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« révolution, vos assignats, vos créances, vos « domaines nationaux, toutes vos propriétés ? « Insensés que vous êtes, est-il possible que vous « vous laissiez égarer à ce point par un fol orgueil; que vous soyez ainsi les dupes de vos ennemis? Comment ne voyez-vous pas que « vous êtes la classe des citoyens qui gagne le plus à la Révolution, parce que l'on a détruit les richesses d'opinion que vous n'aviez pas, « et par lesquelles on vous humiliait chaque jour; tandis qu'on conserve les richesses mo« bilières que vous possédez, et qui vous assurent « mille avantages dans la société? Enfin, com"ment ne préférez-vous pas d'accepter le bonheur «qui vous est offert par les mains de l'éga«lité, plutôt que de courir à la misère et à la « mort?

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"Chers concitoyens, chers amis, revenez sur « vos pas; il en est temps encore; sauvez la » France d'une guerre intestine, je vous en conjure au nom de la patrie éplorée, de vos propriétés, de votre existence, et de tout ce qui vous est cher. Mais que faut-il donc faire, me « direz-vous? Il faut abjurer tout sentiment d'or«gueil; il faut rendre hommage à l'égalité des « droits établie par la Constitution; il faut être « moins égoïste et plus citoyen; il faut paraître « aux assemblées ordonnées par la loi (Applaudis« sements.); ne pas dédaigner de vous y trouver " à côté des citoyens de toutes les professions, n'importe leur costume (Applaudissements.); " y respecter les choix du peuple; les mériter en « prenant intérêt à la chose publique, aban« donner toutes les associations suspectes; vous « montrer dans les sociétés patriotiques, ne fût« ce que pour contenir la fougue du patriotisme, empêcher qu'on ne s'écarte des bons principes, diriger les esprits vers le bien, et démasquer ceux qui voudraient égarer le peuple. On vous « a peint ces sociétés comme des volcans qui « peuvent embraser la France: cela n'est pas « vrai; et si cela était, ce serait une nouvelle raison « pour vous décider à vous y rendre. Oui, c'est "parce que le feu du patriotisme aurait allumé là « un incendie, qu'il faudrait y courir en foule « pour l'éteindre avec la sagesse et la modération. (Applaudissements.) Si vous avez la pro« bité d'agir comme je vous le conseille, je vous réponds que l'Etat est sauvé, et qu'au lieu de « voir couler le sang, tous les cœurs se livreront « aux effusions de l'amour fraternel. Pourriez« vous résister au plaisir d'opérer tant de bien, « pour courir le risque d'enfanter mille crimes? Non, vos cœurs seront touchés; c'est la justice, «c'est l'humanité, c'est votre intérêt qui vous « pressent; c'est la patrie qui vous parle par ma bouche, et vous ne serez pas insensibles à sa

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Après avoir ainsi parlé le langage de la vérité à tous les citoyens de la France, permettez-moi, Messieurs, de le faire entendre à vous-mêmes.

J'avoue avec autant de plaisir que de franchise, qu'ayant étudié le véritable esprit de l'Assemblée, je crois qu'il n'existe ici que des amis de la patrie (Applaudissements.); nous désirons tous le bonheur de la France; nous voulons tous la monarchie décrétée, parce que son unité convient à une nation de 25 millions d'hommes, dont les mœurs sont plus douces que pures, et que, sans être incompatible avec la liberté, elle est préservatrice de l'anarchie. (Vifs applaudissements) Nous voulons tous l'hérédité du trône, parce qu'elle est une digue contre l'ambition des grands citoyens et l'intrigue des factieux (Applaudisse

ments.); mais nous voulons aussi que les rois et leurs ministres remplissent leurs devoirs, et que l'or de la nation ne serve jamais que pour son utilité et sa splendeur. Nous voulons tous la liberté véritable, c'est-à-dire celle qui a l'égalité pour base, et qui est fille des lois, et non la mère de la licence. (Applaudissements.) Enfin, nous voulons tous la Constitution jurée (Applaudissements.) personne ici n'est parjure; mais nous nous méfions les uns des autres...

