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M. de Narbonne, ministre de la guerre. J'avais eu l'honneur de vous écrire, Monsieur le Président, pour vous prier de demander à l'Assemblée si elle voulait recevoir les officiers des nouveaux régiments de ligne formés de la garde nationale de Paris, nouvellement organisés et formés de la garde nationale parisienne soldée. Je demande en leur nom qu'ils soient admis sur-lechamp.

M. Lecointe-Puyraveau. Je convertis en motion la proposition de M. le ministre de la guerre.

(L'Assemblée décrète que ces officiers seront admis sur-le-champ.)

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Je profite de ce moment pour dire à l'Assemblée que je ne me serais pas mis en retard pour lui présenter l'état de radiation des officiers qui n'ont pas prêté le serment ou qui sont absents de leurs régiments, si je n'avais pas cru devoir lui présenter un travail plus entier, et contre lequel, j'espère, il n'y aura aucune réclamation. Les revues municipales ont été commandées; elles ont été faites et je pourrai, sous peu de jours, exécuter les ordres de l'Assemblée.

Les officiers des nouveaux régiments de ligne formés de la garde nationale de Paris sont introduits à la barre, ayant à leur tête l'officier général de la division.

M. le Président. MM. les officiers, dont vous venez de décréter l'admission, étant en trop grand nombre pour que la barre puisse les contenir, demandent la permission de défiler dans la salle.

Un membre: Je demande que ceux de ces Messieurs qui ne pourront pas être admis à la barre, soient admis de suite à se placer dans la salle. (Oui! oui!)

Plusieurs officiers prennent place aux deux extrémités de la salle.

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Je viens, de la part du roi, présenter à l'Assemblée nationale les officiers des corps des troupes de ligne nouvellement organisés pour être attachés au service de la capitale. Tous ces corps sont composés de patriotes qui datent leur service des premiers jours de la liberté. Ils viennent vous promettre de se dévouer à la défendre, au moment des derniers périls qui la menacent. Leur courage modeste et leur persévérance ne réclament le souvenir du passé que pour leur servir de présage pour l'avenir. (Applaudissements.)

M. le Président, répondant à la députation. Le roi ne pouvait donner à l'Assemblée nationale une plus forte preuve de son attachement à la Constitution qu'en lui faisant presenter les citoyens-soldats chargés de la défendre.

L'amour de la liberté ajouta toujours au véritable courage; il produisit les belles actions, et les peuples qui voulurent être libres ne furent jamais vaincus. C'est l'exemple que vous avez à suivre, et vous surpasserez vos modèles. Chargés de la garde du Corps législatif et du roi, le dépôt de la liberté est entre vos mains. Vous le défendrez, s'il le faut, au prix de votre vie. Vous partagez en cela les sentiments de tous les vrais Français, et vous serez fidèles au serment que vous avez fait, dans les premiers jours de la Révolution, de vivre libres ou de répandre jusqu'à la dernière goutte de votre sang pour la patrie. Soldatscitoyens, vous répondez à la France du dépôt

de sa liberté, ou, comme nous, vous périrez avec lui. (Applaudissements.)

L'Assemblée nationale vous accorde les honneurs de la séance.

(Les officiers défilent au milieu des applaudissements et des acclamations, et prennent place dans la salle.)

M. Pastoret. Messieurs, l'Assemblée nationale avait fixé à sa séance extraordinaire d'hier au soir le rapport du comité d'instruction publique sur les récompenses militaires. La séance n'ayant pas eu lieu, le rapport n'a pu être fait Je demande que ce rapport soit fait à l'instant et qu'il serve de réponse au témoignage de patriotisme que viennent de vous donner les officiers qui sont présents, au nom de toute la garde de Paris. (Oui!oui! Vifs applaudissements.)

