ARCHIVES PARLEMENTAIRES RÈGNE DE LOUIS-PHILIPPE CHAMBRE DES DÉPUTÉS PRÉSIDENCE DE M. SAUZET. Séance du mercredi 3 juillet 1839. La séance est ouverte à 1 h. 1/4. Le procès-verbal de la séance du mardi 2 juillet est lu et adopté. M. le Président procède au renouvellement des bureaux. SUITE DE LA DISCUSSION DU PROJET DE LOI RELATIF AUX ARMEMENTS MARITIMES DANS LE LEVANT. M. le Président. L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi sur le crédit extraordinaire de 10 millions pour les armements maritimes du Levant. La parole est à M. le rapporteur pour résumer la discussion. M. Jouffroy, rapporteur. Messieurs, au terme de ce long et solennel débat, la tâche du rapporteur de votre Commission est facile. En effet, les paroles réservées et qui devaient l'être, que le cabinet a fait entendre, loin de soulever des objections contre la po litique indiquée dans notre rapport, ont plutôt témoigné de l'assentiment du Gouvernement à cette politique; et, d'un autre côté, toute la discussion, loin d'ébranler sérieusement les bases que nous avons posées, n'a fait, je crois pouvoir le dire, que les confirmer et les affermir. Ce à quoi on devait s'attendre, Messieurs, est arrivé. La question renfermait le germe de certains systèmes exclusifs, et que je pourrais appeler excentriques. Dès le premier jour, ces systèmes se sont produits; ils ont 2 SERIE. T. CXXVII. trouvé dans cette enceinte d'habiles, d'éloquents interprètes. Je me suis réjoui, pour mon compte, de cette manifestation, et je m'en félicite par deux raisons la première, c'est que ces systèmes ont mis en relief certains côtés de la grande question de l'Orient; la seconde, c'est que, s'ils avaient été tenus en réserve, ils auraient laissé et dans cette Chambre et dans le pays des illusions que la discussion a dissipées; car, il n'est pas inutile de le remarquer, ces systèmes ont mal subi l'épreuve du grand jour; le bon sens de cette Chambre en a saisi, et la discussion en a révélé ou l'impossibilité ou l'insuffisance. Aussi n'ont-ils point trouvé d'appui dans la discussion; et, dès le second jour de ces débats, presque tous les orateurs qui ont été entendus n'ont fait que développer avec talent ou que défendre avec éloquence la politique que nous avions indiquée. Ce résultat, Messieurs, ne nous a ni étonnés, ni enorgueillis. Il y a rarement deux conduites raisonnables en politique; et quand les éléments d'une question sont donnés, la bonne et la vraie se révèle à tout esprit droit. Ce qui distingue les hommes d'Etat, c'est moins la vue de ce qu'il y a à faire, que la résolution, la suite, le courage et l'habileté dans l'exécution; là est la supériorité en politique, beaucoup plus que dans la concep tion. Je ne reviendrai point. Messieurs, sur les systèmes auxquels je viens de faire allusion; les examiner de nouveau fatiguerait inutilement l'attention épuisée de la Chambre; enencore moins me paraît-il nécessaire de défendre la politique de la Commission, puisque le débat ne l'a point ébranlée : j'userai d'une manière plus utile du droit que les usages de la Chambre m'accordent, en m'efforçant de dégager de cette longue discussion le petit nombre de vérités incontestables 1 que le pays doit retenir, et qui doivent servir de base à la conduite de la France dan; l'affaire d'Orient. Je sens toute l'impatience de la Chambre et je serai très bref. La première de ces vérités, Messieurs, c'est qu'il y a en Orient deux points qui ne peuvent, sans péril pour l'Europe en général et pour la France en particulier, cesser d'être entre les mains de puissances indépendantes et tomber au pouvoir d'une des puissances de l'Europe. Ces deux points, vous les avez déjà nommés: ce sont Constantinople d'une part, et l'Egypte de l'autre. Admettez en effet, Messieurs, qu'un tel événement s'accomplisse, et voyez les conséquences qui en résulteraient commercialement, il livrerait à ces puissances les relations de l'Europe avec l'Asie, et, par cela même, en grande partie, le commerce du monde; maritimement, il leur donnerait l'empire de la Méditerranée, et ferait de cette mer un lac à elles; territorialement, il les agrandirait de telle sorte, que