Plusieurs membres : C'est vrai !

M. Isnard... Nous prenons des différences d'opinions pour des différences de principes, et la chaleur patriotique pour de l'exaltation. Enfin, l'intolérance, le trouble, l'inquiétude habitent cette enceinte où devraient régner la confiance, l'estime et la paix. Cette manière d'être ne peut qu'influer sur nos lois qui sont forcées de filtrer à travers nos passions: séparés les uns des autres, nous ne formons point un corps unique qui puisse saisir un grand système, prévoir les événements, méditer l'avenir, embrasser des plans vastes, exécuter une suite de projets bien médités, et manier hardiment les rênes de l'Empire. Nous rendons trop souvent, au milieu des cris et du désordre, ces décrets arbitres du sort de la nation, que la sagesse devrait seule prononcer dans le recueillement du silence. (Applaudissements.) Il faut enfin que le mouvement de cette Assemblée change; il faut qu'elle se dessine avec majesté aux yeux des peuples qui la regardent; elle a de grandes ressources. (Applaudissements dans les tribunes.) De quelque côté que je jette mes regards, j'aperçois des hommes de caractère et de talent; il ne nous manque que le silence et l'union. (Applaudissements.) Unissons-nous donc, Messieurs; unissons-nous; le temps presse; la France libre est sur le point de lutter contre l'Europe esclave. Voici l'instant qui, peut-être, doit décider à jamais du sort des rois et des nations; c'est vous que le ciel réservait pour présider à ces grands événements; élevez-vous à la hauteur de vos (destinées; vous répondez à la France, à tous les peuples, aux générations contemporaines et futures de la liberté humaine. (Applaudissements.) Si les despotes coalisés triomphent d'elle dans le moment, dix siècles s'écouleront avant qu'elle reparaisse sur la terre; mais si elle triomphe de la coalition des despotes, je la vois s'élancer sur le globe; et qui sait où elle

s'arrêtera?

Frappés de ces grandes vérités, pourrions-nous, Messieurs, différer plus longtemps de nous réunir?

Le décret d'accusation lancé contre les princes va réunir tous nos ennemis qui avaient aussi leurs rivalités secrètes il faut qu'il opère sur nous un effet pareil.

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Détruisons ce schisme qui s'est introduit dans la religion du patriotisme.

Pourquoi nous placer chaque jour sur deux lignes, comme si nous voulions combattre, lorsqu'il ne faudrait que nous éclairer, nous concilier et nous aimer? (Applaudissements.)

Brisons enfin cette barrière qui nous sépare; que dès demain les patriotes les plus ardents, comme ceux qui sont les plus calmes, s'asseyent indistinctement sur les sièges qu'occupaient les Mirabeau ou les Maury. Agissons de concert pour arriver au même but; que les hommes à talents qui se taisent rompent un silence coupable (Applaudissements.); qu'ils songent que, depuis qu'ils sont législateurs, leur génie appartient à la pa

trie, et qu'ils sont comptables de tout le bien qu'ils négligent de faire.

Que chacun de nous se rappelle que le premier sacrifice que doit faire l'orateur citoyen, est celui de son amour-propre. Cessons d'être aussi intolérants que nous le sommes.

Il faut que, dans toutes les discussions, chaque orateur puisse dire ce qui lui plaît, et que l'ASsemblée l'écoute en silence (Vifs applaudissements.); le bruit tue la réflexion; le défaut de silence dans une assemblée de législateurs, produit le même effet que le défaut de clarté dans un atelier d'artistes.

