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miers articles ont été décrétés (1). Nous en sommes restés à l'article 4. Le voici :

« La faculté de faire parvenir des grains d'un port du royaume dans l'intérieur du département des Bouches-du-Rhône, par Marseille, est révoquée. Les grains qui auront cette destination ne pourront rentrer par mer, dans le royaume, que par Toulon, la Ciotat, ou tout autre port que celui de Marseille. »

M. Archier. Je demande à faire lecture d'une adresse du département des Bouches-du-Rhône. Un membre: Il ne s'agit point ici d'exprimer le vœu d'un département; nous sommes tous députés des Bouches-du-Rhône.

M. Tarbé. Je ne sais pourquoi, lorsqu'il y a trois ports francs dans le royaume, on ne vous indique des précautions que pour un seul. Dans l'état actuel des choses, l'exportation peut se faire impunément par tous trois; nous devons donc les assujettir tous trois à des formalités telles, que nous soyons entièrement rassurés sur les inconvénients de la fraude.

La diversité des règlements rendus en cette matière rappelle le système bizarre et monstrueux de notre ancienne législation et démontre la nécessité de statuer d'une manière uniforme sur le régime nouveau qu'il convient d'adopter pour les ports francs, relativement à la circulation des grains.

Seront-ils traités à l'instar de l'étranger effectif, ou seront-ils assujettis aux mêmes formalités que les autres ports du royaume pour ce qui concerne les grains? C'est à ces deux points très simples que doit se réduire la question.

Il paraît difficile d'abord, pour ne pas dire impossible, de décréter que les ports francs seront considérés comme absolument étrangers et exclus de la circulation des grains. En effet, ne seraitil pas contraire aux principes de justice, d'humanité, de fraternité, de refuser aux habitants de Marseille, Bayonne et Dunkerque, des subsistances dont ils auraient le plus extrême besoin, lorsque nous en serions abondamment pourvus? La seconde même me paraît la seule qu'on puisse adopter.

Je sais qu'on me fera plusieurs objections: on dira, par exemple, que par la raison même que les ports sont francs, la surveillance des embarquements et des chargements de grains y sera très difficile, pour ne pas dire impossible. Je réponds que ces ports ont des douanes comme les autres ports du royaume; que les employés de ces douanes y surveillent diverses autres expéditions; que les municipalités et le peuple même surveilleront suffisamment dès que la loi leur en donnera le droit.

On dira peut-être encore que cette mesure éloignera des ports francs les consignations de grains étrangers que la franchise y aurait attirés. La réponse à cette objection est dans la loi du 11 novembre 1790, qui porte que toute espèce de grains venant de l'étranger, dans un des ports francs, quel qu'il soit, seront déclarés par entrepôt et pourront être réexportés pour l'étranger, à la charge, etc.

Ainsi, s'il ne peut exister des motifs raisonnables pour refuser aux villes des ports francs les secours en grains dont elles ont un besoin absolu, il ne peut y avoir de considération assez puissante pour les laisser jouir d'une liberté qui

(1) Voy. ci-dessus, séance du 10 janvier 1792, p. 215.

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«Nous vous adressons une copie par nous certifiée 1o du procès-verbal dressé par le maréchal des logis de la gendarmerie nationale de Strasbourg, lequel, chargé de conduire à Orléans les sieurs Loyauté, Silly et Meyet, prétend avoir perdu en route les pièces relatives à cette affaire confiée à sa garde; 2° de la lettre du procureur général syndic du département du Bas-Rhin, en date du 28 décembre, et à nous remise seulement le 22 de ce mois; 3° de la délibération prise, le 23 du courant, par le directoire du département du Loiret, relativement au choix d'un local provisoire pour le logement des prisonniers qui doivent arriver de Perpignan.

« Nous attendons avec la plus vive impatience l'envoi des pièces que, déjà plusieurs fois, nous avons eu l'honneur de vous demander, et sans lesquelles il est impossible de commencer l'instruction.

« Nous sommes avec respect, etc.

