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les membres du corps social; la refuser avec opiniâtreté, c'est se rendre coupable, c'est manifester des intentions perverses, c'est contrevenir à la loi qui la prescrit; or, dans cette position, la loi devient évidemment juste et nécessaire. Vous avez, par conséquent, suivant l'Acte constitutionnel, le droit de la prononcer. Nous avons pensé que cette peine devait être une détention de quelques mois.

On nous objectera sans doute que, ce temps écoulé, nous serons forcés de faire rentrer dans la société le venin corrupteur dont nous l'avions purgé. Nous sentons toute la force d'une pareille objection, mais en même temps nous prétendons que cette détention passagère détournera le cours du mal pendant quelque temps, et qu'elle aura l'avantage d'arrêter l'exécution de beaucoup de trames, de beaucoup de complots.

Voici le projet de décret :

Projet de décret (1).

« Art. 1er. Toute personne qui voudra voyager dans le royaume sera tenue, jusqu'à ce qu'il en ait éte autrement ordonné, de se munir d'un passeport.

« Art. 2. Les passeports contiendront le nom des personnes à qui ils seront donnés, leur âge, leur profession, leur signalement, le lieu de leur domicile et leur qualité de Français ou d'étranger.

«Art. 3. Ils contiendront, en outre, l'extrait de la déclaration faite aux municipalités par chaque habitant, en exécution de la loi municipale du 19 janvier 1791.

« Art. 4. Les officiers municipaux ne pourront, à peine de responsabilité, délivrer des passeports aux personnes notées sur les registres de la municipalité comme gens sans aveu, suspects ou malintentionnés, sans faire une mention expresse desdites notes sur les passeports.

Art. 5. Les passeports seront signés par le maire ou autre officier municipal, par le secrétaire greffier et par celui qui les aura obtenus, et, en cas qu'il ne déclare ne savoir signer, il en sera fait mention et sur le passeport et sur le registre de la municipalité.

Art. 6. Les voyageurs pourront, dans toute l'étendue du district où ils sont domiciliés, faire usage des passeports délivrés par les municipalités; mais dans le cas où ils voudraient sortir du district, ils seront tenus de faire viser lesdits passeports par les directoires de district ou département sous lequel les municipalités se trouvent situées.

« Art. 7. Les Français ou étrangers, qui voudront sortir du royaume seront tenus de remplir les formalités prescrites par les articles précédents, et feront, en outre, viser leur passeports au directoire de district ou au directoire de département frontière par lequel ils sortiront du royaume.

Art. 8. Les personnes qui voudront entrer dans le royaume prendront, à la première municipalité frontière, un passeport dans lequel il sera fait mention de leur domicile, soit en France, soit dans les pays étrangers, ainsi que la déclaration du lieu où elles ont intention de se rendre.

«Art. 9. Les noms des départements, districts

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Législation, tome II, T.

et municipalités seront mis en tête des passeports, qui ne pourront être délivrés que sur papier timbré; les voyageurs qui les obtiendront seront seulement assujettis à payer le papier et le timbre.

Art. 10. Les gendarmes nationaux et les gardes nationales de service pourront exiger des voyageurs la représentation de leurs passeports.

Art. 11. Les voyageurs qui n'en présenteront pas et qui n'auront pas pour répondant un citoyen domicilié, seront conduits devant le juge de paix ou devant un de ses assesseurs, pour y être interrogés.

Art. 12. Le juge de paix ou son assesseur, suivant les réponses du voyageur ou les renseignements qu'il en recevra, sera autorisé ou à lui laisser continuer sa route ou à donner le mandat d'arrêt.

Art. 13. Le temps de l'arrêt ne pourra excéder un mois, à moins qu'il ne survienne quelque charge contre le voyageur arrêté.

