mation dont nous devons entretenir la Chambre. Deux directions se présentent pour mettre Verneuil en communication avec Granville, celle que nous avons citée et une autre qui passerait par Falaise, Condé et Vire. Laquelle des deux est préférable? c'est ce qu'il s'agirait de décider. Le conseil des ponts et chaussées s'est déterminé pour la première, parce qu'elle est plus courte d'environ 5,000 mètres. Le département du Calvados a soutenu que la seconde traversait des centres de commerce et d'industrie plus importants que Briouze et Flers. Il est vrai que Falaise est renommée par une foire célèbre, connue dans toute la Normandie sous le nom de foire de Guibray; mais dans une question de la nature de celle qui se présente ici, dans la question de savoir si tel chemin doit passer par une direction ou par une autre, les Chambres ne peuvent guère intervenir utilement. Il faut qu'elles s'en rapportent à l'Administration, placée dans une position impartiale au milieu de cette lutte entre les localités nous ne pensons donc pas devoir arrêter l'attention de la Chambre sur la polémique soulevée par les départements rivaux; nous inclinons à croire, en jetant les yeux sur la carte de France, en examinant dans quel esprit, d'après quel plan ont été conçues les communications de l'ancienne Normandie, que la route de Falaise à Granville a été tracée comme le prolongement de la route de Rouen à Falaise, tandis que celle de Verneuil à Granville semble plus particulièrement la continuation de la route de Verneuil à Paris. Du reste, toutes deux preuvent avoir leur importance, toutes deux peuvent mériter d'entrer successivement dans le cadre des routes royales; mais aujourd'hui il ne s'agit pas d'autre chose que de mettre Paris en communication avec le littoral de la Manche, par la ligne la plus droite, la plus courte, et par conséquent la plus prompte. Sous ce rapport, il est impossible de méconnaître que la direction adoptée a quelques avantages sur celle qui avait été proposée dans les enquêtes. Le projet de classement pour la partie située dans la zone de défense n'a rencontré aucune objection de la part du génie militaire. Votre Commission vous propose, en conséquence, Messieurs, l'adoption du projet de loi. 1er PROJET DE LOI. Route de Chalon à Strasbourg. Art. 1er. La route départementale de Saône-et-Loire n° 1, de Chalon à Strasbourg, par Navilly et Dôle, est classée parmi les routes royales sous le n° 83 bis, et la dénomination de route de Chalon à Strasbourg. L'entretien de cette route ne passera à la charge de l'Etat qu'après que le département de Saône-et-Loire aura voté les sommes nécessaires pour la mettre en parfait état d'entretien, et pour restaurer les ouvrages d'art qui en dépendent. Art. 2. Le fonds ordinaire de l'entretien des routes royales sera augmenté, à partir de 1840, d'une somme annuelle de 21,000 fr., à l'effet de pourvoir à l'entretien de la nouvelle route. 2o PROJET DE LOI. Route de Thionville à Sterck. Art. 1er. La route départementale de la Moselle n° 1, de Thionville à Sierck et à Trèves, est classée au nombre des routes royales, sous le no 53 bis, et la dénomination de route de Metz à Trèves par Sierck. La nouvelle route s'embranchera dans l'intérieur de Thionville, sur la route royale n° 53, de Metz à Luxembourg. Art. 2. Il est ouvert au ministre secrétaire d'Etat au département des travaux publics, un crédit de trois cent soixante-neuf mille francs (369,000 fr.) pour concourir, avec les sommes offertes par le conseil municipal de Thionville et le conseil général de la Moselle, au perfectionnement de ladite route et à la construction du pont couvert de Thionville. Art. 3. Sur l'allocation déterminée par le second paragraphe de l'article 2, il est affecté cent mille francs (100,000 fr.) à l'exercice 1839, et deux cent soixante-neuf mille francs (269,000 fr.) à l'exercice 1840. Art. 4. Il sera pourvu aux dépenses autorisées par l'article 2 de la présente loi, au moyen du fonds extraordinaire créé pour les travaux publics. Art. 5. Le fonds ordinaire d'entretien des routes royales sera augmenté, à