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le guichetier des prisons de Strasbourg, dans lesquelles le sieur Loyauté était détenu, a renoncé à 7,484 livres qui lui avaient été promises pour son évasion, et que l'année dernière ce même particulier avait rejeté l'offre de 2,400 livres qui lui avait été faite par le sieur Dufresnay, que l'Assemblée nationale avait renvoyé au tribunal provisoire à Orléans. J'ai mis ce trait de fidélité sous les yeux du ministre de l'intérieur, et j'espère, Messieurs, que vous voudrez bien concourir, par les moyens qui dépendent de vous, a obtenir, pour un homme qui est dans le besoin, et qui, dans une émeute de prisonniers, a reçu une blessure dont il souffre encore beaucoup, la récompense de son honorable désintéressement.

« Je vous prie, Messieurs, de m'annoncer l'arrivée des trois prisonniers à Orléans et de m'accuser la réception des pièces que j'ai l'honneur de vous adresser. Le juge de paix du troisième arrondissement de cette ville vient de me faire avertir qu'il a reçu, à l'instant, une déclaration qui constate que l'accnsé Meyet faisait faire des uniformes pour l'armée des princes. Il m'en fera parvenir une copie que je m'empresserai de vous envoyer.

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M. le secrétaire donne ensuite lecture de la délibération du directoire du département du Loiret et du procès-verbal dressé par le maréchal-des-logis de gendarmerie.

Il ressort de ce dernier procès-verbal qu'un mouvement populaire survenu à Nancy, lors de son passage, a obligé ce maréchal-des-logis à requérir un renfort, ce qui paraît avoir fourni une occasion saisie avec empressement d'enlever les papiers remis par le directoire du département du Bas-Rhin.

Un membre: J'observe que l'Assemblée a renvoyé au comité de surveillance l'examen de la conduite du maréchal-des-logis qui conduisait les prisonniers du Bas-Rhin. Je demande qu'il soit fait mention honorable au procès-verbal du désintéressement du guichetier des prisons de Strasbourg et que la lettre du procureur général syndic du département du Bas-Rhin soit renvoyée au comité des secours publics pour la récompense à accorder à un homme qui s'est si bien conduit. Je demande, en outre, que ces deux comités fassent leur rapport dans huitaine, afin que le public sache que l'Assemblée nationale est aussi attentive aux actions généreuses qu'aux trahisons.

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable au procès-verbal du désintéressement du guichetier des prisons de Strasbourg et renvoie la lettre du procureur général syndic du département du Bas-Rhin au comité des secours publics.)

M. Goujon. Je demande que vous établissiez un centre de correspondance unique dans votre sein pour mettre plus d'ensemble et de suite dans les opérations de l'Assemblée nationale corrélatives avec celles de la haute cour nationale. Je propose que vous nommiez trois commissaires qui soient spécialement chargés de correspondre, sous les ordres de l'Assemblée, avec les grands procurateurs, et à qui seront 1re SÉRIE. T. XXXVII.

attribués tant les lettres et pièces relatives à tout ce qui pourra intéresser la poursuite des crimes que les renvois ci-devant faits aux différents comités, lesquels remettront respectivement les pièces qu'ils pourront avoir à ces commissaires.

Un membre: J'appuie la motion de M. Goujon; mais je demande, par amendement, que ce soit le comité des décrets qui tienne la correspondance.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Goujon avec l'amendement.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une adresse de la Société des amis de la Constitution, séante à Besançon, qui est ainsi conçue:

« Monsieur le Président,

« Dans la séance publique de la Société des amis de la Constitution, tenue le 21 de ce mois, nous avons lu très attentivement le rapport dé M. Gensonné sur la guerre, la motion très énergique de M. Guadet et les décrets rendus à la suite. Cette lecture a été suivie d'un saisissement universel; mais bientôt les membres, les tribunes, tous les assistants se sont levés à la fois pour prononcer le serment de maintenir la Constitution. Tous ont répété ce cri: « La Constitution ou la mort. » On a voté une adresse de félicitations et de remerciements à l'Assemblée nationale et exprimé le vœu que la liberté triomphe et que son trône s'élève sur la tête des despotes. Mais quel autre moyen aurions-nous de remercier les législateurs que de leur montrer l'effet de leurs lois, par le dévouement que mettent tous les citoyens à assurer leur exécution. » (Applaudissements.)

