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Jusqu'ici il y a eu des particuliers qui ont travaillé et qui ont colonisé; ils se livrent actuellement à de grands défrichements; et je suis convaincu qu'ils obtiendront un très grand succès, parce qu'il y a des dispositions prises en France et à l'étranger pour amener beaucoup de colons qui travailleront les terres l'hiver prochain. Ce n'est que par les colons qu'on fait produire les colonies; car les colonies qui ne sont pas cultivées ne produisent pas plus que nos terres lorsqu'on les laisse en friche. Mais dès que vous aurez des colons dans la colonie, elle produira, elle rendra, et vous dédommagera, un peu au commencement et beaucoup par la suite, des avances que vous aurez faites.

Ainsi donc il n'y a pas de colonisation; mais il faut y arriver, car autrement, l'Algérie serait une charge sans aucune espèce de compensation.

Maintenant, qu'il me soit permis de demander à M. le ministre de la guerre s'il entend faire quelque chose, proposer une mesure quelconque l'année prochaine pour favoriser la pêche du corail sur les côtes de l'Algérie. Vous saurez, et cela a été établi par les documents qui vous ont été distribués par les soins de M. le directeur général des affaires de l'Algérie; vous saurez que nous n'avons presque point de bâtiments français faisant la pêche du corail sur les côtes d'Alger, et que pourtant il y a 245 bâtiments appartenant à différentes puissances étrangères qui font ce commerce.

Je crois que nous devons faire quelque chose, comme on l'a proposé en mon absence, c'est-à-dire que nous devons donner quelques primes aux corailleurs français. (Interruption.) Vous ne perdrez rien. Les corailleurs vous donnent chacun 1,000 francs, et comme il y a 245 bâtiments, c'est 245,000 francs que vous recevez. Eh bien! sur cette somme, vous pourriez donner quelques avantages aux corailleurs français.

Mais il y a encore un autre avantage à prendre les mesures que je demande.

En favorisant les corailleurs, vous vous procurerez des marins que vous pourrez employer avec succès.

Je crois que ces observations suffiront pour décider l'administration à prendre les mesures que je sollicite.

M. Laurence, commissaire du roi. La Chambre me permettra de répondre un mot à la dernière observation de l'honorable maréchal.

Le ministre de la guerre n'a pas à se reprocher de n'avoir pas encouragé, autant qu'il était en lui, la pêche du corail.

Tous les bâtiments corailleurs étaient obligés autrefois de payer une taxe, qui s'élevait, pour la saison d'été, à 200 piastres fortes, outre une redevance en nature, c'est-àdire en corail, ce qui formait en tout une somme de 11 à 1,200 francs. Autrefois tous les bâtiments payaient cette redevance; pour encourager les Français à se livrer à cette pêche difficile et dangereuse, et pour former cette école de matelots que réclame M. le maréchal, le ministre de la guerre a affranchi de toute redevance, pour la pêche du corail, les bâtiments français.

Ainsi la prime pour une seule saison, pour un bâtiment monté souvent seulement par huit ou neuf hommes, est de 1,000 francs. Cette prime peut être augmentée par des primes de nature différente; mais ce serait au ministre de la marine, et non pas au ministre de la guerre, qu'il faudrait la demander. (Aux voix! aux voix!)

Les étrangers continuent de payer la taxe, mais les Français ne la paient pas. (Aux voix! aux voix!)

DÉPOT D'UN RAPPORT.

M. Daguenet, rapporteur. Je demande la permission de déposer sur le bureau le rapport sur le projet de loi portant ouverture d'un supplément de crédit au budget des cultes pour l'exercice 1839 (1).

M. le Président. Le rapport sera imprimé et distribué.

DISCUSSION DES CHAPITRES.

(2o section du budget de la guerre.) M. le Président :

2o section.

Possessions françaises dans le nord de l'Afrique.

Chap. Ir. Administration centrale (personnel), 66,000 francs. (Adopté.)

Chap. II. Administration centrale (matériel), 6,000 francs. (Adopté.)

Chap. III. Frais généraux d'impressions, 10,000 francs. (Adopté.)

Chap. III bis. Gouvernement d'Afrique, 396,000 francs. (Adopté.)

Chap. IV. Etats-majors, 892,925 francs.
M. Auguis. Je demande la parole.

