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va s'en occuper afin de vous présenter un article additionnel.

Plusieurs membres demandent l'ajournement de cette question à jour prochain et fixe, et un rapport du comité de législation.

D'autres membres : L'ordre du jour !

M. Delacroix. Ce serait faire déjà préjuger qu'il y aura lieu à cassation que de prononcer un ajournement. Il faudrait créer une très haute cour de cassation pour examiner les jugements de la haute cour nationale. Je demande l'ordre du jour. Cela n'empêchera pas le comité de présenter ses vues sur cet objet, s'il le croit nécessaire.

M. Voysin de Gartempe. Si vous décidez l'affirmative, il faudra régler la manière dont la cassation aura lieu. Le droit de cassation tient essentiellement à la liberté publique. (Murmures à gauche.) Quand les formes de la loi ont été violées, on ne peut refuser à un citoyen condamné le droit de se pourvoir en cassation.

M. Couthon. Ce sont des idées de l'ancien régime l'instruction qui se fait par jurés n'est pas susceptible de donner lieu à cassation.

M. Voysin de Gartempe. Vous n'avez pas lu la loi sur les jurés, monsieur Couthon.

M. Ducastel. Je n'ai fait qu'une annonce de la part du comité de législation et je n'ai pas demandé l'ajournement.

M. Thuriot. Je crois qu'il est inutile que le comité s'occupe de cet objet et j'en vais dire la raison. La haute cour nationale a été créée avec un caractère de souveraineté qui ne permet pas de s'occuper d'aucun moyen d'appel ou de cassation. Aucune raison ne peut autoriser un pareil système qui, je puis le dire, porte un caractère qui doit vous répugner. Comment peut-on vous faire entendre que l'Assemblée nationale qui aura porté l'accusation pourra, après que la haute cour nationale aura prononcé...

Plusieurs membres : Il ne s'agit pas de discuter le fond.

M. Thuriot. Je demande que l'on invite le comité de législation à s'occuper des affaires intéressantes qui lui ont été renvoyées et non d'une semblable question.

Un membre: J'observe que le tribunal de cassation existant peut connaître de l'application de toutes les lois et qu'il n'y a pas de difficulté à ce qu'il ait aussi la connaissance des jugements rendus par la haute cour.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

(L'Assemblée, consultée, passe à l'ordre du jour.) M. Grangeneuve. Je demande à l'Assemblée de décréter que désormais il ne sera proposé de rapport de décret qu'à l'ordre de deux heures... (Murmures prolongés.)

Plusieurs membres: A l'ordre! Il y a un décret contraire! L'ordre du jour !

(L'Assemblée passe, de nouveau, à l'ordre du jour.)

M. Dalmas, au nom du comité de législation, fait un rapport sur la question de savoir si les décrets relatifs à l'organisation de la haute cour nationale sont sujets à la sanction du roi; il s'exprime ainsi (1) :

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Legislation, n° 6.

Messieurs, les décrets du Corps législatif, concernant l'organisation de la haute cour nationale, et sur l'ordre judiciaire qui doit y être observé, sont-ils sujets à la sanction du roi ? Telle est la question que vous avez renvoyée hier à votre comité de législation.

Elle y a été examinée, Messieurs, et résolue par une opinion prompte et unanime; parce que, dans tout ce qui touche à la Constitution, il n'a et n'aura jamais qu'un seul væu, celui de garder une fidélité religieuse au serment qui nous y lie

tous.

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Voilà le principe général qui constitue le mode de l'exercice du pouvoir législatif et qui l'établit sur le concours de la volonté des deux représentants du peuple.

Les articles 7 et 8 de la section III, chapitre III du même titre, établissent différentes exceptions à ce principe général et donnent au Corps législatif le droit de faire plusieurs actes non sujets à la sanction. Les décrets d'accusation sont nommément compris parmi ces exceptions; mais on n'y trouve rien de ce qui regarde l'organisation ni l'ordre judiciaire des tribunaux.

L'article 23 du chapitre V de la même section parle du mode de formation de la haute cour nationale, de celui de son rassemblement et des délits qui lui sont attribués; mais il ne renferme aucune disposition, ni sur les détails de son organisation, ni sur ceux de ses règles judiciaires.

