ment qui est responsable de l'exécution des lois, et s'il propose de mauvais tracés, les compagnies ont le droit de lui adresser les reproches qu'il mérite. M. Baumes. Tous les esprits sont sans doute pénétrés de la nécessité d'apporter des adoucissements aux prescriptions du cahier des charges annexé à la loi du 6 juillet 1838, en ce qui concerne l'exécution des travaux et les tarifs. Dans le peu que je demande la permission de dire à la Chambre, je m'occuperai seulement des changements que me paraît appeler la rédaction de l'article 5 du projet de loi. Cet article a deux parties distinctes. La première traite des modifications sous le rapport des travaux. Elle dispose que ces modifications pourront être exécutées, moyennant l'approbation préalable et le consentement formel de l'autorité supérieure. C'est une modification aux articles 3 et 14 du cahier des charges. L'autorité supérieure! Cette expression est-elle suffisamment nette? est-elle suffisamment précise? Je ne le pense pas. Il faut que l'intelligence de la loi soit facile pour tous, non seulement pour la compagnie, mais aussi pour tous ceux dont les intérêts pourraient être affectés par les modifications proposées, et qui auraient des réclamations à présenter. Les articles 3 et 4 s'exprimaient mieux, mais imparfaitement encore à mon sens. On n'y lisait point: « L'autorité supérieure », mais « l'administration supérieure. » L'une et l'autre expressions m'ont paru devoir désigner le ministre chargé des travaux publics. C'est donc le nom du ministre que j'ai d'abord pensé qu'il convenait d'introduire dans l'article. Un examen plus approfondi, sur la voie duquel m'a mis l'obligeance de M. le soussecrétaire d'Etat des travaux publics, m'a fait reconnaître cependant que le cahier des charges n'exigeait pas l'approbation de l'administration supérieure pour les dispositions à faire à la rencontre des petits cours d'eau et des chemins dépendant de la petite voirie, et que, dans ces cas d'une moindre importance, il se contentait de l'autorisation du préfet du département. Partant de ces données, j'ai pensé que la première partie de l'article devait faire l'objet de deux paragraphes distincts, le premier comprenant tous les grands travaux, toutes les mesures de nature à affecter des voies de communication, appartenant à la grande voirie; le deuxième, concernant les travaux qui intéresseraient la petite voirie, et pour lesquels l'autorité du préfet serait suffisante. La seconde partie de l'article ne contient pas seulement une innovation au cahier des charges; elle est une modification d'un article de la loi même de 1838, l'article 6, aux termes duquel, cinq ans après l'exécution des travaux, les tarifs pourront être revisés législativement. La disposition proposée déclare que l'administration est autorisée à statuer provisoirement sur les modifications que la compagnie pourrait demander dans les tarifs. L'administration! cette expression m'a paru encore n'être pas suffisamment précise. Dans toutes les lois qui ont quelque analogie avec celle-ci, toutes les fois qu'il s'est agi de perception publique, et que la loi a donné une délégation, elle ne l'a confiée qu'à l'ordonnance royale. A l'égard des péages, la législation a voulu que l'ordonnance royale fût rendue dans la forme des règlements d'administration publique, c'est-à-dire le conseil d'Etat entendu. Voilà, Messieurs, ce qui m'a inspiré la l'objet du 3 paragraphe de mon amendepensée du changement de rédaction qui est ment. La Chambre appréciera si l'exposé que je viens de lui soumettre doit être pris par elle en considération. M. le Président. L'amendement est-il appuyé? (Non, non!) M. Luneau persiste-t-il dans le sien? M. Luneau. Non, monsieur le président. M. le Président. Dans ce cas, je mets aux voix l'article 5 du Gouvernement. (L'article 5 est adopté.) Observation de M. Toussin sur l'article 2 du projet de loi de 1838 sur le chemin de fer d'Orléans. M. Toussin. Hier, l'honorable rapporteur de votre Commission, en présentant les avantages et les inconvénients qui pouvaient résulter de cette