Messieurs, j'ai vainement cherché, dans les préliminaires placés en tête du ministère de la guerre et dans les détails des articles qui composent les divers chapitres, les motifs qui ont déterminé à supprimer le corps des zouaves et le corps des spahis, pour leur donner une nouvelle forme et les incorporer dans des corps de chasseurs, dans des proportions déterminées à la page 197 du budget. Il résulte de ce mouvement, de cette transformation, que la plupart des chiffres qui composent ce chapitre éprouvent des augmentations considérables; et quand on les suit avec détail, il est difficile de déterminer jusqu'à quel point ils sont affectés par ce nouveau mouvement et cette nouvelle organisation. J'ai seulement vu, dans la note placée à la suite de l'un de ces chiffres, que cette organisation, qu'on n'a pas pris la peine de justifier, occasionnerait une dépense de 2 millions.

Ensuite, si vous voulez vous reporter aux pages 157, 159, 165, 175, 181, 187 et 199 du même budget, vous y trouverez des chiffres

(1) Voy. ci-après ce rapport, p. 779: 2° annexe à la séance de la Chambre des députés du vendredi et mercredi 17 juillet 1839.

qui sont tellement groupés, qu'il est difficile d'en détacher la partie qui sera employée à cette nouvelle organisation.

Messieurs, pour mon compte, je ne conteste pas l'utilité de cette réorganisation; mais je croyais important, lorsqu'il doit en résulter des dépenses, que la Chambre connût les motifs de cette transformation. C'était pour appeler son attention sur ce point que je faisais cette observation; surtout quand je vois que dans l'un de ces articles figure un chiffre de 413,950 francs, dans un autre un chiffre de 68,412 francs, dans un troisième un chiffre de 194,837 francs, dans un quatrième un chiffre de 42,004 francs, dans un cinquième un chiffre de 189,080 fr., dans un sixième un chiffre de 91,980 francs, et enfin dans un dernier un chiffre de 340,000 francs.

Messieurs, je n'ai pas pensé que tous les chiffres que je viens de placer sous les yeux de la Chambre fussent affectés à cette réorganisation; mais j'aurais désiré savoir (et il est important de l'établir dans un budget) dans quelle proportion ces chiffres étaient affectés par la réorganisation.

Je crois me rappeler que le corps des Zouaves et le corps des spahis, tels qu'ils ont été organisés jusqu'à ce jour, ont rendu tant de services, se sont conduits si bravement partout où nous les avons placés en présence de l'ennemi, que peut-être, avant de leur enlever le caractère si beau, si couvert de gloire qu'ils ont eu jusqu'à ce jour, il fallait des motifs puissants pour les refondre dans un nouveau corps.

M. Bertin de Veaux (de sa place). M. Auguis me paraît avoir soulevé prématurément la question de l'organisation des corps indigènes, qui se présentait naturellement au chapitre XXII. Néanmoins, cette question une fois soulevée, je la traiterai immédiatement, si la Chambre le permet. (Parlez! A la tribune!)

M. Auguis a feuilleté le budget, et n'a pu trouver aucun chiffre à vous présenter pour s'opposer à celui de la Commission et du Gouvernement.

Quant à moi, moins habile et moins expérimenté en matière de budget, je renonce à traiter la question sous le rapport financier, que je présenterai seulement sous le rapport militaire et sous le rapport politique.

Je demande donc à la Chambre un moment d'attention. Cette question est grave pour l'Afrique, il y va peut-être de son avenir tout entier.

La réorganisation qu'on vous propose en ce moment n'est pas nouvelle ; déjà ces transformations successives ont eu lieu à l'égard des corps que nous allons soumettre à de nouvelles expériences.

Déjà plusieurs fois nous avons vu tour à tour (je parle des spahis seulement en ce moment, et non des zouaves), déjà nous avons vu, dis-je, les spahis sous l'institution de l'unité régimentaire; nous les avons vus en escadrons, attachés au régiment des chasseurs, et enfin aussi comme corps de spahis irréguliers.

