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térêt des compagnies ; car quand une compagnie pourra faire un croisement par viaduc sans des dépenses trop considérables, elle le préférera à un croisement de niveau, car ce dernier augmente les frais de surveillance d'un manière très sensible.

Cette condition demeure done sans justification aucune.

Enfin, pour citer encore des chiffres qui parlent hautement, qui protestent contre l'imprudence et l'imprévoyance du Gouvernement, je vous dirai les évaluations données aux indemnités de terrain.

De Paris à Orléans, à quel chiffre sont estimées les indemnités de terrain? A 1 million 300,000 francs, et elles s'élèveront, au minimum, à 4 millions!

L'évaluation de la double voie calculée à 9,600,000 francs reviendra au moins, d'après les estimations de la compagnie, à 13 millions 200 francs! Remarquez que je ne comprends pas dans ce chiffre les embranchements de Pithiviers et d'Arpajon.

Cependant on se méprendrait complètement si on croyait que c'est pour récriminer que je fais ces observations; je les fais au contraire en vue d'établir que la question des chemins de fer est à l'état d'expérience; que Gouvernement, compagnies et chambres se sont complètement trompés sur la question. Mais si l'on voulait avoir la preuve que nous sommes à l'état d'expérience, je citerais les faits qui le prouvent. Ainsi tous les jours on voit de nouvelles modifications, de nouveaux changements. Le poids des machines pour les voyageurs qui était auparavant de 8 tonneaux est maintenant à 12 tonneaux ; pour les machines il est monté à 15 tonneaux. Cette circonstance a obligé d'augmenter la force des rails; les rails étaient à 12 kilogrammes le mètre courant, maintenant ils sont de 30 à 37 kilogrammes; les voitures qui étaient à quatre roues sont aujourd'hui à six roues ; les dés en pierre ont été remplacés par des traverses. On fait différents essais pour augmenter le diamètre des roues et la largeur des voies.

Divers procédés ont été tour à tour indiqués et appliqués pour permettre la réduction des rayons des courbes; enfin les plans inclinés adoptés autrefois ne sont plus maintenant tolérés ailleurs, sauf nécessité absolue, qu'aux points de départ et d'arrivée. Cette mobilité dans les procédés, cette modification successive des moyens adoptés constatent qu'on cherche toujours, et que la science de cette scrte de construction est loin d'être arrêtée. Reconnaissons donc que beaucoup de fautes sont dues à la nature même des opérations auxquelles on se livrait. Mais l'inexpérience ne s'est pas seulement révélée dans la partie purement matérielle; il y a eu même inhabilité dans la partie purement morale, et, je crains bien, qu'ici nous ne trouverons pas d'excuse à l'imprévoyance du Gouvernement, et il faut ajouter à l'imprudence des Chambres. (Ecoutez ! écoutez !)

Quoi il s'agissait de substituer les compagnies aux droits du gouvernement vis-à-vis des particuliers, de leur donner une part immense d'influence sur la fortune publique, de leur permettre d'agglomérer des capitaux considérables et d'exercer une sorte de droit de propriété sur une portion du territoire,

et on ne leur demande pas plus de garanties que s'il est question tout simplement de réunir quelques centaines de mille francs pour l'assurance contre la grêle ou l'incendie. (On rit.)

Le conseil d'Etat lui-même, dérouté dans ses investigations quand il compare le but que se proposent ces compagnies et les dispositions législatives qui leur demeurent applicables, ne sait que faire à leur égard; aussi sa jurisprudence varie à l'infini et il change de prescriptions comme on fait quand on ne se rend pas compte du but que l'on poursuit.

Que pourrait faire le conseil d'Etat mis en présence de cette énorme difficulté Il ne pourrait que s'égarer.

