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chaque jour davantage, ne pouvait durer; et l'heure était venue pour la nation d'exercer son droit de légitime défense. « Il faut, <«< disait le député Isnard, un dénouement à la Révolution francaise.» L'Assemblée nationale, au sein de laquelle venait de toute part l'expression aiguë des angoisses populaires, releva résolument le double défi de la contre-Révolution.

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Contre les ennemis de l'intérieur, contre la faction cléricale et le roi dévôt qui en était l'âme, elle rendit, le 29 novembre, un décret qui imposait aux prêtres, dans le délai de huit jours, la prestation du serment civique, sous peine, pour les réfractaires, d'être tenus comme suspects et soumis à la surveillance des autorités.

Le 19 décembre, le roi répondait à cet acte vigoureux des représentants du peuple en opposant son veto au décret.

Plus d'équivoque désormais le Roi était avec les prêtres contre la nation; et Vergniaud avait le droit, dans sa célèbre harangue du 18. mars, de dénoncer la trahison par cette superbe apostrophe: «< De cette tribune on voit le palais où se << tramé la contre-Révolution, où l'on prépare les manœuvres «qui doivent nous livrer à l'Autriche... Le jour est venu où « Vous pouvez mettre un terme à tant d'audace et confondre les « conspirateurs. L'épouvante et la terreur sont souvent sorties « de ce palais, dans les temps antiques, au nom du despotisme; qu'elles y rentrent aujourd'hui au nom de la loi. »

Le courant d'opinion déterminé par ce fier langage fut irrésistible. La cour elle-même dut plier; et, fin mars, le ministère Narbonne était remplacé par le ministère de la Gironde.

La coalition des rois, invoquée par la cour, avait mis deux ans à se préparer à l'action. Ses fréquentes menaces avaient irrité la susceptibilité du peuple qui n'avait pas prêté légèrement le serment de vivre libre ou mourir; et Louis XVI pouvait croire que le moment était venu, pour les alliés, de frapper le grand coup d'où sortirait la restauration du pouvoir absolu.

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Le 20 avril, le roi, accompagné du ministre Dumouriez, se rend à l'Assemblée, et exprime l'avis que la France a le devoir et le droit, en face des démonstrations hostiles de l'Autriche, de se regarder comme en état de guerre avec cette puissance.

Le roi déclare adopter cette détermination conforme au vœu de l'Assemblée.

La délibération ne fut pas longue: « Quoi! s'écria Aubert« Dubayet, l'étranger a l'audace de prétendre nous donner un << gouvernement? Votons la guerre. Dussions-nous tous périr, « le dernier de nous prononcerait le décret... » « Oui, ajoute << Merlin de Thionville, votons la 'guerre aux rois et la paix aux << nations. » La guerre à l'Autriche fut décrétée à l'unanimité, moins sept voix.

Forcé de déclarer la guerre, le roi espérait bien la conduire : il comptait sur les généraux dévoués à sa cause, sur les défections, sur les rivalités des chefs: il ne voyait pas ce chef invisible, l'âme de la France, l'amour de la Patrie, qui allaient susciter de la tendresse même de notre génie national la plus héroïque et la plus généreuse tradition dont l'histoire conservera le souvenir. Encore cinq mois, et le grand champion du droit et de la liberté aura fait briller des éclairs inconnus de l'épée nouvelle de la France transfigurée par la Révolution, et nous aurons Valmy.

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Mais l'Assemblée surveillait bien la conspiration de la cour à l'intérieur elle décrétait le 29 mai le licenciement de la garde constitutionnelle du roi, composée de gentilshommes et de bretteurs dévoués à la cour, et son remplacement par la garde nationale dans le service des Tuileries. D'autre part, l'audace des prêtres, secrètement mais énergiquement soutenue par la cour, avait recours aux plus atroces excitations : « En attendant « la Vendée, dit Michelet, le clergé faisait déjà à la Révolution « une guerre qui suffisait pour la faire mourir de faim. Il ajou« tait au Credo un nouvel article: « Qui paye l'impôt est

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« damné. » Avec ce simple mot, le prêtre, sans bouger, paraly<< sait l'action du gouvernement, tranchait le nerf de la guerre, << livrait la France à l'ennemi. »

C'est en face de cette redoutable agression dénoncée dès avril par 42 départements, que Vergniaud (27 mai) proposa à l'Assemblée de décréter la déportation des prêtres rebelles. Le décret fut voté. Le roi refusa la sanction.

Les événements se précipitent; on sent bien que le moment · du grand duel est proche, et que c'est à Paris que va se livrer la grande, la décisive bataille entre les conspirateurs de la cour et la nation.

Il faut donc y appeler celle-ci, et le 4 juin, le ministre de la guerre Servan propose de former d'urgence, au nord de Paris, un camp de vingt mille hommes. « La loi veut, dit-il, que le « 14 juillet de chaque année, les gardes nationales s'assemblent << pour prêter le serment civique; ce que l'on a fait pour la <«< liberté naissante, que ne le fait-on pas pour la perpétuer! <<< Pourquoi ne sollicitez-vous pas de chaque canton cinq fédérés, « vêtus et équipés, qui se réuniraient, au 14 juillet, à Paris, << pour former ensuite un camp de vingt mille hommes au nord « de la capitale?