En étudiant le passé si varié de ces troupes, Messieurs, nous n'en pouvons tirer une con

séquence fort exacte et décider de ce qui a été le meilleur; car il faut convenir que les spahis ont été tour à tour bons, mauvais ou médiocres, suivant qu'ils ont été bien commandés et bien employés. Cette expression ne s'applique pas aux chefs qui les ont créés ou conduits dans des expéditions; je veux parler de la politique des différents gouverneurs généraux de nos possessions Afrique.

en

C'est, suivant l'intention des gouverneurs de s'appuyer sur de bonnes relations avec les indigènes, ou lorsqu'il convenait à leur politique de s'en éloigner, qu'ils se montraient plus ou moins favorables aux corps indigènes, lesquels recevaient alors, sous cette impression, une vie, une activité, une manière de service plus ou moins bonne.

Ainsi, quand j'énonce un reproche pour ces corps spéciaux, pour leurs services plus ou moins bons, je ne m'adresse nullement à eux ni aux officiers qui les ont commandés, mais à l'esprit, à la direction impérieuse qui ont présidé à leurs destinées en Afrique.

Si le passé, à cause de son instabilité, ne nous indique pas clairement ce que nous avons de mieux à faire pour le présent et l'avenir, examinons l'état actuel, et voyons s'il présente tant d'inconvénients que nous ne puissions nous y maintenir.

y

Quant à moi, je suis naturellement disposé à conserver ce qui existe; je crois qu'en matière militaire surtout, l'instabilité est le plus grand des vices. Jusqu'à ce qu'on ait prouvé que ces corps des spahis et des zouaves sont devenus incapables de rendre de bons services, j'en demanderai le maintien. J'en demande le maintien, parce qu'au fond il a en eux une utilité évidente. Ils sont éminemment aptes aux fatigues de la guerre, et pendant la paix ils ouvrent leurs rangs à des indigènes nos amis, qui, bien que nos amis, si nous ne leur donnons pas au besoin une solde ou une occupation guerrière conforme à leur nature, se transforment trop souvent en Arabes vagabonds et en hommes nuisibles aux intérêts du pays; mais qui sont fort utiles lorsqu'on les enrôle à propos sous nos drapeaux.

J'ajouterai que, pour les déserteurs qui viennent des tribus éloignées, c'est un refuge précieux à leur offrir.

Mais ces considérations, dont personne ne peut nier la justesse, et dont on peut désirer faire l'application à l'organisation nouvelle, ces considérations disparaîtront complètement si on se conforme aux détails de l'organisation qui nous est proposée, et sur laquelle j'appelle votre attention.

En effet, M. le ministre vous a dit : « Sans renoncer à l'emploi des indigènes pour les troupes régulières, le moment a paru propice pour réduire le nombre et leur faire prendre place dans les régiments des chasseurs d'Afrique, en les assujettissant à toutes les obligations imposées aux soldats français. »

Je vous le déclare, Messieurs, il y a là une impossibilité matérielle, radicale. Jamais vous n'astreindrez les Arabes à toutes ces obligations. Je ne parle pas de la rigueur de notre discipline qui est peu praticable pour eux; mais je signale l'impossibilité de leur faire adopter nos habitudes.

Ainsi, par exemple (et je ne vous citerai

qu'une chose facile en apparence, ne fût-ce que le costume), vous trouveriez là une résistance insurmontable. En effet, vous n'amènerez jamais les Arabes qui, pour ainsi dire, ne sont pas vêtus, qui restent presque nus sous le burnous qui flotte sur leurs épaules, vous ne les déciderez jamais à endosser un uniforme serré de chasseur à cheval.

Vouloir discipliner, vêtir, ces corps à l'européenne, je dois dire la vérité à la Chambre, ce serait les supprimer complètement. Aussi je dis à ceux qui veulent des corps indigènes avec leur institution actuelle: Ne votez pas l'organisation qu'on vous demande, car vous supprimeriez celle que vous voulez maintenir.

Je dirai même à ceux qui espèrent discipliner, façonner ces corps indigènes à l'européenne Ne votez pas plus cette organisation, parce qu'en définitive vous détruiriez tous les corps indigènes dont aucun ne voudrait se soumettre à de pareilles conditions.

Au surplus, je ne dissimule pas que la situation actuelle présente un aspect peu satisfaisant. Nous avons en ce moment assez de trois régiments de spahis en Afrique un à Bône qui a été créé en même temps, commandé par le commandant Youssouf, actuellement lieutenant-colonel.