Je ne l'en accuse pas. Tout cela tient à la profondeur même de la question et à la situation dans laquelle nous étions placés visà-vis des compagnies. Je vais plus loin a varié dans les conditions les plus fondamentales des sociétés. (Dénégation au bane de M. Vivien.)

il

J'en citerai deux. Dans certaines circonstances, le conseil d'Etat a donné aux compagnies la faculté de prélever une portion de versements sociaux pour payer les intérêts pendant l'exécution des travaux. C'est ce qui a été fait pour le pont de Cubzac.

M. Vivien. C'est le Ministère qui l'a fait. M. Galos. Enfin, c'est établi!...

Une autre condition non moins importante, c'est que vous avez, pour certaines compagnies, établi l'obligation d'actions nominatives, tandis que pour d'autres vous ne l'avez pas exigé. Ainsi, dans le chemin de fer de Bâle à Strasbourg, les actions sont nominatives, et pour les chemins de Paris à Orléans et de Paris au Havre, vous avez renoncé à cette condition, ou plutôt vous ne l'avez imposée que pour 25 pour cent des sommes souscrites; vous voyez donc que votre jurisprudence a varié !

Mais ne croyez pas cependant que ce soit un reproche. Pourquoi, par exemple, a-t-on accordé à certaines compagnies le droit de payer les intérêts pendant l'exécution des travaux, c'est que vous avez reconnu l'exigence de l'esprit négociant et industriel?

L'industriel a tellement l'habitude de considérer son revenu comme une augmentation de dépenses, qu'il ne peut concevoir que pendant l'exécution de grandes entreprises, on ne lui paie pas constamment son revenu, et cela se conçoit d'autant mieux que vous n'avez affaire qu'à de petits capitalistes pour lesquels le revenu est un moyen d'existence.

Quant à la clause des actions nominatives, c'est très important; c'est précisément, comme l'a très bien expliqué un de nos horables collègues dont nous aurons à discuter le rapport très prochainement, c'est précisément la condition première pour avoir une société sérieuse. Vous avez reculé devant la difficulté, parce que vous avez reconnu l'insuffisance des capitaux en France; et que si vous ne donniez pas un certain appât, une certaine facilité à ces capitaux, vous n'en trouveriez pas pour alimenter les compagnies. Ainsi il y a eu alternativement grande confiance dans l'esprit d'association France, et tantôt grande méfiance.

en

Aussi, suivant l'esprit dans lequel vous vous trouviez, tantôt les conditions étaient très onéreuses. tantôt très larges vis-à-vis des compagnies; mais jamais vous ne vous êtes placés dans un point de vue fixe, arrêté, par rapport à l'esprit d'association."

Je crois que ce qui a contribué beaucoup à ncus tromper en cette matière, c'est que nous avons vu une analogie possible entre ce qui se passe en France et ce qui s'est fait en Angleterre. Cependant jamais vous ne rencontrâtes en France les moyens d'association qui existent en Angleterre. Ainsi, en Angleterre, il y a de grands propriétaires, de grands capitalistes qui en s'associant deux ou trois peuvent faire un canal, un chemin de fer. Mais en France, il faut un grand nombre de capitalistes. Vous êtes obliges, par le morcellement de la propriété, qui est un bien dont je félicite mon pays, parce qu'il produit de bons résultats; vous êtes obligés de descendre l'échelle sociale pour former vos compagnies; et alors il ne faut plus s'attendre à rencontrer cette expérience des grandes affaires, ces connaissances pratiques qui permettent de donner une adhésion morale en même temps qu'un concours pécuniaire, comme le fait le capitaliste anglais quand il intervient dans une entreprise. On a pris pour des capitalistes, en France, une nuée de spéculateurs, de joueurs de bourse qui allaient chez les banquiers des compagnies se faire inscrire pour des millions, avec l'intention de ne point verser, car il ne les avaient pas ; mais de poursuivre, sans aucun risque, la chance d'une prime élevée.

Il y a quelque chose de contradictoire dans notre position.