faculté de rachat donnée au Gouvernement en remboursant les dépenses faites par les concessionnaires des chemins de fer, vous a fait remarquer avec raison... (Interruption.) J'appelle l'attention de la Chambre sur cette proposition qui est importante. M. le rapporteur vous a fait remarquer que, s'il y avait avantage pour les concessionnaires à exploiter la ligne concédée depuis Paris jusqu'à Corbeil, il pourrait arriver qu'ils fissent pour cette partie une dépense plus considérable, afin de rendre l'achat des travaux plus difficile; il a ajouté qu'il pourrait arriver aussi que les travaux fussent confectionnés avec peu d'art et de soin, dans des conditions telles, qu'il y aurait préjudice pour le Gouvernement à racheter. La question ainsi posée, il a dit qu'on pourrait confectionner un autre chemin sans s'embarrasser de celui de Paris à Juvisy et à Corbeil. La question est bien entendue à présent. Mais voici ce que dit l'article 2 du cahier des charges: « Aucune autre ligne du chemin de fer, soit de Paris à Orléans, soit de Paris aux points intermédiaires entre Paris et Orléans, desservis par la ligne concédée à la compagnie, ne pourra être autorisée avant l'expiration d'un délai de vingt-cinq ans, à dater de la promulgation de la présente loi. » Il me paraît qu'il serait important que cet article là fût rapporté aujourd'hui, et que les explications de M. le ministre des travaux publics ou de M. le rapporteur fussent tellement claires, qu'il reste bien entendu que de quelque manière que le chemin de fer soit confectionné de Paris à Corbeil, le Gouvernement aura toujours la faculté de construire à côté avec une seconde ligne. M. Berryer. Il faut renvoyer cela à l'année prochaine. M. Vivien, rapporteur. L'honorable préopinant demande si l'article qu'il a cité pourrait recevoir son application dans le cas où la compagnie n'aurait conduit ses travaux que jusqu'à Juvisy ou jusqu'à Corbeil, et en resterait propriétaire. J'ai dit hier, et je répète que cet article n'a été fait que pour le cas où la compagnie achèverait le chemin entier de Paris à Orléans, et que, pour une fraction du chemin, elle ne pourrait pas jouir du même monopole. M. Berryer. C'est évident. MOTION D'Ordre. M. le Président. 11 va être procédé au scrutin. Je demande à la Chambre si elle entend, après le scrutin, passer à la discussion des autres projets. (Oui! oui! Non! non!) S'il n'y a pas accord, je dois consulter la Chambre. Quelqu'un demande-t-il qu'après le scrutin la séance continue? (Oui! Oui! Non! non!) Les avis étant partagés, je consulte la Chambre. Je ne consulterai la Chambre qu'autant que MM. les députés seront à leur place. Il importe que chacun prenne part au scrutin. (La Chambre décide que la séance continuera après le scrutin.) DÉPOT DE PROJETS DE LOI. M. le Président. La parole est à M. le ministre de l'instruction publique. M. Villemain, ministre de l'instruction publique. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de M. le président : 1° Un projet de loi portant demande d'un crédit extraordinaire de 110,000 francs à ouvrir au ministère de l'instruction publique, sur l'exercice 1839, pour le fonds des souscriptions (1); 2° Un projet de loi portant demande d'un crédit extraordinaire de 150,000 francs à ouvrir au ministère de l'instruction publique, sur l'exercice 1839, pour être employé aux publications des documents inédits relatifs à l'Histoire nationale (2). M. le Président. La Chambre donne acte à M. le ministre de l'instruction publique de la présentation des projets de loì; ils seront imprimés, distribués et renvoyés dans les bureaux. (La Chambre procède au Scrutin sur la loi du chemin de fer d'Orléans.) (1) Voy. ci-après ce projet de loi, p. 18: Première annexe à la séance de la Chambre des députés du vendredi 5 juillet 1839. (2) Voy. ci-après ce projet de loi, p. 183: Deuxième annexe à la séance de la Chambre des députés du vendredi 5 juillet 1839. 