« Art. 14. Si, après le temps de l'arrêt expiré, il n'est venu aucun éclaircissement satisfaisant sur le compte du voyageur arrêté, le juge de paix ou son assesseur l'interpellera de lui déclarer le lieu où il veut se rendre; il lui sera délivré, sur cette déclaration, un passeport dans lequel sera indiquée la route dont il ne pourra s'écarter; il y sera aussi fait mention de l'arrestation et de ses motifs.

«Art. 15. Avant que le voyageur arrêté soit mis en liberté, l'officier de gendarmerie nationale ou le plus ancien gendarme de la brigade du lieu de l'arrestation, prendra son signalement, la note de la route qui lui est prescrite et les enverra incontinent aux brigades limitrophes, qui les feront passer sans délai aux autres brigades.

«Art. 16. Si le voyageur s'écarte de la route qui lui a été tracée, il sera arrêté et conduit devant le juge de paix ou devant son assesseur.

« Art. 17. Le juge de paix ou son assesseur, après l'avoir interrogé, pourra, s'il ne reçoit pas de lui des renseignements qui constatent qu'il est hors de toutes suspicions, le condamner à être détenu dans une maison de correction ou, dans le cas où il n'y en aurait pas encore d'établie, dans la maison de dépôt la plus prochaine; le temps de la détention ne pourra excéder trois mois.

Art. 18. Le présent décret sera porté, dans le jour, à la sanction du roi. »>

M. Lemontey. L'impression et l'ajournement à lundi!

Quelques membres: Et le temps des passeports, vous n'en parlez pas!

M. Codet, rapporteur. Quelques membres de l'Assemblée demandent combien de temps dureront les passeports. Vous pensez bien que cette question ne nous est pas échappée; mais nous avons pensé que la loi sur les passeports étant une loi temporaire, nous ne devions pas déterminer le temps.

Un membre: Ce n'est pas cela; on vous demande combien durera un passeport et non pas la loi.

M. Thuriot. La question la plus importante était de savoir si l'Assemblée nationale rétablirait ou non l'usage des passeports. Sur ce point, l'Assemblée a prononcé formellement que l'usage serait rétabli. Quel est donc l'objet qui vous occupe maintenant? C'est une première loi de détail, mais une loi infiniment pressante, et j'ob

serve que tous les moments de retard seraient des moments très pernicieux pour la France. Je demande donc, Messieurs, que l'Assemblée nationale porte à l'instant le décret d'urgence et qu'on aille successivement aux voix sur les différents articles du projet du comité.

M. Mouysset. S'il est essentiel de maintenir la liberté publique, il n'est pas moins essentiel de protéger la liberté individuelle qui caractérise la liberté publique. Il est par conséquent nécessaire d'ajourner les différents articles qui vous sont présentés, car il y en a plusieurs qui m'ont paru gêner la liberté individuelle. J'en demande l'ajournement à lundi ou à mardi, et, certes, d'ici à cette époque, je ne vois pas que la chose publique soit en danger.

Plusieurs membres : Chacun doit se soumettre aux circonstances.

D'autres membres Aux voix l'ajournement! (Non! non!)

M. Mouysset. J'insiste pour l'ajournement.

M. Gérardin. Je ne sais pas pourquoi on s'écarterait du règlement; il me semble que d'ici à lundi on n'aura pas de trop de temps pour réfléchir à la loi inquisitoriale présentée par le comité. (Applaudissements.)

Je sais que, dans les moments de crise et de troubles, les citoyens doivent faire à la patrie le sacrifice de leur liberté; mais je sais aussi que l'on doit en respecter les principes, et qu'une nation, qui dit avoir une Constitution, ne peut pas enchaîner la liberté des citoyens jusqu'au point qu'on vous propose. Une Révolution, qui a commencé par la destruction des passeports, doit assurer une assez grande liberté de voyager, même par les temps de crise. Ainsi, puisque l'Assemblée a décrété qu'il y aurait des passeports, elle veut sans doute chercher le meilleur mode d'exécution et donner à ses membres le temps de réfléchir. Dans cette occasion importante, je ne sais pas pourquoi on nous forcerait de décréter, article par article, cette loi, sans en avoir pris connaissance. Je demande l'impression et l'ajournement à mercredi.

