donneraient que des pertes, parce qu'enfin l'Etat peut attendre longtemps le revenu des capitaux qu'il emploie, et jusqu'à ce que l'exécution soit complète, ce qui ne saurait être obtenu des capitaux que fournissent les fortunes particulières, dont la modicité ordinaire ne permet pas de les soumettre à une longue privation de revenu. Mais si nous devons jusqu'ici accueillir avec faveur les propositions du Gouvernement, notre assentiment ne saurait aller plus loin. Il est dit, dans la première partie de l'article 3: « Que si dans le cours de la prochaine session une loi n'est pas rendue, pour assurer à la compagnie concessionnaire le concours qu'elle réclamerait de l'Etat, pour l'achèvement des travaux, la compagnie pourra renoncer à cet achèvement jusqu'au 1er janvier 1841. » Il y a là, non pas un engagement formel que prendrait l'Etat de donner son concours à la compagnie, cela n'est pas écrit littéralement au projet, mais une promesse qui serait donnée au nom du Gouvernement et de la législature, une espérance dont cette promesse serait le principe. Quel en serait le but, quelle en serait la portée? M. le rapporteur nous l'apprend, et cette explication emprunte une double autorité et du caractère personnel de son auteur et de sa qualité d'organe de la Commission. Cette disposition (nous rappelons les expressions mêmes du rapport) aurait pour objet de relever la confiance publique à l'égard des chemins de fer, en prouvant que l'Etat est disposé à leur venir en aide et que les Chambres sont prêtes à s'associer à cette disposition. Ainsi, Messieurs, le Gouvernement, les Chambres viendraient par leur concours en assistance aux compagnies. Tel est l'objet que le Gouvernement s'est proposé dans la première partie de l'article 3. Ces mêmes intérêts, dont nous reconnaissions tout à l'heure l'heureuse conciliation, ne se trouvent-ils pas ici compromis et méconnus? Puisque l'on se propose d'agir ainsi sur la confiance et de la concilier aux entreprises de chemins de fer, c'est qu'on entend qu'elles pourront s'en faire un moyen de crédit, et présenter la perspective du concours de l'Etat comme un gage de sécurité pour les capitaux. Des actions nouvelles seront donc émises, d'autres passeront de main en main sur la foi de telles assurances. Une hausse se fera, qui deviendra la source d'intérêts qu'elle déterminera. Cet effet produit, en vain vous prétendriez rester libres. La main secourable que vous auriez tendue aux compagnies, il vous serait interdit de la leur retirer. Jetez vos regards en arrière, et que le passé vous instruise. L'Etat avait fait exécuter par ses ingénieurs des devis, dresser des plans, évaluer des dépenses; en général les directions tracées par ces travaux ont été acceptées par les compagnies. En vain on les a prévenues de ne pas se confier du moins aux estimations des sommes dont l'emploi serait nécessité par leurs entreprises, en vain on leur a dit de contrôler elles-mêmes et de refaire ces estimations. Quand le jour des mécomptes est arrivé, avec quelles clameurs et quelle insistance les compagnies ne se sontelles pas dit trompées par les erreurs des ingénieurs du Gouvernement, abusées par la foi qu'elles ont mise en leur science et leurs lumières! Avec combien plus de raison les capitaux qu'attirerait nouvellement cette perspective de concours que présenterait le projet n'autoriserait-elle pas des réclamations de même nature? Ce ne serait plus la parole de quelques hommes qui serait appelée en témoignage, ce serait l'autorité même de la loi. Pour n'être pas formel et explicite l'engagement n'existerait donc pas moins; il formerait un lien moral dont il serait impossible à la session prochaine de se dégager. La promesse d'aide et de subvention ayant donc un caractère sérieux, grave, j'oserai dire définitif, le moment est venu de nous demander, avec non moins de gravité et d'attention, s'il