(L'Assemblée décrète la motion de M. Pastoret.) M. Ramond. Parmi les officiers des nouveaux corps tirés de la garde nationale parisienne soldée et qui se sont consacrés à la défense de la liberté par le service qu'ils ont fait depuis le 14 juillet et au dévouement desquels toute la France peut rendre un témoignage éclatant, j'en remarque un dont la pétition a excité dans l'Assemblée le plus vif enthousiasme et les plus honorables applaudissements. C'est M. Carle, qui a demandé à être autorisé à lever, à ses frais, une compagnie d'hommes de guerre et à la mener au devant des ennemis de l'Etat (1). Cette pétition, ensevelie jusqu'à ce jour dans les archives du comité militaire, doit enfin en sortir pour être accueillie par une délibération de l'Assemblée. Je fais la motion expresse que le rapport en soit fait dans le plus bref délai. (Quelques murmures.)

M. Basire. Et moi, je demande la question préalable sur cette proposition. Rien de plus inconstitutionnel que la pétition de M. Carle.

M. Delacroix. Je réponds à M. Ramond que le rapport est prêt et que M. le président l'a mis à l'ordre du jour.

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Messieurs, quand les officiers des gardes nationales parisiennes vous ont été présentés, vous avez reçu leur serment. Vous accueillerez sûrement celui des officiers de troupes de ligne qui ne peuvent avoir qu'un même vieu et qu'un même sentiment. M. de Boissier, officier général, demande à le prêter en leur nom. (Applaudissements.)

M. le Président. M. de Boissier demande, au nom des officiers et citoyens-soldats qui sont maintenant dans la salle de l'Assemblée nationale, à renouveler entre ses mains le serment civique. (Applaudissements.)

Tous les officiers se lèvent; les députés sont assis et découverts.

M. de Boissier, officier général. Nous jurons d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution, d'exécuter et de faire exécuter les règlements militaires.

Tous les officiers répètent : Nous le jurons! (Vifs applaudissements.)

Un membre: Je demande que l'extrait du procès-verbal de cette séance soit envoyé à l'armée. (L'Assemblée décrète cette motion.)

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XXXVI, seance du 26 décembre 1791, page 399.

M. Louis Hébert. M. l'officier général vient de lire la formule de serment de fidélité au roi; mais il a oublié un serment qui est dans son cœur comme dans celui de tous les autres officiers, c'est celui de vivre libre ou de mourir. (Vifs applaudissements.)

Tous les officiers se lèvent une seconde fois et prêtent ce second serment avec un empressement unanime et au milieu des applaudissements de l'Assemblée.

M. le Président, répondant à la députation. Les représentants du peuple reçoivent vos serments. En les prêtant dans leurs mains, vous n'ajoutez point à leur sainteté. Le serment de vivre libre ou de mourir est partout le plus saint et le plus grand de tous les serments. L'Assemblée est assurée de votre fidélité à le maintenir au péril de votre vie, et si quelqu'un de vous pouvait jamais l'oublier, il n'aurait pas de juges plus sévères que ses frères d'armes. Peut-être, Messieurs, peut-être, en approchant de l'ennemi, vous sera-t-il doux de vous dire à vous-mêmes: C'est devant l'Assemblée nationale que j'ai juré le maintien de la liberté ou la mort, et ce serment à retenti dans toute la France. (Applaudissements.)

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Tandis que je suis occupé à faire les remplacements, il serait peut-être bien utile que l'Assemblée nationale daignât donner des réponses aux demandes que je lui ai soumises. Je désirerais, par exemple, que l'Assemblée statuât sur ces deux questions: 1° Les citoyens qui servent comme soldats ou volontaires dans les troupes de ligne, sont-ils susceptibles d'obtenir des sous-lieutenances, concurremment avec ceux qui ont servi dans les gardes nationales; 2o Les sujets élevés à l'école militaire, qui auront rempli leur éducation et acquis l'âge exigé, pourront-ils aussi être nommés à des sous-lieutenances?

Plusieurs membres : Le renvoi au comité militaire !

Un membre: J'observe que le comité militaire est prêt à faire son rapport sur cet objet. (L'Assemblée décrète que ce rapport sera fait à la séance de ce soir.)