En Angleterre facilité, je pourrais dire native à constituer des sociétés ; en France impossibilité pour ainsi dire naturelle à les former; eh bien ! le Gouvernement français, loin de tâcher de faire disparaître ce désavantage de notre pays, a contribué à l'augmenter. En Angleterre, où des conditions naturelles, normales à l'esprit d'association se rencontrent, le Gouvernement a tout fait pour les seconder.

M. Martin (du Nord). Je demande la parole.

con

M. Galos. Vous voyez, Messieurs, la difféférence qu'il y a entre la situation financière de l'Angleterre et la situation financière de la France. Eh bien! les bills de concession en Angleterre sont de tout autre nature que nos lois. Dans ce pays, il n'y a pas d'administration, ou plutôt l'administration se fond avec le pouvoir législatif. Par une logique prise dans la vérité des choses, on est sévère dans le Parlement avant d'accorder un bill pour l'exécution d'un chemin de fer; mais après, la compagnie est à peu près maîtresse de faire ce que bon lui semble, pourvu qu'elle ne blesse pas les droits des tiers. Il est fort rationnel, en effet, de prendre toutes les précautions possibles avant de substituer aux droits du Gouvernement une compagnie qui exercera sur le public, et une portion du pays, cette action et cette influence qui reviennent à l'Etat au nom des intérêts généraux de la société ; mais il ne l'est plus, une fois que cette substitution a été légalement

opérée, d'enchaîner ceux qui en sont l'objet dans une infinité de conditions et de formalités écrasantes, comme s'ils devaient se mouvoir par le mobile seul d'un intérêt privé.

con

Si l'entreprise dans ses résultats n'a pas un caractère de généralité incontestable, si elle ne peut influer sur le bien-être public, traitez-la comme une affaire privée, et ne lui déléguez pas, par une concession, les droits du Gouvernement; mais si, tout au traire, son importance est réelle, son influence certaine sur la richesse nationale, ne la traitez pas avec jalousie et accordez-lui réellement cette liberté d'action qui doit être la conséquence de la délégation de pouvoir que vous lui faites.

Plusieurs voix Très bien! C'est juste!

M. Galos. En Angleterre, il n'y a pas d'administration; le bill demandé est soumis à l'orateur, qui fait faire les enquêtes et l'examen dans les bureaux, puis le Parle

ment vote.

En France, vous avez une administration, une administration exigeante, et de plus les ponts et chaussées qui tiennent l'industrie en tutelle.

En Angleterre, le bill porte l'autorisation de dévier du tracé de 100 pieds, et dans le cours de l'exécution la compagnie vient presque constamment demander des bills qui modifient d'une manière sensible ce que le bill primitif peut avoir d'imparfait.

En France, Messieurs, il n'est pas possible d'avoir aucune modification; et si vous voulez me prêter un instant d'attention, je vais vous montrer de combien de retards, de combien de difficultés et d'embarras sont entourées toutes demandes de cette nature.

:

Dans le cas où la demande d'un changement n'intéresse pas des tiers, où ce changement ne porte pas sur une modification de tracé ou sur la nature des matériaux( c'est le cas, certainement, le plus innocent, le moins fait pour inquiéter, pour troubler) eh bien! dans ce cas, voici la série des formalités qu'il faut remplir envoi au préfet du projet, puis à l'ingénieur en chef; de l'ingénieur en chef à l'ingénieur ordinaire, rapport de celui-ci; le projet revient à l'ingénieur en chef, puis au préfet; transmission avec avis au ministre ; et, certainement, je n'exagérerai pas, quand je dirai que toutes ces formalités locales prennent au moins trente jours, Voix diverses: Mettez trois mois !... six mois (Réclamations.)

M. Galos. Messieurs, ces réclamations me prouvent que vous ne me taxerez pas d'exagération dans mes calculs. (Non! non!) Voici les formalités qu'il faut encore suivre à Paris.

