Page images
PDF
EPUB

MÉMOIRE

Sur la Fonderie & les Forges Royales établies au Creufot, près Mont Cenis en Bourgogne, pour fondre la mine de fer & affiner la fonte avec du charbon de terre, par le moyen des machines à feu, & fur la Manufaãure des Cristaux de la Reine, tranférée au même lieu `;

Par M. DE LA MÉTHERIE.

LES mines de charbon qui fe trouvent au Creufot, près Mont Cenis, font des plus riches, & quelques filons paroiffent avoir jufqu'à foixante pieds de puiffance. Ce charbon eft de la meilleure qualité. Il contient très-peu de pyrites, & par conféquent très-peu de foufre.

On trouve auffi dans le voifinage des mines de fer très-abondantes, & les fets qu'on en a retirés font d'une très-bonne qualité.

Tous ces avantages réunis engagèrent le Gouvernement à établir au Creufot une fonderie pour couler des canons, des tuyaux de conduite

d'eau, &c.

Mais n'ayant point l'eau néceffaire pour faire aller les foufflets & les marteaux, &c, on fongea à y fuppléer par les machines à feu, comme on le pratique en Angleterre.

Les Anglois commencèrent il y a environ trente ans, à faire des effais pour fondre la mine de fer avec du coack (charbon de terre défoufré). Ces expériences ayant réuffi, le procédé fé répandit bientôt dans toute la Grande-Bretagne. Mais les fourneaux étant fitués fur des cours d'eau plus ou moins éloignés des mines de charbon, le tranfport de cette matière première occafionnoit des frais qui diminuoient beaucoup l'utilité de la découverte, & fon avantage se bornoit à l'économie du bois, dont la difette commençoit à fe faire fentir en Angleterre. Cependant plufieurs Maîtres de forges-ayant trouvé de petits étangs à portée des mines, établirent des machines à feu qui remontoient l'eau fur des roues qui faifoient mouvoir les foufflets. Cette eau retomboit par les roues dans des réservoirs, d'où les machines la remontoient fur les mêmes roues. On produifoit ainfi un affez grand effet avec très-peu d'eau, & il n'y avoit d'autre déchet que celui de l'évaporation.

On chercha bientôt les moyens d'appliquer plus directement la puissance motrice afin d'en obtenir tout l'effet poffible. Au lieu d'afpirer

& refouler l'eau qui faifoit mouvoir les roues des foufflets, on imagina d'afpirer & de refouler l'air même. La machine à feu foufflante que Ton emploie pour cet objet dans beaucoup de fourneaux en Angleterre, & dont on fe fert à préfent à Mont Cénis, n'eft autre chofe qu'un grand foufflet mu par la vapeur, tandis qu'il l'eft par le poids de l'eau dans les ufines fituées fur des courans d'eau, c'eft-à-dire, que le tuyau de pompe qui dans les machines à feu ordinaires plonge dans l'eau, l'afpire & la refoule, dans celles-ci n'afpire que de l'air, qui enfuite refoulé eft conduit où l'on veut par des tuyaux de fer. On imagina quelque tems après de faire mouvoir les gros marteaux également par l'application directe de la puiffance de la machine à feu, ainfi qu'on le dira plus bas.

L'on a réuni au Creufot toutes ces inventions utiles, qui font aller deux grandes forges & quatre hauts fourneaux. Deux de ces fourneaux font placés dans une grande halle, & les deux autres dans deux halles latérales. La grande halle contient encore quatre fours à réverbère deftinés à refondre la fonte pour couler des canons, des cylindres ou tuyaux pour conduire les eaux, &c. Dans cette même halle font deux étuves pour recuire les moules, une grande foffe où l'on place ces moules, & plufieurs grues au moyen defquelles on manœuvre les modèles & chaflis fervant au moulage, ainsi que les moules que l'on place dans la foffe & qu'on

en retire.

Entre les deux fourneaux eft une machine foufflante. Je ne pourrai la décrire qu'à l'aide de beaucoup de planches. Je me bornerai donc à dire qu'à l'extrémité du balancier oppofé à celle du cylindre à vapeurs pend la tringle d'un piston mu dans un cylindre de fix pieds de diamètre. Ce pifton par le mouvement du balancier afpire & refoule l'air qui paffe par des tuyaux dans deux cylindres à peu-près égaux en diamètre au cylindre travaillant. Ces cylindres portent chacun un piston chargé d'un poids de huit à dix milliers qui comprime l'air. Lorfqu'il y a peu d'air, ils defcendent ; & quand il y en a beaucoup, ils montent. Cette compreffion rend continuel le fouffle, qui fans cela feroit interrompu à chaque coup de piston. C'est par cette raifon que l'on nomme ces cylindres régulateurs. L'air paffe des régulateurs par des tuyaux de fonte aux tuyaux des hauts fourneaux. La machine foufflante peut donner trois mille pieds cubes d'air par minutes, en donnant feulement quinze coups de pifton.