M. de Narbonne, ministre de la guerre. J'ai encore une observation à soumettre à l'Assemblée. Elle vient d'ordonner que les ministres de la guerre et de la marine lui présenteraient les états des officiers qui ont été rayés des contrôles. J'ai eu l'honneur de lui dire que j'avais besoin pour cela des revues municipales. Sur ces revues municipales sont compris les noms de quelques officiers qui ont l'air de présenter des excuses extrêmement légitimes. Je demande si l'on peut être autorisé à les conserver dans leurs emplois, en s'assurant qu'ils n'ont pas été absents hors du royaume. Beaucoup de régiments ont changé de garnison depuis quelque temps. Plusieurs officiers ont reçu leurs brevets et ont été chercher leurs régiments dans les endroits où ils n'étaient plus, et par ces quiproquos, malheureusement trop répétés, il est arrivé que beaucoup ne se sont pas trouvés à leur régiment où ils avaient cependant envie d'ètre, et n'ont pu assister à la révue. (Murmures.) Il est de mon devoir d'invoquer la justice de l'Assemblée, mais il est encore plus de mon devoir d'obéir à ses décrets, et c'est un décret que j'ose lui demander.

M. Lecointre. Le renvoi de la demande au comité militaire!

(L'Assemblée renvoie la proposition du ministre de la guerre au comité militaire.)

M. Charlier. Je demande que le ministre de la guerre remette au comité militaire la note des officiers dont on vient de parler et que le rapport du comité soit fait mardi soir.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Charlier.) M. de Narbonne, ministre de la guerre. J'ai encore une observation à faire à l'Assemblée. Les quatre premiers lieutenants de chaque régiment d'infanterie passant de droit aux quatre compagnies vacantes dans leur régiment, les lieutenants des troupes à cheval demandent à jouir du même avantage, en passant de droit aux deux premières compagnies vacantes dans leur régiment.

(L'Assemblée renvoie cette proposition au comité militaire.)

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Je demande pardon à l'Assemblée de l'interrompre si souvent; mais c'est en connaissant bien l'intention de ses décrets, que j'y obéirai avec plus d'exactitude. Je demande si je peux aller en avant sur les nominations, en réservant les places des officiers absents dont j'ai parlé tout à l'heure et dont je donnerai les noms au comité militaire. (Oui! oui! - Applaudissements.)

M. Viénot-Vaublanc monte à la tribune pour faire son rapport, au nom du comité d'instruction publique, sur les récompenses militaires. (Voy. ci-après, p. 720.)

M. Fauchet se présente également à la tribune pour faire une demande au nom du comité de surveillance, et rendre compte d'un fait.

Plusieurs membres demandent que M. Fauchet ne soit entendu qu'après le rapport de M. ViénotVaublanc.

(L'Assemblée, consultée, décide que M. Fauchet aura de suite la parole.)

M. Fauchet, au nom du comité de surveillance. C'est un devoir bien sévère de dénoncer un coupable; c'est un grand bonheur de concourir à sauver la vie à des patriotes, prêts à périr victimes pour la liberté. Vous savez, Messieurs, comme l'on persécute, en Espagne, les Français qui ne veulent pas abjurer notre Constitution. Cette persécution va jusqu'à faire périr sur l'heure ceux qui marquent le plus d'attachement à leur patrie. Des nouvelles publiques de Bordeaux nous ont appris que, dans le mois de novembre dernier, 12 Français patriotes ont été pendus sur une place de Madrid, pendant une nuit durant laquelle on avait défendu aux habitants de cette ville, sous peine de mort, de sortir de leurs maisons, comine de paraître aux fenêtres. Le lendemain, on aperçoit, attachés à des poteaux, 12 suppliciés dont on avait défiguré les traits. Ainsi, le despotisme déploie tout l'appareil de la plus horrible atrocité, pour frapper de terreur ses esclaves et les contenir dans la stupeur de la servitude.

Plusieurs de nos concitoyens courraient la chance inévitable, de donner une seconde fois cet horrible spectacle à Madrid, si le zèle de deux écrivains patriotes, ne nous avait donné connaissance d'une lettre qu'ils étaient chargés de traduire en espagnol, et qui devait être envoyée à la reine d'Espagne et au ministre Florida-Blanca. Nous vous rendrons compte des moyens qui ont été mis en usage pour prévenir cet attentat. L'homme arrêté sur les poursuites de la municipalité de Paris, est en ce moment au comité de surveil

lance. Le rapport de cette affaire ne pouvant être fait ce matin, il s'agit de décider qu'il y restera jusqu'à ce soir; et ce soir, nous vous ferons le rapport. Le cas étant extraordinaire, j'ai cru devoir consulter l'Assemblée.

