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OBSERVATIONS

Sur un nouveau Feld-fpath, trouvé au Port des François fur la côte du nord-oueft de l'Amérique, & fon analyfe; Par M. l'Abbé MONGEZ, Chanoine Régulier de Sainte-Geneviève.

PLUS On

LUS on étudie la nature dans les montagnes & les roc hes anciennes, ces riches dépôts de fes merveilles, & plus elle offre au curieux des variétés dans les différentes fubftances dont elle les a com pofés. Il en est peu dont la forme change autant que celle du feld-fpath, l'on peut même dire que dans tous les pays où cette pierre eft abondante& en cristaux ifolés, on la rencontre fous une forme particulière qui femble la diftinguer de celle d'un autre pays.

C'eft ainfi qu'en Auvergne M. de Sauffure a trouvé le feld-fpath en prifme quadrangulaire rectangulaire, coupé obliquement par fes extré mités; le P. Pini, fur la montagne de Baveno, en prifme exaëdre régulier, mais un peu comprimé, terminé par deux plans exagones, & les nombreuses variétés de cette forme produites par fes différentes troncatures; M. Beffon fur le Saint-Gothard, en prifme hexaëdre tellement applati & court qu'il femble avoir entièrement difparu & ne préfenter que des fommets dièdres. Je ne ferai que citer la forme du prisme térraëdre rectangulaire terminé par des fommets tétraëdres qui eft la plus générale dans les feld fpaths de Bretagne, & celle du prifme décaëdre inéquilatéral, terminé par deux fommets hexaëdres à faces très inégales que M. Paffinge a trouvés fur la montagne de Tarare & dans les environs de Roanne.

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C'est d'après un très-grand nombre d'échantillons de ces différens pays que M. Romé de Lifle a fuivi avec autant d'exactitude que de fagacité les nombreufes variétés qui dérivent de ces formes principales. Ce favant Naturalifte eft même remonté jufqu'à celle qu'il regarde comme primitive, un prifme rhomboïdal de 65° & de 115°, terminé par deux plans perpendiculaires à fon axe.

Parmi les échantillons de tous les débris & de toutes les roches dont le rivage du Port des François eft environné de toutes parts, & dont j'ai fait une collection auffi complette que l'a permis le peu de tems que nous fommes reftés au mouillage de l'île du Cénotaphe & dont le malheur le plus affreux nous a arrachés, j'ai rencontré des cristaux de feld-spath d'autant plus intéreffans qu'ils font abfolument nouveaux pour la forme,

la couleur & la nature. Leur forme d'un octaëdre rectangulaire à pyramides applaties, les variétés qui en dépendent, leur fragilité extrême, en un mot, le peu de rapport que je leur trouvois avec les cristaux pierreux connus m'empêchèrent de foupçonner d'abord qu'ils fuffent des cristaux de feld-fpath, & m'engagèrent à en faire l'analyse. Cette analyse, aussi complette qu'il eft poffible de la faire fur un vaiffeau au milieu des roulis & des tangages perpétuels, a fuffi cependant pour me faire reconnoître un véritable feld-fpath.

Defcription.

Ces criftaux, qui ont quelquefois jufqu'à cinq lignes de long fur trois de large, mais plus ordinairement équilatéraux, font d'une belle couleur jaune citrine. Je ne les ai rencontrés que dans un feul bloc de quartz trèsblanc, parfemé de lames de feld-fpath blanc brillant & de quelques aiguilles informes de fchorl d'un verd noirâtre. Ils font tellement engagés qu'il eft très-difficile de les obtenir ifolés fans les endommager & le plus fouvent les caffer, d'autant plus que le quartz eft très-dur & ces cristaux très-caffans.

Il paroît qu'ils étoient tout formés avant d'avoir été enchatonnés dans la maffe de quartz, puifque lorfqu'on les détache on voit des deux côtés leur forme exactement imprimée dans le quartz; ou du moins, que s'ils ne font pas de beaucoup antérieurs, ils ont criftallifé dans le tems même que la matière quartzeule en diffolution paffoit à l'état de prompt defséchement. Il en eft fans doute de même de tous les criftaux réguliers que l'on trouve dans les roches mélangées.

Une observation fingulière, c'est que ces cristaux jaunes ne font moulés que dans la matière quartzeufe & jamais dans celle du feld-fpath blanc, quelqu'abondante qu'elle foit. Ce dernier n'y eft qu'en lames ou feuillets & non en cristaux réguliers comme dans les granits ordinaires & certains porphyres.