De là, il est de toute évidence que ces détails n'étant pas compris dans l'exception, rentrent naturellement dans le principe et ne peuvent être conséquemment ordonnés que par le concours constitutionnel des 2 représentants du peuple.

On dirait inutilement que la loi du 15 mai, relative à l'établissement de la haute cour nationale, n'a pas été présentée à la sanction, mais à l'acceptation du roi.

L'Assemblée constituante, chargée de faire la Constitution, et réunissant, par le titre même de ce mandat, tous les pouvoirs et toute la représentation nationale, a pu, pendant toute la durée de la session, affranchir ses décrets de la sanction royale: elle l'a pu et elle l'a dù pour ne pas exposer au danger du veto les lois nécessaires pour régénérer promptement toutes les parties de l'administration.

La loi du 15 mai, concernant la haute cour nationale, n'est pas la seule de celles qui ont été rangées depuis dans la classe des règlements, qui ait été d'abord placée, en apparence, sur la ligne des lois constitutionnelles.

Les décrets sur l'organisation du clergé, des corps administratifs, des municipalités, de l'ordre judiciaire et beaucoup d'autres, avaient aussi reçu primitivement ce même caractère et on n'en conclura pas, sans doute, que le Corps législatif peut aujourd'hui les détruire ou les modifier sans le concours de la sanction du roi.

On n'opposerait pas avec plus de succès la considération des circonstances actuelles et le danger d'un veto qui pourrait compromettre la sûreté publique.

En général, Messieurs, le législateur doit ra

rement céder à l'impulsion des circonstances; il doit planer sur elles et ne se fixer qu'aux principes éternels de la raison et de la justice qui sont les vraies sources des lois.

Mais combien surtout les circonstances doivent lui paraître indifférentes, lorsqu'on les lui offre comme un moyen d'attenter aux lois constitutives et fondamentales de la société !

La sûreté publique, que l'on invoque, dépend elle-même d'un maintien de ces lois. S'il vous en faut une preuve, Messieurs, rappelez-vous la consternation dont les ennemis de la patrie ont été frappés à la vue du serment loyal et solennel que vous avez fait de les défendre.

Le despotisme appelait aussi ces grands mots à l'appui des siennes : c'est avec eux, c'est en les profanant qu'il entassait les victimes à la Bastille et qu'il substituait souvent le pouvoir arbitraire à la sainte autorité des lois.

Gardons-nous de ce terrible abus. Il n'est aucun de vos décrets qui ne pût donner lieu à vous parler, et du danger des circontances et de celui du veto. Ces dangers, vrais ou faux (1), sont ceux de la Constitution; et il nous est défendu, nous nous sommes nous-mêmes imposé la loi de ne rien proposer ni contenir qui puisse y porter atteinte.

:

Nous ajouterons, Messieurs, une dernière observation c'est que, de tous les actes du Corps législatif, il n'en est peut-être pas qui appellent plus instamment la nécessité de la sanction que les lois qu'il fait pour régir un tribunal devant lequel il est lui-même accusateur.

Le Corps législatif a déjà une grande influence sur le sort des accusations qu'il y porte; elles y arrivent avec la prévention funeste qui résulte de cette première opinion des représentants du peuple; elles sont poursuivies par deux des membres du haut juré d'accusation, imprégnés de la même opinion.

Et où serait la liberté, Messieurs, si au danger de cette première influence on joignait le danger, plus grand encore, de l'influence que le Corps législatif aurait sur le jugement même, s'il pouvait seul porter les lois règlementaires de l'instruction, des preuves et des peines de ses propres accusations.

Le Corps législatif, dans ces grandes et tristes circonstances, doit se méfier de ses propres vertus. L'amour de la patrie, l'indignation trop juste qu'inspirent les complots perfides formés contre elle, peuvent passionner et égarer le zèle.

(1) On exagère les dangers et on les présente sous un faux point de vue, en confondant ici les actes que l'Assemblée nationale fait comme haut juré d'accusation, avec ceux qu'elle fait comme Corps législatif.

Ces actes sont d'une nature et tiennent à des principes différents.

Les premiers, qui ont pour objet l'accusation et la formation, la convocation, le rassemblement de la haute cour nationale, en un mot tous les mouvements nécessaires pour la mettre en activité; ceux-là appartiennent exclusivement au Corps législatif et sont indépendants de la sanction du roi; la Constitution les en a formellement affranchis, article 7 de la section III, chapitre III, titres III et XXIII, chapitre IV, même titre de l'Acté constitutionnel.