J'observe à l'Assemblée que l'homme en question allait envoyer une lettre en Espagne, de laquelle il serait résulté la mort de nos concitoyens qui y sont. Cet homme est arrêté en vertu d'un mandat d'amener. Mais le juge de paix ne peut passer 24 heures sans le renvoyer à quelque justice, et il a reconnu que son délit était d'un genre trop extraordinaire, que la loi n'y avait pas pourvu, et que c'était à l'Assemblée nationale à décider. Il a amené cet homme au comité de surveillance. Je demande qu'il soit détenu jusqu'à ce soir, en attendant que l'Assemblée ait prononcé à son sujet d'après le rapport que le comité de surveillance demande à vous faire.

M. Delacroix. Je demande qu'on entende actuellement M. Fauchet, ou bien immédiatement après M. Vaublanc, qui a un rapport à faire au nom du comité d'instruction publique; le tout sans désemparer. Je demande aussi que l'Assemblée ne prononce rien sur l'arrestation de ce citoyen-là, parce qu'elle n'en a pas le droit.

M. Lecointe-Puyraveau. Je soutiens que la proposition mise en avant par M. Delacroix, est une proposition contraire aux principes, contraire à ce que vous avez déjà fait. Vous n'avez pas le droit de mettre un citoyen en état d'arrestation; mais vous pouvez, lorsqu'on vous dénonce un délit contre la sûreté publique, faire rester en état d'arrestation. Or, il y a un mandat d'amener en vertu duquel cet homme a été arrêté. Je demande qu'il reste en état d'arrestation jusqu'à ce que l'Assemblée ait statué.

Plusieurs membres : La discussion fermée!

(L'Assemblée ferme la discussion et décide qu'elle entendra le rapport du comité de surveillance, séance tenante et immédiatement après celui du comité d'instruction publique.)

M. Viénot-Vaublanc, au nom du comité, d'instruction publique, fait un rapport et présente un projet de décret sur les honneurs et les récompenses militaires, il s'exprime ainsi (1):

Messieurs, s'il est une vérité reconnue de tout le monde, c'est qu'aucune institution ne peut être durable quand elle n'est pas d'accord avec les mœurs, avec le caractère de la nation à laquelle on la destine; et s'il arrivait qu'un peuple corrompu eut tout à coup passé de l'esclavage à la liberté, eût changé l'esprit de ses lois avec une rapidité prodigieuse, fes législateurs devraient se hâter de changer ses mœurs, ses usages: les spectacles, les châtiments, les récompenses, et surtout l'éducation, tout doit prendre un caractère nouveau.

Pénétrés de cette vérité, vous avez ordonné à votre comité d'instruction publique, de vous présenter un plan des récompenses à décerner aux guerriers qui auront bien servi la patrie; non que les guerriers seuls doivent recevoir des récompenses honorables, vous en instituerez pour le magistrat, le philosophe, le citoyen qui mériteront la reconnaissance publique; mais cellesci doivent être différentes, elles n'appellent pas dès aujourd'hui notre attention, comme celle que vous destinez aux guerriers, qui déjà se rassem

(1) Bibliothèque de la Chambre des Députés: Collection des affaires du temps, Bf. in-8°, 165, tome 157, n° 22.

blent sous les étendards de la liberté pour en combattre les ennemis.

L'égalité étant la base de la Constitution, les récompenses doivent être calculées de manière à ne pas la blesser. Les cordons que donnent les rois de l'Europe font, de ceux qui les portent, une caste à part, les distinguent en tous temps et en tous lieux des autres citoyens, et décorent de même l'homme de mérite et le favori, le serviteur du prince et celui de la nation.

Vous voulez des honneurs d'un autre genre, Vous récompenserez plutôt les actions mêmes qué ceux qui les ont faites (1).