(Suivent les signatures.)

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable de cette adresse dans le procès-verbal.) Un de MM. les secrétaires donne lecture de la note suivante :

« Il a été offert à l'Assemblée, le 3 janvier, une somme de 600 livres pour être versée dans la caisse des Invalides. Le trésorier pria le secrétaire-commis, chargé de faire ce versement dans la caisse, de garder cette somme jusqu'à ce qu'il eût eu un ordre du ministre de la guerre. Cet ordre n'a point encore été donné, et ce secrétaire-commis demande à être autorisé à déposer ces 600 livres aux archives. »>

(L'Assemblée décrète, sur cette demande, que cette somme sera versée à la caisse de l'extraordinaire.)

M. le Président. Un citoyen, M. Soëls, fait hommage à l'Assemblée d'un mémoire sur les moyens de rendre la cavalerie invincible.

M. Saint-Sernin, instituteur des sourds-muets de Bordeaux, fait hommage à l'Assemblée nationale d'un exemplaire du programme du second exercice public que soutiendront les sourds et muets de naissance dans l'école de Bordeaux. Il annonce qu'il s'occupe de leur faire aimer et goûter les principes de la Constitution française.

(L'Assemblée ordonne le renvoi du mémoire de M. Soëls au comité militaire et décrète qu'il sera fait mention honorable de l'hommage de M. Saint-Sernin.)

M. Coppens donne communication à l'Assemblée d'une lettre des administrateurs du directoire du département du Nord. Ils annoncent qu'ils ont

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fait parvenir à M Amelot les états estimatifs des biens nationaux situés dans les arrondissements des districts d'Avesnes, de Bergues, du Quesnoy, de Douai et d'une partie de celui de Lille. Ils ont écrit aux autres districts une lettre très pressante pour obtenir leurs états, et il les ont prévenus que s'ils ne s'empressaient pas de les leur adresser, ils nommeraient des commissaires pour faire cette opération.

Ils observent que la principale cause du retard provient de la grande quantité de biens nationaux qui se trouvent dans le département du Nord et qui comprennent la presque totalité de plusieurs territoires de districts.

M. Duhem. Je demande à lire un procès-verbal de la municipalité de Lille, par lequel il est prouvé que le gouvernement autrichien s'établit luimême en guerre ouverte avec nous. Le voici : "Ce jourd'hui 21 janvier 1792, sont comparus en la municipalité de cette ville (de Lille) les citoyens ci-dessous dénommés pour y faire la déclaration suivante :

«Le sieur Pierre Blanchot, serrurier, Marché aux vieux moutons; le sieur Augustin Dronier, marchand orfèvre en cette ville; le sieur JeanJoseph Lafaye, commis; Louis Joseph Gineux fils et Charles Girard, maître tailleur, tous habitants de cette ville; lesquels ont déclaré que s'étant rendus cejourd'hui à Tournay pour leurs affaires, tous munis de passeports en bonne et due forme, délivrés par le secrétaire-greffier de cette municipalité, ils ont été arrêtés à la porte de Tournay et conduits au corps de garde. Là, ayant vérifié leurs passeports, le commandant a ordonné qu'on les reconduisit hors la ville. Sur quoi, les ci-dessus dénommés s'étant réclamés de plusieurs personnes établies à Tournay pour leur servir de caution, afin qu'ils y puissent terminer leurs affaires, le commandant leur imposa silence disant qu'il avait des ordres qu'il suivait à la lettre. D'après quoi, il les fit conduire de garde en garde jusqu'au territoire français, sans leur permettre de se reposer en aucun endroit.

« Fait en la maison commune, le 21 janvier 1792, et ont signé.

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Il y a, Messieurs, une foule d'exemples semblables. Un négociant de ma connaissance a été arrêté à Ath, et renvoyé des Etats de l'empereur, parce qu'il était Français et patriote. Ce sont les émigrés qui reconnaissent et font arrêter ainsi tous les Français qui entrent dans les Pays-Bas. En conséquence, je fais la motion expresse que le ministre des affaires étrangères soit tenu de rendre compte, dans trois jours et par écrit, des détails que le directoire du département du Nord doit lui avoir adressés sur cette affaire, car je sais que le procès-verbal lui a été envoyé. Je demande en même temps que vous mettiez à l'ordre du jour de cette séance le projet de décret qui doit compléter la loi prohibitive sur la sortie du numéraire, ainsi que le projet de décret sur les passeports. (Applaudissements.)