l'équilibre de l'Europe en serait détruit; politiquement enfin il en ferait des puissances telles, que toute autre tomberait immédiatement au rang de puissance de second ordre. Il suffit que la Chambre veuille se représenter quelle serait la carte du monde après un tel événement pour qu'elle n'hésite pas à penser que l'Europe, que la France, doivent à tout prix le prévenir. La seconde vérité, Messieurs, qui doit ressortir de ce débat, c'est que l'indépendance de chacune des positions que je viens de signaler est étroitement liée à celle de l'autre, en sorte que pour garantir l'une, il faut les protéger toutes les deux. Je m'adresse particulièrement ici à ceux des honorables membres qui, dans la discussion, se sont montrés plus spécialement préoccupés, ou du salut de l'Egypte, ou de celui de Constantinople, et je les prie de vouloir bien y réfléchir; ils trouveront que les deux causes n'en font qu'une, et qu'elles ne peuvent être séparées. Veut-on préserver l'Egypte, il faut défendre Constantinople; car si Constantinople tombait au pouvoir d'une puissance de l'Europe, cela même autoriserait et pourrait déterminer une autre puissance à mettre la main sur l'Egypte; et réciproquement. Je conseillerais donc à ceux qui craignent surtout pour l'Egypte de défendre l'Egypte à Constantinople; comme je conseillerais à ceux qui craignent surtout pour Constantinople de la défendre en Egypte si l'Egypte était menacée; car, encore une fois, les deux questions sont intimement liées et n'en font qu'une. (Très bien!) C'est là, Messieurs, qu'est le vice radical des deux politiques exclusives qui se sont produites à cette tribune et qu'un orateur a caractérisées par la dénomination de système arabe et système ottoman. En effet, si la France se déclarait exclusivement, comme on le lui a demandé, la protectrice de l'Egypte; cela donnerait à d'autres puissances le droit de se porter les protectrices exclusives de l'empire ottoman; or, vous le savez, Messieurs, les empires périssent aussi bien par la protection que par l'hostilité, et Rome ne fit pas moins de conquêtes par l'une de ces voies que par l'autre. Il en serait de même si la France, comme on le lui a demandé d'un autre côté, ne s'in quiétait que du droit de l'empire ottoman, sans tenir compte du fait de la puissance égyptienne. A coup sûr, le pacha ne manquerait pas de protecteurs. Il en trouverait dans les puissances mêmes qui semblent lui être aujourd'hui le plus hostiles, et en supposant ces puissances ambitieuses, ce rôle les mènerait aussi bien à leurs fins que l'hostilité Toute politique exclusive est donc dangereuse, Messieurs, dans l'affaire d'Orient. C'est là la conséquence directe du principe que je viens d'essayer de rappeler à la Chambre. Une troisième vérité, qu'elle ne doit point perdre de vue, c'est qu'en fait, des deux positions qu'il lui importe de garantir, il n'y en a qu'une aujourd'hui qui soit directement menacée; et cette position est Constantinople. Elle est menacée d'une manière éloignée mais permanente par la situation de la Rusie et par ses intérêts présumés; elle est menacée d'une manière plus immédiate et plus directe par le traité d'Unkiar Skelessi, qui autorise la Russie à intervenir dans les affaires de la Porte, toutes les fois que celleci le demandera. C'est là qu'est, pour le moment, le péril; péril direct pour Constantinople, indirect pour l'Egypte, grand à ce double titre pour l'Europe. C'est donc là aussi qu'il importe actuellement de porter le remède; c'est de ce côté et sur ce point que les efforts de toute saine politique doivent se diriger. Or, le remède, Messieurs, nous persistons. à croire qu'il n'y en a qu'un; nous l'avons indiqué, nous le reproduisons, et le voici : créer un concert européen, s'il est possible; occidental, tout au moins, si le concert européen n'est pas possible, ayant pour base ce principe, que personne ne doit s'agrandir en Orient, et pour but de mettre l'Orient sous la garantie du droit public de l'Europe et d'en régler d'une manière définitive la situation, en tenant compte et des droits et des faits tels que les événements les donneront. Telle a été, telle