2 SERIE. T. CXXVII. M. de Salvandy. Je demande à présenter une observation. M. le ministre de l'instruction publique vient de déposer un projet de loi dont je demande le renvoi à la Commission du budget. Voici mes motifs. Ce projet se lie à un article du rapport de la Commission du budget, duquel il résulterait que le dernier ministre de l'instruction publique, dans un de ses chapitres, aurait excédé les crédits qui lui avaient été confiés d'une manière tellement exorbitante, que le blâme de la Commission, à mon avis, si les faits étaient exacts, ne serait pas suffisant. Je déclare que les renseignements sur lesquels la Commission a procédé sont matériellement erronés. Quoi qu'il en soit, je demande, comme ces faits sont de la même nature que le projet de loi qui vient d'être déposé, qu'il soit renvoyé à la Commission du budget. M. Dubois (de la Loire-Inférieure). Cela n'est pas possible. M. le Président. La Chambre a décidé que le projet serait imprimé, distribué et renvoyé dans les bureaux. Je ferai remarquer d'ailleurs qu'il s'agit de crédits demandés sur l'exercice 1839, et que la Commission du budget pour 1840 a déjà fait son rapport. Cela n'empêchera pas que les observations qui sont présentées par M. de Salvandy ne soient examinées, soit par la Commission saisie des projets, soit par la Commission du budget, soit par la Chambre, lors de la discussion à laquelle l'un et l'autre projets donneront lieu. M. de Salvandy. Je me rends aux observations de M. le président. L'important pour moi était d'établir devant la Chambre, qui a déjà reçu communication du rapport du budget, que je ne me rends pas aux observations qui y sont consignées. M. Villemain, ministre de l'instruction publique. Messieurs, étranger à toute polémique dans cette circonstance, j'ai dû simplement, à mesure que des faits ont été constatés pour moi, donner cours aux conséquences naturelles de ces faits; c'est-à-dire, trouvant que, par une suite de mesures que je n'apprécie pas en ce moment, des sommes étaient nécessaires pour subvenir à des engagements actuels du ministère de l'instruction publique, j'ai eu l'honneur d'expliquer, dans un court exposé de motifs qui n'a pu être lu devant la Chambre, que ces sommes réunies formaient telle quotité que je réclamais comme crédit extraordinaire à imputer sur l'exercice 1839. 12 M. de Salvandy. La Chambre comprendra | exemple, 96,000 francs sont dus sur l'exer(Interruption.) M. le Président. Permettez ! La Chambre comprendra le motif qui ne me permet pas de m'opposer à ce que l'orateur donne quelques explications; mais je dois lui rappeler, ainsi qu'à la Chambre, que toutes discussions sur les questions soulevées, soit par le rapport de la Commission du budget, soit par un exposé de motifs, sont prématurées, qu'elles viendront en leur temps, et que la Chambre ni le président ne peuvent, quant à présent, autoriser de discussion de ce genre. M. de Salvandy. Je remercie M. le président d'une observation que j'aurais prévenue. Je voulais précisément dire à la Chambre que, par des motifs que tout le monde appréciera, je n'entends nullement suivre M. le ministre de l'instruction publique dans la voie que les quelques mots qu'il vient de prononcer semblaient m'ouvrir. Il y avait pour cela une raison bien simple, c'est que je ne connais pas l'exposé des motifs et le projet de loi qui ont été déposés sur le bureau de la Chambre. Aussi n'est-ce nullement à cet exposé de motifs, n'est-ce nullement à ce projet de loi que je ne connais pas, que mon observation s'appliquait. Cette observation s'appliquait, par un sentiment que chacun de mes collègues comprendra, au rapport qui a été déposé sur le bureau par la Commission du budget; rapport sur lequel j'ai voulu prévenir, par quelques paroles adressées à mes collègues, les impressions qu'elles pouvaient produire; rapport que je n'incrimine pas, car j'ai eu occasion de dire que, d'après les renseignements qui m'avaient été donnés, il avait du être rédigé comme il l'a été. M. Villemain, ministre de l'instruction publique. Il m'est impossible de ne pas présenter une observation. Je regrette de nouveau que les exposés de motifs n'aient pas été lus devant la Chambre peut-être auraient-ils prévenu l'interruption