partir de l'exercice 1840, d'une somme de dix mille france (10,000 fr.), à l'effet de pourvoir à l'entretien de la route royale n° 53 bis. 3o PROJET DE LOI. Route de Paris à Granville. Art. 1er. La route de Paris à Granville, par Laigle, Argentan, Flers et Vire, est classée au rang des routes royales, sous le n° 24 bis. Elle s'embranchera à Verneuil sur la route royale n° 12, de Paris à Brest, et empruntera en tout ou en partie les routes départementales de Paris à Granville, de Verneuil à Granville et de Falaise à Granville. Art. 2. Le fonds ordinaire de l'entretien des routes royales sera augmenté. à partir de 1840, d'une somme annuelle de cent dix mille francs, à l'effet de pourvoir à l'entretien de la nouvelle route. SIXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE LA CHAMBRE DES PAIRS DU LUNDI 15 JUILLET 1839. RAPPORT (1) fait à la Chambre par M. le vicomte ROGNIAT, au nom d'une Commission spéciale (2) chargée de l'examen du projet de loi relatif au chemin de fer de Lille à Dunkerque. Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis, déjà adopté par la Chambre des députés, prononce l'abrogation de la loi du 9 juillet 1838, qui a accepté l'offre faite par M. Dupouy aîné, d'exécuter à ses frais, risques et périls, un chemin de fer de Lille à Dunkerque, sous les clauses et conditions spécifiées dans le cahier des charges annexé à la loi. D'après les articles 31 et 54 du cahier des charges, le concessionnaire n'ayant pas encore commencé les travaux, et n'ayant pas versé la seconde partie de son cautionnement d'un million, a encouru la déchéance depuis longtemps. Par suite de cette déchéance la première somme de 500,000 fr. déposée par lui, avant la présentation de la loi, est acquise au Trésor public. Il ne réclame pas contre la déchéance qu'il eût sollicitée lui-même au besoin; mais il réclame contre la disposition rigoureuse de l'article 54 qui le prive des 500,000 francs de cautionnement qu'il a versés. Cet exposé fait voir à la Chambre que le projet de loi a uniquement pour objet d'autoriser le Gouvernement à rendre au concessionnaire la portion de son cautionnement qu'il a versée. Dès lors, pourquoi ne pas le dire simplement par la loi nouvelle, au lieu de se servir de l'expression de rapporter une loi, que la déchéance encourue par le concessionnaire a déjà annulée? Cette observation sur la forme n'a pas paru sans importance aux yeux de votre Commission; le texte des lois a besoin d'être exact et précis pour être clair; et la clarté est un grand mérite en législation. L'autorisation demandée de rendre au concessionnaire la partie de son cautionnement acquis au Trésor, est une chose grave. Non pas qu'il soit de l'intérêt et de la dignité de l'Etat de bénéficier d'une somme de 500,000 francs; mais d'après un autre ordre d'idées que nous allons vous exposer. D'abord, quoiqu'il soit constant que les travaux n'ont pas été commencés, qu'aucune expropriation n'a été faite, et qu'aucune action ou promesse d'action n'a pu être négociée légalement, cependant des transactions auraient pu être faites par le concessionnaire sous le manteau de la concession, à l'insu même du Gouvernement, qui pour (1) N° 78 des Impressions de la Chambre des pairs (2 session de 1839). Voy. le dépôt de ce rapport, ci-dessus, p. 554. (2) Cette Commission était composée de MM. le marquis de Cordoue, le baron Davillier, le comte d'Haubersart, le baron Pelet (de la Lozère), le vicomte Rogniat, Rouillé de Fontaine, le comte Roy. raient compromettre des intérêts privés. Le cautionnement serait une garantie de oes intérêts à défaut de solvabilité du concessionnaire. Ensuite, cette versatilité, qui rompt cette année un contrat solennellement passé l'année précédente, n'est-elle pas d'un fâcheux exemple? Remarquons d'ailleurs, Messieurs, que la crainte de perdre le cautionnement est la seule digue opposée aux demandes multipliées de cette tourbe d'intrigants qui poursuivent avidement des concessions pour mieux duper le public; tourbe affamée, le plus funeste fléau de l'industrie, qui menace d'engloutir l'esprit d'association, et