trouverez, je l'ai déjà dit, que la compagnie est tenue de commencer les travaux dans un an, et les travaux étant commencés, de les terminer dans les huit ans, en leur donnant, dans l'intervalle, un degré d'activité déterminé; sans cela elle tombe en déchéance; mais il n'y a de déchéance qu'à ces conditions. Or, où en sommes-nous maintenant? Nous sommes à la fin de la première année. La compagnie a exécuté des travaux, bien peu, si vous voulez; mais enfin elle a exécuté des travaux, elle a acheté des terrains, elle a étudié des tracés, elle a rédigé des devis. M. Odilon Barrot Elle a exécuté plus de travaux qu'elle n'en avait le droit. M. Damon (de Lot-et-Garonne). C'est de l'exécution, ou je me trompe fort, et même ce que le cahier des charges entendait par exécution, parce que le cahier des charges prévoyait bien que la première année serait une année d'étude et non de construction. Ce n'est pas moi qui interprète ainsi le cahier des charges, c'est votre Commission ellemême qui vous propose le rejet du projet de loi. Il n'y aura donc de déchéance acquise que dans deux ans si, à cette époque, les travaux ne sont pas à la moitié de leur cours. A la fin de la troisième année..... Une voix : C'est de la sixième année. Une autre voix : Cela ne fait rien, l'argument est le même. M. Dumon (de Lot-et-Garonne). Six ans, soit voulez-vous attendre le terme de la déchéance? mais jusque-là, pas de chemin de fer, soit par les plateaux, soit par les vallées; car la concession du chemin par les plateaux interdit au Gouvernement de faire de concession de chemins de fer par les vallées ; ainsi, dans cette situation, le Gouvernement ne peut (permettez-moi l'expression) que rester l'arme au bras pendant deux ans, ou même pendant sept ans, sans accorder de concessions. M. Gauguier. C'est là une bien mauvaise position. (Hilarité.) M. Dumon (de Lot et-Garonne). Sans doute, mais cette position est celle que la loi a faite. Vous n'y pouvez rien changer; pendant deux ans pas de déchéance, la compagnie ne peut perdre que son cautionnement; vous, vous perdez votre liberté d'action. Dans cette situation, que fallait-il faire? voilà la question que la Chambre a à résoudre. Deux voies se présentent le projet du Gouvernement, les amendements de la Commission. Le projet du Gouvernement qui fait la remise de la déchéance éventuellement, et qui accorde la permission de construire un tronçon (c'est le mot dont on se sert) du chemin concédé, sous la faculté de rachat; le projet de la Commission, qui prononce la résiliation de l'entreprise et la restitution du cautionne ment. Pour comparer ces deux projets, permettez-moi, Messieurs, d'employer un procédé mathématique, et de vous dire qu'il y a dans ces deux projets une question commune qu'on peut, par conséquent, éliminer. La Commis sion, comme le Gouvernement, restitue le cautionnement la question se trouve donc réduite à ces termes : Vaut-il mieux résilier l'entreprise, disperser les capitaux déjà réunis, renoncer aux études faites, aux opérations commencées, ou utiliser une compagnie formée, des capitaux existants, des études faites, des opérations commencées ? Vaut-il mieux ajourner ou commencer? Voilà la seule question à traiter. Une voix : Y a-t-il des capitaux? M. Dumon (de Lot-et-Garonne). J'entends demander s'il y a des capitaux; Messieurs, il y a 15 millions en caisse, et le conseil d'administration a déclaré que rien n'était plus facile que la réalisation des 7 millions formant les 22 millions qui font le 25 % de l'entreprise. Il y a donc des capitaux. J'examine, d'abord, la proposition du Gouvernement. Si sa proposition est adoptée, le chemin de fer de Paris à Pontoise sera fait. Or, c'est de ce chemin que doit partir un chemin de la mer d'un côté, des chemins de fer du nord de l'autre, et probablement le chemin de fer de Strasbourg. Mais, dit-on, vous allouez la tête de plusieurs chemins de fer sans compensation au cune. L'objection serait sans réplique si le rachat au pair ne pesait pas sur la compagnie. Mais la compagnie construit le chemin à ses risques et périls, et si la construction est dispendieuse, si le prix de revient du chemin est inférieur au prix marchand, si la chance est contre elle, elle gardera ce qu'elle a construit. Si la construction est utile, si le prix