Plusieurs membres: Aux voix le décret!

M. Viénot-Vaublanc. L'Assemblée nationale irait peut-être contre le but qu'elle se propose en délibérant sur une loi qui, au lieu de lui présenter une mesure simple, lui en présente une multitude de très compliquées, propres à faire de la France un couvent où la liberté ne serait connue que de nom. (Oh! oh!) Toute loi inexécutable est une loi infiniment funeste. L'Assemblée nationale a décrété qu'il y aurait des passeports; mais elle veut, sans doute, que cette loi soit telle que l'exécution en soit facile, car si cette exécution, par suite de trop grandes difficultés, devenait presque impossible, la loi n'atteindrait pas le but que s'est proposé l'Assemblée. 48 heures ne sont pas de trop pour méditer sur cet objet : j'appuie donc la demande d'ajournement.

Plusieurs membres : La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion sur l'ajournement.)

M. Rouyer. Je demande la question préalable sur l'ajournement et à la motiver.

Voix diverses: Aux voix! aux voix ! L'ajournement à lundi!

(L'Assemblée rejette la question préalable, ordonne l'impression du projet de décret et en ajourne la discussion à lundi.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de M. le maréchal de Rochambeau, par laquelle il prie l'Assemblée de permettre à trois de ses membres, MM. Mathieu Dumas, Crublier d'Optère et Daverhoult, de se rendre à l'armée pour y servir l'Etat, cette lettre est ainsi conçue:

"Paris, le 26 janvier 1792.

"Monsieur le Président,

«Je vous prie d'être mon interprète auprès de l'Assemblée pour lui demander de permettre à trois militaires tirés de son sein de venir à l'armée pour y servir la patrie. Ma demande est conforme à la loi du 17 juin 1791, article 2. J'ai élevé M. Dumas; ses talents l'ont poussé rapidement dans la carrière militaire; j'ai des droits pour le réclamer à venir aider ma vieillesse. M. d'Optère, lieutenant-colonel du génie, est un de mes frères d'armes : c'est un officier du premier mérite. M. Daverhoult, patriote né en Hollande, pensionné et naturalisé en France, dont le mérite vous est également connu, me serait de la plus grande utilité pour m'aider à former mon étatmajor.

«Je vous prie, Monsieur le Président, de vouloir bien mettre ma demande très urgente sous les yeux de l'Assemblée nationale. Je suis accablé de détails qui finiraient par rétrécir le cercle des grands mouvements et des combinaisons qui doivent remplir la tête d'un général.

« Je suis, avec respect, etc.

« Le commandant général de l'armée du Nord, Signé Maréchal DE ROCHAMBEAU. »

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M. Rouyer. Le renvoi au comité militaire! M. Beugnot. Je ne crois pas que l'Assemblée nationale puisse accéder à la demande de M. le maréchal de Rochambeau. Tous les membres qui la composent ont reçu de leurs commettants une mission, la représentation nationale. Je ne pense pas qu'il soit au pouvoir de l'Assemblée de les dispenser de la remplir.

D'ailleurs, Messieurs, si les membres que M. de Rochambeau demandent veulent aller servir dans l'armée, ils ont un moyen indépendant de la volonté de l'Assemblée c'est de donner leur démission et de se faire remplacer par leurs suppléants; encore, en cela, l'Assemblée doit-elle bien prendre garde de trop faciliter le succès de semblables démarches de la part des chefs de l'armée. En effet, si vous admettiez la proposition qui vous est faite, il serait possible que, par la suite, on rendit dans le sein du Corps legislatif des services capables de provoquer de nouvelles demandes, et il arriverait, par là, que l'Assemblée nationale deviendrait un moyen de fortune et un théâtre d'ambition, quand elle ne doit être qu'un moyen de gloire et un théâtre de vertu. (Applaudissements.)