qui déjà lui a fait un mal affreux. Que cette crainte lui soit enlevée, l'espoir de gagner, délivré de la crainte de perdre, la fera croître en nombre et en activité. Heureusement que ces observations sévères ne sont pas applicables à M. Dupouy, ancien député, membre de la chambre de commerce de Dunkerque, homme honorable à tous égards, que ses antécédents, comme sa position actuelle, placent au-dessus de tout soupçon de mauvaise foi, et qui ne paraît avoir demandé cette concession que dans l'intérêt de ses concitoyens. Mais nous ferons des reproches d'un autre genre à ce concessionnaire; c'est d'avoir voulu se placer à la tête d'une vaste et grande entreprise sans avoir les connaissances nécessaires pour la diriger. Ce qui prouve ce défaut de connaissances spéciales, c'est qu'il a pu consentir à souscrire les conditions plus que rigoureuses du cahier des charges dont quelques-unes sont trop onéreuses pour qu'un homme habile en ces matières pût les accepter. Il nous est facile de le montrer; et ici, Messieurs, nous avons besoin de toute votre indulgence, car nous sommes réduits à critiquer le cahier des charges, qui a été l'œuvre des Chambres comme du Gouvernement, puisqu'il était annexé à la loi rendue. Nous ne reculons pas devant ce pénible devoir parce que nous espérons que cet examen ne sera pas inutile à l'avenir. Si nous prouvons que les compagnies ne peuvent que succomber sous le poids des charges qu'on leur impose, peut-être se déterminera-t-on enfin à les alléger. L'article 2 veut que le maximum des pentes n'excède pas deux millimètres et demi par mètre, soit un mètre pour 400 mètres. Tout le monde comprend qu'une faible pente, si voisine de l'horizontalité, oblige nécessairemenu de tenir à peu près toutes les portions du chemin au-dessus ou au-dessous du sol; ce qu'on ne peut obtenir qu'à l'aide, tantôt de hautes levées, ou même d'une chaîne de voûtes en guise de viaducs, tantôt de profondes tranchées ou de souterrains. L'article 18 veut même que les souterrains soient imperméables, condition qui, dans plusieurs localités, pourrait doubler les frais de construction. Tous ces travaux sont sans doute possibles; mais ils ne sont possibles qu'à force de temps et d'argent. Pourquoi cette prescription? La vitesse et la sûreté sont les seules conditions qui doivent intéresser le public, et par conséquent le Gouvernement chargé de veiller à ses intérêts. La vitesse est réglée par l'article 36, qui prescrit en faveur des voyageurs une vi tesse d'au moins huit lieues à l'heure. Cette condition est déjà assez onéreuse pour qu'on laisse le concessionnaire libre de choisir les moyens qu'il juge les moins dispendieux pour l'obtenir. S'il trouve moins dispendieux d'employer des machines plus fortes à monter des pentes moins douces avec la vitesse obligée de huit lieues à l'heure, plutôt que de se livrer aux travaux énormes qu'entraîne inévitablement l'obligation de tenir son chemin presque horizontal, laissez-le faire. Quant à la sûreté, l'administration des ponts et chaussées a jugé elle-même qu'elle n'était point compromise, par des pentes moins douces, puisqu'elle ne demande ordinairement qu'un maximum de pente de un mètre par deux cents. L'expérience prouve tous les jours qu'on l'obtient sur des pentes bien plus roides, en usant par des freins l'excédent des forces des voitures à leur descente. Il n'y avait donc aucun motif raisonnable d'imposer la très dispendieuse condition d'un maximum de pente d'un mètre par 400. L'article 8 ne permet pas de passage à niveau à la rencontre des routes royales et départementales; il veut que le chemin passe au-dessus ou au-dessous de ces routes, à moins d'obstacles locaux dont l'appréciation appartient à l'Administration. Mais ces obstacles locaux n'existent que bien rarement; et le passage au-dessus ou au-dessous de la route ne sera plus qu'une question d'argent, qui touche fort peu l'Administration. Pour apprécier cette nouvelle dépense, supposons le cas le plus favorable, celui où le chemin de fer a une plaine unie à traverser. En Amérique, en Angleterre, en Belgique, et