Enfin, je le répète, nos deux premiers besoins sont le silence et l'union. Si nous parvenons une fois à conserver l'un et l'autre dans cette Assemblée, elle fera trembler tous ses ennemis; elle triomphera de tous les obstacles; elle excitera l'admiration de l'univers. Chacun de nous recueillera les bénédictions du peuple; nous retournerons dans nos foyers avec une conscience pure, une âme sereine, des souvenirs qui feront le charme de notre existence; enfin, nous vivrons heureux du bonheur de la France, qui sera notre ouvrage (Applaudissements.); mais je prédis à regret que si nous continuions plus longtemps de délibérer en tumulte et de vivre désunis, nous compromettrions le salut de l'Empire, le sort de la liberté des Français et des hommes. Nous n'éprouverions, dans le cours de la législature, que des revers; nous serions la risée de l'Europe. En quittant notre poste, nous n'oserions plus reparaître aux yeux de nos commettants effrayés nous-mêmes des maux dont nous aurions été la cause; effrayant, par notre aspect, ceux qui en auraient été les victimes, nous ne pourrions errer nulle part, sans y trouver la vengeance, le mépris, la honte, le remords.

Je viens, Messieurs, de m'efforcer de réunir dans un même esprit tous les citoyens de la France et tous les membres de l'Assemblée nationale. J'ai fait ce que j'ai dû, ce que j'ai pu; j'ai soulagé mon cœur; j'ai acquitté ma conscience; c'est à vous maintenant à acquitter la vôtre, en faisant fructifier les vérités que j'ai fait entendre. (Applaudissements.)

Mais, Messieurs, après nous être sincèrement unis, il faut nous hâter de prendre toutes les grandes mesures que nécessitent les circonstances.

Je vais en indiquer une que je vois de la plus haute importance.

Nous allons entreprendre la guerre; je ne vois que trop quels seront nos divers ennemis; mais où sont nos alliés? Sommes-nous bien sûrs que le roi d'Espagne et l'empereur n'entreront pas les premiers dans la coalition ennemie? (Mouvement.) Et le dernier ministre qui devait prévoir ou craindre cet événement, n'a rien fait pour le prévenir ou pour en détruire l'effet, en nous ménageant d'autres ressources. Telle a été son impéritie et sa mauvaise foi, qu'il n'aura pas tenu à lui que la France ne reste isolée au milieu de l'Europe; entourée d'ennemis, dépourvue de toute alliancé, et comme une victime dévouée aux suprêmes volontés d'un congrès de despotes, secrètement unis avec les intrigants qui ont déjà fait tant de mal à la France. Voilà le crime de M. Montmorin, je pense que ce ne sera pas celui de son successeur: il importe cependant de lui rappeler que la nation a fes yeux sur lui.

La France forte de sa population, de son courage, de sa liberté, pourrait sans doute rester

sans alliés; mais il est du devoir du cabinet des Tuileries de lui en donner; et pour réussir, il suffirait de le tenter. L'Autriche oserait-elle nous trahir, si Louis XVI lui faisait seulement craindre de se rapprocher de la Prusse? Ah! si Frédéric vivait, ce philosophe-roi aurait bien trouvé dans la Révolution française de quoi consolider pour toujours la balance du Nord.

Notre alliance ne peut qu'être recherchée des autres nations, parce que les engagements que contracte un peuple libre sont toujours sacrés, et les troupes qu'il fournit à ses amis toujours invincibles. S'il se pouvait que les Français ne trouvassent aujourd'hui point d'alliés, ce serait une preuve que tous les rois ne négocient que pour l'intérêt de leur despotisme et non pour l'utilité des peuples. Mais alors n'y aurait-il aucun moyen pour que les nations communiquassent entre elles? Est-il bien vrai qu'il leur faille absolument des interprètes ministériels qui ne se parlent qu'en secret? Est-il bien vrai qu'un langage national ne serait entendu dans aucune contrée? L'Anglais serait un peuple digne de l'entendre si une fois ce langage s'établissait, les nations ne voudraient plus en parler d'autres et il en résulterait de grands changements sur la scène du monde; car je pense que c'est de cet entretien direct des peuples, que dépend le bonheur de la terre et la réalisation du songe consolant de l'abbé de Saint-Pierre.