marchand est supérieur au prix de revient, si, enfin, cette concession est assez avantageuse pour compenser le désavantage de ce prolongement de la ligne, alors le Gouvernement prend pour son compte ce que la compagnie construit, et peut le concéder avec avantage. C'est un marché des plus onéreux. Il n'y a qu'une compagnie qui est engagée dans les liens d'un cahier des charges onéreux, qui puisse souscrire à une pareille condition. M. le rapporteur dit que la compagnie du chemin de fer de Paris à Saint-Germain a manifesté la pensée de prendre pour elle le chemin de fer de Pontoise. C'est vrai; mais, Messieurs, quand la condition du rachat facultatif au pair lui a été proposée, elle s'est récriée, et a déclaré que jamais une compagnie ne pourrait accepter une telle position; qu'avec cette condition il n'y avait pas d'entreprise possible. Comment voulez-vous, en effet, qu'une compagnie entreprenne? Si l'entreprise est mauvaise, les actions baissent, et la compagnie supporte la perte; si, au contraire, l'entreprise est avantageuse, la faculté du rachat au pair arrête la hausse, et l'Etat a le bénéfice. Une voix C'est injuste! M. Dumon (de Lot-et-Garonne). J'entends dire que c'est injuste; mais accordez-vous donc, et ne dites pas tour à tour que la faculté de rachat est une prime pour l'agiotage, une faveur faite aux compagnies, et puis que c'est une usurpation des bénéfices des compagnies par l'Etat. Voyons maintenant les conclusions de la Commission. Je vois qu'elle propose les mê mes sacrifices; mais stipule-t-elle les mêmes avantages? Vous restituez le cautionnement; mais qu'obtenez-vous en échange? Rien. Vous perdez tout ce qui existe, vous ajournez tout ce qui peut se faire, et ce n'est pas seulement des travaux que vous enlevez à la classe ouvrière; je partage assurément la juste sollicitude exprimée par M. le ministre des travaux publics; je sais aussi qu'il ne faut pas créer des travaux exprès pour les bras inoccupés, mais quand des travaux se présentent, voulez-vous les refuser aux bras inoccupés qui les demandent? Vous ne voulez pas établir des ateliers de charité, je le conçois; mais des ateliers de travaux utiles, voulez-vous les fermer? Voulez-vous différer pendant dix-huit mois ou deux ans des travaux qui peuvent s'exécuter demain, la loi votée? Il y a plus la question de l'exécution des chemins de fer est dans l'enfance; à des devis insuffisants ont succédé des devis exagérés. Dans des évaluations si différentes, où est la vérité l'expérience seule peut l'apprendre. Or, quand vous avez sous vos yeux, aux portes de la capitale, deux chemins de fer qui vont s'exécuter dans des conditions normales d'exécution, pouvez-vous renoncer à une double expérience en grand qui doit jeter une si grande lumière sur la question des dépenses réelles des chemins de fer? Quand cette question sera éclaircie par les faits, n'aurez-vous pas plus de sécurité pour vous, si vous entreprenez vous-mêmes. Pour les compagnies, si vous les leur concédez, ne serez-vous pas plus assurés d'éviter ainsi les déplorables erreurs dans lesquelles vous êtes tombés, et dont nous avons tant de peine à sortir? J'ajouterai encore que l'ajournement du chemin de fer de Pontoise a le très grand inconvénient de rouvrir des débats férmés, de poser de nouveau une question résolue, une question irritante, si j'en juge par la vivacité du débat qui s'est établi entre les députés de la Picardie et les députés de la Normandie; je veux parler de la concurrence entre le chemin des plateaux et celui de la vallée. Ce débat a occupé l'Administration et les Chambres pendant cinq ou six ans. Combien de réclamations, de commissions, de députations et d'enquêtes! La question est enfin résolue faut-il recommencer? Vous recommencerez si la compagnie est en déchéance. Nous nous occupons maintenant de construire un chemin de fer. Nous remonterons à la question de savoir par où il faut passer. Encore un mot, Messieurs, et je termine. Si des villes intéressées au tracé de la vallée repoussent le projet de loi, le Havre, placé à l'extrémité de la ligne, le Havre, intéressé au succès complet du chemin de fer, le demande avec instance. Ne ferez-vous rien, Messieurs, pour le Havre? Cette cité florissante, l'une des premières du littoral de l'Océan, attendait