dans tous les pays à chemins de fer, on traverse la plaine presque sans autres frais que ceux de la pose des rails; et, lorsqu'on trouve une route à franchir, on établit les rails sur la route même. On ferme le chemin de fer par deux barrières; à l'approche d'un train de voitures, l'agent de la compagnie stationné aux barrières, les ouvre de manière qu'elles aillent fermer la route de terre dont l'usage est interrompu une demi-minute; le train passe comme un éclair, et les barrières sont aussitôt ramenées sur le chemin de fer. Cette manœuvre est bien simple, peu coûteuse, et ne laisse prise à aucun accident. Mais le chemin de fer qui nous occupe doit passer au-dessus ou au-dessous de la route. Pour passer au-dessus, il faut un pontviaduc, dont la hauteur sous clef, à partir de la chaussée de la route, sera de cinq mètres au moins, dit l'article 9. Il faut de plus à la voûte surmontée d'une couche de terre, un mètre d'épaisseur; ce qui donne en tout six mètres de haut à monter. Pour y parvenir sur une pente d'un mètre par 400 mètres, il faut une levée de 2,400 mètres de long, et une pareille levée à la descente, ce qui donne en tout une levée de 4,800 mètres qui, suivant l'article 5, doit avoir 8,30 de largeur au sommet; en tout ce sera un remblai de 160,000 mètres cubes de terre, y compris les talus de la chaussée. D'autres dépenses viennent s'ajouter à ces dépenses, les unes pour l'achat des terrains nécessaires, soit pour supporter les talus de la levée, soit pour y puiser des déblais égaux aux remblais, soit enfin pour y tablir les longues rampes indispensables aux chemins vicinaux, obligés de monter la levée; les autres pour la construction du pont-viaduc. En passant sous la grande route au lieu de passer au-dessus, on se trouverait entraîné à des constructions plus considérables encore, et surtout plus incommodes. Le cahier qui surcharge le concessionnaire de travaux gigantesques et disproportionnés à leurs résultats, lui est encore onéreux sous d'autres rapports. Ainsi, l'article 41 l'oblige de mettre incessamment à la disposition du du Gouvernement tous moyens de transports pour transporter les troupes et tout le matériel militaire qu'il jugera à propos de faire mouvoir, et cela à moitié prix. Or, comme il est constant qu'aucun chemin de fer ne gagne pas 50 0/0 de ses produits bruts, le concessionnaire éprouvera une perte plus ou moins considérable sur tous ces transports à moitié prix; et sur ces entrefaites, tout le service du commerce serait entièrement suspendu, et par conséquent désorganisé. Il est évident que cette obligation onéreuse amènerait infailliblement sa ruine en temps de guerre, lorsque les mouvements des troupes, des équipages, des munitions se multiplieraient sur une route parallèle à la frontière. L'article 28 le soumet au contrôle et à la surveillance de l'Administration en ce qui concerne l'entretien et les réparations du chemin de fer. Quelle nécessité de faire jouer ce rôle subalterne à l'Administration? elle n'y emploierait sans doute que des agents inférieurs, dont la surveillance tracassière dégoûterait les agents de la compagnie. Les capitaux fuient ces vexations journalières; la première condition pour les attirer, c'est de les laisser maîtres chez eux. En vérité, peut-on craindre sérieusement qu'une compagnie n'entretienne pas son chemin suffisamment pour faire son service en agir autrement ce serait se ruiner. Qu'on fixe, si l'on veut, par un article du cahier des charges, le nombre de tonnes et de voyageurs que le chemin de fer sera tenu de transporter par jour, afin d'obliger la compagnie à avoir des équipages suffisants, et qu'on règle la vitesse; voilà tout ce qui intéresse le public. Nous passons plusieurs autres clauses de détails plus ou moins onéreuses pour arriver à une disposition capitale; celle qui résulte des articles 36 et 45, en vertu desquels le Gouvernement s'empare à son profit de tout le chemin de fer, y compris ses terrains, Ges bâtiments, ses gares, en un mot toutes ses dépendances, et en prive la Compagnie sans aucun dédommagement, au bout de soixante-dix