<< La présence de ce camp assurerait la tranquillité dans les «< campagnes au moment de la motion, vous pouvez faire << marcher à l'armée les volontaires nationaux et les troupes de « ligne qui sont à Paris et dans les environs; enfin ce serait << avec ces braves députés que nous viendrions jurer entre vos << mains de défendre notre liberté jusqu'à la mort. » Dans sa séance du 8, l'Assemblée vota le décret demandé par Servan.

Cette mesure jeta la consternation et excita la plus violente émotion dans la phalange des conspirateurs. Mais évidemment le roi opposerait son veto. Leur satisfaction devait être plus grande le 12, après une séance orageuse du conseil, dans laquelle le roi fut mis en demeure de donner sa sanction aux

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deux décrets contre les prêtres, et pour la réunion du camp de vingt mille hommes, le roi reprenait leurs portefeuilles aux ministres patriotes Roland, Servan, Clavière. Dumouriez seul eut le triste courage de ne pas suivre ses collègues dans leur retraite; il n'accepta toutefois de rester que sous la condition formelle que le roi donnerait sa sanction aux décrets. Le roi promit, avec la résolution de n'en rien faire, et quelques jours après, le 16, Dumouriez, reconnaissant cette duplicité, donnait à son tour sa démission. Le 18, le roi composait un ministère selon ses convenances, ayant toutes les sympathies de la cour; et dès le lendemain, le ministre de la justice, Duranthon, faisait savoir par lettre à l'Assemblée que le roi venait d'apposer son veto aux deux derniers décrets.

Le jour même de la nomination du nouveau ministère, l'Assemblée recevait de Lafayette, datée le 16 juin de son camp de Maubeuge, une lettre violente où, sous une forme habile, il donnait à la représentation nationale des conseils qui dissimulaient mal la colère et la menace. Vergniaud en résuma vivement la signification factieuse : « Que sont, dit-il, les conseils << d'un général d'armée, si ce ne sont des lois! >>

La chute du ministère girondin, le double veto du roi, la lettre de Lafayette, furent considérés comme un défi. C'était l'opinion générale que la cour allait frapper un coup : le peuple voulut le prévenir; mais il n'obéit qu'à sa propre initiative: on n'y trouve aucune trace des influences individuelles qui joueront plus tard un si grand rôle. Telle fut la journée du 20 juin.

A cette nouvelle, Lafayette quitte sans congé son armée pour venir protester au sein de l'Assemblée contre les partis qui, dit-il, la divisent et l'oppriment. Nul doute dans l'esprit du peuple, que ce soit là le général de la contre-révolution. Le 1er juillet, le maire de Paris, Petion, adresse cet avis aux Parisiens:

« Citoyens! l'orage se prépare, soyez plus calmes que jamais. «Le trouble perdrait la chose publique, la tranquillité la sau

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« vera. On cherche à fatiguer votre patience, à exciter votre <«< indignation; ayez le courage de résister froidement à toutes « ces provocations. Déjà, c'est un bruit public que nous n'ar<< riverons pas au 10 de ce mois sans être témoins des plus « grands malheurs ; démentez ce bruit, déconcertez les projets << de vos ennemis. Le moment est arrivé où les intrigants << vont paraître à découvert, où l'on distinguera les vrais amis << des faux adorateurs de la Constitution. Les calomnies pas« seront, la vérité restera. Les magistrats du peuple veillent. «< Des soldats de la Constitution viennent à Paris pour célébrer « la fête de la liberté avec les vainqueurs de la Bastille. — Les << bons citoyens qui seront jaloux de loger un frère, un ami, <«< peuvent se faire inscrire au parquet du procureur de la com

«mune. >>

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Ce langage du maire de Paris contraste singulièrement avec la circulaire que le ministre de l'intérieur adressait le 30 juin aux directoires des départements, dans laquelle il ordonnait qu'on s'opposât même par la force aux fédérés qui voudraient venir à Paris. Le 2 juillet, l'Assemblée législative décrétait la fédération, sans discussion, sur le simple exposé des motifs lu par le député Lainé, rapporteur de la commission : « L'As« semblée nationale, instruite qu'un grand nombre de gardes << nationaux des différents départements de l'empire, jaloux de «< concourir au maintien de la Constitution et à la défense de la << Patrie, sont en marche pour se rendre dans la capitale, afin « d'être transportés ensuite dans les lieux où seront rassemblées « les troupes destinées soit à couvrir Paris, soit à défendre les <«< frontières les plus menacées, décrète qu'il y a urgence. >>

Ainsi furent réunis à Paris, dans cette fédération qui devait être toute militaire, ce que la France possédait alors de patriotes braves et dévoués.

Ce décret consterna la cour; mais sa politique lui commandait la dissimulation. Le roi sanctionna donc immédiatement

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