M. Basire. Je demande la parole pour appuyer la motion de M. Duhem en ce qui concerne l'exportation du numéraire, et je crois devoir observer à l'Assemblée que, du 16 au 24 janvier, il est sorti 6,850,000 livres de la capitale. A Va

lenciennes, notamment, il a été arrêté tout récemment des sommes énormes et sur lesquelles il vous sera fait un rapport. La sortie du numéraire de Paris est constatée par les registres des messageries qui ont été communiqués au comité de surveillance. C'est notre monnaie de France que l'on convertit en piastres d'Espagne pour éluder ainsi le décret qui défend l'exportation des monnaies au coin de France. Nous avons, au comité, des preuves de tous ces faits. J'appuie donc la proposition de M. Duhem, et demande que le rapport sur l'exportation du numéraire soit fait incessamment.

Plusieurs membres: A quinzaine !

(L'Assemblée ajourne à quinzaine le rapport du comité de législation sur l'exportation du numéraire.)

M. Duhem. J'insiste principalement sur la première de mes trois propositions que je réduis à ces termes:

« Le ministre des affaires étrangères sera tenu de rendre compte, sous 3 jours et par écrit, des faits contenus au procès-verbal de la municipalité de Lille, en date du 21 de ce mois. »

(L'Assemblée décrète la motion de M. Duhem et décide, en outre, que le rapport du comité de législation sur les passeports sera fait au cours de la séance.)

M. Fressenel. Vous avez, depuis longtemps, chargé votre comité de législation de vous présenter un projet de loi sur la manière de constater civilement les naissances, les mariages et les sépultures. Je ne vois pas que ce rapport ait encore été inscrit sur le tableau de l'ordre du jour. Cependant les abus qui, dès l'instant de votre formation, vous ont frappés, existent encore, et ils se multiplient journellement. Je sais même que plusieurs corps administratifs se sont crus autorisés, par votre retard, à prendre des mesures particulières pour y remédier; mais je trouve, dans le zèle même de ces corps administratifs, l'origine d'un nouvel abus; car il résulterait de grands inconvénients de cette législation provisoire des directoires de département et de cette espèce d'initiative que les administrations inférieures exerceraient sur les résolutions du Corps législatif, ne fût-ce que le défaut d'uniformité dans une partie essentielle du régime public. Je demande donc que le rapport du comité de législation soit ajourné à un terme très prochain.

M. Bigot de Préameneu. Les membres du comité de législation qui ont été chargés par lui de la première formation de ce travail s'en sont constamment occupés depuis deux mois, et il sera bientôt complet: mais il faut encore qu'il soit soumis à l'examen du comité général pour obtenir le degré de perfection qu'il doit avoir avant d'être présenté à votre délibération. Ce travail renfermera plus de 100 articles, et je crois que le délai de 15 jours est celui qui peut être strictement nécessaire pour le porter à sa maturité.

(L'Assemblée ordonne l'ajournement à quinzaine du rapport de son comité de législation sur le mode de constater à l'avenir les naissances, mariages et décès.)

M. Soret, au nom du comité de législation, fait un rapport et présente un projet de décret relativement aux récompenses à accorder aux époux Barthélemy, dénonciateurs d'une fabrication de

faux billets de la banque d'escompte; il s'exprime ainsi :