Les autres, au contraire, qui tendent à régler l'organisation du tribunal, sa manière d'être et d'agir, ses formes et ses principes judiciaires; ceux-ci rentrent évidemment dans la classe des actes purement législatifs et sont, par là même, soumis au principe général de la sanction qui frappe sur tous ceux qui n'en sont pas nommément exceptés. (Note du rapporteur.)

L'intérêt de la liberté et de la justice exigeraient donc plus impérieusement ici que dans tous les autres actes du Corps législatif, l'intervention de l'autorité qui les sanctionne ou les suspend.

Heureusement, elle est prescrite par la Constitution, dès lors qu'elle n'en est pas exceptée; et nous qui sommes les premiers appelés à la maintenir, nous ne donnerons pas l'exemple de la violer.

Plus elle est menacée, plus ses amis, plus les vrais amis de la liberté doivent se rallier autour d'elle pour la défendre. La Constitution est la colonne de l'Etat; elle sera inébranlable, Messieurs, si vous n'y portez la main que pour l'appuyer, mais le plus léger changement à sa construction, la plus légère secousse qu'on lui ferait éprouver, entraînerait sa chute, et avec elle le renversement de tout notre édifice politique.

Votre comité, Messieurs, pense donc qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la question proposée. (Applaudissements.)

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix !

M. Couthon. Messieurs, je ne m'attendais pas que cette grande question serait traitée aujourd'hui et je me serais encore moins attendu au projet que le comité vient de vous présenter. Si le comité, Messieurs, se fut plus attaché à chercher dans la Constitution les principes que les mots; s'il eût un peu plus réfléchi sur les conséquences de la Constitution, s'il se fùt attaché à découvrir le véritable sens de la loi plutôt que les apparences, j'aime à croire qu'il ne vous aurait pas présenté un projet de décret aussi nul, aussi insignifiant, aussi contraire à ce qui a été pratiqué par l'Assemblée constituante, que celui qui vient de vous être lu.

Je le demande, Messieurs, aux partisans les plus chauds de la sanction royale: quel est l'objet, quelle est la nature de l'institution de la

haute cour nationale? C'est un établissement qui n'est qu'une suite nécessaire et forcée des décrets d'accusation portés par le Corps législatif. Le décret d'accusation est donc le principe; la formation de la haute cour nationale n'est véritablement que la conséquence et l'exécution nécessaire de ce principe. Or, je le demande, n'est-il pas de la dernière absurdité de prétendre que vous avez pu décréter le principe sans être assujettis à la formalité de la sanction et que vous n'avez pas la faculté de décréter les conséquences de ce principe sans être assujettis à la même formalité de la sanction. (Murmures.) Je continuerai, Messieurs, quand vous aurez fini de m'applaudir, car j'appelle ces des applaudissements. (Rires et applaudissements.) Oui, Messieurs, certains murmures me paraissent des applaudissements.

murmures

Il me parait extraordinaire que l'Assemblée nationale qui, d'après la Constitution, a le droit incontestable de porter un décret d'accusation, qui donne lieu forcément à la formation d'une haute cour nationale, que l'Assemblée nationale, dis-je, qui a la faculté de porter un décret d'accusation, sans que cet acte du Corps législatif soit assujetti à la sanction, ne puisse pas décréter la formation de la haute cour nationale avec la même dispensabilité de la sanction. Voilà, Messieurs, quels sont mes motifs pour demander que le projet du comité soit rejeté et que vous ajoutiez, au contraire, au décret que Vous avez rendu pour la formation de la haute

cour nationale, cette disposition pour dernier article:

« Le pouvoir exécutif donnera les ordres les plus prompts pour que le présent décret, non sujet à la sanction, soit exécuté dans toute sa forme et teneur... (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Becquey. Messieurs, c'est dans la Constitution qu'il faut chercher la solution de la difficulté qui vous occupe aujourd'hui, car telle est maintenant l'heureuse destinée de la France, que les premiers magistrats du peuple, les représentants et le roi trouvent la règle de leur conduite écrite dans cet acte mémorable, qui trace à chacun des pouvoirs constitués, son étendue et ses limites, et qui, par cette division conservatrice des droits du peuple, les garantit des usurpations que les dépositaires de l'autorité ne commettent jamais sans un grand danger pour la chose publique.