demeure après la discussion la pensée de la commission. E ici, Messieurs, qu'il me soit permis de regretter qu'un esprit aussi sensé que celui de M. Tocqueville ait gratuitement transformé cette idée en celle d'un congrès, et se soit ainsi donné l'apparence de combattre les opinions de la Commission au moment même où il les développait avec autant de jugement que de talent. La Commission, Messieurs, sait parfaitement qu'un congrès n'est que la dernière phase de la conduite politique qu'elle a conseillée. Un congrès, en effet, suppose un concert général préalable, et un concert général ne peut être amené que par un concert moins général, lequel luimême a besoin d'être provoqué par l'initiative d'une puissance. En indiquant le but qu'elle avait en vue, la Commission n'a pas prononcé le mot de congrès. Elle a parlé d'un simple concert; et il y a une parfaite identité entre sa pensée et celle qu'a développée M. de Tocqueville. Le dernier point, Messieurs, sur lequel je crois devoir insister, c'est que, dans la situation des choses, cette initiative qui seule peut provoquer et amener le concert que nous réclamons, il appartient à la France de la prendre. Si l'on considère, en effet, que six longues années ont été perdues dans l'affaire d'Orient par la mollesse de la politique des cabinets occidentaux, on sent qu'il est temps que ces cabinets se réveillent et s'entendent. Il y a, Messieurs, à provoquer ce réveil et ce concert, un rang élevé à prendre et une utile influence à acquérir. La France, n'étant pas suspecte et étant éminemment intéressée à la conservation de l'empire ottoman, est naturellement appelée à cette initiative. Si elle la prend courageusement, nous l'avons dit et nous le répétons, elle ne manquera pas d'alliés; et si elle n'amène pas toute l'Europe à une intervention en commun dans les affaires d'Orient, du moins y trouvera-t-elle assez d'appuis pour garantir l'empire ottoman, et l'Europe avec lui, du péril qui les menace. Telle est, Messieurs, en traits rapides et imparfaits, la politique bien simple, j'ose le dire, qui a été indiquée dans le rapport de votre Commission, et dont j'ai cru devoir rappeler sommairement les bases. On a dit que cette politique était timide. Timide, Messieurs? Assurément ceux qui ont prononcé ce mot n'y ont pas réfléchi. Une politique dont le but est de mettre obstacle en Orient à tout projet d'agrandissement, et de placer l'empire ottoman sous la garantie du droit public de l'Europe, n'est certes rien moins que timide; ce que nous craindrions plutôt, si nous n'avions pas en face de nous, sur ces bancs, des amis sincères de leur pays, et des gens de cœur, ce serait qu'une telle politique ne fût au-dessus de la résolution et du courage du cabinet. On a dit encore que cette politique engageait l'avenir, c'est une autre erreur. Quand une puissance comme la France cherche à faire prévaloir dans les conseils de la diplomatie européenne une politique de justice et de conservation, elle ne s'engage qu'à une chose; c'est à y rester fidèle si on l'adopte. Mais si elle échoue, Messieurs, ou par les effets d'une aveugle ambition, ou par l'entraînement quelquefois irrésistible des événements, l'engagement cesse, et chacun rentre dans son droit naturel de sauver ses intérêts et d'y pourvoir. ce Ainsi cette politique n'engage que qu'elle doit engager; et ceux qui ont prononcé ce mot se sont entièrement mépris sur la portée des idées qu'ils accusaient. On a dit encore que cette politique était celle du statu quo; et j'avoue que de toutes les dénominations qu'on peut lui appliquer, la plus impropre me paraît être celle-là. Et, en effet, ce qui existe à présent, cette politique tend à le changer, et à le changer complètement. Ce qui existe à présent en Orient, c'est, d'une part, une situation indécise, non réglée, non garantie, entre la Porte et l'Egypte; c'est, de l'autre et surtout le protectorat exclusif de l'empire ottoman par la Russie. Eh bien! la politique que nous conseillons a pour objet de changer ces deux choses; elle a pour objet, sinon de substituer, tout au moins d'opposer au protectorat exclusif de la Russie un protectorat plus