convient de l'écrire dans la loi. Dès lors, on est porté à rechercher d'abord si la question du concours de l'Etat est suffisamment éclairée; si la Chambre est en mesure de l'apprécier dans tous les rapports sous lesquels elle se présente. A cet égard, tout est encore à l'état de doute et d'examen. Si l'on est porté à penser que la fortune publique doit son assistance aux entreprises qui ont l'intérêt général pour destination, sait-on bien, en se jetant dans cette voie, si l'on soutiendra plus de spéculations utiles et dignes d'intérêt qu'on n'en secourra d'aventureuses et d'inconsidérées. Ainsi, derrière les calculs de leur intérêt personnel tous ceux qui ont su donner à leurs projets l'apparence de l'utilité publique, pourraient présenter l'Etat comme toujours disposé à soutenir leur défaillance? Peut-on calculer ce qu'une telle perspective ajouterait d'imprudence à l'esprit d'entreprise, d'aliment au jeu de bourse, d'immoralité peut-être aux combinaisons qu'il faudrait à tout prix, au contraire, ramener aux proportions dans lesquelles la sagesse qui prévient les désastres conseille de se renfermer! Si sur ces points importants notre jugement hésite, s'il ne peut s'arrêter, si les renseignements manquent, réservons notre opinion, conservons-lui sa liberté, gardons-nous de la lier témérairement. Pour savoir en outre s'il convient de suivre le Gouvernement dans la promesse qu'il vous propose de faire, il faut auparavant en mesurer l'étendue, et pour cela savoir en premier lieu quelles ressources il serait possible de consacrer à une destination semblable. En même temps que vous connaîtriez les voies et moyens, il ne serait pas moins indispensable de vous rendre compte, au moins par approximation, du chiffre des sommes qui devraient y être employées. Et ce chiffre ne serait pas limité à ce qu'exigera de dépenses une seule entreprise de chemins de fer au sujet de laquelle il faut parfois calculer par centaine de millions, il serait nécessaire d'étendre plus loin le calcul, et de rechercher ce qu'exigeront, à titre de subvention, toutes les compagnies dont la situation serait identique. Ne vous y trompez pas, en effet; ce que vous aurez accordé à l'une, il sera impossible de le refuser à toutes les autres Comment consacreriez-vous dans la loi le principe, ou, ce qui est la même chose, 'a promesse du concours de l'Etat, tandis que votre opinion sur le concours pourra être considérablement modifiée par l'étendue des sacrifices qu'il entraînerait? N'est-il pas évident que l'engagement sur le principe lui même ne saurait être isolé de l'application | qu'il recevra? Or, sur cette application, tout est incertitude; le Gouvernement n'est pas plus en mesure de savoir ce qu'elle entraînerait de charges pour l'Etat, que la Chambre n'est en situation de s'en rendre compte. Ce n'est pas tout cependant que d'examiner sous toutes ses faces la question du concours avant d'en concéder même le simple principe, et de s'instruire aussi des conséquences pécuniaires qui en résulteraient; le mode dans lequel il serait accordé n'aurait pas une moindre influence sur notre décision; car, suivant tel ou tel mode, vous serez disposés à venir en aide à une compagnie, ou à ne point la secourir. Je m'explique Il paraît évident, lorsqu'une compagnie jette des cris de détresse et demande l'assistance de l'Etat, que cette assistance, elle n'a pu l'obtenir du crédit. L'Etat ne sera donc appelé qu'au secours des compagnies embarrassées et qui ne doivent donner aux spéculateurs qui s'y sont jetés que des produits insuffisants relativement aux capitaux engagés par eux. Qu'arrivera-t-il donc dans de telles situations! Les premiers produits que donnera l'entreprise serviront d'abord aux dépenses ordinaires, qui sont toujours considérables. Vous savez que le chemin de fer de Paris à Saint-Germain coûte annuellement en frais de traction, en