On a demandé si les décrets que vous avez rendus hier pour compléter l'organisation de la haute cour nationale, et ceux que vous pourrez rendre encore sur le même sujet, sont dans le cas d'être revêtus de la sanction du roi. Les opinions ont pu être partagées au premier moment où cette question fut proposée, mais la méditation des articles de la Constitution relatifs à cet objet me paraît devoir lever tous les doutes. Je vais vous dire, Messieurs, le résultat de l'examen attentif que j'en ai fait.

La règle commune assujettit tous les décrets à la sanction. Il existe cependant quelques exceptions à cette règle générale; elles sont rappelées dans l'article 7 de la section III du chapitre III de l'Acte constitutionnel. Ces exceptions comprennent tous les actes relatifs à l'intérieur de l'Assemblée. L'exercice de la police constitutionnelle sur les administrateurs et les officiers municipaux, les questions d'éligibilité, les actes relatifs à la responsabilité des ministres; les décrets portant qu'il y a lieu à accusation, et les décrets concernant les impôts qui portent même le nom et l'intitulé de lois.

Ainsi, pour qu'un décret puisse être considéré comme exempt de sanction, il faut indispensablement qu'il fasse partie de ceux que je viens d'indiquer. Le droit de sanction confié au roi est, comme tous les autres, une propriété du peuple. C'est pour le peuple, c'est en son nom, que le roi l'exerce; la Constitution l'a établi pour l'intérêt national, ce serait la violer que de soustraire à l'exercice de ce droit des décrets qu'elle n'aurait pas exceptés elle-même de la règle générale.

On ne trouve pas dans la nomenclature des actes législatifs, dispensés de sanction, ceux qui concernent la formation de la haute cóur nationale, et j'en conclus qu'ils sont sujets à la sanction.

On ne pourrait pas raisonnablement confondre les décrets pour l'organisation de la haute cour nationale, avec les actes particuliers du Corps législatif, relatifs à la responsabilité des ministres avec les décrets d'accusation. Les premiers sont des lois générales qui doivent régir les citoyens, comme toutes les autres lois; les autres sont de simples actes individuels, dans lesquels le Corps législatif se rend, pour ainsi dire, partie au nom de la nation contre ceux qu'il accuse et poursuit.

On a dit que les ministres pouvant être traduits à la haute cour nationale, pour l'exercice

de la responsabilité, le roi pourrait les mettre à l'abri de leur responsabilité, en refusant sa sanction à des décrets nécessaires pour mettre en activité le tribunal chargé de les juger.

Il peut y avoir, Messieurs, un très grand inconvénient à cette faculté du refus de sanction à ce décret si nécessaire et si pressant; mais j'observe que cet inconvénient est le même pour toutes les lois importantes et urgentes que vous aurez à faire. J'ajoute que la haute cour nationale n'est pas seulement destinée à juger les ministres, puisqu'on y traduit tous les citoyens prévenus d'attentat contre la sûreté générale. Enfin, ce n'est ni l'utilité, ni la nécessité de la loi qui la rend ou non sujette à la sanction. La Constitution a voulu que le pouvoir législatif fùt exercé par l'Assemblée nationale avec la sanction du roi; ce concours est indispensable, et les seuls décrets nominativement exceptés par la Constitution, en sont affranchis.

On a dit encore que la loi du 15 mai n'avait pas été présentée à la sanction, mais bien à l'acceptation du roi. Cette considération ne peut influer sur la question; car nous ne sommes pas pouvoir constituant, et nous ne pouvons rien offrir à l'exceptation du roi. Mais on explique facilement cette disposition de la loi du 15 mai. Personne n'ignore qu'avant la revision de la Constitution et la formation de l'Acte constitutionnel, la plupart des lois réglementaires, celles, par exemple, sur les contributions, sur l'armée, sur le clergé, et un grand nombre d'autres, avaient été rangées dans la classe des lois constitutionnelles, et présentées en conséquence à l'acceptation du roi, au lieu d'être sanctionnées. Mais leur absence actuelle de l'Acte constitutionnel les place au nombre des lois ordinaires, et toutes celles de ce genre que porteront à l'avenir les législatures, n'en seront pas moins sujettes à la sanction.