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Mais, Messieurs, je ne viens point engager l'Assemblée nationale à négocier elle-même des alliances avec les puissances étrangères; je sais que l'Acte constitutionnel délègue ce soin au pouvoir exécutif. J'aime à croire que, dans la circonstance actuelle, cette disposition de notre Charte n'offre aucun danger; mais quand même elle en offrirait, il faut nous soumettre à la loi. Nous devons respecter chaque article de la Constitution, même lorsqu'il en résulte des inconvénients, comme on doit respecter la volonté divine, même lorsqu'elle frappe.

Je me borne donc à demander que la nation s'informe si le pouvoir exécutif s'occupe à remplir ses devoirs sur le grand objet des alliances; et je fais la motion que l'Assemblée appelle dans le jour le ministre des affaires étrangères, et que le président lui adresse ces paroles, sauf meilleure rédaction :

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Monsieur, l'Assemblée nationale me charge « de vous demander si, dans ce moment où la «nation prend les armes pour défendre sa li«berté contre tous ses ennemis, elle peut comp«ter sur ses anciennes alliances, ou, à leur défaut, si vous vous occupez d'en former de « nouvelles. Nous avons trop confiance dans les « sentiments du roi, pour douter que plus sen<«<sible à l'intérêt national qu'aux liens du sang, << il ne vous ait autorisé à négocier avec toutes « les cours étrangères, de la manière la plus utile « au peuple français, et celui-ci attentif sur votre « conduite, saura justement l'apprécier. »

Ces seuls mots, Messieurs, prononcés par le Corps législatif, au nom de la nation, rappelleront au ministre ses devoirs et sa responsabilité, donneront à penser à l'empereur, ainsi qu'à la race des Bourbons qui règne sur l'Espagne, et préviendront, s'il est possible, l'embrasement d'une guerre universelle.

M. Lacretelle. Il y a longtemps que tous les vrais amis du bien public, je veux dire tous les membres de cette Assemblée, désiraient le discours patriotique que nous venons d'entendre.

J'en demande l'impression. Mais, Messieurs, j'y ai vu une grande idée qui n'a pas amené de résultat. A l'époque où nous sommes, on parle de composition sur la Constitution; on a des craintes à ce sujet. Eh bien, il faut repousser cette idée par une de ces cérémonies nationales qui sont un des grands ressorts de la liberté. Messieurs, il est un lieu où la Constitution a été jurée avant d'être faite, c'est au Jeu de Paume de Versailles. Il faut que l'Assemblée nationale aille dans le Jeu de Paume faire le serment de maintenir l'égalité et la liberté que là...

Plusieurs membres : L'ordre du jour !

M. Lacretelle. Je suis étonné d'être interrompu par des murmures lorsque je parle du berceau de la liberté française. Je demande à présenter demain un projet de décret sur l'idée que je viens de présenter, et je conclus à l'impression du discours de M. Isnard.

M. Reboul. Je demande que l'Assemblée décrète l'impression du discours de M. Isnard, en signe d'adoption des excellents principes qu'il

renferme.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé ! D'autres membres : La question préalable! M. Chéron-La-Bruyère. Elle n'est pas appuyée.

MM. Lecointre, Fauchet et quelques autres membres. Si! si! nous l'appuyons.

(L'Assemblée rejette la question préalable et décrète l'impression du discours de M. Isnard.)

M. Isnard. Mon discours contient une motion. Je prie l'Assemblée, si elle ne veut pas y faire droit, de la renvoyer au comité diplomatique.

(L'Assemblée renvoie la motion principale au comité diplomatique.).

M. Cahier de Gerville, ministre de l'intérieur, obtient la parole pour rendre compte de l'état des affaires à Avignon; il s'exprime ainsi : J'apporte à l'Assemblée nationale des renseignements qu'elle m'a fait demander sur l'affaire d'Avignon (1). Je sais qu'hier on a cherché à lui inspirer de l'inquiétude sur la situation du Comtat et particulièrement sur la ville d'Avignon. M. l'abbé Mulot, je crois, a pris la peine de venir chez moi, sur les trois heures, pour me demander si j'avais reçu un courrier de la part des commissaires. J'ai fait vérifier dans toutes mes dépêches aucune ne m'était parvenue du Comtat. Je n'en ai pas reçu aujourd'hui je suis, d'après cela, autorisé à croire qu'il n'est rien arrivé qui ait troublé la tranquillité du Comtat.