Les deux cylindres régulateurs portent des tubulures auxquelles on a adapté des tuyaux de conduite par où l'air fe rend aux tuyères des deux hauts fourneaux fitués dans les halles latérales.

Une feconde machine foufflante eft établie dans l'une des forges, & l'on en conftruit une troisième pour l'autre forge. Ces trois machines fourniront tout l'air néceffaire au foufflage de quatre hauts fourneaux; & de feize affineries de forge. L'affinage du fer exigeant que le fouffle foic gradue, on y parvient dans les forges ordinaires par le moyen de la palle

que l'on monte ou que l'on baiffe pour donner plus ou moins d'eau à la roue. On remplit cet objet aux forges du Creufor par un robinet placé fur le tuyau de conduite d'air que l'on ouvre plus ou moins, fuivant le besoin d'air qu'a l'affinerie,

Il y a huit affineries dans chacune des deux forges.

La machine qui fait mouvoir les marteaux eft compofée comme la précédente d'un cylindre à vapeurs & d'une chaudière. Mais à l'extrémité du balancier oppofée à celle du cylindre, il y a un tirant de fer fort pefant qui tient le bouton de deux manivelles. Ces manivelles fout fixées aux axes de deux arbres tournans qui portent les cames qui font mouvoir les marteaux : & comme la puiffance de la machine eft alternative, & que la résistance du marteau n'eft pas uniforme, on a placé sur ces arbres Cournans des volans de vingt pieds de diamètre en fonte, dont le poids confidérable égalife la puiflance de la machine, ainfi que la résistance.

Cette machine fait mouvoir deux marteaux de fept à huit cens livres qui frappent cent vingt coups par minutes, & deux martinets qui donnent deux cens quarante coups. On peut augmenter ou diminuer inftantané ment la vîtelle de cette machine, en lui faifant donner plus ou moins de coups de piston, fuiyant les circonftances. On peut même l'arrêter à l'inftant où cela eft néceffaire; & les moyens qu'on emploie pour graduer le mouvement des marteaux mus par la machine à feu, font auffi faciles & aulli certains que ceux dont on fe fert dans les forges allant par le cours

de l'eau,

Les quatre hauts fourneaux peuvent produire par an chacun deux millions cinq cens milliers de fonte, & ensemble dix millions. Une partie de cette fonte fera employée en canons, cylindres, tuyaux & autres objets de commerce. Le furplus fera affiné & converti en fer forgé,

Les fourneaux & les forges font fitués à trois à quatre cens toiles des puits d'extraction du charbon. Ce combustible eft tranfporté de la mine fur une plate-forme dans des chariots qui roulent fur des chemins de fer. Pour les conftruire, on commence par approprier le terrein de manière à donner une pente de quatre à fix lignes par toifes. La pente eft inclinée des puits à la fonderie, afin que les chariots defcendent toujours à charge, & montent quand ils font vuides. Sur ce terrein ainfi préparé on pofe de trois pieds en trois pieds des traverfines fur lefquelles on cloue avec des chevilles de bois des longuerines. Ces longuerines font efpacées d'un intervalle égal à la voie du chariot. A mefure que les hauts fourneaux fourniffent de la fonte, on pofe fur les longuerines de bois des barreaux de fonte de fer, ce qui diminue le frottement, & rend les chemins plus folides. La plus grande partie de ces chemins de fer est déjà faite.

Le chariot confifte dans une platte-forme fur laquelle est aslujétie une aiffe où l'on met le charbon. Les roues font de fonte de fer, & chaque roue a fon effieu. Ce chariot roulant fur une furface parfaitement unie,

& formée fur un plan incliné, un cheval, qui dans un terrein ordinaire traîne avec peine un millier ou douze cens pefant, eft capable de conduire cinq milliers pefant. Il en résulte une économie de quatre cinquièmes dans les frais de transport.

Le charbon fe défoufre fur la platte-forme que les chemins de fer traversent. Cette platte-forme eft à-peu-près au niveau des gueulards des hauts fourneaux, c'eft-à-dire, de leurs ouvertures fupérieures par lefquelles on jette le charbon & la mine. Sur cette platte-forme eft un réservoir où la pompe à feu foufflante monte toute l'eau nécessaire au défoufrement.