Les petits criftaux jaunes de feld-fpath jouiffent d'une demi-transparence fur-tout vers les bords. Leur intérieur paroît feuilleté, ou plutôt étonné dans tous les fens ; de manière que les différens brisemens que la lumière éprouve en les traversant, donnent à la couleur jaune des tons trèsvariés d'intensité, & la font paroître plus foncée dans certains endroits que dans d'autres. Ces différentes réflexions & réfractions lui prêtent encore un coup-d'œil micacé & augmentent fon chatoiement. En général, la furface de tous les plans eft parfaitement liffe & polie.

Analyfe.

J'ai effayé de frotter plufieurs morceaux les uns contre les autres pour effayers'ils développeroient cette odeur propre au feld-fpath que tour Naturalifte exercé reconnoît facilement; mais cette fubftance étoit trop fragile,

& l'expérience ne m'a pas réuffi: les morceaux fe froiffoient, fe brifoient avant que de s'ufer affez pour donner de l'odeur.

On penfe bien qu'il m'a été abfolument impoffible d'effayer s'ils étoient fcintillans fous le briquet.

Ecrafés fur le tas d'acier, ces criftaux jaunes n'ont donné qu'une pouffière d'un gris fale; à peine diftinguoit-on une légère nuance jaune.

Non-feulement les trois acides minéraux & l'eau régale n'attaquent point cette fubftance à froid, mais bouillans ils ont très-peu d'action fur elle. L'acide marin m'a paru avoir agi le plus efficacement; au moins ai-je remarqué que les morceaux, que j'y avois tenus en digeftion pendant près d'une demi-heure, avoient perdu leur poli; ce qui n'étoit pas arrivé dans les autres acides. Dans tous la couleur étoit reftée la même, & les menftrues ne s'étoient nullement colorés. La diffolution par l'acide vitriolique a laiffé précipiter par l'alkali fixe des indices d'alun, ce qui annonceroit que ce menftrue auroit auffi un peu agi fur la terre argileuse qui fe trouve toujours dans le feld-spath (1).

L'analyfe par voie sèche ou au feu du chalumeau a été beaucoup plus fatisfaifante & inftructive.

Au premier coup de feu la couleur jaune a été altérée & elle a paffé au rouge, à-peu-près comme l'ochre jaune devient rouge au feu ; ce qui me feroit croire que c'eft à une chaux de fer que ces cristaux de feld-fpath doivent leur couleur jaune ; & comme la couleur rouge eft égale par-tour, cela confirme l'explication que j'ai donnée plus haut des différens tons de la couleur jaune.

Ce feld-fpath ne décrépite pas au feu. Le P. Pini avoit fait de la décrépitation un caractère diftinctif du feld-spath criftallifé, dans sa Differtation fur les feld-fpaths de Baveno, & Vallerius au contraire dit dans fa Minéralogie qu'il ne décrépite point. Je crois ces deux affertions trop générales, & même auffi le fentiment de M. Romé de Lifle dans fa Criftallographie qui penfe que la propriété de décrépiter au feu appartient au feld fpath criftallifé feulement, & non au feld-fpath en maffe non criftallifé. Dans les effais que j'ai faits d'un très-grand nombre de criftaux de feld-fpath de différens pays, j'en ai trouvé beaucoup de cristallifés qui ne décrépitoient point, & je les citerois ici, fi j'avois les notes que j'ai laiffées à Paris. Quelle que foit la caufe de cette décrépitation, que ce foit l'eau de criftallifation, ou l'air interpofé entre les lames, ou la préfence d'un acide comme le penfoit le P. Pini, il eft conftant que ce n'eft pas un caractère abfolu & diftinctif, & que celui du Port des François, comme beaucoup d'autres, en eft abfolument privé.

(1) Cent parties de feld-fpath blanc contiennent environ foixante-fept de terre filiceufe, quatorze de terre argileufe, onze de terre pefante, & huit de magnésie. Voy. Minér. de Kirwan, pag. 127 de la traduction françoise.

Le feld-fpath attaqué par la flamme du chalumeau devient plus léger & volage fur le charbon. Je foudois donc un morceau de ces criftaux fur un petit tube de verre; & dirigeant fur lui le cone bleu de la flamme, je le vis fondre au bout de quelques fecondes, en fe bourfoufflant & formant des bulles qui s'entr'ouvroient & éclatoient à la furface comme des bulles d'eau. J'ai obtenu un verre jaunâtre d'une tranfparence à-peu-près femblable à celle du criftal. Ce verre étoit piqueté d'une infinité de foufflures & de bulles qui en altéroient encore la tranfparence.

On fait que cette fufion par elle-même & fans flux eft un des caractères diftinctif du feld-fpath; le verre plus ou moins tranfparent qu'il forme, le diftingue fuffifamment des fchorls, des roches de corne & des productions volcaniques qui fe fondent d'elles-mêmes au chalumeau, mais donnent un verre opaque.