dépense d'entretien et d'administration de 600,000 à 700,000 fr. Ce prélèvement fait, et il tient à l'existence même de l'entreprise, viendra ensuite le remboursé du prêteur qui aura pris ses sûretés. Des annuités stipulées pour longues années, vingt, trente, quarante ans, serviront à le payer de ses intérêts, et à former le fonds d'amortissement par l'accumulation duquel son capital doit lui être rendu. Ces prélèvements faits, s'il ne reste rien, ou s'il reste peu de chose aux actionnaires, hypothèse infiniment probable, voyez dans quelle position vous mettriez l'État en le faisant prêteur; l'Etat créancier privilégié, venant agir avec la plus grande rigueur vis-àvis de ce grand nombre d'actionnaires dont le capital productif des revenus serait privé de toute participation, ou du moins d'une participation raisonnable aux produits qu'il aurait servi à créer. Qu'une telle situation convienne à un créancier ordinaire, à un capitaliste, à un banquier, cela se conçoit; mais un rôle semblable ne se comprend plus quand il s'agit de l'Etat. Qu'il donne au lieu de prêter, cela se conçoit, parce que l'Etat retirera l'équivalent probable de la dépense qu'il aura faite des avances auxquelles il se sera livré, dans cette circulation plus abondante de capitaux qui résultera d'un moyen de communication tel qu'un chemin de fer s'il est bien exécuté, s'il est dans une position favorable. Mais par cela même que l'Etat ne doit pas pas être constitué prêteur, qu'il ne pourrait le devenir sans nuire à sa moralité; qu'il sera forcé, s'il intervient, de se porter caution d'un autre prêteur ou de livrer ses capitaux gratuitement; avec combien plus de raison ne doit-il s'engager qu'après mûres réflexions? Je ne suis pas l'adversaire des subventions données par l'Etat aux compagnies de chemins de fer, mais sur ce point si essentie', j'entends réserver mon vote; je veux que cette réserve soit entière. Je veux rester libre de me décider en examinant les raisons pour et contre, ce qui milite pour le concours, et ce qui le repousse. Le projet ne porte-t-il pas atteinte, en outre, à la dignité même de la loi? Une loi est une règle d'action, tout sera donc clair, précis, déterminé dans ses dispositions. Faire des promesses au nom de la loi et l'employer à créer et nourrir des espérances, c'est assurément l'éloigner complètement de son caractère, et la faire entrer dans le domaine de l'imagination, en la sortant des réalités dont elle doit seulement s'occuper. Que nous espérions telle chose, que nous nous promettions le concours de l'Etat, si nous spéculons sur les chemins de fer, c'est là l'œuvre de notre pensée intime; que l'Etat, que les organes du Gouvernement conçoivent l'intention de venir au secours des compagnies, je le comprends; mais cette espérance ne doit pas être jetée au milieu des spéculations particulières, ou avec l'autorité et la puissance de la loi. En agissant ainsi, vous auriez pareillement peu de respect pour l'indépendance de la prochaine session qui doit envisager cette question de concours dans toute son étendue, l'apprécier tous ses rapports. Comment la placeriez-vous? En la plaçant en présence d'une promesse faite, vous la mettriez dans la nécessité ou de la violer, si sa conviction le commandait ou, en la tenant, de n'avoir plus qu'une pensée, dont vous-mêmes n'aurez pas été placés en mesure de sonder toute l'étendue, de comprendre toute la portée. Votre intention n'est pas assurément de favoriser les jeux de la Bourse sur les actions des chemins de fer. Les spéculations dont je parle, de quoi s'alimentent-elles? De haut et de bas; des variations qui agissent sur l'élément des opérations de cette nature. Que feriez-vous, cependant, en adoptant cette partie du projet ? Vous produiriez un de ces mouvements de plus d'oscillation dont je parle aujourd'hui vous promettriez le concours, plus tard vous le donneriez