J'ajoute qu'à l'instant même où la France est sur le point d'entrer en guerre, il est intéressant pour le Corps législatif de posséder dans son sein des membres capables de l'éclairer sur les détails militaires, et je pense qu'il est digne de MM. Dumas, d'Optère et Daverhoult de faire à la patrie le sacrifice de toute espèce d'avancement et de ne pas provoquer une telle route de faveur devant eux. Je demande donc que M. le Président soit chargé d'écrire à M. de Rochambeau qu'il n'est pas au pouvoir de l'Assemblée de lui accorder sa demande.

Voix diverses: Non! non! Point de réponse! L'ordre du jour !

M. Crublier d'Optère. Messieurs, n'ayant conservé aucune relation particulière avec M. le maréchal de Rochambeau depuis la guerre d'Amérique, je sens davantage tout le prix de la marque de confiance qu'il me donne aujourd'hui près de vous. Mais, Messieurs, également empressé de concourir avec vous à la formation des lois qui doivent affermir la Constitution au dedans et la défendre sur nos frontières contre les ennemis du dehors, je ne puis avoir d'autre vœu à exprimer ici que celui que votre sagesse voudra bien me dicter.

Plusieurs membres : L'ordre du jour !

M. Lacuée. L'article 2 de la loi du 17 juin 1791 dit: Les militaires, qui seront membres du Corps législatif, ne pourront pas quitter leurs fonctions de député pour prendre un commandement quelconque dans l'armée, sans l'autorisation du Corps législatif..

L'Assemblée constituante avait donc prévu qu'il pourrait y avoir des circonstances dans lesquelles il serait avantageux pour l'Etat qu'un représentant du peuple put être employé dans l'armée. Je crois que personne ne doute de cette vérite; car supposons, Messieurs, pour un instant, ce qui serait très possible, que MM. de Rochambeau et Luckner fussent assis parmi nous, l'Assemblée n'aurait-elle pas alors à résoudre la grande question de savoir si MM. de Rochambeau et Luckner seraient plus utiles à la tête des armées que dans le sein du Corps législatif?

D'après cela, il s'agit en ce moment de résoudre la même question, savoir s'il vaut mieux pour le Corps législatif être privé de trois de ses membres demandés par un général, ou les voir encore assis parmi nous. J'imaginé que M. de Rochambeau ne s'est résolu à nous présenter cette requête qu'après avoir fait lui-même ce calcul et après l'avoir fait avec beaucoup de réflexion. Il a pensé que les trois membres qu'il vous réclamé seraient plus utiles à l'Etat dans l'armée qu'ils ne le seraient dans le Corps législatif. Et alors je vous demande si vous n'auriez pas à vous reprocher de n'avoir pas cédé au vœu du maréchal dans le cas où l'un des emplois auxquels ces trois militaires sont destinés viendrait à être rempli d'une manière peu convenable et où il pourrait en résulter quelque desavantage pour l'Etat.

Je vous observe encore que vous devez fournir à M. de Rochambeau tous les moyens qu'il croit nécessaires pour vaincre et qu'il serait très intéressant pour l'Assemblée d'avoir à l'armée des hommes revêtus en même temps de la confiance nationale et de celle du Corps législatif, des hommes qui seraient en quelque sorte des commis-aires civils, attachés plus particulièrement par leurs qualités à la cause de la liberté. Je demande, Messieurs, que cet objet soit renvoyé au comité militaire.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Aubert-Dubayet. La discussion, quelque courte qu'elle ait été, est suffisante sans doute pour que l'Assemblée passe à l'ordre du jour; mais il faut le motiver.