qui vient de s'élever. Mais il s'est mélé à cette interruption une expression que je ne puis laisser passer sans réponse; c'est celle par laquelle l'honorable préopinant a indiqué, Messieurs, que les documents produits à la Commission, et qui avaient pu motiver son opinion, étaient erronés. Ces documents sont des résultats positifs, tirés d'un travail qui a précédé l'administration actuelle, et dont les éléments étaient déposés dans les cartons du ministère ces documents sont des quittances, des comptes authentiques, transmis, soit par une administration publique, comme l'Imprimerie royale, soit par des industries particulières dont l'exactitude et la probité ne permettent aucun doute. C'est d'après ces documents, qu'un crédit a paru nécessaire pour subvenir aux dépenses occasionnées par des impressions multipliées de travaux historiques. Dans l'exposé des motifs, une sorte d'hommage indirect est rendu au zèle scientifique qui avait fort multiplié ces impressions dans une même année. Il est dit dans cet exposé, que, si la dépense est considérable, si, par cice 1839 à l'Imprimerie royale, sans qu'il y ait des ressources suffisantes pour les payer, si 44,000 francs sont dus à M. Crapelet, sans qu'il y ait des ressources disponibles actuellement pour les payer, il n'en résulte pas moins que ces dépenses ont été bien placées, et que des valeurs les représentent, savoir, les ouvrages nombreux qui ont été imprimés et complétés à cette époque. Il y a donc eu, Messieurs, dans toutes les communications transmises, non seulement la parfaite sincérité des faits et des chiffres, tels qu'ils résultaient du travail antérieur de l'administration; mais il y a eu encore cette loyauté, ces égards pour le passé, ce sentiment de bienveillance qui doit dominer dans de pareilles relations; et je n'ai considéré ici que l'intérêt de la science, et l'intérêt du bon ordre à rétablir dans l'administration. (Très bien! Très bien!) M. le Président. L'incident est terminé. Lors de la discussion, des explications seront données de part et d'autre avec toute la latitude désirable. DISCUSSION GÉNÉRALE DU PROJET DE LOI RELATIF AU CHEMIN DE FER DE PARIS A LA MER. M. le Président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi sur le chemin de fer de Paris à la mer. Je fais remarquer à la Chambre qu'elle ne peut pas revenir sur son vote, mais que l'incident qui s'est élevé a occupé une portion de la fin de la séance. (Interruption.) Si la Chambre persiste, je vais accorder la parole à M. Grandin, premier orateur. M. Victor Grandin. Je demande à la Chambre de vouloir bien renvoyer la discussion à demain. (Non, non!) M. le Président. M. Grandin aura la parole à l'instant même, si aucune objection ne s'élève. Je dois seulement demander à la Chambre, pour le règlement de son ordre du jour, qu'elle veuille bien décider que la connuation de la discussion aura lieu demain ; car, s'il en était autrement, on comprend l'inconvénient que présenterait une discussion commencée aujourd'hui pendant un quart d'heure, et qui ne pourrait être reprise que lundi. Je propose donc à la Chambre de décider si la séance de demain sera consacrée à la continuation de la discussion qui s'ouvrirait ce soir, et ensuite à la discussion des autres chemins de fer; de manière que l'ordre du jour, soit pour les rapports de la Commission des pétitions, soit pour les projets de loi spécialement indiqués pour la séance de samedi, serait renvoyé à lundi, immédiatement après la discussion des chemins de fer. (Oui, oui! cela est déjà décidé.) M. Grandin a la parole. M. Victor Grandin. (A demain! Non! non! Parlez!) Messieurs, après les éloquentes et graves paroles qui ont retenti dans cette enceinte, il y aurait quelque témérité à moi à monter à cette tribune, si je ne venais y remplir un devoir. Sous ce rapport, je crois avoir droit à la bienveillance et à l'attention de la Chambre. Lorsque, pour la première fois, la question des chemins de fer a été agitée en France, tous les regards se sont d'abord tournés vers la Normandie. (On rit.) On avait pensé avec raison