On fuit pour le défoufrement à-peu-près le même procédé que pour le charbonnage du bois. On amoncèle circulairement cinq ou fix milliers de charbon de terre en morceaux, dont le plus petit doit être au moins gros comme un œuf. On pratique au milieu une cheminée où l'on met le feu. Il gagne du centre à la circonférence, & à mefure que l'on juge le charbon fuffifamment défoufré, on étouffe ce feu dans les parties qui en font fufceptibles en y jettant des efcarbilles ou pouffières de charbon. Le charbon ainfi féparé de fon bitume & de la petite quantité de foufre que les pyrites peuvent y fournir, fe nomme coack en anglois, & eft propre à la fufion des mines de fer. Ces détails prouvent que le mot charbon de terre eft très-impropre, & doit induire en erreur les perfonnes peu verfées en Hiftoire-Naturelle. Le charbon de terre n'eft pas plus charbon que le bois. Pour réduire l'un & l'autre à l'état charbonneux il faut les priver d'une partie de leurs fubftances. Dans le bois c'eft l'huile & l'eau dans le charbon de terre c'eft principalement le bitume & la partie fulfureufe qui eft quelquefois mêlée au charbon; c'eft enfin une efpèce de diftillation dont le réfidu eft le coack, d'après les mêmes principes que le bois fe convertit en charbon. Il y a pour l'une & l'autre converfion quelques différences de procédé, comme il y a des différences dans la nature des corps qu'on veut charbonner.

La mine de fer qu'on emploie au Creufor eft de bonne qualité. Son analyse par les acides a donné 0,50 parties de terre calcaire 0,20 parties de terre argileufe martiale, & 0,30 parties de fer. Elle eft fous la forme de oolites.

[ocr errors]

Le procédé de la fufion des mines au coack diffère peu de celui qu'on fuit pour les fondre avec le charbon de bois. En général on obtient une fonte, & meilleure & en plus grande quantité, lorfque les fourneaux ont plus de capacité, & que le feu eft plus vif, foit par la nature du combuftible, foit par l'effet des foufflets.

Les fourneaux au charbon de bois ont rarement plus de vingt pieds de hauteur. Ceux de Mont Cénis ont 39 pieds, & leurs autres dimenfions font proportionnées à cette hauteur. D'un autre côté le coack fournit beaucoup plus de chaleur à volume égal, que le

[ocr errors]

charbon de bois & enfin chaque machine foufflante de Mont Cénis peut donner 3000 pieds cubes d'air par minute. Les trois machines fourniront donc 9000 pieds cubes pour quatre hauts fourneaux & feize affineries. Comme l'expérience a prouvé que quatre affineries confommoient l'air néceffaire pour un fourneau, on peut fuppofer que les trois machines ayant un produit de 9000 pieds cubes, alimenteroient neuf fourneaux de mille pieds cubes d'air chacun pendant une minute : & les plus forts foufflers de fourneau en France ne fourniffent pas 500 pieds cubes d'air dans le même efpace de tems. Ainfi l'agent qui entretient la combuftion des fourneaux de Mont Cénis produira un effet plus que double de celui des autres fourneaux.

On peut conclure qu'une plus grande capacité des fourneaux, une quantité d'air plus confidérable, & un combuftible plus actif doivent augmenter l'intenfité de la chaleur : & comme on ne peut douter que c'eft de cette intenfité que dépend le plus ou moins de qualité de la fonte ou du fer, on doit attribuer à cette caufe feule & le plus grand produit & la meilleure qualité de fer que l'on ob. tient par le procédé qui fe pratique au Creufot.

Si la fufion des mines de fer au coack diffère très-peu de celle des mines au charbon de bois, il n'en est pas de même de l'affinage de la fonte en fer forgé.

Dans le procédé qu'on a fuivi jufqu'à préfent en France, la fonte placée au contrevent, commence par rougir, fe fond enfuite & tombe dans le creufet d'affinerie qui eft rempli de fcories. L'ouvrier remue cette fonte avec le ringart, & cette manipulation, ainfi que le contact des fcories, font prendre à la fonte une confiftance pâteufe. Enfuite le forgeron la paffe au vent où elle doit être épurée à la plus grande chaleur. Il pétrit ensemble avec ce même ringart les différens morceaux qu'il réunit au-deffous de la tuyère. Lorfque la loupe eft formée, il la tire du creufet, & la porte au marteau où il la cingle, c'est-à-dire, qu'il en forme une espèce de parallélipipèdes du poids de 60 à 80 livres, que l'on étire enfuite en barres par des chaudes fucceffives.

Dans le procédé anglois la fonte portée aux affineries y eft travaillée dans le vent par l'ouvrier comme dans la méthode qu'on vient de décrire. Mais au lieu d'en pétrir les morceaux & de les raffembler en une feule loupe, on les porte féparément fous le marteau, à mesure que l'on les juge affinés. Ces morceaux du poids de cinq ou fix livres plus ou moins, ainfi battus, fe nomment plaquettes. On les tranfporte dans un magasin.

La percuffion du marteau détache auffi de ces plaquettes plufieurs petits morceaux, & en réduit même le pourtour en pouffière. Ces

morceaux

« PreviousContinue »