D'abord, Messieurs, je connais parfaitement MM. d'Optère et Dumas; je les ai vus combattre en Amérique pour la liberté, et je rends justice à leur activité et à leur intelligence: mais j'ai cru voir dans la mesure proposée un grand

danger. Les militaires appelés au grand honneur de représenter la nation pourraient croire que dans le sein du Corps législatif, où ils ne doivent avoir d'autre ambition que celle de bien remplir leur devoir de législateurs, il leur serait permis d'attendre des places et de l'avancement dans l'armée par suite de la réputation qu'ils pourraient acquérir à la tribune. Je ne veux faire ici aucune application, mais, étant donné le malheureux penchant du cœur humain pour être corrompu, je crains qu'il ne s'établisse dans le Corps législatif une connivence dangereuse entre les généraux des armées et les autres militaires, membres de l'Assemblée. J'atteste encore ici hautement qu'il est loin de ma pensée comme de mon coeur de croire qu'il soit possible de faire une application personnelle; mais en demandant à l'Assemblée nationale de passer à l'ordre, j'avais besoin de motiver mon opinion, et je l'ai fait.

Après avoir exposé ce motif politique, très important selon moi, je dois vous en donner un autre. J'observerai encore que vous avez dans votre sein plusieurs officiers employés dans les grades subalternes de l'armée; je suis de ce nombre. J'ai l'honneur d'être capitaine au 13° régiment d'infanterie. Il est très possible au Corps législatif de connaître, par la présence des armées, 4 ou 5 jours à l'avance, qu'il y aura une bataille, et si la patrie était dans un danger imminent, Vous ne refuseriez pas à tous les militaires qui ont le bonheur de représenter le peuple français d'aller occuper leur poste et de courir les risques de mourir pour lui. Pour moi, Messieurs, si les armées étaient en présence, je serais le premier à vos genoux pour qu'il me fùt permis d'aller verser mon sang pour la patrie. (Applaudissements.); mais alors je ne voudrais être employé qu'à la place où le sort et nos années de services m'auraient mis avant d'avoir été député à l'Assemblée nationale. D'après l'espoir que nous avons tous, Messieurs, que vous ne nous refuserez point cette grâce, je demande que l'on passe à l'ordre du jour.

M. Lacombe-Saint-Michel. M. Beugnot a généralisé la demande qui vous a été faite par M. de Rochambeau relativement aux trois membres de l'Assemblée nationale. Il a avancé que les officiers qui font partie du Corps législatif devaient donner leur démission s'ils voulaient prendre un service actif dans l'armée. Moi, je dis qu'envoyés par nos commettants pour défendre leurs droits dans la législation, nous ne sommes pas les maîtres de refuser cette honorable mission. (Murmures) L'Assemblée constituante a prévu le cas lorsqu'elle a dit qu'un militaire qui serait membre du Corps législatif ne pourrait se rendre à son poste, comme militaire, sans une permission du Corps législatif. Il peut être des circonstances, Messieurs, où le patriotisme refroidi aurait besoin d'être réchauffé par celui que vous inspirez pour être porté au milieu des armées. Quand vous serez dans ce cas-là, vous serez libres de refuser ou d'accorder le congé; mais j'espère que lorsqu'il faudra faire le sacrifice de la vie pour la patrie, vous ne nous ôterez pas la satisfaction de mourir pour elle, et je serai le premier à demander cette faveur.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Mathieu Dumas. Egalement certain de trouver, soit dans le sein du Corps législatif où m'ont placé mes commettants, soit à l'armée, sous les ordres de M. de Rochambeau, des occa

sions de servir mon pays et de combattre les ennemis de ma patrie, je reconnais la juste rigi- | dité des principes posés par M. Beugnot. Je ne crois donc pas que, par aucune considération quelconque, un député, dans les circonstances où nous nous trouvons, puisse donner sa démission et dire Ailleurs je serai plus utile qu'en partageant à l'Assemblée nationale et dans le silence, les travaux de mes collègues.

Mais, Monsieur le Président, comme je ne pense pas que mes services ici soient d'une aussi grande importance que ceux que le maréchal de Rochambeau veut confier à mon zèle; ne choisissant pas entre mes droits et mes devoirs, mais consultant l'impulsion naturelle à un soldat de la liberté, je crois être dans les termes précis de la loi et répondre à la confiance qui m'est témoignée par M. le maréchal en priant l'Assemblée de prononcer sur la demande formelle que je fais d'un congé pour me rendre à l'armée du Nord. (Quelques murmures.)