ou vous le refuseríez. Par la promesse du moment présent, vous auriez fourni à ceux qui ne veulent des chemins de fer que sur le papier, qui s'inquiètent de tout autre chose que de leur exécution, une occasion de réaliser des bénéfices, ou du moins de les chercher. Enfin, Messieurs, et je termine par cette réflexion, une confiance excessive a donné lieu, l'année dernière, à des mécomptes auxquels nul ne s'attendait, et que tous nous devons déplorer; une réaction s'est opérée; de la confiance la plus grande, on est passé à un découragement égal, et qu'il faut regretter pareillement. Il doit exister un milieu entre ce découragement extrême et cette confiance sans bornes; ce milieu, nous le cherchons, et le projet du Gouvernement a pour but d'essayer de le produire. Le chemin de fer d'Orléans sera établi dans des conditions telles qu'on peut espérer un avenir heureux pour lui. Sans doute, il ne produira pas tout ce qu'on en avait espéré, mais il pourra produíre des bénéfices assez raisonnables comme spéculation. Chez nous, l'opinion varie incessamment, et en peu de temps, si ce milieu que nous ne désespérons pas de trouver vient à s'établir, la spéculation privée, les capitaux particuliers pourraient soutenir cette entreprise. Si d'ici à cette époque désirée et possible il arrive que les capitaux particuliers puissent soutenir l'entreprise du chemin de fer de Paris à Orléans, le concours de l'Etat ne sera plus nécessaire. Mais n'en doutez pas, l'intérêt privé, si ingénieux dans les moyens de se satisfaire, s'arrangera toujours de manière à faire accomplir par l'Etat la promesse qu'il aura faite, s'il doit en retirer un avantage quelconque, cet intérêt s'arrangera toujours de manière à produire un état apparent qui mettra le Gouvernement dans la nécessité de tenir ses engagements. Puisque le temps peut venir en aide à tous, pourquoi veut-on lier l'Etat dès ce moment, et le priver seul des avantages que peut lui valoir cette chaîne commune? L'Etat fait beaucoup dans le projet actuel, lorsqu'il garantit qu'à l'avenir ceux qui confieront leurs capitaux au chemin de fer d'Orléans seront affranchis contre toute perte, en ne leur réservant que les espérances de bénéfices. Sous ce rapport, ce projet ne peut qu'être approuvé, mais il ne saurait l'être lorsque statuant comme ne le fait aucune loi, c'est-à-dire nourrissant des illusions. (Bruit.) M. le Président. Je prie MM. les députés de faire silence; il est impossible de continuer la discussion au milieu du bruit; elle est pourtant très importante. M. Pascalis. Peut-être n'aurais-je pu vous fournir de lumières nouvelles. Mais, Messieurs, en me renfermant dans le cercle que j'ai indiqué, il me paraît que la Chambre doit donner son approbation à la pensée première du projet, venir en aide la compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans. Car, quelle que soit notre opinion, que nous pensons que c'est à l'Etat d'exécuter les grandes lignes des chemins de fer, ou que ce soin doit regarder les compagnies industrielles, l'essentiel pour nous c'est qu'il existe des chemins de fer là où ils sont vraiment nécessaires; il importe que nous ne restions pas plus longtemps placés dans une position d'infériorité relativement aux nations étrangères. Le projet de loi tient juste compte à la compagnie du chemin de fer d'Orléans des capitaux qu'elle a déjà engagés, des travaux qu'elle a accomplis. Cette première pensée, il faut l'accueillir dans le projet, il faut la développer au besoin; mais, ce qu'il ne faut à aucun prix, c'est faire parler la loi comme elle ne doit pas parler; c'est l'employer à faire naître ou entretenir des espérances qui peuvent rester sans accomplissement. Il existe assez d'illusions dans cette voie rapidement parcourue déjà des chemins de fer, et dans laquelle en si peu de temps nous avons vu des phases si diverses; c'est assez d'erreurs et