de la session qui va finir la construction d'un grand bassin qui ouvrit son port aux grands paquebots à vapeur, qui réalisent sur mer la vitesse des chemins de fer sur terre, le Havre attendait de cette session une loi qui assurerait la prospérité de son commerce maritime; le Havre attendait enfin une loi qui le ratta chât à Paris par la construction de la ligne de Paris à la mer. Vous avez, par des raisons que je regrette, mais que je respecte, ajourné les deux premières lois; ne rejetez pas la dernière! (Approbation sur plusieurs bancs.) M. Billault, rapporteur. Les raisons qui viennent d'être développées devant vous, Messieurs, l'avaient déjà été dans le sein de votre Commission, avec cette même puissance de talent que vous venez d'admirer et à laquelle je me plais à rendre hommage: et cependant, sur neuf membres composant la Commission, sept, malgré cette brillante argumentation, ont admis une décision tout à fait contraire. M. Monnier de la Sizeranne. Je demande la parole. M. Billault. rapporteur. Je sens qu'au point où en est arrivée la discussion, il faut la serrer de très près. J'écarterai donc toutes les considérations générales sur lesquelles, depuis trois jours, la Chambre s'est appesantie. Je traiterai exclusivement la question du projet de loi en lui-même. Mais je dois tout d'abord repousser l'assimilation que l'honorable préopinant voudrait établir entre la situation de l'affaire du chemin de fer d'Orléans et celle de Paris à la mer; et je ne saurais admettre la conséquence qu'il a voulu induire du vote de la Chambre dans la séance d'hier. Il existe entre les deux situations des différences décisives, et qui, je l'espère, détermineront la Chambre à émettre aujourd'hui un vote tout différent. La première, Messieurs, et la plus grave, c'est que la société de Paris à Orléans, même dans les évaluations les plus extrêmes de ses devis provisionnels, a son capital fait pour achever le chemin de fer d'une extrémité à l'autre de l'entreprise commencée. La compagnie de Paris au Havre et à Dieppe, au contraire, se trouve dès l'abord constituée en déficit, et en réduisant même de beaucoup les 157 millions de ses prévisions actuelles, il existe entre ses moyens et sa dépense nécessaire une disproportion inévitable de 25 à 30 millions. Ainsi, l'une des compagnies soutenue, aidée par le Gouvernement, peut marcher, mener son entreprise à terme, l'accomplir tout entière; l'autre, à l'entrée même de la carrière, doit commencer par reconnaître qu'elle ne pourra en atteindre le terme. Je comprends les mesures provisoires votées hier au bénéfice de la première de ces compagnies; mais je ne saurais comprendre qu'on soutînt tout d'abord qui ne marche pas, qui dès l'abord confesse ne pouvoir marcher jusqu'au bout. Soutenir l'athlète qui peut vaincre est utile; mais secourir celui qui dès l'abord se reconnaît impuissant, est superflu. Vous voulez sans doute un chemin qui aille de Paris à la mer, et l'honorable orateur qui descend de cette tribune, frappé de l'importance de cette œuvre d'intérêt général, y insistait tout à l'heure vivement. Eh bien! que vous demande la compagnie? Elle veut être déchargée de l'obligation indivisible de faire toutes les parties du chemin; elle vous demande, et c'est établi au mémoire qu'elle a remis au ministre, qu'elle a fait imprimer pour distribuer à la Commis sion, de n'aller d'abord que jusqu'à Rouen; et si les 90 millions de fonds social primitif ne suffisaient pas pour pousser au delà les travaux, d'essayer des émissions d'actions successives pour arriver jusqu'au Havre, puis à Dieppe, puis aux embranchements d'Elboeuf, Louviers et Saint-Sever; mais de n'y être nullement obligée, si les actions supplémentaires nécessaires ne se plaçaient pas. Messieurs, il ne faut pas se dissimuler qu'une fois les 90 millions consacrés à la partie du chemin qui donne des chances de bénéfices, celle de Paris à Pontoise et Rouen, on se souciera peu d'émettre; en fait, on ne trouvera plus à placer des actions pour les travaux de Rouen au Havre et à Dieppe. De l'aveu de tout le monde, cette partie des travaux doit entraîner des dépenses considérables et être proportionnellement la moins productive; on ne la fera donc pas; la com-pagnie restera paisible possesseur du chemin de Paris à Pontoise et