Messieurs, je suis chargé de vous faire un rapport sur la récompense nationale à décerner aux dénonciateurs des fabricateurs de faux billets d'escompte. Au mois de juillet 1791, M. et Mme Barthélemy ont présenté une pétition à l'Assemblée nationale, dans laquelle, après avoir rappelé toutes les démarches qu'ils ont faites pour découvrir la demeure d'un M. Chaula, alors occupé d'une fabrication de faux billets, ils ont réclamé en leur faveur les récompenses déjà données à des dénonciations de ce genre. A cette époque, M. Chaula était sous le lien d'un décret; il était prévenu, mais non encore convaincu. Le comité des pensions crut devoir différer de soumettre la demande du dénonciateur à l'Assemblée, jusqu'à la conclusion du procès. Le 21 juillet, le tribunal rendit un jugement par lequel M. Chaula fut déclaré duement atteint et convaincu d'avoir, en janvier et février 1790, fabriqué et contrefait des billets verts de la caisse d'escompte, et vous savez qu'alors ces billets étaient des effets publics, reçus dans toutes les caisses. Il fut donc condamné au dernier supplice. Il interjetta appel au tribunal du VIe arrondissement du département de Paris, qui, le mois d'octobre dernier, le condamna aux galères à perpétuité, et prononça, à l'égard de sa femme et de ses complices, un plus amplement informé de 6 mois. Ainsi voici un point de fait établi: la dénonciation était exacte. Il reste à examiner un autre point de fait et une question de droit, savoir: M. et Mme Barthélemy sont-ils les dénonciateurs; 2° quelle récompense peut leur être accordée ?

Le point de fait est prouvé par une série de procès-verbaux, dressés pendant les mois de janvier et février 1790, par M. Chenu, commissaire au ci-devant Châtelet, et par un certificat signé de tous les administrateurs de la caisse d'escompte. Quant à la question de droit, il faut remarquer que, quoique l'Assemblée constituante eût chargé son comité des pensions de lui présenter un projet de décret sur les récompenses à donner aux dénonciateurs de fabrication de faux billets, le comité ne fit jamais son rapport. Sans doute, il ne crut pas devoir présenter des mesures générales, par la raison que les récompenses doivent toujours être proportionnées à l'importance du service, et aux circonstances dans lesquelles se trouve le dénonciateur. Seulement l'Assemblée constituante a accordé des gratifications de 25,000 livres, 6,000 livres et 3,000 livres, à des dénonciateurs qui se présentèrent au mois de décembre 1790. M. et Mme Barthélemy prétendent avoir les mêmes titres; comme eux, ils sont entrés dans un complot pour en acquérir les preuves, ils ont couru les mêmes périls, et ils se sont donné les mêmes soins. Cependant, ils se trouvent dans des circonstances moins favorables; les procès-verbaux mêmes qu'ils présentent servent à atténuer le mérite de leur dénonciation. En effet, elle a été tardive; c'est par l'industrie criminelle de Me Barthélemy, c'est par son intermédiaire, que M. Chaula a échangé un assez grand nombre de ses faux billets; elle a reçu le prix de sa complaisance, et a toujours négligé de déposer entre les mains de la justice le bénéfice illicite de ce négoce. Toutefois, vous devez encourager des dénonciations aussi utiles, et votre comité de liquidation me charge, en conséquence, de vous proposer un projet de dé

cret.

Projet de décret (1).

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de liquidation, prenant en considération l'importance du service que les sieur et dame Barthélemy ont rendu à la chose publique, en dénonçant, au mois de février 1790, un fabricant de faux billets de la caisse d'escompte, dont les billets, à cette époque, étaient réputés effets publics et devaient être reçus en payement dans toutes les caisses publiques et particulières; les dangers auxquels ils se sont exposés, en paraissant entrer dans les vues du fabricateur, pour pouvoir le livrer plus sûrement à la vengeance des lois; et voulant encourager les bons citoyens, par l'espoir des récompenses nationales, à dénoncer les crimes de cette nature qui pourraient parvenir à leur connaissance;

« Décrète que, sur la somme des 2 millions, dont il doit être fait fonds annuellement au Trésor public, en vertu de la loi du 22 août 1790, pour être employée en gratifications en faveur des citoyens qui auront bien mérité de la patrie, il sera payé au sieur Denis Barthélemy et à Louisé Bouckenheim, son épouse, une somme de 3,000 livres par forme de gratification.

(L'Assemblée ordonne l'impression du projet de décret et en ajourne la seconde lecture à huitaine.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture de la note des décrets sanctionnés par le roi (2) depuis le 2 décembre 1791 ou dont Sa Majesté a ordonné l'exécution.