Ce régiment, je le répète, n'est plus ce qu'il a été d'abord. Il en est à peu près de même du régiment qui est à Alger, qui avait été aussi postérieurement organisé par le colonel Marry. Mais j'attribue ce dépérissement à la politique et aux vicissitudes de la politique des gouverneurs qui se sont succédé en Afrique. Comme compensation de l'état de langueur où sont maintenant ces deux premiers régiments, il y en a un troisième dans la province d'Oran. Ce régiment est fort de 500 cavaliers parfaitement montés, équipés et armés. Il est suffisamment discipliné et parfaitement commandé dans toutes ses parties par le lieutenant-colonel Youssouf et par des officiers actifs, dévoués, dont quelques-uns portent perpétuent dignement les noms les plus illustres de nos annales militaires.

Je demande donc que ce régiment, qui est excellent, qui peut encore être amélioré, ne soit pas supprimé, et que nous ne perdions pas un corps dont nous pouvons tirer de très grands avantages.

Je dirai très peu de mots des zouaves. Je viens de parler de corps entièrement composés d'indigènes ici il s'agit d'un corps mixte ; j'espère cependant qu'on ne me mettra pas en opposition avec moi-même en employant contre le corps mixte que je viens défendre les arguments que j'ai énoncés en faveur d'une troupe composée entièrement d'indigènes.

M. de Laborde. Je demande la parole.

M. Bertin de Veaux. Les zouaves, je le répète, forment un corps mixte, composé d'Européens et d'Arabes qui sont les plus acclimatés à notre civilisation, les plus rapprochés de nos habitudes, de notre discipline, et qui ne regardent pas comme impraticable notre manière de vivre et de combattre.

Ne voulant point abuser des moments de la Chambre, je ne ferai valoir ici que de timides considérations. Je vous dirai seule

ment, en m'appuyant sur les souvenirs de discussions récentes qui ont eu lieu dans cette session, que vous avez, avec beaucoup de raison, créé dernièrement un bataillon de tirailleurs pour l'employer, sans doute, dans notre armée territoriale en cas de guerre. Vous avez admirablement fait, j'en suis certain, de créer ces tirailleurs sachant porter plus sûrement leurs coups. Jusqu'à présent, en effet, nous n'avons rien à opposer aux soldats de cette arme employés par l'étranger. L'expérience et nos souvenirs nous apprennent que nous avions peut-être à regretter une organisation plus complète sous ce rapport. Mais si vous avez admis dans les régiments du continent européen un bataillon de tirailleurs, à plus forte raison vous devez l'admettre en Afrique, où nous faisons une guerre incessante de ce genre. Tout le monde le sait aussi, Messieurs, pour la paix comme pour la guerre le corps des zouaves est d'une immense utilité pour la guerre ce sont des éclaireurs excellents, et pendant la paix ils multiplient nos relations avec les indigènes.

J'ajouterai enfin que cette troupe est animée au plus haut degré d'un esprit qu'il faut conserver à tout prix dans notre armée.

Depuis trente ans de paix, nous avons conservé bien difficilement ce qu'on appelle l'esprit de corps, et nous n'avons eu que trop rarement la précieuse occasion de le créer. Eh bien vous ne pouvez pas imaginer une troupe qui en soit animée au plus haut degré, et cet esprit de corps, Messieurs, est le germe de tout ce qui se fait de bon, de beau et de noble à la guerre. (Très bien!)

:

Et ces braves gens, ces excellents soldats, comment et à quelles conditions vous en demande-t-on le licenciement? On vous propose de les incorporer dans la légion étrangère. Assurément la légion étrangère est un corps tout à fait estimable et qui se comporte supérieurement; mais remarquons ceci Les Zouaves sont composés de Français et d'Arabes; comment, vous diriez à ces Français, qui sont entrés dans ce corps par une disposition naturelle chez eux à rechercher le poste où on donne et où on reçoit le plus de coups, vous leur diriez Vous allez être licenciés et incorporés, non pas dans un régiment français, où il vous serait peut-être indifférent d'entrer, mais dans la légion étrangère?

Eh bien, je crois que pour ces hommes qui ont rendu les plus grands services en Afrique, c'est une condition trop dure à leur faire, et que certainement beaucoup d'entre eux n'accepteront pas.