Rouen; les parties onéreuses qu'on avait imposées en compensation seront abandonnées, et le grand œuvre, l'œuvre national de la jonction de Paris à la mer, aura avorté. Il faut donc un contrat nouveau et pour rendre à la compagnie la puissance qu'elle n'a pas de mener à bout tout son œuvre, et pour garantir au pays que ce qu'il y a de vraiment national dans l'entreprise sera certainement obtenu; cette différence entre la société pour Orléans et celle pour le Havre est sensible; une autre doit être signalée; c'est que la première a déjà jeté dans les travaux de nombreux millions: la Chambre a dû céder devant l'influence du fait, car les choses n'étaient plus entières et il ne dépendait pas d'elle de les effacer par un vote. Quant à la compagnie du Havre, elle s'est livrée à des études non encore entièrement achevées, à des achats de terrains et à la construction de deux culées sur le canal Saint-Denis. Les études faites sont utiles, nécessaires, elles pourront être ultérieurement employées par elles ou rachetées par une nouvelle compagnie, si elle ne se représente pas. Les terrains acquis, payés ou non payés ou à payer, s'élèvent à environ 800,000 fr.; ils lui serviront, ou seront par elle revendus à une nouvelle compagnie, car dans tous les cas le chemin doit se faire; et quant aux travaux des deux culées, la dépense s'en élève à une somme minime, à peine une trentaine de mille francs. Il y a donc, je le répète, entre les deux compagnies, une énorme différence ici des millions enfouis, là quelques cent mille francs dépensés avec la possibilité de les retrouver facilement, ou en tout cas de les couvrir par les intérêts qu'a produits la portion du capital social provisoirement placée en rentes sur l'Etat. Une troisième considération ne nous échappera pas. Il a paru à beaucoup de membres, il a paru à votre Commission que les concessionnaires du chemin d'Orléans avaient intérêt à pousser leurs travaux jusqu'à Orléans, parce que jusqu'à Orléans il continue d'être tête de ligne pour toute la partie occidentale et méridionale de la France. Le tracé du chemin de fer de Paris à la mer perd ici cet avantage au delà de Pontoise, il n'est plus qu'un prolongement coûteux en tre Pontoise et Rouen, onéreux entre Rouen, Dieppe et le Havre. Cette deuxième compagnie n'a donc pas le même besoin, le même intérêt que la première à l'achèvement de son chemin. Mais, dit-on, où est le mal d'adopter le projet du Gouvernement? Vous avez la faculté de racheter, et cette faculté onéreuse pour la compagnie, elle ne l'eût pas subie si elle ne s'y trouvait contrainte par la portée de ses engagements; une autre ne l'accepterait pas.. Toute cette partie de l'argumentation de l'ho norable préopinant a été brillante et spiri-tuelle; je conçois qu'elle ait touché la Chambre, mais elle ne porte pas en fait, il lui manque la possibilité d'application. La construction du chemin de Paris à Pontoise, c'est l'affaire de trois ans au moins. (Réclamations.) Prenons des exemples: la compagnie de Versailles (rive droite), celle de Saint-Germain, qui se sont fort hâtées, et qui, par cet empressement même, se sont engagées dans des frais plus considérables, ont employé deux ans. Quand on a mis deux ans pour faire quatre lieues, il faudra bien trois ans pour en construire huit. (Mouvements divers.) Or, les avantages du rachat, si complaisamment détaillés par l'honorable préopinant, supposent, pour être accueillis, l'entier achè vement du chemin; mais en face de cette supposition rappelons-nous donc que le Gouvernement lui-même a caractérisé le projet qu'il vous présente comme un provisoire destiné à conduire la compagnie et les Chambres à la session prochaine, à l'effet de former un contrat nouveau. Il n'y aura d'ici là aucune occasion de rachat, et au delà, quand une loi nouvelle et complète aura été votée, la clause provisoire de rachat sera suspendue; elle n'aura donc, en réalité, jamais pu être utile. Vainement on vous a dit qu'il était bien d'avoir des lignes d'essai, des lignes sérieuses, et non de curiosité, comme celle de Paris à Saint-Germain ou Versailles; je ne crois pas que l'expérience d'une ligne de huit lieues soit beaucoup plus utile, ce sont des expériences en grande ligne qu'il nous faudrait; mais, en tous cas, vous n'aurez rien de