ans, à dater de la loi; ce qui borne la jouissance de la Compagnie à soixante-cinq ans, en retranchant les cinq ans nécessaires à la construction du chemin. Cette disposition mérite d'autant plus de fixer votre attention, qu'on la retrouve reproduite depuis quelques années dans tous les cahiers des charges. Votre Commission vous fera remarquer que son effet immédiat est de priver ces sortes d'entreprises de bien des capitaux, qui sans elle eussent pris cette voie. Ces sortes de placements à fonds perdus ne peuvent convenir à un père de famille, préoccupé du soin d'assurer l'avenir de ses enfants. S'il a la prudence de former une réserve d'une partie des dividendes, afin de rentrer dans Bes capitaux avant que le Gouvernement s'empare du chemin, il craint, non sans raison, que ses enfants n'aient pas la même prudence, et qu'ils n'arrivent au terme fatal où ils se verront dépouillés de leur fortune. Ces placements à fonds perdus, au lieu d'être encouragés, doivent être réprouvés par une saine politique, s'il est vrai que la stabilité des gouvernements repose sur la stabilité des familles. Un membre de votre Commission, allant plus loin, exprime des doutes sur la justice du droit que se réserve le Gouvernement de s'emparer gratuitement d'un chemin de fer à une époque plus ou moins éloignée. Selon lui, lorsqu'il s'agit de la concession 'un pont, nul doute que le retour à l'Etat ne doive être admis; car l'Etat est propriétaire des rivières navigables et de leurs bords; et comme tout autre propriétaire il est parfaitement libre d'imposer au constructeur qui demande à construire sur son terrain, toutes les conditions auxquelles ce dernier veut bien se soumettre; entre autres celle de lui céder le pont en bon état à une époque convenue. Il est juste même que le Gouvernement trouve un dédommagement à l'abandon qu'il fait dans la plupart des cas des revenus d'un bac qu'il affermait à son profit. Mais lorsqu'il s'agit de la concession d'un chemin de fer, l'Etat n'est propriétaire de rien, ne perd rien la concession dans ce cas n'est que l'autorisation accordée au concessionnaire de faire exproprier pour cause d'utilité publique ceux des propriétaires avec lesquels il ne réussit pas à contracter à l'amiable. Cela est si vrai qu'un entrepreneur de chemin de fer qui réussirait à contracter de gré à gré avec tous les propriétaires dont il a besoin de traverser les terrains, pourrait établir son chemin sans consulter le Gouvernement, par la raison que tout propriétaire peut construire sur son terrain tout ce qui ne nuit pas à autrui, et par conséquent y ouvrir des ehemins de fer comme des chemins de terre. Le terrain acquis par le concessionnaire, à l'amiable ou par expropriation, est bien à lui: l'expérience prouve qu'il le paie en général fort cher. Dès lors, pourquoi l'obliger à consentir à s'en dépouiller gratuitement à un terme quelconque ? Mais, dit-on, les intérêts des propriétaires, forcément expropriés, peuvent être lésés. En vérité, cela arrive bien rarement; le jury appelé à fixer le prix veille en général fort bien à leurs intérêts. Toutefois le cas peut se présenter; alors c'est eux qu'il faut dédommager, et non pas le Gouvernement. Le chemin de fer, outre les terrains des particuliers, doit traverser des routes. Les routes sont de trois sortes les unes appartiennent aux communes, d'autres aux départements, et les plus grandes à l'Etat. Nous remarquerons que dans l'espèce, l'Etat et le département se trouvent désintéressés, le concessionnaire ayant souscrit l'obligation de passer au-dessus ou au-dessous des routes royales et départementales. Toutefois admettons ce qui est raisonnable; c'est que le chemin de fer puisse croiser les routes de niveau toutes les fois qu'il pourra éviter ainsi des travaux dispendieux et inutiles. Tout le monde peut se servir. d'une route, et par conséquent les trains du che min de fer peuvent la traverser comme toute autre voiture, avec cette restriction, que l'Administration intervienne, soit à l'effet de régler les travaux spéciaux à faire aux frais du chemin de fer dans la traversée