M. Albitte. Je fais la motion que l'on ne puisse pas être militaire et député tout à la fois. Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Daverhoult. Ce n'est que ce matin, par la lecture qui vient d'être faite de la lettre de M. de Rochambeau, que j'ai connu ses intentions à mon égard. Comme je suis placé ici par la confiance de mes commettants, je crois devoir rester à mon poste, tant que l'Assemblée nationale elle-même ne jugera pas que je sois plus utile ailleurs; je ne demande rien à cet égard; l'Assemblée décidera, comme elle l'entendra, sur la proposition de M. le maréchal de Rochambeau.

Je demande seulement à rétablir un fait. M. Beugnot n'a pas bien saisi le sens de la lettre de M. de Rochambeau. Il n'est question d'aucun. avancement pour ceux dont il parle; chacun de nous servirait dans le grade qu'il occupe. Son intention, en me faisant servir comme adjudant général dans son armée, était de me placer comme colonel, ce que je suis depuis 4 ans. Ainsi, il n'est pas question d'avancement pour aucun de nous; et, assurément, lorsqu'il s'agit de la liberté, lorsqu'il s'agit de défendre l'égalité constitutionnelle, lorsque l'on a été honoré de la confiance de ses concitoyens, on serait un homme indigne si on pouvait calculer avec son ambition ou avec une espérance d'avancement. Vous déciderez, Messieurs, ce que vous jugerez convenable. Quant à moi, peu importe le poste où je serai placé, pourvu que je serve ma patrie.

M Lecointe-Puyraveau. Je ne pense pas que la question ait été approchée du véritable flambeau qui doit y porter la lumière. Il s'agit uniquement de savoir si le maréchal de Rochambeau est ou n'est pas un agent du pouvoir exécutif. Il n'y a pas, Messieurs, de difficulté sur ce point le chef de l'armée est un agent du pouvoir exécutif. Comme tel il n'a pas le droit de vous faire une proposition, car la Constitution porte que les représentants de la nation, pendant les deux années de leurs fonctions et pendant les deux années qui les suivront, ne pourront recevoir aucun emploi ni du pouvoir exécutif immédiatement, ni de ses agents.

M. Delacroix. Je crois que M. Lecointe a fait une fausse application de la Constitution; car il n'est pas question pour nos trois collègues de recevoir un nouvel emploi d'un agent du pouvoir exécutif, mais de les remettre aux postes

qu'ils occupaient avant d'être membres du Corps législatif.

Un membre: Leur poste est ici!

M. Delacroix. L'Assemblée ne peut pas passer à l'ordre du jour sur la demande qui lui est faite, car la loi du 17 juin permet aux militaires, membres de la législature, de conserver leur poste et d'y servir sous l'agrément de l'Assemblée. Si vous n'aviez à prononcer que sur la requête de M. de Rochambeau, vous pourriez passer à l'ordre du jour : mais M. Dumas a demandé un congé il est en droit de le demander, et il faut que l'Assemblée délibère si elle le lui accordera ou non. En conséquence, je demande le renvoi au comité militaire, quoique mon opinion soit que l'Assemblée doit refuser à mes trois collègues la permission d'aller servir dans les armées, parce qu'ici ils servent l'Etat.

Plusieurs membres : La discussion fermée ! (L'Assemblée ferme la discussion.) Plusieurs membres font diverses propositions. Voix diverses: L'ordre du jour! Le renvoi au comité militaire!

(L'Assemblée renvoie la lettre du maréchal de Rochambeau au comité militaire et le charge de lui en faire le rapport demain.)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de décret du comité militaire sur la demande du roi d'une augmentation de 8 lieutenants généraux et de 12 maréchaux de camp.