celá à la session prochaine; vous aurez un contrat nouveau, entier à refaire. Si d'ici là la compagnie a jeté dans les mouvements de terre quelques millions, ce sera un obstacle à la pleine liberté, au mûr établissement du nouveau contrat, et rien de neuf n'en sera résulté pour le mieux établir; voilà ce qui a touché votre Commission. Car elle n'a pu supposer que pour prendre_un parti sur le prolongement vers Rouen, le Havre, Dieppe, vous voulussiez attendre l'achèvement et l'exploitation du tracé entre Paris et Pontoise; un tel ajournement pourrait rendre fort douteux l'avenir du prolongement, surtout pour Dieppe et le Havre; et je doute que ces deux villes, qui aujourd'hui sollicitent si vivement l'acceptation du Gouvernement, en fussent si désireuses si elles lui attribuaient cette portée. Ce qu'elles voient dans le projet, c'est dans le premier coup de pioche donné un gage de l'exécution jusque dans leurs murs; mais je dis que le premier coup de pioche ne sera pas un gage de cette entière exécution, il ne sera qu'un embarras de plus pour nous à la ses sion prochaine. Vainement on allègue pour les travaux l'intérêt de la classe ouvrière : en face du vote d'hier l'importance de ce motif a complètement disparu; la compagnie du chemin de fer d'Orléans va continuer ses travaux aux portes de Paris même. Prenez garde, en ouvrant à ces mêmes portes de Paris des chantiers rivaux, vous créerez une fâcheuse concurrence; vous renouvellerez le spectacle que nous avons déjà eu sous les yeux, d'ouvriers qu'on s'arrachait en les payant des prix exorbitants. Vous surexciterez les conditions du travail, et les compagnies, ou l'Etat, s'il rachète, paieront les excédents de dépense créés par cette surexcitation inutile et fâcheuse. (Mouvement.) Mais, nous a-t-on dit, en relâchant les liens de la loi de 1838, vous allez vous priver du concours d'une compagnie puissante et des capitaux qu'elle a rassemblés. Pour moi, Messieurs, je ne puis croire qu'en face du Gouvernement, de la Chambre, annonçant pour l'an prochain un nouveau contrat, des conditions meilleures, le concours bienveillant et effectif de l'Etat, cette compagnie qui a fait des études, qui a une partie de son fonds social réuni, qui a des travaux exécutés et des achats de terrains consentis, qui a par là même un intérêt d'argent, qui a surtout, en face de la promesse de l'an dernier, un intérêt d'honneur à continuer, qui de plus se trouve par cela même si fort en avance sur tout autre concurrent, ne se représente pas à la session prochaine, et, écartant toutes les pertes de temps qu'on a pronostiquées, ne puisse, forte d'une nouvelle loi, mettre à profit ses études, ses démarches déjà faites, ct alors immédiatement commencer les travaux. Je ne pense donc pas qu'elle se retire mais si, malgré tant de motifs, elle devait se dissoudre, j'avoue que je ne regretterais pas cet effet de notre vote, car cette dissolution me prouverait qu'elle n'avait pas la volonté sérieuse d'exécuter, et dans ce cas j'aimerais mieux une compagnie nouvelle et décidée, qu'une compagnie agissant à contre-cœur, et n'ayant ni la ferme volonté, ni l'énergique persistance nécessaires pour mener à bien une affaire de si longue haleine. Après cela, si, par suite de ce fait, les 14 millions qui ont été rassemblés se dispersaient, j'en serais peu touché; car si, comme la Chambre y semble disposée, comme j'y incline moi-même, l'année prochaine vous accordez à une compagnie bien et dûment constituée le concours de l'Etat, un concours sage, protecteur, et tel que les capitaux, et surtout les petits capitaux, dont on a parlé, y trouvent sécurité, je n'hésite pas à penser que l'on trouvera tous les capitaux faciles, trop faciles peut-être, si l'on se préoccupe un peu aussi d'autres projets qui, pour ce qui concerne notre rente constituée, intéressent à un haut degré le crédit public. (Bruit.) Je désirerais ne pas fatiguer la Chambre (Parlez! parlez!): cependant la question est assez grave pour être sérieusement examinée. (Oui oui!) Il nous faut, je ne saurais trop le répéter, une décision seulement provisoire, dont la portée se borne à atteindre la session prochaine et y ramener la question pour y être alors pleinement résolue. En face de ce besoin, trois systèmes sont en présence dans l'un, l'on