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Je dirai plus à l'Assemblée nationale: hier je me suis trouvé avec un des amis intimes des commissaires. Je lui ai demandé s'il n'avait pas reçu des nouvelles du Comtat. Il se nomme M. Joly, secrétaire-greffier de la municipalité, ami de M. Champion, l'un des commissaires. Il m'a dit qu'il avait reçu une lettre de M. Champion qui ne lui parlait d'aucune de ces aventures arrivées à Avignon. Voilà, Messieurs, tout ce que je sais à cet égard.

Je vais rendre maintenant à l'Assemblée le compte qu'elle désire, en exécution du décret de ce jour concernant le tribunal criminel établi à Avignon et l'état actuel des choses dans le Comtat Venaissin et notamment celui des pri

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 77.

sonniers. C'est le 28 novembre que mon prédécesseur a adressé aux commissaires civils la loi du 26 relative à l'établissement d'un tribunal criminel à Avignon. Il a donné en même temps ordre à la municipalité de préparer un local convenable pour les séances de ce tribunal. Les commissaires civils ont répondu le 9 décembre que la municipalité leur avait communiqué les ordres qu'elle avait reçus; qu'ils s'en étaient occupés avec elle; que l'église de l'Oratoire qui avait servi aux séances d'un club qui n'existait plus, avait paru très propre à servir de local au tribunal; qu'il serait prêt pour le lendemain 10 décembre. Au surplus, les commissaires civils ont marqué que la municipalité d'Avignon et celle du ci-devant Comtat étaient épuisées, et ils m'ont envoyé un mémoire ayant pour objet de demander des secours pécuniaires. J'ai fait passer ce mémoire à M. le Président de l'Assemblée nationale, le 19 décembre, en lui observant que les commissaires civils annonçaient l'envoi prochain d'un autre mémoire, auquel ils travaillaient, sur cet objet, et que je n'ai pas encore reçu. Les commissaires ont ajouté, dans la même lettre, qu'ils éprouvaient eux-mêmes beaucoup d'embarras par rapport aux dépenses que nécessitaient leurs opérations; que faisant les fonctions du directoire de département et obligés d'adresser les lois à toutes les municipalités, ils avaient déjà fait des frais très considérables d'impression, et qu'il serait important que l'Assemblée nationale voulut bien pourvoir aux moyens d'acquitter ces dépenses. J'ai fait part de toutes ces nouvelles à M. le Président de l'Assemblée nationale.

Depuis cette époque, je n'ai reçu des commissaires que des témoignages d'amitié à mon avènement au ministère, et nul détail sur l'objet de leur mission. J'ai conclu de leur silence sur cet objet que rien n'entravait leur marche; et cependant je les ai pressés de me donner plus fréquemment de leurs nouvelles. (Il remet un mémoire sur le bureau.)

M. Duport, ministre de la justice, obtient la parole pour rendre compte à Assemblée des ordres qu'il a donnés pour l'exécution des décrets relatifs aux jugements des prisonniers détenus à Avignon (1); il s'exprime ainsi :

Messieurs, je n'ai reçu d'autres renseignements que de M. le ministre de l'intérieur, et je crois qu'on en peut tirer la même conséquence, surtout d'après les renseignements de différentes personnes qui y ont des correspondances. Je ne crois pas qu'il soit arrivé le moindre accident. Quant à la procédure, ce tribunal a été installé conformément aux termes de la loi; j'ai à la main le procès-verbal d'installation. Il m'a envoyé depuís un récit de ses opérations. J'ai su que quelques personnes avaient paru s'étonner de ce que le commissaire du roi près le tribunal criminel était arrivé un peu tard. J'ajoute même que j'ai quelques inquiétudes sur lui, car je n'ai pas encore reçu de ses nouvelles depuis le 7 décembre. Si j'ai un peu différé d'envoyer le commissaire du roi près le tribubunal criminel d'Avignon, c'est qu'il est dans mes principes de le faire un peu plus tard, mais mieux. D'ailleurs, c'est qu'il était assez difficile de trouver pour une place temporaire, un homme d'un certain mérite, qui eût assez de patriotisme pour vouloir bien s'en charger.