M. Delacroix, rapporteur. Messieurs, vous avez ajourné (1) la discussion du projet de décret du comité militaire sur la demande du roi d'une augmentation de 8 lieutenants généraux et de 12 maréchaux de camp. Ce projet de décret a été imprimé et distribué; je vais vous en faire lecture:

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire sur une augmentation de 8 lieutenants généraux et de 12 maréchaux de camp; considérant que les circonstances actuelles exigent que les officiers généraux en activité puissent être remplacés sans retard, lorsque, par cause d'absence légitime ou de maladíe, ils ne peuvent remplir leurs fonctions, et toutes les fois que le bien du service militaire et la sûreté des frontières l'exigent; que jamais ces emplois importants ne doivent rester vacants, décrète qu'il y a urgence. »

Décret définitif.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire et déclaré l'urgence, délibérant sur la proposition du roi, contenue en la lettre du 17 de ce mois, contresignée par le ministre de la guerre, d'augmenter les officiers généraux employés de 8 lieutenants généraux et de 12 maréchaux de camp, décrète ce qui suit :

Art. 1er. Le nombre des officiers généraux actuellement employés, sera augmenté de 8 lieutenants généraux et de 12 maréchaux de camp. « Art. 2. De ces 20 officiers généraux, 4 lieutenants généraux et 6 maréchaux de camp se

(1) Voy. ci-dessus, séance du 19 janvier 1792, au soir, page 521, le rapport de M. Delacroix.

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ront à la nomination du roi qui pourra les choisir, soit parmi les officiers généraux non employés, même parmi ceux nommés depuis le décret des 20, 21 et 23 septembre 1790, soit enfin parmi les officiers de garde nationale et de troupes de ligne actuellement en activité, ayant d'ailleurs les qualités requises pour parvenir à ce grade. L'autre moitié sera destinée à l'ancienneté, conformément au décret du 23 septembre dernier, jusqu'à ce que les officiers généraux soient réduits au nombre fixé par le décret du 23 septembre.

« Il ne sera nommé aux places de lieutenants généraux et maréchaux de camp qui viendront vaquer qu'en vertu d'un nouveau décret sanctionné par le roi.

« Si, à l'époque où la sûreté de l'Empire permettra de remettre l'armée sur le pied de paix, le nombre des officiers généraux excède celui fixé par le décret du 23 septembre 1790, il y sera réduit, et les officiers généraux qui seront réformés, conserveront leur activité de service, et jouiront de la moitié de leur traitement jusqu'à leur remplacement. »

M. Saladin. Messieurs, votre comité militaire vous propose de décréter la demande qui vous a été faite par le roi d'une augmentation considé rable d'officiers généraux. Sans doute, votre comité militaire est parfaitement convaincu, sinon de la nécessité absolue, au moins de l'évidente utilité de cette augmentation qui a le double inconvénient de grever le Trésor national et de mettre dans les mains du pouvoir exécutif de nouveaux moyens de corruption; mais il ne suffisait pas que les membres de votre comité militaire fussent personnellement convaincus, il fallait que, par le développement des motifs propres à justifier cette augmentation, il prit soin de vous associer à cette conviction et de vous la faire partager; car quelles que soient les illusions dont le gouvernement cherche à nous environner, nous devons être sans cesse en garde contre tous les projets qui tendraient à rétablir, au milieu des nouvelles institutions, les monstrueux abus d'un régime qui nous a tant coûté à détruire.

Dépositaires des intérêts de la nation, nous serions coupables, sans doute, de sacrifier à une économie mal entendue le succès des établissements formés par la Constitution et pour elle : mais nous serions bien plus coupables d'adopter, avec une trop confiante légèreté, des projets sinon perfides, au moins contraires à la précieuse simplicité de nos institutions actuelles.

La seule mesure de notre conduite, le moyen le plus certain de justifier la confiance de nos commettants, c'est de ne jamais nous écarter des principes, aucun équivalent ne peut réparer la perte d'un principe, encore moins excuser la violation.