Le dossier est envoyé à l'inspecteur divisionnaire; rapport de l'inspecteur divisionnaire; puis transmission au président du conseil des ponts et chaussées; décision du conseil des ponts et chaussées; procès-verbal, envoi au ministre, décision du ministre ; et, enfin, retour au préfet.

Eh bien! Messieurs, si on a le bonheur d'avoir affaire à un concessionnaire intelligent et à un conseil des ponts et chaussées complet, dont aucun de ses membres n'est en tournée, ni en voyage, on peut espérer d'avoir fini de

passer dans ces filières en trois mois. (Jamais! jamais!)

Je le crois, mais je ne veux pas exagérer, eh bien! Messieurs, dans le cas le plus simple, voici donc sept mois employés en délais ; et que sera-ce donc, s'il s'agit d'une circonstance qui peut, en effet, intéresser quelques propriétés traversées! Alors, il y a une enquête, eh bien! cette enquête donne lieu à des retards bien autrement considérables! la voici dépôt du plan, arrêté du préfet, et envoi au maire (C'est la loi), affiche, puis le retour; et tout cela, certainement, prendra au moins soixante jours. Commission d'enquête, procès-verbal et dépôt. Enfin, les formalités que j'ai déjà indiquées ; et bien certainement vous prendrez plus d'une année avant d'obtenir l'expédition de l'affaire.

On me dit que c'est la loi, je le reconnais, mais je dis que ce sont des circonstances qui empêchent les compagnies d'exécuter, et qui concourent à la situation déplorable dans laquelle elles sont tombées.

Enfin, Messieurs, les bills en Angleterre ne fixent point la largeur du chemin, les dimensions des rails, la largeur entre les différentes voies, de manière que tout peut arbitrairement se changer. Les points de station ne sont point indiqués non plus. Voyez au contraire vos lois de concession, avec notre manière de tout réglementer toutes ces conditions sont prescrites et imposées à l'avance aux compagnies; non seulement nous fixons les points de station, mais encore souvent l'administration va jusqu'à défendre d'en établir là où il y aurait de grands avantages pour les entreprises à en avoir.

Mais là, Messieurs, ne s'arrêtait pas le désavantage des compagnies françaises. Si nous examinons la situation que nous leur avons faite par les tarifs, vous allez voir encore quelle différence existe à leur détriment.

par

En Angleterre, un seul maximum de tarifs a été fixé c'est 3 pence par mille, ou 91 centimes par lieue de France. Nos cahiers des charges nous accordent seulement 20 et 30 centimes lieue, moitié de ce que perçoivent les diligences. En Angleterre, les chemins de fer faisant huit lieues à l'heure et les voitures publiques quatre, c'est moitié de vitesse de plus. En France, les chemins de fer, au même degré de rapidité, donnent une vitesse trois fois plus grande, puisque nos diligences ne font que deux lieues à l'heure. Pourquoi donc notre tarif est-il si bas ? Les marchandises sont tarifées à raison de 48 c. par lieue chez nous, tandis que le roulage prend de 80 c. à 1 franc. En Angleterre, sur les principaux chemins de fer, on n'a point fixé de maximum; seulement, dans le cas d'un embranchement, on fixe un droit de passage sous la désignation de droit de péage.

Sur quoi donc s'est-on basé pour imposer aux compagnies en France des tarifs si désavantageux? On ne peut en trouver l'explication que dans les tarifs belges. Eh bien! les tarifs belges ont été élevés depuis l'année dernière de 25 à 30 pour cent.

Une voix De 40 pour cent.

M. Galos. Oui, de 40 pour cent. Et remarquez, Messieurs, que les chemins de fer belges,

par des circonstances tout à fait locales, ne revenaient qu'à 500,000 francs la lieue, et étaient exécutés aux frais de l'Etat ; il était donc fort naturel que les tarifs fussent établis aux plus basses conditions possibles.