large qui garantisse efficacement la Turquie sans exposer l'Europe; elle a pour objet ultérieur d'amener, par l'autorité des conseils et d'une puissante influence, un arrangement définitif et stable entre le sultan et l'Egypte. Si c'est là conserver ce qui est et demeurer dans le statu quo, il faut convenir du moins qu'on change la langue et qu'on ne laisse pas aux mots leur acception naturelle. Enfin, en a dit que cette politique poursuivait une chimère, attendu que l'empire ottoman n'était plus qu'un cadavre et qu'on ne pouvait rien fonder en Orient. Je ne puis, Messieurs, admettre ni l'une ni l'autre de ces assertions, quelque éloquence qu'on ait mise à les soutenir. On ne peut rien fonder en Orient? Mais toute l'histoire dément ce présomptueux axiome. L'empire ottoman est mort. Qu'en savez-vous? Peut-être ce que vous appelez mort n'est-il qu'une transformation. (Mouvement.) Mais, cela fût-il vrai, sous un peuple qui meurt, il y en a toujours d'autres qui naissent, et la mort d'un homme ne donne à personne le droit de s'emparer de son bien au détriment de ses héritiers naturels. (Assentiment.) J'ai fini, Messieurs; je crois avoir dégagé les idées fondamentales déjà indiquées dans le rapport de la Commission et que la discussion n'a fait que confirmer. Je crois, d'autre part, avoir répondu, autant qu'elles le méritaient, aux observations qui avaient été opposées à ces idées. Il ne me reste qu'à adresser, en terminant, quelques mots au cabinet. (Ecoutez! écoutez!) Messieurs, cette grande question et ce grand débat imposent au cabinet une responsabilité immense, on peut le dire. En recevant de la Chambre les 10 millions qu'il est venu lui demander, il contracte un solenne! engagement; cet engagement, c'est de faire remplir à la France, dans les événements de l'Orient, un rôle digne d'elle, un rôle qui ne la laisse pas tomber de la qu'elle occupe en Europe. C'est là, Mesposition élevée sieurs, une tâche grande et difficile; le cabinet doit en sentir toute l'étendue et tout le poids. Il est récemment formé, il n'a pas encore fait de ces actes qui affermissent et qui consacrent une administration; mais la fortune lui jette entre les mains une affaire si grande que, s'il la gouverne comme il convient à la France, il sera nous osons le dire, le plus glorieux cabinet qui ait administré les affaires de la nation depuis 1830. (Assentiment.) M. le Président. La discussion générale étant terminée, je consulte la Chambre pour savoir si elle veut passer à la discussion des articles. (La Chambre, consultée, décide qu'elle va passer à la discussion des articles.) Art. 1er. « Il est ouvert au ministre secrétaire d'Etat au département de la marine et des colonies, sur l'exercice 1839, un crédit extraordinaire de dix millions. « Ce crédit sera spécialement destiné à augmenter, au besoin, le nombre des bâtiments armés, actuellement employés dans la Méditerranée. » (Adopté.) Art. 2. M. le Président. Vous avez la parole. M. le Président. M. Arago a la parole pour le dépôt d'un rapport. M.Arago, rapporteur. J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le rapport de la Commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi tendant à accorder une pension à MM. Niepce et Daguerre. Plusieux voix: Lisez! lisez ! (M. Arago dépose son rapport entre les mains de M. le Président et descend de la aribune.) M. le Président. Le rapport sera imprimé et distribué (1). Je proposerai à la Chambre de fixer la discussion à samedi prochain. (Oui! oui!) (Cette fixation est adoptée.) M. le Président. La parole est à M. Tesnière pour le dépôt d'un autre rapport. M. Tesnière, rapporteur. Je demande la permission de déposer sur le bureau le rapport sur le chemin de fer de Bordeaux à la Teste. Je demande aussi que la discussion soit renvoyée à samedi prochain. M. Arago. Je demanderai à la Chambre la permission de vouloir bien fixer, d'une manière définitive, le jour de la discussion sur les pensions à accorder à MM. Niepce et Daguerre... Quelques voix : C'est fixé. M. Arago. Je le demande par la considération que voici il a semblé à votre Commission qu'il serait agréable à MM. les députés de voir les