de déceptions; qu'il n'y en ait pas davantage. Gardons-nous surtout de donner à ces déceptions une origine qui doit toujours leur manquer. Ne réduisons pas ceux qu'elles entraîneraient à chercher le principe et la cause de cet entraînement jusque dans la loi. (Très bien.) M. Galos. Messieurs, je crois que l'honorable préopinant a eu raison de dire que lu question qui nous est présentée par le Gouvernement a la plus haute importance. En effet, si nous voulons examiner les termes mêmes du projet de loi, il a pour objet de nous demander de délier un contrat qui engage la compagnie d'Orléans. Il faut donc examiner si le Gouvernement, vis-à-vis de la compagnie, a tenu les obligations qu'il avait contractées; car véritablement si le Gouvernement est encore en mesure de faire respecter, par les tiers et par l'autorité publique, toutes les concessions qu'il avait faites à la compagnie d'Orléans, la compagnie d'Orléans, vis-à-vis de l'Etat, est tenue à ses charges. Il faut donc qu'il y ait, dans la situation même de la compagnie vis-à-vis du Gouvernement, un sentiment de moralité, des considérations supérieures qui dominent cette situation, pour que le Gouvernement, de luimême, de son propre gré, vienne proposer de la délier de ses obligations. Le Gouvernement revient donc, par la proposition que vous est faite, sur les conditions du contrat passé avec la compagnie. Examinons quelles peuvent être les circonstances qui le décident à rompre un lien de droit qui oblige la compagnie. La question des chemins de fer a été introduite dans cette enceinte en 1837, à la fin d'une session. La matière était neuve; la Chambre crut qu'elle devait renvoyer à la session suivante l'examen de ce problème. Pendant l'intervalle des sessions, quelques personnes qui avaient motivé l'ajournement sur le vague pressentiment de l'insuffisance des capitaux particuliers développèrent cette idée. Le public en fut saisi; le Gouvernement ne resta pas lui-même étranger à l'influence de cette idée, et, dans l'intervalle des sessions, il élabora un projet de loi qui avait pour base même l'exécution par l'Etat. A l'ouverture de la session de 1838, vous vous le rappelez tous, Messieurs, ce fut, en effet, un projet d'ensemble qui vous fût présenté par le Gouvernement. Ce projet avait pour but de confier à l'Etat les grandes lignes de chemins de fer. Le projet était grandiose; il demandait, de la part du Gouvernement, une conviction ferme et arrêtée, pour le faire adopter par les Chambres. Le Gouvernement a-t-il eu cette conviction? Il faut le reconnaître, elle lui a complètement manqué. De concession en concession arrachée, la Chambre est arrivée à ne laisser rien de la proposition du Gouvernement. Mais qu'at-on vu dans le rejet des projets proposés ? a-t-on vu simplement le rejet d'un système absolu pour une question dont tous les termes n'étaient pas parfaitement connus? Non on a vu autre chose. La Chambre et le pays ont compris que si on rejetait l'exécution par l'Etat, c'était pour donner la préférence à l'exécution aux compagnies. Eh bien! d'un point de vue absolu comme celui du Gouvernement, on passe à un point de vue diamétralement contraire, qui est celui de l'exécution par les compagnies, et le revirement d'opinion se fait dans un espace qui n'a pas dépassé un mois. Cependant, rappelez-vous-le bien, en même temps qu'on rejetait le projet de loi présenté par le Gouvernement, la Chambre, l'opinion publique demandaient avec instance que des chemins de fer fussent exécutés. Personne ne voulait avoir la responsabilité d'un ajournement, et même on ne manquait pas de faire comprendre au Gouvernement qu'il était pour ainsi dire en demeure de doter le pays de ces grands moyens de communication, et que s'il passait la session sans présenter de nouveaux projets de loi, on n'en pourrait accuser qu'un ressentiment de vaincus. Les projets de loi vous