1) Voy. ci-dessus, même séance, page 77.

Je crois avoir fait choix d'un homme propre à remplir cette place, M. Hunin, homme qui avait été chargé de plusieurs grandes affaires, d'une partie de l'instruction de la procédure dé Colmar. J'ai cru que je devais choisir pour cette place un homme très éclairé et très impartial, et l'homme le plus de sang-froid que je connaisse.

Un membre: Je demande que les éclaircissements du ministre de l'intérieur et du ministre de la justice soient renvoyés au comité des pétitions pour en faire son rapport.

(L'Assemblée décrète ce renvoi.)

(La séance est levée à quatre heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du jeudi 5 janvier 1792, au soir.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.

La séance est ouverte à six heures du soir. M. Gossuin, au nom du comité des pétitions, présente une courte analyse et la notice de 34 adresses renvoyées à ce comité pour en ren dre compte: il exprime les regrets qu'éprouve le comité de ce que l'Assemblée ne peut consacrer plus de temps à entendre les adresses qui arrivent de toutes les parties de l'Empire et qui toutes expriment l'inviolable attachement des Français à la Constitution et leur confiance pour l'Assemblée. Elles se plaignent en outre de l'exercice du veto sur les décrets du mois de novembre et demandent la plus prompte exécution des mesures prises contre les princes allemands; elles sont accueillies par de nombreux applaudissements.

Suit la nomenclature de ces adresses:

Les administrateurs du département de l'Hérault, ceux du district de Montpellier, les officiers municipaux et 1,500 citoyens de la même ville demandent l'exécution des mesures de rigueur prises contre les prêtres fanatiques et les rebelles et annoncent qu'en conséquence ils écrivent au roi pour l'engager à retirer le veto qu'il a apposé aux décrets sur les émigrants et sur les prêtres;

Les administrateurs du district de Landerneau;

Les administrateurs du conseil général du département du Finistère;

Les administrateurs du directoire du département des Landes sollicitent de nouveaux décrets contre les prêtres et les émigrés et improuvent l'adresse au roi publiée par les administrateurs du directoire du département de Paris;

Les citoyens d'Angoulême;

Les amis de la Constitution de Dieppe; Les citoyens-soldats de la ville de Saintes; Les administrateurs du directoire du département de la Moselle prient l'Assemblée de ne pas croire aux inculpations ou aux soupçons répandus contre sa conduite, et protestent de leur dévouement, ainsi que de celui de tous les habitants du département, à la cause de la Constitution;

Les administrateurs du district de SaintSever;

Les citoyens du Havre;

Les citoyens actifs de la ville de Marseille ;
Les citoyens actifs de Cambrai ;
Les citoyens actifs de Saint-Brieuc ;
Les citoyens actifs de Coutereau ;

Les citoyens libres de la commune de Turenne;
Les citoyens actifs de Montrichard;
Les citoyens actifs d'Agde;

Les citoyens de la ville de Langres;
Les citoyens de Morlaix;

Les citoyens libres de la ville de Sainte-Foix; Le bataillon des volontaires nationaux de Dieppe;

Les officiers municipaux de Saint-Jean-de-Luz; Les citoyens de Pontivy;

Les citoyens d'Uzès;

Les citoyens de Mortagne;

Les citoyens libres de Limoges;

Les citoyens libres de la ville de Tulle;

Les citoyens de la ville d'Alby;

Les citoyens de la ville d'Aix;

Les citoyens actifs de la ville de Beaucaire; Les sociétés populaires des amis de la Constitution instituées dans les trente-et-une sections de Lyon.