J'ai puisé mes motifs de décision dans la Constitution elle-même; et je vais donner à mon opinion un nouveau développement. Ce serait, selon moi, un grand vice dans la Constitution, si elle avait admis que des décrets de l'espèce dont il s'agit fussent exempts de sanction. La haute cour nationale est une branche du pouvoir judiciaire, ce tribunal extraordinaire prononce sur les crimes d'Etat d'après l'accusation du Corps législatif. Or, je demande s'il n'y aurait pas du danger à revêtir ce même corps qui accuse de la faculté de changer à son gré les lois relatives à la formation du tribunal qui doit juger ses accusations. N'aurait-on pas à craindre que dans ce moment de crise où les passions agitent, et souvent même dominent et égarent les esprits, on ne modifiât l'organisation d'un pareil tribunal en raison des circonstances et même des personnes que l'on y traduirait? (Quelques applaudissements.) Qui peut calculer l'effet que peut produire dans certaines occasions, sur une assemblée publique, l'apparence quelquefois trompeuse du bien public. Pour moi, s'il en était ainsi, je ne verrais plus dans la haute cour nationale qu'une espèce de commission du Corps législatif, puisque son existence et sa marche se trouveraient absolument dépendantes de sa volonté (Applaudissements.) et une telle institution me paraîtrait infiniment alarmante pour la liberté publique; ce serait un véritable monstre en politique.

Vous ne consacrerez donc pas une telle maxime; car vous ne voulez ni violer la Constitution, ni revêtir le Corps législatif d'une autorité

qui pourrait un jour devenir si funeste au peuple.

Je pense donc qu'il y a lieu de décréter que les décrets sur la haute cour nationale seront portés à la sanction.

M. Mailhe. Je suis religieusement attaché à la Constitution; et c'est à raison de cet attachement même que je m'élève contre le projet présenté par votre comité de législation. Votre comité vous a dit que ce serait porter atteinte à la Constitution, que de refuser au roi la sanction sur les décrets relatifs à l'activité de la haute cour nationale. Et moi je dis, au contraire, que ce serait paralyser en quelque sorte la Constitution, que de donner au roi la sanction sur ces sortes de décrets. (Applaudissements.) Ne nous le dissimulons pas, Messieurs, le vrai palladium de la liberté, ce sont les décrets d'accusation que le Corps législatif a droit de porter indépendamment de toute sanction. Or, Messieurs, s'il dépend du roi d'arrêter les décrets que vous rendrez pour mettre la haute cour nationale en activité, n'est-il pas évident que vos décrets d'accusation pourront être éludés. (Vifs applaudissements.)

Je réponds en ce moment à une objection que vient de faire le préopinant: il vous à dit que si les décrets relatifs à la haute cour nationale étaient soustraits à la sanction du roi, dès ce moment-là, la haute cour nationale pouvait être regardée comme une commission du Corps légis latif. Cette objection me paraît dénuée de toute sorte de fondement. On aurait raison s'il s'agissait de faire marcher la haute cour nationale suivant les espèces particulières qui se présenteraient; mais point du tout. Le Corps législatif rend des décrets non pas sur des affaires particulières, mais sur tous les objets relatifs aux atteintes portées à la sûreté générale. Je m'explique quand nous décrétons un objet de la haute cour nationale, nous ne faisons aucune espèce d'acception, nous n'avons personne en vue, nous n'envisageons que l'objet général, que la sûreté générale de l'Etat. Nous ne pouvons avoir aucune passion particulière dans ces décrets; comment donc peut-on redouter l'influence du Corps législatif relativement à la haute cour nationale? Cette crainte me paraît donc absolument dénuée de fondement; je le répète, cette question est fort importante. Si vous ne vous décidiez pas à rejeter dans ce moment le projet du comité, au moins devriez-vous bien vous garder de l'accueillir de suite; il faudrait au moins que vous l'ajournassiez et que tous les membres du Corps législatif eussent le temps de méditer la question. Quant à moi, je ne puis voir aucune difficulté sur ce projet, puisqu'il est certain que si le roi a le droit de refuser ou d'accorder sa sanction à tous les décrets relatifs à l'établissement, à l'existence, à l'activité de la haute cour nationale, les décrets d'accusation que vous porterez seront paralysés et deviendront illusoires; et alors, bien loin de servir la Constitution, vous mettrez entre les mains du pouvoir exécutif la faculté accidentelle de renverser la Constitution. (Applaudissements à la gauche de l'Assemblée et dans les tribunes.)