furent donc présentés; mais sur quelles bases étaient-ils établis? sur les études, sur les devis qui avaient servi précisément aux projets de lois présentés pour l'exécution par l'Etat. Eh bien! c'est là précisément une des causes de tous les mécomptes, de toutes les erreurs qui ont été commises. En effet, cette circonstance devait nuire à l'exacte appréciation des devis; car quoiqu'il soit aussi nécessaire que les ingénieurs soient exacts dans leurs estimations lorsqu'ils travaillent pour l'Etat que lorsqu'ils travaillent pour les particuliers, il est certain que, dans le second cas, la responsabilité morale est plus directement engagée, et que les ingénieurs y mettent plus de prudence et de circonspection; car ils redoutent plus d'être la cause de la ruine d'une société que d'induire à quelques mécomptes le Gouvernement. Je ne justifie pas cette manière de faire, je ne veux que l'expliquer. Il est certain aussi que les études faites pour une exploitation particulière sont soumises au contrôle toujours sévère de l'intérêt privé, et qu'il en résulte une plus grande précision dans toutes les évaluations. Il est à remarquer encore que, dans ce revirement de projets, qui donnait à l'Etat et qui confiait ensuite à l'industrie particulière les travaux publics, il n'y avait rien de prêt; car, en effet, si l'Etat avait exécuté, on peut dire que, moyennant un certain agrandisse. ment dans le personnel de l'administration, 'Etat était prêt pour exécuter; ce n'était plus qu'une question financière à laquelle les Chambres étaient chargées de pourvoir. Mais, dès l'instant que vous deviez conférer à des compagnies l'exécution des chemins de fer, rien n'était disposé à cet effet il est certain, en effet, que plusieurs questions préalables restaient à résoudre, dans la position où vous vous trouviez vis-à-vis des compagnies. N'avait-on pas à examiner quelles seraient les garanties qu'on exigerait des compagnies, dès l'instant qu'on remettait en leurs mains ure aussi grande part d'action sur la prospérité matérielle du pays? On ne pouvait raisonnablement assimiler de si grandes agglomérations de capitaux et de forces individuelles aux sociétés commerciales et industrielles déjà connues, et dont les travaux jusqu'à présent ont été si circonscrits. N'avait-on pas à rechercher s'il n'y avait point nécessité d'établir sur de nouvelles bases les relations de ces compagnies avec l'adminis tration, et par conséquent s'il n'y avait pas de profondes modifications à introduire dans les rapports administratifs si compliqués et si lents dans leur mouvement? Car, pour des opérations dont le succès est surtout dans la apidité de l'exécution, il semble irrationnel de laisser subsister l'état actuel des choses. Enfin n'y avait-il pas aussi à examiner si 'a constitution des ponts et chaussées n'était pas une institution embarrassante dans les conditions présentes, alors que le Gouvernement consentait à livrer à l'industrie particulière l'exécution des grands travaux, et s'il serait raisonnable de conserver sous la dépendance et le jugement de cette administration les ingénieurs civils et les personnes qui se substituaient, en quelque sorte, par usurpation à son influence et à son action? Eh bien! ces questions préalables n'ont pas été examinées; elles ont été complètement négligées; et c'est peut-être à cet oubli que nous avons commis qu'il faut attribuer les erreurs dans lesquelles nous sommes tombés. Enfin il faut se rappeler, pour avoir l'instruction complète de cette malheureuse question des chemins de fer, que lorsqu'on a discuté les projets de loi au point de vue de l'exécution par l'Etat comme à celui de l'exécution par les compagnies, rien n'a été plus affirmatif que le langage du Gouvernement. Il a été tellement précis que, plusieurs fois interrogés, ses organes ont répondu qu'ila avaient pleine confiance dans les études des