Beaucoup, je le répète, aimeraient mieux, et cela est bien naturel, rentrer dans les régiments français, que se voir incorporés dans la légion étrangère, toute bonne, toute brave qu'elle soit et que je la proclame.

Quant aux Arabes, nous leur avons dit, en arrivant en Afrique, qu'ils pouvaient compter sur notre justice: nous leur faisons des lois civiles, nous les dotons de toutes sortes d'institutions à l'instar des nôtres, et nous irions maintenant leur dire Vous n'avez pas qualité pour servir dans nos troupes, et vous allez être incorporés dans la légion étrangère!

Je ne crois pas que cela soit de la bonne politique à l'égard de ces Arabes.

Enfin, Messieurs, ne serait-ce que par souvenir, ne serait-ce que par reconnaissance, permettez-moi de parler ici un peu en militaire, je crois que nous ne devrions pas détruire un régiment comme celui des zouaves.

Le nom de zouaves est immense en Afrique, et, je le répète, ce sont de braves gens qui ont souvent bien mérité de la France, qui se sont toujours parfaitement comportés; vous voudriez donc les licencier, détruire jusqu'à leur nom que feriez-vous de plus s'ils eussent mérité un châtiment sévère. Au surplus, j'en appelle à M. le maréchal Clausel; qu'il dise si, dans toutes les expéditions où il les a employés, il ne les a pas admirés à Mascara, lorsqu'il s'agissait d'aller chercher la capitale de l'émir dans les profondeurs de l'Algérie, au delà de l'Atlas, la haute prévoyance du maréchal a senti le besoin d'avoir avec lui les zouaves; il les fit venir de la province d'Alger, et les zouaves, soit par la nature de leur organisation militaire, soit pour remplir le but même de leur création, les Zouaves étaient toujours à l'avant-garde quand on marchait en avant, et toujours à l'arrière-garde au moment du retour.

Je demande pardon à M. le maréchal de parler ainsi devant lui de ce qu'il a fait de beau et de bien en Afrique; mais dans l'expédition du col de Teniah il peut affirmer que les zouaves se sont conduits en héros. Permettez-moi, Messieurs, de rappeler les paroles d'un officier étranger ému jusqu'aux larmes de leur bravoure: «M. le maréchal, disait-il, en parlant d'un fait de guerre particulier que les zouaves venaient d'accomplir, M. le maréchal, vous avez là les premiers soldats du monde! » Et voilà les soldats que vous voulez aujourd'hui licencier, détruire et faire disparaître de notre armée! (Très bien! très bien!)

Encore un souvenir plus récent, c'est la prise de Constantine! Lorsque la brèche fut ouverte, le moment était décisif, suprême; il allait vaincre ou mourir et lancer sur la brèche une de nos meilleures troupes. Eh bien! ce sont encore les zouaves qui sont montés les premiers, ce sont toujours les zouaves qui se signalent, excitent partout la noble émulation et jamais la basse jalousie, sentiment indigne de notre brave armée. Et comment ont-ils été reçus sur la brèche de Constantine? par une mine effroyable qui les a décimés, qui les a mis en lambeaux; et lorsque leur colonel, le brave Lamoricière, a été blessé lui-même, à qui pensait-il? à lui? Non certes. Il pensait à ses braves soldats, à ses zouaves. Eh bien! nous devons y penser aussi, car ce sont les soldats de la France. Quant à moi, je ne consentirai jamais à la destruction d'un pareil régiment.

Comme je ne puis formuler un chiffre à cette tribune, j'en descends après ces observations. J'avais compté sur mon honorable collègue M. Auguis, qui est infatigable en fait de budget; mais j'apprends qu'il a fait lui-même des efforts infructueux. Je pense que M. le ministre de la guerre prendra ces simples observations en considération, et qu'il maintiendra les corps des spahis et des

Zouaves.

M. Piscatory. Je ne veux dire que peu de paroles de ma place; car, si j'en voulais

dire beaucoup, je le ferais certainement beaucoup moins bien que mon honorable collègue M. Bertin de Vaux.

Mais j'engage toutes les personnes qui pensent comme moi à prendre la parole dans cette question. Si M. le ministre de la guerre ne veut pas prendre un engagement, je crois qu'il est de son devoir de venir dire sa pensée sur le corps des zouaves; ce corps, auquel on vient de rendre justice, est complètement découragé dans la personne de son chef et des soldats par l'état d'incertitude où il se trouve.