de la route, soit à l'effet d'établir et de faire observer les règlements de police nécessaires à la sûreté des passants. Dans tout cela, l'Etat n'éprouve aucun dommage; nous ne voyons pas par conséquent qu'il y ait lieu de le dédommager par la cession du chemin de fer. Une circonstance s'offre quelquefois ; c'est le passage d'une rivière navigable, qui par conséquent appartient à l'Etat. Il est évident que le Gouvernement, au lieu de livrer gratuitement le droit de passer sur son terrain, peut le vendre comme tout autre propriétaire. Mais il serait par trop rigoureux, et par conséquent injuste, de profiter de cette circonstance pour exiger un jour la remise gratuite du chemin de fer. D'ail leurs, le Gouvernement en autorisant l'expropriation pour cause d'utilité publique, ne s'est-il pas placé lui-même sous cette servitude comme tout autre propriétaire ? Vous remarquerez, Messieurs, qu'un chemin de fer, loin de causer un dommage quelconque à l'Etat, lui procure au contraire de grands avantages. Il soulage du poids de tous les fardeaux qu'il transporte, les routes royales, dont l'entretien lui devient par suite moins dispendieux, sans parler de ses résultats immenses pour accroître la richesse publique, et par conséquent celle de l'Etat. Si l'on objecte que l'Etat une fois maître du chemin de fer, en baissera les tarifs dans l'intérêt public; que d'ailleurs il peut être nécessaire de le faire entrer dans ce vaste réseau de chemins de fer, dont l'Administration se propose de doter la France dans un avenir malheureusement fort éloigné et fort inconnu; nous répondrons, la Charte à la main, que le Gouvernement peut bien acquérir une propriété privée pour cause d'utilité publique, mais non pas s'en emparer gratuitement. En supposant que la loi sur les expropriations forcées soit impuissante pour des acquisitions de chemins de fer, ce que nous ne pensons pas, il s'est prudemment réservé le droit de rachat par l'article 44, qui va jusqu'à régler d'avance les clauses de ce rachat. Ainsi, dans ce qu'on nomme une concession de chemin de fer, l'Etat ne cède aucune propriété, n'avance aucun fonds, n'aide en rien la compagnie; et le chemin de fer loin de lui être dommageable en quoi que ce soit, lui est au contraire d'un grand avantage sous tous les rapports. Le Gouvernement n'a à intervenir que pour faciliter l'achat de quelques terrains et que pour établir quelques mesures de police et de sûreté; et l'on profite de ces circonstances pour faire souscrire aux concessionnaires l'obligation de céder gratuitement ter rains, rails, bâtiments. gares, etc., en un mot, tout ce qui constitue le chemin de fer! Sans doute cette cession à terme est légale puisqu'elle est autorisée par une loi, mais tout ce qui est légal n'est pas juste. Malgré les observations qui précèdent, le Gouvernement peut-il sans injustice insérer dans le cahier des charges la condition du retour gratuit à l'Etat d'un chemin de fer à la construction duquel l'Etat n'aurait contribué en rien, par aucunes cessions d'argent, de terrains ou autres? Votre Commission, Messieurs, sans émettre une opinion formelle sur cette haute question, croit devoir la recommander à la sérieuse attention des savants magistrats et des habiles jurisconsultes qui siègent dans cette enceinte; bien persuadée que s'il résulte des débats qu'il y ait doute sur la justice de cette condition de retour à l'Etat, on ne la trouvera plus désormais dans le cahier des charges des concessionnaires de chemins de fer. Un Gouvernement s'honore en évitant jusqu'au soupçon d'une injustice. Après cet examen consciencieux de la ride plusieurs des conditions du cahier gueur des charges du chemin de fer de Lille à Dunkerque, conditions dont la plupart sont répétées dans les cahiers des autres concessions, vous ne vous étonnerez pas que les capitaux fuient ces sortes d'entreprises. Cette rigueur excessive n'a pas toujours été déployée au début des chemins de fer en France, il y a douze à quatorze ans, on laissait les concessionnaires maîtres des pentes, des courbes, et on leur accordait les concessions à