TOME QUATRE-VINGT-DEUXIÈME (CLXXXII DE LA COLLECTION) ALPHONSE PICARD & FILS Libraires des Archives nationales et de la Société de l'École des Chartes de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 82, RUE BONAPARTE, 82 1914 PAROLES PRONONCÉES PAR M. XÉNOPOL A L'OCCASION DE SON ÉLECTION COMME ASSOCIÉ ÉTRANGER DE L'ACADÉMIE Messieurs, Je ne saurais rapporter à moi seul le grand honneur que vous m'avez fait en me recevant pleinement dans votre sein. Aussi, j'en partage les lauriers avec les corps auxquels j'appartiens; car vous avez honoré en même temps l'Université de Jassy, l'un des phares de notre peuple; l'Académie roumaine, faisceau de l'intellectualité des divers pays entre lesquels malheureusement est encore partagé le peuple roumain. Vous avez honoré enfin ce peuple lui-même qui travaille assidûment pour s'élever au niveau des nations qui l'ont devancé dans la voie du progrès; ce peuple dont les destinées ont été peut-être les plus sombres de l'humanité et qui a traîné pendant dixhuit siècles une vie d'oppression et de tortures; qui a ouvert les yeux à la civilisation et à la vie sous l'impulsion de la France, et c'est toujours par elle qu'il est arrivé à l'émancipation politique qui lui a permis de développer le 315400 contenu de son âme et, après des efforts inouïs, de prendre place à côté des grandes nations européennes au banquet de la vie civilisée; ce peuple enfin qui espère, par le même appui, arriver à l'unité à laquelle rêvent toutes les nations qui ont le malheur de vivre séparées. Si la civilisation française s'est soudée si fortement à l'âme roumaine, c'est par la raison que c'était une civilisation latine et que la branche sur laquelle elle se greffait était aussi une branche latine. Voilà pourquoi la seule force de l'imitation a été en état de vaincre la force bien autrement puissante du milieu et de transformer de fond en comble la société si profondément orientale de la Roumanie. Cet effet a été d'autant plus extraordinaire qu'il s'est produit à une distance énorme pour le temps où il a eu lieu, lorsque les Roumains devaient mettre trois mois. pour arriver de leur pays à Paris. Ce qui explique aussi l'ascendant prodigieux de la civilisation française sur l'esprit roumain, c'est la supériorité du type humain qu'elle représentait et qui devait brûler avec les rayons de son auréole des éléments pourris et caducs de l'ancienne société et les remplacer par d'autres, pleins de beauté et de vigueur. On vit alors se reproduire le phénomène social qui avait changé la face de la société européenne par l'infiltration de la civilisation antique dans son sein, civilisation qui avait rempli l'horizon de la pensée, d'un nouvel idéal. Cette influence française sur la partie du peuple roumain qui habite le royaume actuel de Roumanie était, il y a près d'un demi-siècle, toute-puissante. Elle découlait d'une infiltration lente et profonde de la langue, des idées, des mœurs et, en général, du genre de vie empruntés à la France pendant presque cent cinquante ans. Cette influence arriva à son apogée sous le règne du Prince Alexandre Couza (1859-1866), lorsque l'Empereur Napoléon III vint en aide à la régénération roumaine et contribua à l'affermissement |