La société des amis des Droits de l'homme et du citoyen, de Pontivy;

Les amis de la Constitution de Nîmes.

M. Thuriot. Je demande qu'il soit fait une mention honorable de toutes ces adresses dans le procès-verbal, avec l'expression énergique de l'opinion des départements; elles contiennent des preuves et des protestations de patriotisme que l'Assemblée doit encourager.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Regnault-Beaucaron. Je suis très éloigné d'improuver les adresses qui vous sont faites, mais je vous avoue que je ne puis voir de sang-froid l'Assemblée nationale honorer de son approbation celle du département de l'Hérault, qui, selon moi, contient des principes anticonstitutionnels à l'égard du veto, mêlés à des expressions très civiques à la vérité. Je demande donc que l'adresse de ce département soit exceptée de cette mention honorable. (Murmures.)

M. Grangeneuve. Non seulement j'appuie la proposition de la mention honorable de ces adresses au procès-verbal, mais je demande qu'à l'avenir tous les rapports du comité des pétitions soient insérés en entier, afin que notre procès-verbal devienne le registre des vœux de la nation; et que nous puissions, dans cette source pure, lire nos devoirs, et puiser les motifs de nos lois. (Applaudissements.)

M. Taillefer. Je pense qu'une semblable disposition tendrait à anéantir le gouvernement représentatif. J'appuie cependant l'insertion : mais je demande que ce ne soit pas d'après le motif énoncé par le préopinant.

M. Grangeneuve. Votre devoir était de lire les adresses; vous ne l'avez pas pu vous devez au moins en insérer l'extrait dans votre procèsverbal.

(L'Assemblée, consultée, rejette l'ordre du jour et décrète qu'il sera fait mention honorable des adresses dont le comité a présenté la notice et que son extrait sera inséré au procès verbal.)

Un membre, au nom du comité des domaines, demande que les titres d'offices supprimés mis sous le scellé depuis un an, en soient retirés, afin

que les personnes qu'ils intéressent puissent les consulter.

(L'Assemblée ajourne le rapport du comité des domaines sur cet objet à lundi prochain.)

M. Rouyer, au nom du comité de marine, fait une seconde lecture (1) du projet de décret sur l'offre faite par M. Benjamin Dubois, négociant à Saint-Malo, de céder à l'Etat le port de Montmarin, dont il est propriétaire, moyennant le remboursement de ses avances, et l'honneur d'être associé à ceux qui seront chargés d'achever son ouvrage.

Ce projet de décret est ainsi conçu (2) :

L'Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait par son comité de marine, sur l'offre faite par le sieur Benjamin Dubois de céder à la nation la propriété du port de Montmarin et des établissements qu'il y a formés, moyennant une indemnité relative à ses frais et avances, décrète que le roi sera prié de nommer des commissaires qui se transporteront sur les lieux, vérifieront le plan topographique que le sieur Benjamin Dubois a déposé au comité de la marine, évalueront les travaux commencés, examineront les avantages que le commerce et la navigation pourraient en retirer, afin que, sur leur rapport, l'Assemblée nationale puisse prononcer si l'Etat doit ou ne doit point accepter l'offre du sieur Benjamin Dubois. »

(Après quelques débats, l'Assemblée décrète le renvoi pur et simple de cette affaire au pouvoir exécutif.)

Une députation de MM. les députés suppléants à l'Assemblée nationale législative, est admise à la barre.

M. Kersaint, député suppléant à Paris, orateur de la députation, s'exprime ainsi :

Messieurs, témoins attentifs et constants de vos sollicitudes et de vos travaux, les députés-suppléants qui se présentent devant vous sont encore, par leur position, plus particulièrement appelés à jouir de vos succès, et dans cette démarche que vous leur permettez, ils se font un devoir de devancer les témoignages de la reconnaissance publique.

Sous le masque d'un faux point d'honneur, les passions irrassasiables de la richesse et de la domination ourdissent autour de vous la plus criminelle des conspirations.