On m'a dit que M. le ministre de la guerre ne partageait pas l'opinion de M. le maréchal Valée. Eh bien! je crains de le dire, quand M. Bertin de Vaux, quand M. Auguis ont pris la parole, quand je la prends moi-même, quand M. Allard la prendra, ce que nous voulons, c'est donner force à M. le ministre contre le maréchal Valée.

Savez-vous le reproche que fait M. le maréchal Valée aux zouaves? Celui de déserter. Mais pourquoi ont-ils déserté? Parce qu'on leur mettait une pioche à la main au lieu d'un fusil. Et quel est le sauvage qui ne déserterait pas dans cette circonstance?

Mais au lieu de leur imposer un travail qui ne satisfait à aucune de leurs habitudes, qu'on les mène au feu, et on les retrouvera toujours ce qu'ils ont été à Mascara, au col de Téniah et à l'assaut de Constantine.

Croyez, Messieurs, que s'il y a quelque chose de fondé en Afrique ce sont les zouaves; et je dirai que si M. le maréchal Valée détruisait ce corps il ferait une chose aussi mauvaise qu'il en a fait une bonne en prenant Constantine. Quand mon pays fait une chose que je crois mauvaise, je veux qu'il la fasse au moins de la meilleure manière possible; il n'y a qu'une manière de bien la faire, c'est de conserver des corps où les populations indigènes prennent vos habitudes, notre langue, de telle sorte que nous ne soyons plus des étrangers sur cette terre d'Afrique, puisque nous voulons la garder; mais que nous y soyons deux populations destinées à se fondre l'une dans l'autre, et que nous trouvions partout dans nos rangs des appuis et des auxiliaires. (Très bien! très bien!)

M. le général Schneider, ministre de la guerre. J'ai déjà eu l'honneur de déclarer à la Chambre que mon intention formelle était de maintenir ou de rétablir au besoin le corps des zouaves. J'ai manifesté cette intention à M. le maréchal Valée. J'ai reçu hier à ce sujet de lui une lettre dans laquelle, sans pouvoir s'opposer à mes vues bien arrêtées, il émet quelques doutes sur le recrutement en indigènes. Je lui ai répondu aujourd'hui même, pour lui annoncer qu'une nouvelle ordonnance pourrait se prêter aux proportions nécessaires pour assurer le recrutement, mais en lui disant, dans tous les cas, que mon intention formelle était que le corps des zouaves fût rétabli le plus tôt possible, et la Chambre peut compter que ce corps, qui a excité de si vives sympathies, ne sera point effacé de notre nomenclature.

Le maréchal Valée n'y fait d'ailleurs aucune objection; seulement, il craint que le recrutement en indigènes ne soit difficile et lent.

J'aime à me persuader que le retentissement de ses hauts faits, proclamés à cette tribune, et le vif intérêt qu'il a fait naître, en faciliteront, en multiplieront les moyens de recrutement.

M. Allard. Ainsi, sans apporter aucune augmentation dans tous les chapitres relatifs à la suppression des zouaves, il est entendu par la Chambre que les zouaves seront conservés. M. le ministre n'aura, à cet égard, qu'à se jouer dans les crédits qui lui seront alloués par la Chambre. (Marques de satisfaction.)

(Le chapitre est mis aux voix et adopté.) Chap. V. Gendarmerie, 675,360 francs. (Adopté.)

Chap. VII. Justice militaire, 72,069 francs. (Adopté.)

Chap. VIII. Solde et abonne

ments payables

comme la solde. Vivres et chauffage Hôpitaux...

Service de marche.

17,649,629

Sur ce chapitre, la Commission propose une réduction de 6,200 fr.

M. Gouin rapporteur. C'est l'application d'une décision déjà prise.

(La réduction et le chapitre VIII réduit à 17.643.419 francs, sont successivement adoptés.)

Chap. IX. Habillement et campement, 2,094,885 fr. (Adopté.)

Chap. X. Lits militaires, 397,002 francs. (Adopté.)

Chap. XI. Transports généraux, 189,351 fr. (Adopté.)

Chap. XII. Remonte générale, 315,270 fr. (Adopté.)

Chap. XIII. Harnachement 43,000 francs. (Adopté.)

Chap. XIV. Fourrages, 4,186,454 francs. (Adopté.)