Dans un tel sujet, Messieurs, il faut par la pensée nous éloigner du siècle où nous vivons, et nous reporter aux temps où les hommes ont fait de si grandes choses avec de faibles moyens, où les peuples plus près de la nature, livrés à tous ses mouvements, recevaient avec empressement le guerrier vainqueur, et le récompensaient avec simplicité. Gardons-nous de porter ici un esprit méthodique et froid qui veut tout calculer, qui redoute de se livrer à l'enthousiasme, et regarde l'intérêt particulier comme le seul mobile des actions humaines.

C'est au législateur de démentir cette assertion tant de fois répétée, c'est à vous à faire de l'amour de la patrie le premier des sentiments, du désir de la gloire la passion la plus active. C'est par les fêtes nationales que vous y parviendrez, c'est par elles que vous ferez des Français un peuple nouveau. Qui de nous, dans les fêtes de la Fédération, n'a pas éprouvé combien est puissante sur l'âme cette réunion de citoyens qui se réjouissent d'un bonheur commun! Dans ces beaux jours, un même sentiment nous anime; l'exaltation est générale, on s'entretient avec tous ceux qu'on rencontré, personne ne semble inconnu à son voisin, tous les cœurs, pleins de sentiments délicieux, sont impatients de les communiquer, on veut rendre tout le monde heureux de son bonheur, on chérit ses citoyens, on est glorieux d'être Français, on adore sa patrie.

Ce feu sacré n'est donc pas éteint dans les âmes, il faut le ranimer, l'entretenir avec soin, que les citoyens voient partout la patrie et la gloire, qu'ils sachent qu'on n'acquiert l'une qu'en servant l'autre. N'oubliez rien de ce qui commande à l'âme en parlant aux yeux. Que le Corps législatif ne dédaigne pas trop, pour lui-même, ce moyen si puissant; qu'on voie enfin quelqué part, au lieu de statues isolées des rois, celles de nos grands hommes. (Applaudissements.)

Combien sera puissante sur les âmes ardentes la vue d'un général triomphant des ennemis de la liberté, entouré des attributs de la victoire, accompagné des guerriers qui se seront le plus distingués dans le combat! Triomphe dont l'éclat ne sera pas souillé, comme à Rome, par la présence des prisonniers, traînés avec barbarie à la suite du vainqueur.

Et dans nos fêtes nationales, les yeux se reposeront avec complaisance, avec respect, sur les citoyens qui auront mérité d'honorables récompenses des mains de la patrie! «Ces hommes, dirait un père à son fils, qu'il veut former aux vertus publiques, ces hommes qui portent une couronne civique, ont mérité cet honneur par des actions d'un grand courage, ou en sauvant la

(1) Il est inutile de dire que les récompenses pecuniaires décrétées par l'Assemblée constituante sont con servées. (Note du rapporteur.)

vie à leurs concitoyens dans des occasions périlleuses; quand ils se présentent aux fêtes publiques, le peuple se lève à leur arrivée, et ils s'asseyent parmi les représentants de la nation.

«Ceux qui ont une couronne de lauriers ont montré la plus haute valeur dans les combats : les uns ont, les premiers, monté sur la brêche d'une place assiégée, les autres ont défendu un poste important avec une rare intrépidité; tous se sont distingués par quelque action d'éclat. Ceux-ci sont des savants ou des philosophes qui ont éclairé les hommes par leurs ouvrages. Plusieurs d'entre eux, honorés souvent du titre de représentants de la nation, l'ont servie avec zèle dans le Corps législatif; ils ont combattu sans cesse pour la liberté publique; leur fidélité maintenait les lois existantes, et leur génie en proposait de nouvelles.

Parmi ces hommes chers à la patrie, qui tous ont une place distinguée, vous en remarquez un qui porte une épée, tandis que les citoyens sont sans armes : c'est un général qui a vaincu nos ennemis, mais sa victoire fut ensanglantée; elle fut achetée par la perte d'un grand nombre de Français, aussi n'est-il placé qu'après cet autre général qui, à une épée donnée par la patrie, joint l'honneur d'une couronne civique, parce qu'il a su épargner le sang précieux des soldats, et que sa victoire a coùté peu de larmes à la patrie. (Applaudissements.)