ingénieurs du Gouvernement, et qu'ils étaient convaincus que les sommes qui étaient demandées suffiraient Par exemple, ils attestaient, pour le chemin du Havre, que 80 millions seraient suffisants. Eh bien! croyez-vous qu'une pareille déclaration n'a pas été accueillie avec empressement par les capitalistes? Ces capitalistes, qui voyaient que le Gouvernement ne craignait pas de prendre sous sa responsabuité les études des ingénieurs, ont cru qu'elles avaient été exactement faites, qu'elles avaient été le résultat d'un travail approfondi. De là leur confiance, peut-être aveugle, dans les devis du Gouvernement. Mais remarquez-le, Messieurs, nous avons tous participé à cette confiance exagérée qu'on a eue dans cette malheureuse question de chemins de fer. Le Gouvernement était sûr de ses ingénieurs; nous, nous étions sûrs de la puissance des capitalistes; nous avons cru qu'il y avait en France des capitaux assez considérables pour faire les chemins de fer. Enfin nous avons été tellement convaincus que les compagnies n'avaient que des bénéfices à faire et aucun revers à essuyer, que, dans l'examen du projet de loi, nous nous sommes placés au point de vue de la méfiance, au lieu de nous placer au point de vue de l'assistance à l'égard des compagnies. (Bien' très bien!) M. Odilon Barrot. C'est très vrai ! M. Galos. Mais pour bien nous rendre compte du passé, car c'est déjà une instruction que de savoir les fautes qu'on a commises, examinons un peu ce qui s'est passé dans les études des chemins de fer. D'abord il y a eu dans tout ce travail préalable une arrière-pensée qui ne nous a jamais été dévoilée, mais qu'il est facile de saisir maintenant c'est que jamais l'Etat n'a en tendu exploiter les chemins de fer; il avait l'intention de les livrer à l'exploitation par régie. (Rumeurs.) Messieurs, il avait tellement cette idée... M. Legrand (Manche), sous-secrétaire d'État au ministère des travaux publics. Il l'a dit; il l'a déclaré à la tribune. M. Galos. D'ailleurs, si quelqu'un niait le fait, on en trouverait la preuve dans la manière dont les études ont été faites. Ainsi, le matériel, qui est une des conditions les plus importantes des chemins de fer, n'a pas été compris dans les études. Le matériel pour le chemin de fer d'Orléans, à quelle somme est-il évalué? à 700,000 francs; le matériel du chemin du Havre, à quelle somme a-t-il été porté à 2 millions 800,000 francs. Eh bien ! le matériel du chemin d'Orléans avec les estimations les plus rigoureuses, s'élèvera à 5 millions; celui du chemin du Havre, avec les estimations les plus précises faites par les ingénieurs qui devaient exécuter, s'élèvera à 10 millions. J'ai done raison de dire que ces calculs ont été négligés. La même erreur a influé sur les autres dépenses du matériel. Ainsi le nombre des locomotives a été déterminé, dans les estimations des ingénieurs du Gouvernement, d'une manière erronée. Tout le monde sait que la force d'une locomotive peut se calculer aussi exactement que celle d'un cheval; ainsi personne n'ignore qu'une locomotive ne peut pas faire plus de vingt-cinq lieues par jour, que ce serait folie d'exiger davantage; elle a sa force propre comme un cheval. Eh bien, l'ingénieur du Gouvernement a calculé le nombre de lieues que devaient parcourir les locomotives, à raison de soixantecinq lieues par jour. C'est là une erreur qui devait nécessairement avoir une grande influence sur le capital social des entreprises; car le chiffre des locomotives nécessaires à chaque chemin en est plus que doublé. Au lieu de trente-cinq, il en faudra soixante-quinze pour le chemin d'Orléans! Mais ce n'est pas tout dans les études du Gouvernement la lomocotive, le tender compris, est estimé 25,000 francs, tandis qu'actuellement elle coûte 50,000 à 55,000 francs, rendue à Paris. C'est à ce dernier prix, je crois, que la compagnie d'Orléans a traité pour ses