Les usurpateurs des droits du peuple, les implacables ennemis de la justice et de l'humanité s'unissent pour dégrader, pour anéantir, s'il était possible, l'Assemblée nationale de France;

éteindre, à son aurore, cet astre dont l'éclat les importune, ce Sénat, précurseur de la liberté universelle et rédempteur des nations. C'est autour de vous, Messieurs, que doivent se rallier tous les hommes, car vous allez combattre pour eux et parler en leur nom.

Et déjà, dans ce manifeste de la raison et de la vérité qu'un philosophe, votre collègue (3), a conçu dans la sublimité de la philanthropie, n'avez-vous pas rempli cette mission providentielle? Quel homme, s'il n'est insensé, pourra lire ce

(1) Voir la 1 lecture de ce projet de décret, Archives parlementaires, 1re série, tome XXXVI, séance du 20 decembre 1791, page 281.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Marine, tome II, A.

(3) Voy. Archives parlementaires, 1" série, t. XXXVI, séance du 29 décembre 1791, au matin, page 619, la Déclaration de M. Condorcet.

manifeste, sans devenir l'ami du peuple dont il exprime les sentiments. Cet acte est un traité d'alliance avec toutes les nations de la terre, c'est l'arrêt fatal des tyrans.

Les Français dont vous venez de ravir et de mériter l'admiration dans vos séances des 29 décembre et 1er janvier, vous investiront de leur puissance et de leur amour; ils défendront les droits que la Constitution leur assure et dont vous êtes les dispensateurs.

Vous avez fait parler dignement un grand peuple. N'en doutez pas, il soutiendra ce caractère par ses actions; mais s'il existe des dangers autour de vous, les suppléants veulent les partager. Ils viennent vous offrir leur serment de vivre et de mourir libres; ils viennent vous offrir leur entier dévouement; ils viennent se serrer près de vous pour vaincre ou périr avec vous. (Vifs applaudissements.)

M. le Président, répondant à la députation. Messieurs, l'Assemblée nationale, entrant en activité, trouva la Constitution faite, mais la Révolution encore existante, car une révolution n'est terminée que lorsqu'il n'existe plus d'ennemis intérieurs à combattre et que la tranquillité publique est assurée. L'Assemblée ne se dissimule aucun des dangers qui la menacent. S'il était possible que son courage fût encore échauffé, ce serait votre langage énergique qui produirait cet effet. Appelés à succéder à ceux des membres de cette Assemblée qu'un sort funeste viendrait à lui ravir, l'Assemblée voit en vous des coopérateurs investis de la confiance nationale et dignes à tous égards de ce dépôt sacré; elle vous invite à assister à sa séance.

Plusieurs membres demandent la mention honorable de l'adresse, l'insertion au procèsverbal et l'impression.

(L'Assemblée ordonne l'impression de ce discours, la mention honorable et l'insertion au procès-verbal.

(La députation entre dans la salle et est reçue par de nombreux applaudissements.)

Plusieurs membres, rapporteurs de différents comités, sollicitent la parole pour des objets urgents.

(L'Assemblée ordonne que l'ordre du jour sera suivi.)

M. Caminet, au nom des comités diplomatique et de commerce, fait un rapport sur la convention commerciale arrêtée entre le roi et la république de Mulhausen; il s'exprime ainsi (1): Messieurs, vous avez renvoyé à vos deux comités réunis, diplomatique et de commerce, l'examen de la convention commerciale faite entre le roi et la république de Mulhausen, signée le 22 septembre 1791; le comité diplomatique doit s'expliquer sur la forme, et le co mité de commerce sur les avantages de ce traité.

Il est nécessaire d'entrer dans quelques détails relatifs à la situation de la ville de Mulhausen, qui semblent avoir nécessité cette convention commerciale, et autres formalités qui l'ont précédée.

Mulhausen est une ville libre, située sur la rivière d'lll, en Haute-Alsace, à 6 lieues de Bâle et 4 lieues du Rhin. Son territoire de 2 lieues

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés Collection des affaires du temps, Bf. in-8° 165, t. 149 no 6.

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