Mais puisque nous examinons toutes les circonstances qui peuvent rendre la position des compagnies en France si désavantageuse, n'oublions pas une condition toute particulière, que je ne juge pas, moi, qui est bien grave dans la question. Je veux parler de la loi d'expropriation de 1833. Je ne veux pas m'élever contre la loi ; il y a certainement en elle un principe très salutaire ; mais enfin, en Belgique et en Angleterre, on a l'expropriation une fois le dépôt préalable fait, et en France, vous êtes obligés d'attendre l'enquête, l'expertise et la décision du jury. Tout cela concourt pour beaucoup à augmenter. les délais, les retards, et les pertes d'intérêt. Cependant, Messieurs, je viens appuyer le projet de loi.

Pourquoi? C'est qu'il fait l'aveu implicitement de toutes les critiques que je viens d'exposer et qui sont la cause de la déplorable situation des compagnies :

1° Il tient compte de la difficulté que la compagnie rencontre à former son capital social suite du discrédit dont les actions par ont été frappées, quand on a connu les erreurs considérables du premier devis. Si la compagnie a eu tort de s'engager à exécuter un travail dont elle n'avait pas examiné à fond toutes les conditions, le Gouvernement a bien aussi quelques reproches à se faire pour l'approbation officielle qu'il a donnée à ses études en assumant sur lui la responsabilité de leur exactitude;

2o Le projet de loi confesse implicitement ce que j'ai cherché à établir, l'insuffisance des capitaux particuliers, dans les conditions actuelles, pour exécuter les grands travaux d'utilité publique, car son article 3 préjuge sans indiquer le mode l'intervention de l'Etat pour l'achèvement des travaux au delà de Juvisy;

3° L'article 5 fait précisément aussi l'aveu de toutes les chaînes, de tous les liens, de tous les embarras que vos cahiers des charges ont nécessairement suscités et imposés aux compagnies; il en fait l'aveu, car il reconnaît qu'en cours d'exécution, l'autorité administrative sera autorisée à modifier toutes les conditions d'exécution, eh bien! je suis bien aise, pour ma part, que cet aveu ait eu lieu, car je crois qu'il serait impossible, en s'en tenant aux conditions expresses des cahiers des charges, d'exécuter aucun chemin de fer.

Enfin ce même article fait l'aveu de tout ce qu'il y avait d'onéreux, d'exigeant, de tyrannique dans les conditions mêmes des tarifs, car il autorise la revision de ces mêmes tarifs. Je sais très bien qu'on ne fait le progrès qu'à moitié, car, au lieu d'établir un tarif commun en Angleterre, avec un maximum très élevé, on délègue seulement à l'autorité administrative le soin de débattre avec les compagnies un nouveau tarif. Maintenant, ce sera à nous à examiner si l'administration supérieure aura fait un usage sage, prudent, circonspect de cette latitude qui lui est donnée.

Messieurs, les aveux que contient le projet de loi me prouvent qu'enfin on reconnaît la

voie dangereuse dans laquelle on est entré. Eh bien! cet aveu est déjà une circonstance fort grave, car elle doit vous donner l'assurance que le Gouvernement, ne perdant pas l'expérience que nous venons de donner, tâchera pour la session prochaine de se mettre en situation de résoudre toutes les questions qui ressortent des sujets que nous traitons; car, jusqu'à présent, on a négligé complètement l'instruction préalable de la question des chemins de fer. Le projet de loi n'engagera pas l'avenir. (Si! si! Non! non!)

Mais, quant à moi, je n'ai pas cru que le projet engageât l'avenir, et c'est pour cela que je l'appuie. Le problème reste entier; mais il faut nécessairement, et c'est une mission que le Gouvernement doit accepter, il faut nécessairement qu'à la session prochaine nous soyons en mesure d'examiner tous les termes du problème, et de voir quelle solution nous pouvons lui donner, car il serait honteux pour nous de rester plus longtemps dans cette situation.