Chap. XVII. Dépôt de la guerre et nouvelle carte de France, 4,000 fr. (Adopté.)

Chap. XVIII. Matériel de l'artillerie, 350,000 francs. (Adopté.)

Chap. XIX. Matériel du génie, 2,796,000 fr. (Adopté.)

Chap. XXII. Services militaires irréguliers en Afrique, 1,945,000 fr. (Adopté.)

Chap. XXIII Services civils en Afrique, 1,355,000 fr. (Adopté.)

M. Pascalis. Tout à l'heure, l'honorable M. Isambert s'est livré, dans d'excellentes intentions, à des critiques de l'administration judiciaire actuelle à Alger; je craindrais que ces observations, que la juste réputation de science dont jouit leur auteur rend plus graves, ne produisissent un effet moral, fâcheux si, comme je le pense, elles ne sont pas fondées. C'est là le seul motif qui me détermine à y répondre en peu de mots.

L'orateur a exprimé d'abord le vœu d'une réforme, dans l'organisation de la justice criminelle, sous ce rapport que les assesseurs

musulmans, quand il s'agit de juger leurs coreligionnaires, ne sont appelés aujourd'hui à prononcer que sur le fait; ils ne sont pas admis à exprimer une opinion sur l'application de la peine. Le principe qu'improuve M. Isambert n'est-il pas la conséquence de la force même des choses? Les assesseurs musulmans ne sont justement appelés à remplir que le rôle des jurés. Comment leur donner le droit de statuer sur l'application de la peine? ce serait leur demander d'engager le plus souvent leur conscience sur ce qu'ils ne peuvent connaître, puisque ces indigènes n'ont pas appris nos lois, et les exposer dès lors ou à suivre en aveugles l'opinion des juges français, ou à tomber dans de graves erreurs aux dépens de leurs justiciables. En outre, pour des musulmans on sait que le Coran est la loi suprême, et même la loi unique. Dès lors les assesseurs de cette religion ne voudraient pas plus user du droit qui est revendiqué en leur nom, qu'ils ne pourraient s'en servir avec discernement.

L'ordonnance du mois d'août 1834 a d'ailleurs pourvu à tout ce que réclame l'humanité en faveur des indigènes lorsqu'ils sont jugés par les tribunaux ainsi mi-partie de musulmans et de magistrats français, en exigeant, lorsque la peine de la loi musulmane est la plus douce, qu'elle soit appliquée; tandis que si c'est la loi française qui prononce une peine moins sévère, cette dernière pénalité est seule infligée.

L'honorable M. Isambert critique ensuite les formes observées auprès des tribunaux d'Afrique comme trop expéditives. Est-ce là encore ce dont il faut se plaindre quand il s'agit d'une organisation aussi nouvelle et d'un pays non moins nouveau pour nous, où les populations étaient habituées à trouver dans la justice, à défaut d'autres garanties, au moins promptitude et célérité? Ces formes, du reste, sont empruntées des lois françaises. Pour les matières criminelles on suit la procédure de nos tribunaux correctionnels; s'il est question de l'instruction des affaires civiles, c'est la forme usitée en France devant nos tribunaux de commerce qui est observée. Ainsi les mêmes protections que nous trouvons suffisantes auprès de plusieurs de nos juridictions importantes sont celles qui ont été importées en Afrique, en les généralisant à toutes les juridictions françaises de nos possessions; assurément l'emprunt ne pouvait être plus heureusement fait.

L'honorable M. Isambert voudrait aussi que les tribunaux d'Alger n'eussent pas le droit de ne prononcer certaines nullités que facultativement. Il me permettra de différer pareillement d'avis avec lui à ce sujet.

Sans examiner si notre législation européenne ne tombe pas dans un excès contraire, et si trop souvent elle ne fait pas succomber le droit sous l'observation des formalités, il a été sage, dans une contrée à peine conquise, d'attribuer aux juges une certaine latitude, afin qu'ils réservent la sanction toujours rigoureuse des nullités pour les omissions essentielles, et qui peuvent porter atteinte au fond du droit lui-même.

Au reste, il est évident que la législation en Algérie n'existe qu'à l'état d'essai, et sous la forme nécessaire de l'ordonnance royale. S'il est désirable que M. le garde des sceaux porte

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