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Qu'on imagine, s'il est possible, l'effet qu'un tel spectacle produirait sur l'âme des jeunes Français. Comme il développerait en eux l'amour de la patrie, la passion de la gloire, deux sentiments qui, dans un pays libre, renferment toutes les vertus; car vous ne pouvez aimer la patrie sans chérir les lois qu'elle a faites, sans être prêt à périr pour elle, sans être humain, généreux, magnanime envers vos concitoyens. Vous ne pouvez aimer la vraie gloire, sans craindre de la ternir par des actions serviles et basses, et dès lors Vous avez le sentiment sublime de la liberté, vous êtes le digne et vertueux citoyen d'un pays libre.

Ne vous le dissimulez pas, Messieurs, vainement la France se flatterait de conserver sa liberté, si elle ne voyait pas ses nombreux enfants se former un caractère national, qui les portât aux choses grandes et sérieuses, qui leur fìt dédaigner ces frivolités, ces niaiseries propres à entretenir l'âme dans une mollesse habituelle.

Longtemps les Français ont été de grands et faibles enfants. Ils ne sont des hommes que depuis la Révolution. Ils resteront tels; tant que leur liberté sera menacée ils la défendront comme des lions; ne craignez pas, pour eux, le danger: craignez le repos. Tremblez de les voir retourner avec ardeur à d'anciennes habitudes, à ce cercle monotone d'occupations uniquement relatives à leur intérêt et de plaisirs qui corrompent le cœur, en affaiblissant le corps.

L'éducation nationale, les fêtes publiques, les récompenses données aux grands hommes pourront seules garantir pour les siècles la liberté française, en formant un caractère guerrier, mais non féroce, énergique et non farouche, de franchise sans rudesse, et d'hospitalité, d'urbanité même, sans aucun mélange de cette politesse factice, créée à la fois dans les cours par la bassesse et l'orgueil. (Applaudissements.)

Dans toutes ces institutions, dont l'effet est si puissant sur les hommes, vous vous écarterez des routes suivies jusqu'à ce jour et vous prendrez de l'antiquité les conseils et la pratique des 1re SÉRIE. T. XXXVII.

grands moyens qui forment des citoyens et des hommes. Parmi les récompenses que les Romains accordaient aux généraux vainqueurs, il en est une que vous rejetterez sans doute comme l'a fait votre comité; c'est de donner à un citoyen le droit de joindre à son nom celui d'une province défendue, d'une ville prise ou sauvée. Une telle institution blesserait l'égalité, et sans elle il n'est point de vraie liberté. (Applaudissements.)

Nous avons pensé que les actions les plus vertueuses, les plus éclatantes, devraient être récompensées de la manière la plus simple, par une branche de chêne ou de laurier. La seule récompense, digne d'elles, est de les rappeler à la mémoire des citoyens; ce serait profaner la vertu que d'emprunter, pour l'honorer, l'éclat de l'or et de l'argent. (Applaudissements.)

Mais des couronnes, des médailles, des anneaux d'or pourraient être décernés pour des actions moins glorieuses. Les citoyens ne les porteraient pas en tout temps, mais seulement dant les fêtes nationales et dans les époques les plus chères de leur vie comme un mariage, la naissance d'un enfant. (Applaudissements.) Il en serait de même de la couronne civique; elle ne pourrait orner la tête de celui qui l'aurait obtenue que dans les fêtes nationales; récompense de la plus haute vertu, ou du courage le plus éclatant, décernée par le Corps législatif qui rarement accorderait un tel honneur, elle ne paraîtrait que dans les grandes occasions, avec celui qui l'aurait méritée, moins encore pour l'honorer que pour exciter ses concitoyens à imiter son courage et sa vertu.

Dans la dernière guerre, on a vu un matelot français se précipiter du haut du grand mât dans la mer pour sauver un de ses camarades prêt à se noyer. S'il avait eu la couronne civique, qu'il serait beau de voir cet homme simple et pauvre conduit à la place la plus honorable dans une fête nationale, et le peuple se lever à son arrivée ! est-il un plus noble moyen de récompenser la vertu? Peut on mieux établir l'égalité? (Applaudissements.)