Eh bien quelles sont les questions que nous aurons à résoudre? Je crois pouvoir, par ma propre initiative, les indiquer.

Je les pose dans les termes suivants :

Les capitaux particuliers peuvent-ils, sans préjudice pour le commerce et l'industrie, être appelés à exécuter les grands travaux d'utilité publique? (Mais c'est une question immense!) Dans le cas affirmatif, quelles sont les conditions auxquelles les compagnies doivent être soumises pour qu'elles offrent, tout en même temps, assurance d'exécution pour l'œuvre entreprise et garantie aux personnes associées ?

Si l'Etat est obligé d'intervenir, quel sera son mode financier, et par conséquent, s'il n'y aurait pas plus d'avantage à garder aux frais de l'Etat les entreprises que les compagnies ne pourraient pas exécuter seules?

Quelle est la délimitation à poser entre la partie purement législative des concessions et celle qui doit demeurer dans le domaine administratif, pour que les compagnies aient une plus grande latitude d'action, sans danger pour l'intérêt public? Il y a là une confusion déplorable.

Quelles sont les modifications à établir dans les rapports des compagnies et de l'administration pour diminuer les formalités et donner aux affaires une célérité qui soit en harmonie avec la nature des opérations?

Enfin n'y a-t-il pas quelques réformes essentielles à introduire dans le corps des ponts et chaussées, pour que ses études soient tout à la fois économiques et scientifiques, et offrent plus de garanties, d'exactitude et de précision?

Eh bien! je crois que nous ne pouvons pas voter le projet qui vous est soumis sans avoir l'assurance que ces questions seront l'objet des méditations du Gouvernement; car si elles n'étaient pas résolues quand on viendra vous demander d'intervenir dans l'exécution des chemins de fer, nous retomberons encore dans toutes les erreurs que nous avons déjà commises.

Ainsi, je me résume. Le projet est bon comme liquidation d'une mauvaise opération, mais il doit imposer au Gouvernement le devoir d'examiner avec attention toutes les questions qui ressortent du problème des che

mins de fer, afin qu'à la session prochaine nous soyons en état de décider d'une manière définitive dans quelle voie nous devons entrer, et c'est à cette condition que j'accorde mon vote. (Très bien! très bien! Approbation.)

M. de Vatry. Je ne viens pas défendre les ponts et chaussées des attaques dont ils sont l'objet; je laisse ce soin à M. le ministre des travaux publics et à M. le sous-secrétaire d'Etat de ce département, qui s'en acquitteront beaucoup mieux que moi. Si je croyais qu' 'il me fût permis de le prendre, ce serait avec empressement que je m'en chargerais, parce que j'ai la persuasion que les ingénieurs ne méritent pas les reproches dont on les accable aujourd'hui relativement aux chemins de fer.

En demandant à monter à la tribune, j'ai désiré répondre à la doctrine que vient de soutenir l'honorable préopinant, lorsqu'il a dit que quand les entrepreneurs se trompaient on devait modifier leurs engagements. Je voudrais que ce fût possible, mais je ne le pense pas, pas plus dans cette circonstance que dans celles ordinaires.

Dans celle qui nous occupe, un dilemme me paraît devoir dominer la question ou les adjudicataires du chemin de fer avaient fait leurs calculs avant de signer leur traité, ou, au contraire, ainsi qu'on vient de le dire, ils ont pris des actions pour ces énormes sommes en croyant que les études du Gouvernement étaient bonnes et exactes. Dans la première hypothèse, si effectivement ils ont étudié avant de souscrire, je vois des hommes qui se sont trompés, je les plains sincèrement comme citoyen, mais cela ne doit pas m'empêcher, comme gardien de la loi, d'en demander l'exécution. Dans la seconde hypothèse, s'ils ont pris une affaire aussi majeure sans l'avoir étudiée, je dis qu'on peut supposer qu'ils ne voulaient faire qu'une spéculation, et je ne pense pas que la sollicitude de la Chambre puisse s'émouvoir de ce qu'elle n'a pas réussi. (Très bien!)