perpétuité. L'adjudication ne portait que sur le rabais des tarifs, la chose effectivement qui intéresse le plus le public. Aussi, quoique l'art des constructions des chemins de fer fût encore dans l'enfance, plusieurs chemins s'exécutèrent, particulièrement celui de Lyon à Saint-Étienne. Pour ce dernier, la chose n'était pas facile; il s'agissait d'escalader, par une gorge étroite, les montagnes élevées qui séparent le bassin du Rhône du bassin de la Loire; et cependant il s'acheva malgré des embarras d'argent, au milieu des troubles qui ensanglantaient Lyon et qui soulevaient les ouvriers de Saint-Etienne. Sans doute qu'il n'est pas parfait; que son exécution laisse à désirer; des pentes de 1 mètre par 75 mètres sont bien roides, des courbes de 500 mètres de rayon sont un peu resserrées. Tel qu'il est, cependant, il suffit à un service plus actif peut-être que celui de tout autre chemin de fer, et cela au meilleur marché possible. Depuis le peu d'années qu'il est en exercice, la prospérité de Lyon s'accroît journellement, et la population de SaintEtienne s'est déjà doublée. Certes, si quelques-unes des charges que nous d'examiner lui eussent été imposées, nul doute qu'il ne se fût pas exécuté. venons Depuis lors, on a changé de système: les clauses et conditions sont devenues d'une rigueur extrême. Mais voyez ce qui arrive; rien ne s'exécute, rien ne vient à bien; les concessionnaires sollicitent de toutes parts la faveur de renoncer à leurs concessions. Pendant ce temps, l'Amérique, l'Angleterre la Belgique se couvrent de chemins de fer, qui accroissent rapidement leurs prospéri tés. Si le Gouvernement est impuissant pour faire lui-même, qu'il consente du moins à laisser faire. Parmi tous ces chemins mort-nés, celui de Lille à Dunkerque est un des plus regrettables. Il eût fait de Dunkerque le port de la grande ville manufacturière de Lille. Au Tieu que si le Gouvernement n'y prend garde, un autre port, celui d'Ostende, va le remplacer. Les Belges se hâtent d'achever un chemin de fer d'Ostende à Courtray par Gand. De Courtray à Lille, il n'y a qu'un pas; et ce pas ils espèrent bien parvenir à le franchir. S'ils y parviennent, le port de Dunkerque sera déshérité de l'arrivage des marchandises de Lille, et le département du Nord de leur transit. Nous croyons vous avoir suffisamment montré, Messieurs, que les clauses et conditions, imposées au concessionnaire par le cahier des charges, sont beaucoup trop rigoureuses pour qu'il pût espérer raisonnablement de trouver des actionnaires sérieux. D'après ce motif, l'équité veut qu'on lui rende son cautionnement de 500,000 francs. Votre Commission est unanime pour vous proposer l'adoption du projet de loi. PROJET DE LOI (1). « Article unique. La loi du 9 juillet 1838, qui a accepté l'offre faite par le sieur Dupouy aîné, d'exécuter à ses frais, risques et périls, un chemin de fer de Lille à Dunkerque, est et demeure rapportée. «En conséquence, les clauses et conditions du cahier des charges arrêté le 17 mai 1838, par le ministre des travaux publics, de l'agriculture et du commerce, et accepté le 18 du même mois, par le sieur Dupouy aîné, seront considérées comme nulles et avenues. >> SEPTIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE LA CHAMBRE DES PAIRS DU LUNDI 15 JUILLET 1839. non PROJET DE LOI (2) qui modifie le cahier des charges joint à la loi du 6 juillet 1838, portant concession du CHEMIN DE FER DE PARIS A LA MER, présenté par M. J. DUFAURE, ministre des travaux publics. EXPOSÉ DES MOTIFS. Messieurs les pairs, une loi du 6 juillet 1838 a concédé aux sieurs Chouquet, Lebobe et compagnie l'exécution, à leurs frais, risques et périls, d'un chemin de fer de Paris à Rouen, au Havre et à Dieppe, avec embranchements jusqu'à Elbeuf et jusqu'à Louviers. Le capital social était fixé à 90 millions; mais les nouvelles études de la compagnie font craindre que ce capital ne (1) Ce dispositif ne figure pas au Moniteur. (2) N 71 des Impressions de la Chambre des pairs (2o session de 1839'. Voy. le dépôt de ce projet de loi, ci-di Le texto de ce projet n'a pas iteur. |