locomotives. Voilà comment les compagnies se trouvent en présence de charges qu'elles ne pouvaient pas prévoir, parce qu'elles croyaient qu'on avait fait des études sur lesquelles elles pouvaient compter. Les mêmes erreurs se présentent pour les terrassements. On a calulé le mètre cube de terrassements à raison de 0 fr. 75 pour le chemin de Paris au Havre, et à raison de 0 fr. 39 pour le chemin de Paris à Orléans. Eh bien le mètre cube de terrassements pour le chemin de fer de Paris à Versailles et de Paris à Saint-Germain s'élève à 2 fr. Je sais très bien quelles sont les conditions tout à fait particulières à ces deux chemins, qui peuvent avoir élevé le prix des terrassements; mais en ayant égard à ces conditions, il n'en résulte pas moins que l'on ne peut obtenir les terrassements à moins de 1 fr. 50 par mètre cube. Ce sont encore là des chiffres qui impliquent une augmentation considérable. Mais poursuivons, et nous verrons que les erreurs continuent dans la même proportion. La Chambre et le Gouvernement ont imposé des conditions par trop dures au sujet des pentes. Le maximum des pentes pour le chemin de fer de Paris à Orléans, et de Paris au Havre, est établi à trois millimètre. Vous devez comprendre cependant que cette élévation est une circonstance qui doit influer beaucoup sur la dépense du chemin. on Ce maximum était en contradiction manifeste avec l'économie même qu'on disait devoir se trouver dans les travaux; car comprend que, pour se tenir d'une manière rigoureuse dans les termes même de cette prescription, on est obligé à des travaux d'art souvent considérables et d'une grande étendue. On voulait cependant que nos chemins se fissent à raison de 800,000 francs à 1,000,000 la lieue; et quand les ingénieurs ont été appelés à examiner la disposition des terrains, il leur a été facile de reconnaître, dans beaucoup de points, que la lieue leur reviendrait à 2 ou 3 millions. Ainsi, pour ne citer qu'un fait, ce maximum, pour descendre le plateau de la Normandie, rendrait indispensable la construction d'un souterrain de près de trois lieues, avec des coupures, il est vrai; ce qu'on ne saurait évaluer qu'à une somme énorme. Si, au lieu de cette prescription, on suivait certaines pentes, on obtiendrait des économies importantes. Sur le chemin du Havre cette économie ne serait pas trop évaluée à 10 millions. Pourquoi donc l'administration a-t-elle fixé ce maximum? On ne peut se l'expliquer que d'une manière parce qu'elle y a vu une cause de sécurité pour le public; elle a raisonné sur ce fait que 3mm, 1/2 sont la pente sur laquelle la seule force de la gravitation est un mobile suffisant d'impulsion, et qu'il y aurait par conséquent danger à y ajouter une force étrangère. Il y avait cependant des faits qui parlaient hautement contre cette condition. Je cite, par exemple, le chemin de fer de Liverpool à Manchester, où il y a des portions où la pente va jusqu'à 11 millimètres ; le chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne, où elle s'élève à 13 millimètres. Enfin vous avez le chemin de Paris à Versailles, dans lequel la pente est établie à 5 millimètres. Pourquoi donc cette clause toute spéciale au chemin de fer de Paris à Orléans à 3 millimètres de pente? Enfin, toujours le Gouvernement et les Chambres, se plaçant sous un point de vue d'exigence absolue à l'égard des compagnies, imposent des croisements par viaduc. Tout le monde doit comprendre que c'est une rigueur qui ne s'explique pas, car cette rigueur même peut être empêchée par la nature du terrain. Je conçois que dans certains endroits, pour ménager les communications ordinaires, pour ne pas interrompre les routes royales et départementales, on commande le croisement par viaduc; mais je ne comprends pas que dans un tracé on exige le croisement par viaduc d'une manière générale et absolue. On pourrait s'en rapporter sur cela à l'in |