L'honorable M. Galos a invoqué le cas d'utilité publique pour justifier les exceptions qu'on vous demande de sanctionner.

Messieurs, les travaux relatifs à nos routes, à leurs ponts, sont aussi d'utilité publique : la matière est régie par une instruction très remarquable de M. le comte Molé, alors directeur général des ponts et chaussées. Dans cette instruction du 30 juillet 1811, le cautionnement joue le plus grand rôle; partout il répond de la bonne confection des ouvrages adjugés. Et l'article 26 dit que toutes espèces d'imprévoyance ou de négligence de la part des entrepreneurs ne sauraient leur donner droit à la moindre indemnité. Mais j'abandonne cet incident pour revenir à la discussion du projet de loi.

Je me erois dispensé de faire l'historique des chemins de fer, M. Galos a rempli parfaitement cette tâche, et ce serait d'autant plus téméraire à moi de l'entreprendre de nouveau, que tous vous aurez étudié le rapport-modèle de M. Arago et le mémorable discours de l'honorable M. Billault, du 15 juin 1838 discours dont les prophéties sont si cruellement réalisées en 1839.

Je dirai seulement que cette création du

génie industriel mérite toute la sollicitude de quiconque prend souci des intérêts de son pays. Je suis donc partisan des chemins de fer, lorsqu'ils peuvent fonctionner utilement pour leurs riverains, et leurs créateurs, et j'ai la conviction intime que cette première condition ne laisse rien à désirer dans le chemin de Paris à Orléans et dans celui de Paris à la mer. C'est pour cela que je veux qu'ils soient exécutés entièrement et que je repousse les tronçons que vous propose M. le ministre des travaux publics (Exclamations); Messieurs, c'est l'expression dont on s'est servi dans le projet.

Je les repousse à cause de leur exiguïté, mais je condamne aussi l'exposé des motifs dans lequel M. le ministre n'a pas craint de dire que ceux d'entre nous qui se mettraient dans la position où me place aujourd'hui ma conscience, en me faisant monter à cette tribune pour attaquer la proposition qui vous est faite, manqueraient de moralité. (Réclamations.)

Si la Chambre le désire, je vais relire la phrase du projet. La voici: «Le système qui voudrait abandonner de telles entreprises n'aurait à nos yeux ni moralité ni grandeur.» (M. Dufaure, ministre des travaux publics, fait un signe de dénégation.) Il me semble, M. le ministre, que ce sont là des expressions qui n'ont pas besoin d'être expliquées, à moins de les supposer sans portée, et tout le monde sait que vous n'êtes pas dans l'habitude d'en employer qui n'en aient pas. J'ai le regret de ne pas entendre le sentiment moral comme l'exposé des motifs; de la part d'un législateur surtout, il me semble devoir consister bien moins à l'abandon des lois qu'à leur exécution entière. Je crois que celle des chemins votés doit être totale. C'est un bien acquis aux pays qu'ils doivent vivifier, et nous n'avons pas le droit de les en déshériter. Ce vou n'est pas plus extraordinaire aujourd'hui qu'il ne l'était l'année dernière. Pour qu'il ne soit plus raisonnable, que s'est-il donc passé? Ces hommes éminents dont on vous vantait tant l'habileté en administration, sont-ils devenus incapables? Leurs richesses excessives qu'on faisait briller à vos yeux pour enlever vos suffrages se sont-elles évanouies? Quelque perturbation soudaine dans le sol a-t-elle dérangé toutes les prévisions pour la dépense?

Pas le moins du monde, rien de tout cela ne vous est révélé. Mais qu'est-il donc arrivé? C'est que tout bonnement les habitués de la Bourse ont eu plus de bon sens que de coutume et qu'ils n'ont pas voulu prendre les actions qu'on leur offrait.