Ici, Messieurs, j'en invoque un qui a servi de base à la réorganisation des pouvoirs; il ne doit plus exister de places sans fonctions, je ne dis pas seulement utiles, mais indispensables. C'est pour assurer le maintien, la conservation de ce principe que la Constitution délègue au Corps législatif le droit de statuer annuellement sur le nombre d'individus de chaque grade qui doivent composer l'armée. Elle n'a pas voulu que le pouvoir exécutif, toujours jaloux d'étendre ses prérogatives et d'augmenter son influence, put à son gré multiplier les ressorts du despotisme.

Tel était en effet et tel fut toujours le grand

art des ministres; et si la France a gémi longtemps des abus qui, grossissant sans aucune mesure les grades supérieurs, avaient détruit le véritable esprit militaire, on sait quelle est la cause de ces abus, la manie de se faire des créatures: ainsi chacun des ministres qui se succédaient avec une effrayante rapidité, semblait moins occupé d'organiser utilement l'armée que de satisfaire, par de nombreuses promotions, les prétentions de ce qu'on appelait alors les hommes de cour. C'est ainsi que nous avons vu dédoubler les régiments, quadrupler le nombre des colonels, doubler les étais-majors; c'est, en un mot, ainsi qu'au moment de notre régénération, nous comptions, à la suite de l'armée active, une seconde armée d'officiers sans fonctions qui avaient tout obstrué, tout dénaturé, et dont il eut été difficile peut-être de combiner les injustes prétentions avec l'intérêt de la nation, avec l'intérêt légitime de ceux qui attendaient leur avancement de leur activité, enfin avec la saine organisation de l'armée. Heureusement leur haine pour la Constitution française a aplani tous les obstacles; en volant sous les drapeaux de Coblentz, ils ont rompu tous les liens qui semblaient les attacher aux nôtres; et des guerriers utiles occuperont désormais les places que la patrie gémissait de voir destinées à l'insolente oisiveté.

Quelques abus qu'ait détruits la nouvelle organisation de l'armée, elle n'est cependant point encore ce qu'elle eût dù être; et, de l'aveu des militaires pour qui le bien public est tout, il s'en faut bien qu'elle ait atteint le degré de perfection auquel devaient la porter les premiers projets du comité militaire de l'Assemblée constituante.

Il voulait, au commencement de 1790, remettre les troupes françaises sur le pied sur lequel étaient, avant le ministère de M. de Choiseul, ces vieux corps qui composaient l'armée française:

Un lieutenant général par division;

Un maréchal de camp pour 8 bataillons de 1,000 hommes chacun;

Un colonel pour 4 bataillons;

Un lieutenant-colonel par bataillon;

Enfin un capitaine, un lieutenant, un sous lieutenant par compagnie de 100 à 120 hommes, et beaucoup de sous-officiers.

Je ne sais si je me trompe, Messieurs; mais cette erreur, je la partage avec des militaires instruits: ce plan était aussi conforme à la tactique de nos voisins qu'à la saine raison.

Car, je le demande à tous les hommes qu'a mûris l'expérience de l'art militaire, s'ils ne reconnaissent pas, comme une vérité éternelle, que les généraux ne comptent que par le nombre de leurs bataillons, et que ce sont les gros bataillons qui font la force d'une armée.

Telle eût dû être et telle eût été vraiment la composition de notre armée; mais le bien général rencontre toujours des obstacles; l'intérêt particulier en arrête la marche et les progrès; et cette organisation, désirée par tous les bons militaires, a fait place à celle qui contrariait moins les vues des nombreux officiers de tous grades qui composaient, en grande partie, l'Assemblée constituante; à celle enfin que sollicitait un secret intérêt de la cour, et qui coûte à l'Etat plusieurs millions de trop.

En nous attachant à l'organisation actuelle, le nombre des officiers généraux ne devait pas excéder 94. Encore dans ce nombre devaient être

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