voudrait la déchéance immédiate et la confiscation du cautionnement. L'autre, et c'est celui de la Commission, tenant compte des exigences de la situation, vous propose la résiliation d'un contrat que l'on dit passé sans connaissance de cause, et la préparation immédiate pour la session prochaine d'un contrat nouveau. Enfin, le Gouvernement demande une loi qui permette de commencer les travaux, sauf à régler à la session prochaine les conditions définitives. Quant au premier système, celui d'une rigueur absolue, d'après les dispositions manifestées hier par la Chambre, il ne paraît pas acceptable; il faut dire aussi qu'elle semblerait excessive. Quant au projet du Gouvernement, nous avons dit ses inconvénients; il engage en fait la question, et cependant remet à la résoudre; il n'assure pas l'exécution du tracé complet, il facilite au contraire sa dislocation, en maintenant une compagnie qui s'avoue par l'insuffisance de son fonds social impuissante à achever les travaux jusqu'au Havre et à Dieppe; il ne fait que créer des embarras de plus au contrat définitif qu'il nous faudra débattre dans six mois. Le projet de la commission ménage seul l'avenir en ne l'engageant pas. Quant à la restitution du cautionnement qu'il vous propose, je dois donner quelques détails. : La compagnie a deux espèces de déchéance à encourir déchéance au bout d'une année, c'est-à-dire aujourd'hui même si elle n'a pas commencé les travaux; déchéance dans six années si elle n'a pas avancé les travaux à moitié, ou dans huit années s'ils ne sont pas alors entièrement achevés. Or, la première de ces déchéances n'existe pas les travaux sont commencés, commencés matériellement pour une somme minime sans doute, mais commencés aussi par les études, par des démarches administratives, par des achats de terrain, etc., et conséquemment assez commencés aux yeux de la Commission du moins pour qu'équitablement la déchéance ne lui semblât pas encourue. Elle ne pouvait donc l'encourir désormais qu'au bout de la sixième année, c'est-à-dire dans cinq ans; jusque-là le Gouvernement était lié, impuissant contre la compagnie, impuissant en faveur de tout autre qu'elle; jusque-là aussi la compagnie pouvait attendre, ne pas presser ses travaux, ne pas les presser du moins suffisamment, et rester provisoirement maîtresse, en attendant les chances que peut amener le temps. Cette situation n'a pas paru tolérable à votre Commission. Elle a pensé qu'il fallait au Gouvernement, en face de la nécessité d'aborder vivement la grande œuvre des chemins de fer, une latitude d'action immédiate; qu'il fallait lui donner la faculté de traiter à nouveau, et le plus tôt possible, des travaux à faire soit avec la première compagnie, soit avec une autre; et voilà dans quel but elle a proposé la restitution du cautionnement. Ce n'était pas une affaire d'intérêt ou de bienveillance privée, c'est une nécessité imposée par l'intérêt public. Je ne fatiguerai pas plus longtemps l'attention de la Chambre. Je me borne à résumer la situation : Deux mesures sont en présence: un engagement provisoire ou un sursis. Le provisoire! On a éclairé la Chambre sur ses avantages et ses inconvénients. Le sursis, c'est six mois; mais qu'à ce sujet la Chambre me permette de rappeler un souvenir emprunté à une discussion dont le résultat pèse en ce moment sur elle et le pays. : En 1836, lorsqu'on discutait la question des chemins de fer de Paris à Versailles, deux intérêts se trouvaient en présence, deux lignes rivales étaient présentées, et en face des doutes de la Chambre l'on insistait pour les voter toutes les deux le rapporteur de la Commission déclarait lui-même que devant l'empressement général engendré par le besoin de créer des chemins de fer, la Commission n'osait prendre sur elle un ajournement à six mois. Un honorable orateur, qui aujourd'hui occupe une place éminente dans le cabinet, M. Teste, monta à cette tribune: J'aime mieux, vous dit-il avec sa haute raison, j'aime mieux à six mois un projet sage et bien étudié, qu'immédiatement un projet qui puisse réserver à l'avenir les plus grands embarras. Si ce sage conseil eût été suivi, vous n'auriez pas aux portes de Paris trois lieues de chemins en ruíne prématurée. : Eh bien, ce qui a été dit alors, votre Commission vous le dit