Le désappointement a été d'autant plus grand, que l'espoir était plausible. En effet, ces capitalistes habiles avaient spéculé sur la grande réputation attachée à leur crédit. Ils avaient pu se dire que si des entreprises utiles, mais encore jeunes et peu connues, comme les bitumes Seyssel ou le fer galvanisé, gagnaient cinq ou six capitaux pour un, leurs signatures à eux seraient enlevées dès leur émission. La Providence, en faisant brusquement cesser la fièvre de hausse, n'a pas permis cette nouvelle déception. Les actions n'ont pu se placer, et c'est par ce motif, Messieurs, qu'on vous demande de révoquer ce qu'il y a de plus irrévocable au monde !...

La loi, par des modifications dont le résultat sera de détruire le contrat dans ce qu'il a d'avantageux pour le pays et de le maintenir en partie dans l'intérêt des hommes puissants auxquels les facilités du nouveau projet décernent en quelque sorte une récompense, alors qu'ils devaient s'attendre à une punition méritée par toute inexécution d'engagements. Et dans quel moment vous sollicite-t-on pour vous faire consentir à ces inconcevables changements? Lorsque tant de rêveurs veulent innover, renverser, Messieurs, nous devons donner l'exemple de la stabilité. Croyez-moi, aujourd'hui, nous en départir sur de pareils motifs que ceux en discussion, je le dis à regret, ce serait autoriser à supposer que nous avons dans notre justice deux poids et deux mesures; car, rappelez-vous-le, Messieurs, l'instruction de juillet 1811 est inflexible pour tous les travaux publics. Quelle autorité osera à l'avenir en faire l'application si vous reculez devant elle?

Je suis d'avis qu'on ne doit pas provoquer légèrement le retrait d'une loi semblable, son caractère distinctif doit être l'immuabilité.

Quand il s'agit d'une loi de police, d'une loi exceptionnelle, on peut y faire des changements, lorsque les circonstances qui l'ont vu naître sont passées; mais ici rien de cela, on paraîtrait ne s'être préoccupé que de l'intérêt de quelques particuliers; est-ce dans un but d'utilité publique que les modifications. présentées vous sont demandées ?

Le principal effet de la modification demandée, c'est de priver des départements et leurs aboutissants des chemins qu'on leur avait donnés; j'ajouterai à ces considérations qu'on se rend peu compte du funeste effet produit par l'idée exécutée aujourd'hui, dès qu'on en a eu la nouvelle dans nos provinces; pour mon compte, je me trouvais en Touraine à l'époque où les journaux ont parlé de cette affaire (car elle a été conduite avec suite, pour travailler l'opinion), j'étais chez l'un de nos collègues que vous avez assez souvent honoré de vos suffrages quand vous avez voulu un contrôleur exact de nos finances, pour que son opinion soit puissante en pareille matière (j'ai nommé votre rapporteur, M. Gouin): eh bien! lui et moi, nous avons été révoltés, c'est le mot, comme tous ses compatriotes, de la pensée qu'on voulait modifier les lois rendues dans un intérêt général, pour des considérations particulières et il n'a pas changé d'avis, car il vient, i y a quelques minutes, de me répéter cette même opinion.

Je sais bien qu'à Paris on oubliera promptement ce qui excite maintenant ma critique. Voici comment les choses se passent ici les feuilles publiques sont la plupart dirigées dans un sens qu'elles exploitent utilement toujours, lorsque, comme aujourd'hui, elles. ont un accord parfait pour défendre le même intérêt, les journaux, même les plus puritains jusqu'ici, disent chaque jour que la situation des compagnies est fort dure, qu'il y a eu erreur; et ils concluent à obtenir des modifications de la part des Chambres. En vérité, les hommes qui n'aiment pas qu'on fasse de l'opposition, leur doivent des actions... de grâces pour cette unanimité si rare!

A Paris, le tourbillon des affaires, celui des

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