M. le Président. M. Cornet jeune, député de Saône-et-Loire, demande un congé de 15 jours. (L'Assemblée accorde le congé demandé.)

M. Codet, au nom du comité de législation, fait un rapport et présente un projet de décret sur le mode d'exécution de la loi relative aux passeports, décrétée le 24 janvier 1792 (3); il s'exprime ainsi :

Vous avez chargé votre comité de vous présenter un mode d'exécution pour le décret par lequel vous avez remis en vigueur la loi des passeports. La gravité des circonstances qui sollicitait des mesures extraordinaires, le danger sans cesse renaissant auquel étaient exposées les personnes et les propriétés, par la grande quantité de gens sans aveu qui paraissent être jetés dans les départements à dessein pour exciter des troubles, le vœu bien prononcé de la majeure partie des départements ont enfin déterminé l'Assemblée nationale à rétablir temporairement les passeports.

Il serait facile de prouver à vos détracteurs habituels que le décret que vous avez rendu sur les passeports, le 24 de ce mois, était nécessaire, qu'il était juste, qu'il ne restreignait les droits naturels de quelques individus que pour donner plus de latitude aux droits naturels de tous, qu'enfin il ne portait atteinte à aucun des principes constitutionnels. Mais cette démonstration ne saurait entrer dans le fond de la question; votre comité ne doit point oublier que sa mission

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Depenses publiques, L.

(2) Voir ci-après cette note aux annexes de la séance, page 706.

(3) Voir ci-dessus, séance du 24 janvier 1792, au matin, page 608.

se borne à vous présenter un mode d'exécution, et c'est seulement dans ce cercle qu'il doit se renfermer.

La tâche que vous lui avez prescrite présentait de grandes difficultés; il croit en avoir aplani quelques-unes, mais il n'ose se flatter de les avoir vaincues en entier; il se repose sur votre sagesse pour faire le reste. Placé entre le respect de la liberté individuelle et les soins qu'exige la sûreté publique, il a craint de blesser l'une en accordant trop à l'autre. Il a fallu calculer jusqu'à quel point vous pouvez user de la faculté que la Constitution vous donnait de restreindre, pour le salut de la patrie, les droits naturels des individus. Notre base principale a donc été, en faisant pencher nécessairement la balance du côté du salut public, de ménager autant qu'il était en nous les droits individuels garantis par la Constitution. Après avoir adopté cette conception générale, qui est comme l'idée dominante de notre projet de décret, nous avons passé successivement aux bases particulières sur lesquelles devaient reposer les détails de l'exécution. D'abord tout privilège, toute immunité étant proscrits par la Constitution, personne, pas même le monarque, n'étant au-dessus de la loi, il a fallu assujettir tous les voyageurs indistinctement à la formalité des passeports.

Nous avons remarqué qu'il existait autrefois, dans l'origine des passeports, un grand nombre d'abus; pour les éviter, il a fallu nous écarter souvent des anciennes formes pour accommoder cette mesure aux circonstances, pour effrayer les malintentionnés sans gêner les citoyens honnêtes. Votre comité a trouvé à cet égard degrandes ressources dans les décrets de l'Assemblée nationale constituante, principalement dans la loi sur la police municipale, en date du 19 juillet 1791.

Le premier article ordonne le recensement dans chaque commune de tous les habitants domiciliés ou non domiciliés. Les deux suivants sont ainsi conçus:

Art. 2. Le registre de ce recensement contiendra une mention de la déclaration que chacun aura faite de ses noms, âge, lieu de naissance, dernier domicile, profession, métier et moyens de subsistance. Le citoyen qui n'aura pas de moyens de subsistance indiquera pour caution un citoyen domicilié dans le canton.