que si un chemin pouvait être bon, utile, avoir de l'avenir, c'était celui qui, partant de Paris se dirigerait vers la mer en passant par Rouen. Je l'avoue, Messieurs, j'appartiens à la Normandie, et je m'en honore. (Nouvelle hilarité.) Pour bien fixer la Chambre sur ma position personnelle, je dirai que je n'ai jamais eu aucune action de chemin de fer et que j'en aurai jamais. (Approbation.) C'est parce que le projet de loi qui vous est présenté aurait pour résultat, s'il était adopté, de priver à toujours la Normandie du chemin de fer auquel elle a droit de prétendre, que je viens le combattre. En agissant ainsi, Messieurs, je remplis un double devoir. Je satisfais au mandat qui m'a été confié non seulement par les villes que j'ai plus spécialement l'honneur de représenter, mais encore par la ville de Rouen elle-même, qui, par l'organe de son conseil municipal et l'intermédiaire de son président, m'a fait l'honneur de m'écrire pour m'engager à associer mes efforts à ceux de mes honorables collègues pour faire rejeter ce projet de loi. J'ai dit que je satisfaisais à un double devoir; il me reste à dire quelle est la seconde obligation que je viens remplir dans ma conviction profonde, le projet de loi que j'attaque, compromet l'intérêt général et l'avenir de tous les chemins de fer. Pour le démontrer, je demande à la Chambre de faire passer successivement sous ses yeux les faits qui ont précédé la situation dans laquelle nous nous trouvons placés aujourd'hui. Je crois d'autant plus essentiel d'entrer dans ces détails, et pour cela je compte d'autant plus sur l'indulgence de la Chambre, qu'il existe aujourd'hui beaucoup de députés nouveaux qui ont pu rester étrangers à la connaissance des faits qui se sont passées. Je serai d'ailleurs fort court. La discussion des principes a été tellement approfondie, que j'éviterai d'y entrer de nouveau. Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, Messieurs, le premier chemin auquel on a songé fut le chemin de Paris à la mer par la Normandie. Aujourd'hui on voudrait le faire passer par la Picardie. (Rire général.) Le premier projet de loi dont je parle a été présenté en 1835. Il passait par Gisors. Je ne sais si ce fut par oubli ou par tout autre motif, mais ce projet de loi ne fut pas soumis aux enquêtes. Les populations n'en eurent connaissance que par la présentation qui en fut faite. Cette prétention souleva de nombreuses réclamations. Des députations vinrent de tous côtés, pour réclamer devant la Chambre. Elles furent entendues par la Commission. En même temps, la Commission était informée qu'une compagnie s'organisait, qu'elle se livrait, à ses frais, périls et risques, à des études sérieuses, et que bientôt elle serait en état de déposer une soumission. La Chambre, Messieurs, comprit que, dans cette circonstance, on ne pouvait agir avec trop de prudence, et, d'accord avec sa Commission, elle décida qu'il y avait lieu de sur seoir à statuer jusqu'à ce qu'elle se fût mise en état de prononcer en connaissance de cause, et pût apprécier les avantages et les inconvénients que présentait chacune des deux directions. L'année 1836 fut consacrée aux enquêtes. Les deux directions subirent successivement cette épreuve. Les enquêtes relatives à la direction proposée par le Gouvernement constatent toutes, à l'exception d'une peut-être, une répulsion générale. Au contraire, les enquêtes relatives au chemin par la vallée ont constaté que les populations accueillaient avec enthousiasme ce tracé. Les conseils municipaux, les chambres consultatives, les chambres de commerce, tout conclut en sa faveur. La manifestation de l'opinion publique à cette époque fut tellement énergique, que l'administration des ponts et chaussées ne crut pas pouvoir ne pas devoir en faire mention. N'allez pas croire pour cela, Messieurs, que l'administration des ponts et chaussées ait renoncé à son projet; ce serait mal connaître ce corps, car il semble qu'il ait été dans la destinée des ponts et chaussées de démontrer au pays que le errare humanum est souvent compagnon du perseverare