Votre comité a pensé que vous deviez, comme les Romains, établir le grand et le petit triomphe. La différence des victoires qui peuvent être remportées, en prescrit suffisamment une dans la manière de les célébrer et de les récompenser. Le Corps législatif appréciera la grandeur des obstacles, la constance de l'armée à les vaincre, le nombre et la résistance des ennemis et les efforts de nos guerriers. Pour les généraux, il est une distinction essentielle à faire comme à Rome. C'est de récompenser davantage le général attentif à épargner le sang de ses soldats. Les Romains avaient étendu cette maxime jusqu'à compter le nombre des morts. Votre comité a cru inutile de rien prescrire de positif sur cet objet, et a pensé que ce sera au Corps législatif à juger d'après les circonstances; mais le comité a cru nécessaire d'établir fortement que le premier mérite du général est d'épargner le sang du soldat, l'humanité fait un devoir de ce principe à une nation philosophe et guerrière, qui dans ses défenseurs voit des citoyens précieux à la patrie, non des esclaves heureux de verser leur sang pour la gloire d'un maître. (Applaudissements.)

On a vu Louis XIV perdre beaucoup de monde à l'attaque d'une demi-lune sans l'emporter, et un général gémir sur cette perte, demander 3 jours pour s'en emparer sans perdre un seul homme, et tenir sa promesse. Dans cette belle

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action, qui de nous n'admire pas autant l'humanité du philosophe que l'habileté du général? Ces moyens d'enflammer les troupes d'une noble émulation, paraîtront peut-être extraordinaires, impraticables même, et cependant ils sont puisés dans la nature. Par là seulement ils ont maintenu leur liberté; à peine ont-ils négligé ces moyens, d'indomptables qu'ils étaient ils sont devenus faibles et faciles à vaincre.

Une chose remarquable dans la coutume des Romains, c'est que les généraux ne triomphaient pas pour les victoire remportées dans les guerres civiles. Plus heureux que ce peuple célèbre, vous n'aurez pas à faire cette fatale distinction. La nation entière combattra s'il le faut pour la liberté ! Toutes les volontés, tous les cœurs sont réunis, et au milieu de cet accord imposant, une poignée de rebelles attaquant la volonté nationale doit à peine être aperçue. (Applaudissements.)

L'usage des triomphes cessa chez les Romains dès qu'ils eurent des empereurs. C'est que l'autorité absolue aurait été blessée de la gloire d'un général ou d'une armée, c'est qu'on ne combattait plus dès lors pour la patrie, mais pour un maître. Bientôt on estima plus sa faveur que la gloire, on ne vit plus que le despote, on oublia la patrie. Grande leçon pour les peuples modernes! s'ils veulent être libres, que les belles actions, que les héros soient récompensés par la patrie; alors on ne verra qu'elle, on ne servira qu'elle. La France libre doit adopter des institutions que Rome ne perdit qu'avec sa liberté.

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On objectera peut-être que les honneurs destinés aux guerriers peuvent produire un funeste effet celui de trop augmenter la considération naturellement attachée à l'état militaire, de mettre, comme autrefois, au-dessous de lui le magistrat, le philosophe, d'inspirer le mépris des autres professions.

Nous répondrons en rappelant un principe qui ne peut être contesté, mais, avant, n'oubliez pas, Messieurs, que vous devez porter vos regards dans l'avenir et ne pas vous occuper seulement des temps présents.