résultats que M. Daguerre à obtenus par son admirable méthode; et nous avons pris les dispositions nécessaires pour que, le jour qui sera fixé, on puisse déposer ses produits dans l'une des salles de la Chambre. Plusieurs voix : Indiquez vous-même le jour! M. le Président. La Chambre a fixé le jour. Le rapport pourra être, sans difficulté, distribué demain, et la discussion sera mise en tête de l'ordre du jour de samedi. M. Billaudel. On a demandé la lecture du rapport de M. Arago : cette question n'a pas été décidée. M. le Président. Si la Chambre désire entendre cette lecture... (Oui! oui! Non! non!) Si on n'insiste pas, la Chambre passe à l'ordre du jour qui appelle la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer de Paris à Orléans. (La Chambre n'insiste pas pour la lecture du rapport de M. Arago.) DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LE CHEMIN DE FER DE PARIS A ORLÉANS. M. le Président. La parole est à M. Desmousseaux de Givré contre le projet. Plusieurs membres : Il est absent! M. le Président. Alors elle est à M. Pascalis. M. Pascalis. Messieurs, je n'ai pas l'intention, en prenant la parole dans cette discus sion, de faire un discours, je veux seulement vous présenter quelques observations, non pas contre ni pour, mais sur le projet, en distinguant ce qui, dans ses dispositions, me paraît devoir obtenir l'approbation de la Chambre et ce qui me semble devoir en être retranché sans en altérer la première pensée. Ainsi, Messieurs, je réduirai ces observations à ce qui est absolument pratique et actuellement applicable dans le projet de loi. Parmi les compagnies qui ont formé l'entreprise peu mesurée de nous donner des chemins de fer, l'une des plus sérieuses assurément, l'une de celles qui méritent le plus l'intérêt de la Chambre et celui du Gouvernement, est la compagnie qui a voulu mettre, par l'un de ces moyens, Paris en communication avec Orléans. Si elle a commis, comme toutes les autres, des erreurs dans l'évaluation de la dépense, au moins ces er reurs ne sont pas disproportionnées avec la dépense probable, telle que l'expérience et de nouvelles études l'ont indiquée. En effet, M. de Fontaines avait évalué cette dépense à 20 millions. Ce n'est pas à cette évaluation que la compagnie a dû s'arrêter, et dans le rapport même de la Commission, fait au sujet de la loi de 1838, elle fut bien avertie que cette évaluation était inférieure à la vérité, que 30 millions, et au delà, seraient nécessaires pour l'exécution de ce chemin. Or, on nous dit maintenant que 40 millions suffiront afin de réaliser cette grande entreprise. D'ailleurs, cette compagnie a versé une partie considérable de la somme qui doit lui être nécessaire, 10 millions sur 40. Restreignant sagement l'emploi de cette somme, elle l'a appliquée dans tout le parcours de Paris à Corbeil seulement. Ainsi, Messieurs, il est convenable, utile et juste, de venir en aide à une compagnie qui prouve par de tels précédents qu'elle a la conscience de ses engagements, qui veut les exécuter, et qui offre d'ailleurs d'autres garanties cela est reconnu, dans la direction sage, économique, intelligente, qu'elle a donnée aux travaux déjà exécutés. Il faut donc approuver, je le crois, la partie des projets qui autorise le Gouvernement à apporter certaines modifications à la direction de la ligne qu'il s'agit d'exécuter, à l'inclinaison des pentes, aux tracés des courbes, enfin aux tarifs. Sur tous ces points, s'il fallait, à mesure que le besoin s'en fera sentir, recourir à l'intervention législative, on pourrait être arrêté dans les travaux à faire, on serait exposé à perdre un temps précieux. Il est avantageux que le Gouvernement puisse accorder ces modifications; d'ailleurs il n'existe dans l'usage de cette faculté aucun inconvénient, car vous vous êtes rassurés, en l'accordant, par ces deux considérations. Je puise la première, dans l'intérêt de la compagnie elle-même, car elle doit veiller à la solidité d'exécution des travaux, afin d'attirer le public qui doit parcourir le chemin, et afin de diminuer autant que possible les frais d'entretien, dont l'accroissement au delà d'une proportion