aujourd'hui nous aimons mieux à six mois un projet garanti, certain, qui nous assure la mise en rapport par une ligne de fer de la capitale de la France avec la mer, qu'immédiatement un projet créant une situation provisoire, sans liberté comme sans garantie pour l'avenir. J'ai une dernière observation à faire ; elle porte sur la crainte, exprimée par l'honorable préopinant à la tribune, de rouvrir le débat entre la vallée et les plateaux. J'avoue que cette considération ne me paraît pas importante. Le tracé par les plateaux a eu l'assentiment de la Chambre à une grande majorité; il a eu et il paraît continuer d'avoir celui du Gouvernement. Je ne crois donc pas qu'il y ait de chances sérieuses pour que l'année prochaine de nouveaux débats s'ouvrent à ce sujet, à moins toutefois que l'impossibilité financière d'une exécution complète allant jusqu'au Havre et à Dieppe ne vint à apparaître, et dans ce cas encore, je ne me repentirai pas d'avoir résisté pour qu'on ne vote pas le provisoire réclamé aujourd'hui. Ne nous préoccupons pas de ce prétendu débat entre les plateaux et la vallée; réservons les choses entières; ne commençons pas par un provisoire qui, destiné au Havre, pourrait peut-être, et par des combinaisons imprévues, se retourner vers la Belgique, en abandonnant la Manche; n'engageons pas, surtout à l'avance, dans la question que nous aurons à discuter à la session prochaine, des intérêts privés; gardons-nous de leur influence, gardons-nous surtout de l'adresse ou de la véhémence avec laquelle ils viennent trop souvent à cette tribune disputer une place exclusivement réservée aux intérêts généraux du pays. (Très bien! - Aux voix aux voix!) M. le Président. La discussion générale est fermée. 2. SÉRIE. T. CXXVII. Je consulte la Chambre pour savoir si elle veut passer à la discussion des articles. (La Chambre, consultée, décide qu'elle passe à la délibération des articles.) M. le Président. Maintenant, Messieurs, la délibération s'ouvre sur les articles proposés à titre d'amendements par la Commission. Si ces articles ne sont pas adoptés, la délibération se portera sur les articles présentés par le Gouvernement. M. de Vatry. Il me semble qu'il faudrait commencer par les plus larges. M. le Président. Les amendements proposés ne sont relatifs ni au projet du Gouvernement, ni au projet de la Commission; ce sont des systèmes complètement différents. Ainsi, par exemple, l'honorable M. de Sivry a déposé un amendement qui consiste à dire simplement que la loi du 6 juillet 1838 continuera à être exécutée suivant sa forme et teneur. Ce n'est pas là un amendement, c'est le rejet pur et simple du projet de loi, car c'est ce qui arriverait s'il était rejeté. Un autre amendement de MM. Mermilliod, de Vatry et Just de Chasseloup-Laubat vient de m'être remis, qui tend à proroger simplement jusqu'au troisième mois qui suivra l'ouverture de la prochaine session le délai la déchéance. pour C'est encore un système tout à fait indépendant de ce qui est maintenant proposé, et qui ne peut empêcher la mise en délibération des articles proposés par la Commission, la proposition la plus large est évidemment celle qui aurait la résiliation pour effet en sorte qu'il n'y aurait lieu de s'occuper des modifications apportées aux clauses de déchéance et des stipulations proposées par le Gouvernement, qu'autant que les Chambres auraient rejeté négativement la question relativement à la résiliation du contrat. En conséquence, la délibération est ouverte sur le premier article proposé par la Commission. (Assentiment général.) M. de Vatry. M. le président, j'ai demandé la parole. (Aux voix! aux voix!) M. Monnier de la Sizeranne. Je la demande également. (Aux voix! aux voix!) (M. Monier de la Sizeranne monte à la tribune; mais les cris: Aux voix! aux voix! le forcent bientôt d'en descendre.) M. le Président. Je lis l'art. 1er de la Commission, qui est ainsi conçu : Art. 1er. « Le ministre des travaux publics est autorisé à résilier les conventions résultant du cahier des charges accepté par les sieurs Chouquet, Lebobe et Cie, les 26 mai et 14 juin 1838, et annexé à la loi du 6 juillet même année. »> (Cet article est mis aux voix et adopté.) Art. 2. «Dans le cas où il serait fait par le ministre, usage de cette faculté, les sommes ou 15 |