La France ne peut se flatter de conserver longtemps sa liberté avec des armées aussi nombreuses entretenues en temps de paix; bientôt elles deviendraient un instrument docile entre les mains d'un prince habile et entreprenant. Votre politique, ou plutôt celle de vos successeurs, doit être de diminuer insensiblement et dans des temps très éloignés, l'armée de ligne, de ne plus admettre dans celle que vous conserverez que des citoyens domiciliés, de former la jeunesse aux exercices du corps, de la rendre agile, vigoureuse, capable de supporter les fatigues de la guerre, pour l'opposer avec succès aux ennemis de l'Etat, s'ils osaient l'attaquer. Un bataillon par district, apprenant dans la belle saison les exercices militaires et se rassemblant l'espace d'un mois, chaque année, en corps d'armée pour se former aux grandes manoeuvres, pourrait donner à la France 200,000 hommes toujours prêts à faire la guerre. De tels soldats seraient invincibles si, dans la plus tendre jeunesse, on s'appliquait à rendre les corps robustes et les âmes intrépides, si des prix distribués avec pompe dans les fêtes nationales excitaient leur émulation; si les courses des chars et des chevaux tournaient vers des objets guerriers le goût du luxe que le législateur doit diriger quand il ne peut l'anéantir; peut-être même comme chez les Romains une loi ne laisserait

aspirer aux emplois publics que ceux qui auraient servi la patrie pendant un certain nombre d'années. Alors les guerriers ne formeront plus dans l'Etat un corps particulier redoutable à la liberté publique dans des temps orageux; on ne verra dans la France que des citoyens propres à la guerre comme aux emplois civils qui auront consacré quelques années au service de la patrie, et parmi eux 200,000 hommes constamment exercés, prêts au moindre signal à se couvrir de leurs armes.

Personne ne contestera les effets prodigieux que peuvent produire l'amour de la patrie, la noble ambition de se distinguer aux yeux de ses concitoyens, de recevoir des prix honorables des magistrats du peuple et d'obtenir les couronnes, les pompes triomphales, les épées de la patrie.

Avec le plan que je viens de tracer, vous pouvez entrevoir le moment, quoique encore éloigné, de la diminution des troupes de lignes. Au contraire, avec des vues différentes en ne vous hâtant pas de former ce caractère tranchant d'un peuple guerrier, quoique voué par serment à la paix, vos successeurs ne pourront, sans imprudence, diminuer l'armée, et cependant je ne pense pas que la nécessité de cette diminution puisse être un instant mise en doute. L'expérience montre évidemment que le despotisme des rois de l'Europe a augmenté en même temps que le nombre des troupes qu'ils avaient sous leurs ordres. Dès que les légions romaines ont été permanentes, la liberté a chancelé ; elle a disparu avec la naissance des gardes prétoriennes.

Peut-être la philosophie fera-t-elle une objection elle pourra craindre que presque tous les citoyens devenant propres à la guerre, la nation ne devienne guerrière et ne se laisse entrainer à la passion des conquêtes. Cette crainte ne serait pas fondée, parce que l'état actuel de l'Europe, l'égalité que les arts mettent dans les moyens de défense et d'attaque de tous les peuples, la promptitude avec laquelle ils peuvent se réunir contre celui dont ils redoutent l'ambition, tout nous garantit qu'aucune nation ne peut devenir conquérante. D'ailleurs, aucun peuple n'avait encore fait le serment solennel de renoncer à toute conquête eh! qui pensera que le premier qui en a donné le saint exemple à la terre puisse l'enfreindre? Non, jamais il ne sera violé ce serment sacré, l'honneur de la nation française, le gage de cette paix universelle à laquelle l'humanité sourit déjà. La philosophie la dicté et tous les jours augmentent ses progrès dans tous les esprits, dans tous les cœurs elle y met un sceau inviolable.

Ah! plutôt d'autres craintes doivent nous occuper. Craignons que nos mœurs corrompues n'éloignent de nous cette vigueur de l'âme; ces vertus mâles et républicaines sans lesquelles la vraie liberté ne peut exister. (Applaudissements.) L'austérité de ses lois répugne bientôt à des cœurs pleins des vices des esclaves, qui ne cherchent que la licence en osant se dire les amis de la liberté. La liberté fait naître les vertus publiques, la licence les détruit : l'amour de la liberté prend sa source dans la grandeur de l'âme; le désir de la licence nait de son avilissement la liberté est esclave de la loi, la licence voudrait l'anéantir la liberté est inséparable de l'amour de la patrie; elle fait les grands hommes, les grandes nations: la licence ne peut naitre que chez un peuple dégénéré,

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