Traités avec l'alkali fixe minéral, ils fe diffolvent difficilement, quoiqu'ils s'y divifent d'abord avec beaucoup d'effervefcence. Si on les tient long-tems dans ce flux & qu'on jette dans l'eau le globule d'alkali fixe, il fe diffout, & l'on voit fe précipiter au fond une portion de ces petits criftaux, mais dont la couleur a totalement difparu, parce que la portion ferrugineuse a été altérée par ce flux.

Le borax s'empare de cette fubftance avec vivacité, & la fond entièrement affez vite. Le verre produit eft de couleur un peu terne, mais brillant & très-transparent.

Le fel microcofmique fe comporte de même, à la vérité moins promptement, & fon verre tranfparent a une couleur jaune-rougeâtre.

Cette analyfe, quoiqu'en petit, a trop de conformité avec l'analyse en grand que différens Chimiftes ont faite du feld-fpath, & que j'ai répétée vingt fois au chalumeau, pour que l'on méconnoiffe cette fubftance dans les cristaux jaunes dont il eft ici queftion. Sa forme criftalline semble cependant les en éloigner, ou du moins les différencier de tous les criftaux de feld-fpath connus ou décrits jufqu'à préfent; tant il est vrai que pour déterminer des fubftances nouvelles, lorfque l'on cherche une certitude & une évidence complette, il faut avoir recours abfolument aux expériences & à l'analyse.

Peut-être un Cristallographe ingénieux reconnoîtra-t-il dans la forme des criftaux jaunes de feld-fpath du Port des François la forme primitive, le prifme quadrangulaire rectangulaire coupé obliquement par les côtés. J'ajouterai même ici que très-fouvent en voulant détacher quelques-uns de ces criftaux de leur gangue, les fragmens qui fe brifoient prenoient cette forme, comme les fragmens du fpath calcaire prennent celle d'un Thombe plus ou moins bien prononcé.

Au refte, voici les différentes variétés que j'ai obfervées dans ces

criftaux.

N°. 1. Octaëdre rectangulaire à pyramides applaties, composé de huît

A

faces triangulaires. La fig. 9 montre un de ces criftaux ifolé & de groffeur naturelle vu en face. La fig. 10 montre ce même cristal vu en dessus pour mieux juger les formes des faces des pyramides.

N°. 2. Le même à pyramides applaties, qui, ayant chacune deux faces oppofées plus larges que les deux autres, par cet alongement offrent quatre trapèzes & quatre triangles ifocèles, fig. 11.

No. 3. J'ai trouvé ces deux variétés réunies dans une seule, c'est-àdire, qu'une des pyramides étoit compofée de quatre faces triangulaires, & l'autre de deux trapèzes & de deux triangles.

No. 4. Le même que le N°. 2, excepté qu'un des fommets d'un triangle eft tronqué, ce qui donne une pyramide pentaëdre compofée de deux faces pentagones oppofées, de deux faces triangulaires, l'une grande & l'autre petite pareillement oppofées, & d'un trapèze au-deffous de la petite face triangulaire, fig. 12.

No. 5. Le même dont une des pyramides eft rendue hexaëdre par la troncature des fommets des deux triangles ifocèles ; ce qui lui donne alors deux faces hexagones oppofées, deux petites faces triangulaires & deux trapèzes.

Dans le N°. 1, que je regarde comme la base dont tous les autres découlent, j'ai cherché à mesurer la valeur des angles que les plans font entr'eux, & j'ai trouvé que les triangles étant inclinés de 15° formoient à la bafe des pyramides un angle de 30°, & par conféquent à leur fommet un de 150°. Lorsque le cristal s'allonge dans le fens de la base des pyramides, deux faces triangulaires oppofées prennent la forme de trapèzes, (fig. 11, 12, 13). Mais alors je ne me fuis pas apperçu que l'inclinaison des angles variât.

Je laiffe aux favans Criftallographes à décider fi la forme du N°. 1, l'octaedre rectangulaire à pyramides applatties, n'eft pas la véritable forme primitive de la criftallifation du feld-fpath, & fi toutes les formes variées des criftaux de cette fubftance décrits jufqu'à préfent n'en dérivent pas néceffairement.

A bord de la Bouffole, le 28 Décembre 1787, devant les îles Bashi en
Afie.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.
AN Effay on Phlogiston, &c. C'est-à-dire, Essai fur le Phlogislique
& la conflitution des Acides; par M. KIRWAN. A Londres, chez
Elmfly, au Strand; & à Paris, chez Barrois, quai des Augustins.
Ce Journal eft plein d'excellens Mémoires de M. Kirwan. Nos Lecteurs

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