diabolicum. (On rit.) En 1837 donc, l'administration soumit à cette Chambre un projet par lequel les deux directions étaient mises au concours l'une par la vallée, et l'autre par les plateaux. Et, Messieurs, je prends acte de cette présentation, car elle démontre tout d'abord à la Chambre que la possibilité d'un chemin par la vallée avait été reconnue par l'administration elle-même; et s'il pouvait rester quelque doute à cet égard, je demanderais à la Chambre la permission de lui rappeler en quels termes l'administration s'expliquait lorsqu'elle venait présenter ce projet. Voici ce qu'elle disait : « Si nous avons trouvé des motifs suffisants en faveur de l'établissement, soit de la ligne des plateaux, soit de celle de la vallée, nous n'avons pas véritablement aperçu entre ces deux lignes des différences telles, que l'une puisse obtenir sur l'autre une préférence incontestable. >> Voilà qui, pour la suite, met la direction par la vallée à l'abri de toute attaque. Lors de la présentation de ce double projet, l'administration crut devoir demander aux Chambres une subvention de 7 millions pour celle des deux directions qui serait acceptée et soumissionnée par une compagnie quelconque. C'était sur ces 7 millions que le rabais devait porter lors de l'adjudication. Le 18 mai de la même année, la compagnie par la vallée de la Seine vient faire sa soumission; elle déclare que ses études sont terminées, et qu'une connaissance approfondie des faits résultant des études auxquelles elle s'est livrée sur les recettes probables, et l'appréciation des dépenses, lui permet d'exécuter le chemin de fer par la vallée sans subvention. La compagnie renonce donc à la subvention, et se soumet du reste à toutes les clauses et conditions imposées. Que fait l'administration des ponts et chaussées? Croyezvous qu'elle accepte cette proposition? Pas le moins du monde. L'administration retire son projet. Le 3 juin, elle en présente un autre. Ce nouveau projet, Messieurs, c'était exactement l'ancien, sauf une difficulté de plus, qu'on y ajouta dans l'espoir de rebuter ceux qui seraient tentés de l'entreprendre. Dans ce nouveau projet, l'administration dit : On ira jusqu'au Havre; pour ce projet, nous offrons 10 millions, non pas pour la partie de Paris à Rouen, mais pour la partie de Rouen au Havre. Et, soit dit en passant, il fallait que l'administration eût fait bien légèrement les études, pour, sur une simple déclaration de la compagnie de la vallée, venir dire qu'elle reconnaît que les 7 millions qu'elle avait proposés pour la partie de Paris à Rouen, sont inutiles. Ce serait déjà un assez grand service rendu d'avoir contribué à faire disparaître les 7 millions. Ainsi l'administration a reconnu l'exactitude des études qui avaient été faites. Si on le niait, j'en appellerais encore à l'exposé des motifs, où l'on trouve ce passage: «Depuis que la Commission a été saisie de l'examen du projet de loi, des capitalistes ont manifesté l'intention d'exécuter, sans subvention aucune, aux clauses et conditions proposées par l'Etat, le chemin de fer de Paris à la mer. Dans une telle circonstance, il nous a paru convenable de supprimer la subvention que nous avions d'abord jugée nécessaire entre Paris et Rouen, et de la reporter sur la partie du chemin située au delà de Rouen, en l'élevant à 10 millions, pour la mettre en rapport avec la dépense probable dans laquelle il s'agit de s'engager. » A la suite de cette présentation de loi, intervint le rapport si remarquable de notre honorable collègue M. Mathieu. Il concluait à l'adoption; mais, je ne sais comment cela se fit, on ne se hâta pas d'arriver à la discussion de ce projet. La session finit avant que l'on eût à statuer sur quoi que ce fût. En 1838, la Chambre se trouvait saisie, et il y avait nécessité de discuter le projet de loi. La compagnie de la vallée de la Seine avait profité de l'intervalle de la session pour étudier la ligne de Rouen au Havre. Ces études, c'est toujours à ses frais et périls qu'elle les fait, je ne dirai pas malgré les entraves qu'elle a rencontrées, puisque