M. Couthon. C'est une sanction indiscrète que vous donnez au roi sur vos décrets d'accusation.

M. Lecointe-Puyraveau. Personne n'était prévenu qu'une question si importante serait agitée aujourd'hui'; j'en demande l'ajournement.

M. Bigot de Préameneu. Si l'Assemblée nationale veut limiter son ajournement à un

délai très court, il n'y aura pas d'inconvénient; mais elle ne doit pas perdre de vue qu'un très grand nombre d'accusés sont maintenant au secret; que la question en elle-même est simple, qu'elle est susceptible d'une discussion sûre et prompte. Donc, si l'on veut ajourner à demain, je ne m'y oppose pas; mais si on demande un ajournement indéfini, je m'y oppose.

Plusieurs membres : Aux voix! aux voix l'ajournement!

D'autres membres La question préalable sur l'ajournement!

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer sur l'ajournement.)

M. Gérardin. Je demande la parole contre l'ajournement. (Non! non!)

Plusieurs membres : Monsieur le Président, consultez l'Assemblée!

(L'Assemblée, consultée, décide que M. Gérardin sera entendu.)

M. Gérardin. Messieurs, je pense qu'il est toujours très dangereux d'ajourner une question extrêmement simple et une question qui attaque la Constitution elle-même. (Exclamations à l'extrémité gauche de la salle.) Oui, Messieurs, qui attaque la Constitution. Il serait très facile, lorsque des orateurs sont inscrits sur une question, de les écarter par une question incidente telle que celle de l'ajournement. L'ajournement dans cette question n'est pas proposable, car il suffit de lire la Constitution pour se convaincre que les décrets que vous venez de rendre doivent être soumis à la sanction. (Murmures à l'extrémité gauche de la salle.)

M. Gentil. Monsieur le Président, je demande que vous mainteniez la parole à M. Gérardin.

M. Gérardin. J'affirme de nouveau que la motion d'ajournement attaque la Constitution... (Murmures et exclamations à l'extrémité gauche de la salle.)

Plusieurs membres à gauche Vous n'êtes pas à la question!

M. Gentil. Encore une fois, Monsieur le Président, maintenez la parole à M. Gérardin. M. le Président. Il faudrait que j'eusse votre voix, Monsieur.

M. Gérardin. Il m'est impossible de démontrer les inconvénients de l'ajournement, si l'on ne veut pas me laisser traiter le fond de la question. Je dis qu'il est impossible de tenir plus longtemps des accusés au secret; je dis qu'on ne peut pas retarder la vengeance de la loi. Il existe des coupables: ce n'est pas maintenir ce que vous devez à la justice, ce que vous devez à la nation, que d'ajourner cette question; c'est répandre des soupçons sur l'Assemblée nationale elle-même. (Bruit.) En me résumant, je dis que cet ajournement tend à retarder l'activité de la haute cour nationale et à répaudre des inquiétudes dangereuses. Je demande que l'ajournement ne soit pas adopté.

Quelques membres sont d'avis de rejeter l'ajournement indéfini et d'adopter l'ajournement à jour fixe et prochain.

D'autres membres demandent que l'ajournement soit fixé à samedi.

Un membre: Avant de mettre aucun ajournement aux voix, je propose d'entendre tous les membres qui se sont fait inscrire pour traiter la question et de n'ajourner que dans le cas où l'As

semblée ne croirait pas être suffisamment instruite.

Plusieurs membres demandent la question préalable sur cette dernière proposition.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette dernière proposition.)

M. Delacroix. Je demande, par amendement, qu'avant d'entendre personne le rapport et le projet de décret soient imprimés.

Plusieurs membres : L'ajournement à samedi matin!

(L'Assemblée ajourne la discussion à la séance de samedi matin et ordonne l'impression du rapport et du projet de décret.)

Plusieurs membres se présentent au bureau pour se faire inscrire sur l'ajournement.