Art. 3. Ceux qui, étant en état de travailler, n'auront ni moyens dé subsistance, ni répondant, seront notés comme gens sans aveu; ceux qui n'indiqueraient pas de dernier domicile seront notés comme gens suspects, ceux qui seront convaincus d'avoir fait de fausses déclarations seront notés comme gens malintentionnés. »

Votre comité, entrant dans l'esprit de ces décrets, vous propose d'exiger, comme condition indispensable, qu'il soit inscrit sur chaque passeport un extrait de la déclaration du citoyen auquel il sera délivré. Si le voyageur est honnête, son passeport sera ainsi pour lui un certificat avantageux, et il en serà très flatté; s'il n'est pas honnête, il est nécessaire que son passeport le fasse surveiller dans tout le royaume, de même que la loi sur la police municipale le faisait surveiller dans toute l'étendue de son canton. Sous ce rapport, la loi des passeports sera un complément de toutes celles qui ont déjà été portées pour la sûreté du royaume.

Votre comité a cru devoir distinguer trois espèces de voyageurs ceux qui, résidant dans l'intérieur du royaume, y voyagent pour leur plaisir, sans désirer d'en sortir; ceux qui

voyagent avec dessein d'en sortir et ceux qui y entrent pour y faire un séjour momentané. Il a cru devoir modifier les différentes formes de passeports et les adapter, chacun suivant son genre, à cette triple espèce de voyageurs.

Dans le moment de crise où nous sommes, il a cru devoir provoquer une attention particulière des corps administratifs sur les étrangers. Il en est parmi eux, nous le savons, dont le cœur est tout français, qui envient même la gloire de combattre sous nos drapeaux, pour la liberté nationale; mais qui sait s'il n'en est pas aussi de suspects, de traîtres et tout disposés à trahir les droits sacrés de l'hospitalité! On sait que, du temps de la Ligue, les étrangers aiguisèrent plus d'un poignard contre le sein de Henri, et suscitèrent plus d'un orage à la France. Les puissances liguées contre la Constitution française ne mettent point à l'écart ce moyen; il faut donc, Messieurs, sans trop molester les étrangers, les surveiller avec la plus scrupuleuse attention; leurs qualités se trouvant exprimées dans les passeports, on sera plus à même de suivre leurs démarches et de déjouer leurs complots.

Nous vous présenterons, Messieurs, dans notre projet de décret, plusieurs autres formalités ; par exemple, celle d'obliger les voyageurs à faire viser leurs passeports dans chaque district (Applaudissements; quelques murmures); celle d'obliger les voyageurs qui sortiront du royaume à faire viser encore leurs passeports par le directoire du département de la frontière. Pour l'exécution de cette mesure, nous proposons que tout gendarme, que tout garde nationale étant de service, puisse exiger d'un voyageur l'exhibition de son passeport, et que tout officier de gendarmerie puisse délivrer un mandat d'arrêt contre ceux qui n'auront pas de passeport ou dont le passeport ne serait pas en règle. (Murmures.) Mais, pour prévenir les abus, nous ajoutons que cette arrestation ne pourra pas être prolongée au delà d'un mois et que, pendant ce temps, on prendra tous les renseignements possibles sur le compte du voyageur; qu'à son élargissement, il lui sera délivré un passeport contenant l'énoncé de toutes les circonstances de son arrestation, et des renseignements qui auront été pris.

Mais la partie la plus difficile de notre travail nous restait encore; je veux dire la sanction pénale de la loi.

Le citoyen suspect, sans aveu ou malintentionné peut bien être arrêté pour quelque temps; mais quand, à ces différentes notes, qui provoquent à son égard la surveillance de l'administration, il ne se trouve pas joint quelque acte extérieur qui caractérise un délit, nul doute qu'il doit être remis en liberté; nous n'avons donc rien trouvé, dans le Code pénal, qui nous autorisât à prononcer une peine contre ces aventuriers qui possèdent l'art perfide de commettre des crimes sans en laisser aucune trace. Il est cependant intéressant, si nous n'avons pas de moyens pour punir les crimes secrets, d'essayer de les prévenir. Nous avons pensé qu'il fallait les attaquer dans leur source, et déclarer en principe que tout homme qui s'obstinait, après plusieurs interpellations, à ne pas donner à la société une assurance sur sa personne, sur ses intentions, était coupable d'un délit grave. On ne contestera pas sans doute à l'Etat, surtout au milieu des agitations et des orages où nous vivons, le droit d'exiger cette assurance de tous

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