares qui n'ont point de diaphragme, ou qui n'en ont qu'un très-mince. Les infectes enfin, dans lefquels cette fonction dégénère encore, refpirent par un grand nombre d'ouvertures.

Plufieurs caractères nous montrent que, parmi les animaux qui vivent dans l'eau, les poiffons refpirent d'une manière plus parfaite que les molaffes & les coquillages aquatiques; auffi les organes des premiers font-ils plus cachés que ceux de ces derniers qui les ont le plus fouvent à l'extérieur & entièrement à découvert : c'eft dans ces animaux que paroît s'évanouir totalement cette fonction, & pour l'y reconnoître il faut être guidé par l'analogie.

Les poiffons préfentent, relativement à la conformation des organes de la refpiration, deux grandes divifions, dont l'une comprend les cartilagineux, & l'autre les épineux. Les ouïes des premiers font foutenues fur un arc cartilagineux, elles font plus multipliées que dans les épineux, où ces parties font fupportées par des offelets recourbés, dont le nombre eft rarement au-deffous de quatre, & n'excède jamais ce nombre.

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dans les poiffons épineux, eft renfermé dans un péricarde

qui forme une poche membraneufe attachée poftérieurement au diaphragme. Dans quelques efpèces, & particulièrement dans le loup marin, j'ai obfervé de petites fibres très-déliées, qui unifloient le cour au péricarde. Les poiffons cartilagineux n'ont point, à proprement parler, de péricarde; du moins la membrane qui paroît en tenir lieu n'eft point libre, elle revêt l'intérieur de la poitrine, & elle eft adhérente aux mufcles qui l'entourent. L'ufage du péricarde dans l'homme & dans les quadrupèdes eft, fuivant les anatomiftes, d'empêcher que le cœur ne s'attache aux poumons, & qu'il ne foit comprimé quand ceux-ci font remplis d'air, ou qu'il ne fouffre lorfque les poumons font affectés; il étoit néceffaire que cet organe fût membraneux, d'un tiffu ferré & capable de foutenir le vifcère qu'il renferme, Dans les poiffons au contraire, qui n'ont point ces accidens à craindre, le cœur, dans ceux dont la poitrine eft étroite & formée de parties assez dures, est renfermé dans un péricarde fimple, mince & prefque tranfparent dans ceux au contraire dont la cavité thorachique eft plus confidérable, où ce viscère ne fauroit être gêné par aucune partie, la nature qui a toujours travaillé fur le plan le plus économique, n'a point diftingué le péricarde de la plèvre; une feule membrane qui tapifle l'intérieur de la poitrine, remplit les fonctions de l'un & de l'autre.

La forme du cœur offre de plus grandes variétés dans les différentes efpèces de poiffons, que dans celles des animaux à fang chaud. M. Vicqd'Azyr a fait voir les plus remarquables de ces variétés, dans les mémoires où il a tracé le plan d'une anatomie complète des poiffons. En général, le cœur, dans les espèces de cette claffe, eft proportionnellement à leur corps, plus petit que celui des autres animaux. Dans les oiseaux, par exemple, cet organe eft huit ou neuf fois plus gros qu'il ne l'eft dans les poiffons d'un égal volume. On fait que le cœur d'un homme pèse ordinairement dix-onces, fi le poids total de fon corps eft de cent cinquante livres. Haller a trouvé que dans une carpe du poids de 4920 grains, le cœur ne pefoit que 9 grains. Le poids du cœur de l'homme eft donc deux cents quarante-fept fois plus petit que le poids du corps, tandis que celui de la carpe l'eft cinq cents quarante fix fois. Ce calcul qui vient à l'appui de notre affertion, lui auroit été encore plus favorable fi l'expérience avoit eu lieu fur une carpe moins petite; le cœur, dans tous les animaux, étant toujours plus gros proportionnellement au corps, lorfqu'ils font jeunes. Dans une carpe du poids de 10572 grains, j'ai trouvé que le cœur pefoit 13 grains; elle étoit, comme on le voit, deux fois auffi groffe que celle que Haller avoit pefée; auffi le poids du cœur étoit-il contenu huit-cents foixante-douze fois dans celui de fon corps. Dans plufieurs petits poiffons de la Seine, dont l'un pefoit 66 grains, l'autre 154, & le troisième 203, j'ai vu que le poids du cœur étoit renfermé cent

trente-deux fois dans le premier, cent cinquante-quatre dans le fecond, & cent quatre-vingt-quatre dans le troifième : le cœur, dans le premier, pefoit un grain, dans le fecond un demi-grain, & un grain dans le troisième; ce qui prouve évidemment que plus les poiffons font petits, plus leur coeur eft gros proportionnellement à leur volume.