M. le Président. Je rappelle aux membres qui veulent se faire inscrire en ce moment qu'un décret ordonne que l'ordre de la parole établi pour le rapport doit subsister pour l'ajournement. Je consulte l'Assemblée pour savoir si elle entend maintenir son règlement.

(L'Assemblée ordonne l'exécution de son décret de règlement pour l'ordre de la parole.)

M. le Président. Messieurs, un Anglais nommé Nicolas Gay, dépose sur le bureau de l'Assemblée un don patriotique de 1,000 livres pour l'aider à subvenir aux frais de la guerre, et il demande à l'Assemblée à quel jour il pourra lui exprimer son respect et son hommage. 11 voudrait surtout pouvoir lui exprimer les sentiments d'admiration dont il est pénétré pour une « Constitution dont la liberté et l'égalité des hommes sont la base. >>

Plusieurs membres: Tout de suite! tout de suite!

M. Nicolas Gay est introduit à la barre. (Vifs applaudissements.)

M. le Président. Messieurs, M. Gay n'a autre chose à dire qu'à présenter son hommage et son don patriotique. (S'adressant à M. Gay.) Monsieur, l'Assemblée nationale vous accorde les honneurs de sa séance.

M. Nicolas Gay traverse la salle au milieu d'applaudissements unanimes.

Plusieurs membres: Mention honorable au procès-verbal!

(L'Assemblée nationale décrète qu'il sera fait mention honorable au procès-verbal des sentiments d'admiration de Nicolas Gay pour la Constitution française et du don patriotique qu'il fait.)

M. Lacuée. Je demande si le citoyen qui vient de vous faire une offrande sur l'autel de la patrie est Français. S'il n'est pas citoyen français, Vous ne pouvez accepter l'offre qui vous est faite. Messieurs, à quel titre vous le donnerait-il? A quel titre le recevriez-vous? Je me rappelle d'avoir vu l'Assemblée nationale constituante refuser de la nation genevoise un don de...

Un membre: Parce que Genève était aristo

crate.

M. Lacuée. Nous devons être très flattés de cette offre; mais nous ne devons l'accepter que s'il est citoyen français.

Un membre: M. Gay est né Anglais, mais il a des fonds dans la tontine nationale. Il reste en France la plupart du temps et vient passer pres

que tous les hivers à Paris; il est donc, pour ainsi dire, naturalisé Français.

M. Pastoret. Il importe peu que le citoyen généreux que nous venons d'applaudir soit ou non citoyen français. Il est temps que tous les hommes libres reconnaissent qu'ils sont de la même famille. (Applaudissements.) La cause de la liberté est menacée, un citoyen vient la défendre, ou du moins concourir à sa défense. Nous devons recevoir cette offrande avec reconnaissance et insérer honorablement le nom de M. Gay au procès-verbal.

M. Grangeneuve. Personne ne doit douter que celui qui vient de faire à l'Assemblée ou à la nation française une offrande, qui a obtenu une approbation si universelle, est digne d'être Français, s'il ne l'est pas. En conséquence, je fais la motion que l'article 4 du titre II de la Constitution française soit exécuté. Il porte : Le pouvoir législatif pourra, pour des considérations importantes... »

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Plusieurs membres : Le renvoi au comité de législation!

(L'Assemblée renvoie cet article additionnel au comité de législation.)

M. Gohier présente les articles additionnels suivants (2):

Art. 1er. Les personnes constituées en état d'accusation par le Corps législatif seront seules justiciables de la haute cour nationale; pourront néanmoins les grands juges, sur la réquisition des grands procurateurs de la nation, ou du commissaire du roi, décerner provisoirement un mandat d'arrêt contre ceux qui se trouveront chargés par les interrogatoires des accusés, les informations ou autres pièces du procès.

Art. 2. Les prévenus, arrêtés en vertu d'un mandat d'arrêt, subiront interrogatoire dans les vingt-quatre heures en présence des grands procurateurs et du commissaire du roi.

Art. 3. Les grands procurateurs feront sans délai passer une expédition en forme des charges sur lesquelles le mandat d'arrêt aura été prononcé et des interrogatoires des prévenus, s'ils ont été arrêtés.

Art. 4. Le Corps législatif, sur le vu desdites pièces, décidera s'il y a lieu ou non à accusation.

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