enfin elle a pu s'y livrer. Quel fut pour la compagnie, Messieurs, le résultat de ces nouvelles études ? Ce fut de pouvoir se présenter devant la Chambre et de dire : Nous avons examiné le projet en son entier; nous sommes en mesure de l'exécuter avec nos propres capitaux et sans subvention aucune. Eh bien! Messieurs, vous allez encore penser que l'administration s'empresse d'accéder à des propositions semblables. Pas du tout cette fois encore elle retire son projet de loi. C'est ici, Messieurs, qu'il convient de signaler à la Chambre dans quel but on a agi depuis qu'il est question des chemins de fer. Après ce double retrait non motivé, l'administration des ponts et chaussées va se démasquer et jouer cartes sur table; elle va venir demander résolument à la Chambre de lui accorder la faculté d'exécuter, par ellemême et aux frais de l'Etat, le vaste réseau de chemins de fer qui doit couvrir la France. La Chambre rejette. Et n'allez pas croire que ce fût de sa part un caprice, un défaut de réflexion. Non, Messieurs, la Chambre a sagement agi, et si je voulais rendre compte de ces motifs, je dirais que, si la Chambre rend individuellement justice à la capacité et au haut savoir de tous ceux qui composent le corps des ponts et chaussées, elle sait que, comme corporation, alors qu'il s'agit d'entreprendre ou d'exécuter de grands travaux nationaux, cette institution est tout à fait inhabile et frappée de stérilité. (Rumeurs.) La Chambre, sans doute, avait présent à la pensée ce qui avait eu lieu pour les canaux; la Chambre s'est rappelé qu'en 1822 on avait demandé 128 millions au moyen desquels on s'était obligé d'exécuter en six ans les travaux; qu'en 1839, alors qu'on a déjà dépensé plus de 315 millions, non seulement ils ne sont pas encore achevés, mais que les parties les plus productives ne sont pas encore commencées. Le rejet de la Chambre, Messieurs, ce fut un jugement solennel prononcé sur le réquisitoire de l'opinion publique; ce fut pour les ponts et chaussées une condamnation sans appel. Une voix : C'est un peu fort. M. Vietor Grandin. Après le rejet de cette loi, que fit-on? Il fallait bien donner satisfaction au pays. Alors parurent ces différents projets de loi que vous savez tous et qui furent concédés avec plus ou moins de hâte aux compagnies qui firent des soumissions. Cependant, Messieurs, la vallée ne se décourage pas; elle se représente avec ses souscripteurs au nombre de plus de 4,000, son cautionnement est déposé. Une portion de son capital est déjà réalisé. L'administration se trouve forcée dans ses derniers retranchements. Alors elle change d'opinion et elle vient dire Le chemin par la vallée de la Seine n'est plus exécutable; le passage par Rouen n'est plus possible. D'ailleurs, il existe un fleuve, et ce fleuve favorise déjà assez les contrées qu'il traverse sans y ajouter un chemin de fer. Il faut vivifier une autre contrée. Ces deux moyens de transport se nuiraient d'ailleurs réciproquement, comme si l'on faisait des chemins de fer pour créer des intérêts et non pour servir les intérêts qui sont créés, comme si ces deux voies ne devaient pas se prêter un mutuel secours. C'était bien mal se rendre compte de ce qui se passait non loin de nous. Qu'est-il arrivé, en effet, en Angleterre depuis la création du chemin de fer entre Manchester et Liverpool? Lors de sa confection, à l'avance aussi, on avait prédit la ruine du canal de BridgeWater, auquel il est parallèle. Eh bien Messieurs, qu'est-il arrivé? Le canal a doublé de valeur, c'est-à-dire que les actions qui, en 1826, ne valaient que 80 liv. sterl., sont maintenant à 160 liv. sterl.; et cela s'explique; l'illustre et honorable M. Arago l'a démontré dans son rapport de 1838, les chemins ne sont pas destinés à transporter les marchandises à cet égard, il a fait justice de cet échafaudage d'intérêt de transit. Il vous a démontré que, supposer qu'il y eût un transit, ce que c'était que ce misérable transit qui, chez nous, ne s'élève pas à 3 millions par an. Eh bien! j'en reviens au canal de Bridge-Water, d'où vient le résultat qui |