La férocité des animaux terreftres fuit la même gradation que le volume de leur cœur. Cette loi fe retrouve dans les poiffons. Les cartilagineux, parmi lefquels on compte les chiens de mer, les requins, les raies, &c. qui furpaffent, par leur voracité, les autres poiffons, ont auffi le cœur bien plus volumineux; ce qui eft très-remarquable dans la baudroye, où cette voracité eft fi manifestée par la grandeur de fa gueule & le nombre de fes dents, & dont le cœur est très-gros en proportion du corps. Plufieurs obfervations m'ont confirmé dans cette opinion. J'ai pris un brochet que tout le monde fait être le mieux armé & le plus vorace des poiflons de rivière, comme auffi un des plus agiles; je me fuis procuré une tanche dont la gueule est toujours très-petite, privée de dents, & qui fe tient prefque toujours dans la vafe. Le poids de ces deux individus s'eft trouvé par hasard le même; il fe portoit pour chacun à 5232 grains; mais le cœur du brochet pefoit 6 grains, tandis que celui de la tanche n'en pefoit que 4 : ains dans le plus vorace de ces deux poiffons, le poids du cœur étoit contenu 872 fois dans le poids total de fon corps, & il s'y trouvoit 1308 fois dans celui de la tanche.

J'ai obfervé que dans les poiffons dont les ouies étoient les plus grandes, le cœur étoit auffi le plus gros, toujours proportionnellement à la groffeur du corps: je m'en fuis affuré plus particulièrement fur le hareng; j'en ai pesé un qui m'a donné 1992 grains pour poids total: fon cœur étoit de 3 grains qui équivaloient à la 664me partie de fon corps. Un merlan, dont les ouïes font beaucoup moins étendues, & préfentent une ouverture affez petite, m'a fourni un résultat bien différent; fon corps pefoit 2004 grains, & fon cœur feulement I grain; ce vifcère n'étoit donc que la 1202.me partie de fon corps, & étoit conféquemment prefque moitié plus petit que celui du hareng.

Les poiffons qui fe tiennent dans la vafe, qui font peu de mouvemens, dont la chair eft plus molle, plus remplie de gluten, ont le cœur très-petit. Celui d'une limande, dont le corps entier pefoit 2844 grains, n'en pefoit que deux; ce qui fait voir que le poids de ce vifcère étoit contenu quatorze cents vingt-deux fois dans celui de fon corps. Nonfeulement cet organe eft plus petit dans les poiffons de cette claffe que dans les autres, mais il eft encore moins irritable; la quantité du fang eft auffi moindre dans ceux-ci. J'ai féparé en même-tems du corps d'une anguille & de celui d'un brochet, le cœur qui, dans le premier, a donné peu de fignes d'irritabilité lorsque je l'ai piqué; celui du bro

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chet au contraire en a donné beaucoup & long-tems après que fon corps ne manifeftoit plus aucun figne de vie : ce qui a eu lieu en fens contraire dans l'anguille qui remuoit encore avec affez de force, quoique fon cœur, que j'irritois avec la pointe du fcalpel, ne donnât plus la moindre marque d'irritabilité.

La fituation du cœur dans les poiffons n'eft pas la même que dans l'homme, ce vifcère occupe dans les premiers le milieu de leur poitrine. Comme fon ufage fe borne ici à transmettre le fang aux ouïes, & que ce fluide y eft porté par une feule artère, une pofition au moyen de laquelle il eft également éloigné des ouïes de chaque côté, ef fans doute la plus avantageufe.

Les oreillettes dans l'homme font fituées à la partie fupérieure du cœur; dans les poiffons l'oreillette eft placée en fens contraire, la base du cœur touche le diaphragme & la pointe eft tournée vers la tête. Cette différence dépend fans doute de celle qu'on obferve dans le trajet que fuit le fang, dont la plus grande partie, dans les poiffons, eft rapportée au cœur des parties poftérieures du corps, tandis que dans l'homme une portion confidérable eft renvoyée au cœur des parties fupérieures. L'oreillette eft fituée un peu fur la gauche; le fang lui eft fourni par un finus particulier, formé par la réunion de plufieurs-veines. Ce finus eft beaucoup plus volumineux que l'oreillette : la communication entre ces deux cavités eft fermée en partie par des valvules, Quelques auteurs ont regardé ce finus comme une feconde oreillette (a); il en a du moins l'apparence. Duverney qui le premier a difféqué ces parties avec foin, a détaillé l'ufage de ce finus veineux qu'on retrouve dans les reptiles & les quadrupèdes ovipares. Le fang eft pouflé de cette cavité dans l'oreillette, par la contraction du diaphragme que j'ai toujours vu garni de fibres mufculaires dans un très-grand nombre d'efpèces. Il adhère comme dans l'homme au péricarde; fon ufage eft cependant ici bien différent. Les anatomiftes ont cru dans le premier cas, devoir attribuer cette adhésion à la preffion continuelle du cœur fur le diaphragme, & que la fituation droite de l'homme rend néceffaire. Leur fentiment étoit confirmé par l'obfervation contraire qui avoit été faite fur les quadrupèdes, où cette adhérence n'a prefque pas lieu, parce que, difent ces auteurs, le corps des quadrupèdes eft dans une fituation horizontale; mais l'adhérence du péricarde au diaphragme a lieu far les poiffons, ce qui démontre l'infuffifance de cette explication.

Les anatomiftes ont comparé avec raifon la feule oreillette & le feul ventricule qui conftituent le cœur des poiffons, à l'oreillette droite & au ventricule droit dans l'homme; comme ceux-ci ils font destinés à recevoir le fang des veines-caves : ils ont cependant tous donné le nom d'aorte ou d'aorte afcendante, à la feule artère deftinée à porter

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