ordinaire pourrait non seulement altérer, mais tarir dans leurs sources les chances de bénéfice. La seconde se trouve dans l'intervention du Gouvernement, dont la surveillance nécessaire préviendra au besoin la mauvaise exécution des travaux. C'est encore une disposition qu'il faut maintenir dans le projet que celle qui établit que la compagnie continuera à être tenue d'exécuter la partie du chemin entre Paris et Juvisy, avec embranchement sur Corbeil. Il est vrai qu'au premier abord on n'est pas frappé de l'utilité de cette disposition. Si le cahier des charges établissait que la compagnie tomberait en déchéance, dans le cas où elle ne commencerait pas ses travaux dans le délai déterminé, cette déchéance devient impossible, puisque les travaux ont été commencés dans le délai fixé. D'un autre côté, le cahier des charges oblige la compagnie à compléter l'exécution de ces travaux dans un autre délai également déterminé. Or, ce terme est loin d'être arrivé. Les premiers statuts de la compagnie lui permettent de mettre la main à l'œuvre partout où elle le voudra, dans tout le parcours de sa ligne. Ainsi, en lui disant de resserrer ses travaux dans un parcours limité, la disposition de la loi qui a trait à cet objet ne confère aucun droit à la compagnie, ne change en rien sa position. Cette disposition n'a évidemment que la force d'un conseil; mais ce conseil, il est utile de le donner avec toute l'autorité qu'il emprunte à la source dont il émanerait, celle de la loi elle-même, puisqu'il importe au bien-être, à l'avenir de l'entreprise, que les travaux ne soient pas disséminés sur un long parcours, de manière à n'être achevés nulle part, à l'aide des moyens limités, dont actuellement la compagnie peut seulement disposer. Il est une autre partie du projet à laquelle la Chambre doit aussi son assentiment, c'est celle qui veut que si, après le 1er janvier 1841, la compagnie se trouve dans l'impuissance de pousser le chemin au delà de Juvisy, elle aura la faculté de renoncer au surplus de l'entreprise; qu'alors le cautionnement sera rendu; que l'Etat aura la faculté de rembourser les dépenses qui auront été faites dans les travaux exécutés jusqu'à Corbeil, et qu'il sera mis en ce cas au lieu et place de la compagnie. Tout ici me paraît sagement concilié; les droits de la justice, l'intérêt légitime de la compagnie et l'intérêt de l'Etat. Il est juste, en effet, le chemin de fer de Paris à Orléans étant reconnu utile, non pas d'une utilité relative, mais d'une utilité générale, l'Etat devant l'exécuter si une compagnie ne s'en chargeait pas, que l'Etat indemnise la compagnie qui se trouvera avoir travaillé pour lui, de toutes les dépenses que cette compagnie aura faites. La compagnie sera donc indemnisée et l'Etat n'éprouvera pas de préjudice. L'Etat ne doit pas se placer vis-à-vis de la compagnie dans la situation d'un spéculateur qui tirerait profit de sa ruine; il doit le paiement complet de tout ce qui lui profitera, au moyen de l'exécution d'un chemin dont il reconnaît la nécessité. En même temps, l'intérêt de la compagnie se trouve entièrement garanti; car elle est certaine, moyennant une bonne exécution des travaux et leur confection actuelle dans un parcours limité, que si, trompée dans son attente, elle n'obtient pas de bénéfices, du moins, échappant à toute chance de perte, elle ne sera en aucun cas réduite à se constituer en faillite. Cette partie du projet vient en aide à la compagnie sans porter préjudice à l'Etat; c'est ici une assurance qui lui est donnée, à l'égard de laquelle l'Etat, à cause de sa position, peut n'exiger aucune prime de l'assuré. Enfin, le projet avise également avec sagesse à l'intérêt de l'Etat. L'expérience a bien avancé cette démonstration, qu'il n'y a d'avenir, pour l'exécution des grandes lignes, qu'autant que l'Etat les accomplira lui-même, parce que seul il peut disposer de capitaux considérables, tels que ceux qu'exigent de semblables entreprises, parce que Ï'Etat doit retirer des chemins de fer des avantages indirecte, qui en feront pour lui une source de profits, lors même que, comme spéculation particulière, de tels travaux ne |