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liberté. Malgré les témoignages d'estime que vous leur avez accordés, ils ont été persécutés et obligés, à force de vexations, de quitter un corps illustré par leurs exploits. Ceux qui veulent détruire la Constitution, dissoudre le Corps législatif, redoutent les bras qui ont conquis la Bastille. Vengez ces soldats d'un génie malfaisant qui, n'ayant pu les séduire, veut les réduire à l'indigence. Il est de votre devoir et de votre justice de protéger ceux sans lesquels vous n'auriez point de liberté, point de Constitution. Si vous êtes ici, si la capitale n'est pas un amas de ruines, souvenez-vous que c'est aux gardes françaises que la nation en est redevable. Ceux qui ont sauvé toutes les propriétés et la vie des citoyens, sont maintenant dénués de tout. Jusqu'à ce que vous les ayez rétablis d'une manière éclatante, nous vous prions de leur continuer leur paye. Ce serait une tache éternelle à la nation qu'elle refusât le premier des aliments à ceux qui ont tout fait pour elle. (Applaudissements.) Nous supplions l'Assemblée de permettre qu'un des soldats opprimés, au nom de ses camarades, exprime à l'Assemblée leurs sentiments. (Oui! oui !)

Un ci-devant garde française, obtient la parole et lit la pétition suivante :

« Législateurs et représentants d'un peuple souverain, nous venons réclamer votre justice, en demandant que nous soyons jugés si nous sommes criminels; mais, comme innocents, nous venons au milieu de vous vous demander à porter les armes contre les ennemis de la patrie. Nous avons commencé l'ouvrage de la liberté, et nous espérons le finir. Tels sont nos sentiments; ils sont gravés en caractères de feu dans nos cœurs. Nous récidivons au milieu de vous le serment de défendre la nation, la loi et le roi (Applaudissements.), et de mourir plutôt pour la liberté française que de souffrir qu'on lui porte atteinte. Tous les ennemis de la patrie tremblent en nous voyant; nous sommes les mêmes hommes qu'au 14 juillet 1789; mais plus expérimentés qu'alors sur la cause de la Révolution, nous connaissons aujourd'hui encore mieux nos tyrans. Oubliant tout ce que nous avons fait pour la patrie, et la parole qui nous a été donnée par la commune de Paris, de nous conserver, on nous délivre nos congés sans que nous les demandions et on nous oblige à renoncer, malgré nous, au plaisir de servir la nation et de la défendre contre ses ennemis.

« Nous demandons que tous les chefs des corps formés par la garde nationale soldée, qui ont renvoyé des hommes de leurs régiments soient mandés pour rendre compte de leur conduite à l'Assemblée nationale, avec les capitaines qui, par leurs rapports, ont déterminé ces congés, afin que l'Assemblée condamne nos oppresseurs et nous justifie.

Législateurs, qu'avons-nous donc commis pour être renvoyés? N'en doutez pas, c'est d'être vos plus fermes défenseurs, c'est d'avoir été les premiers à combattre le despotisme, c'est que vos ennemis sont sùrs que, contre de pareils soldats, ils ne pourront effectuer leurs projets. Sages législateurs, avec ces soldats, vous renverserez tous leurs complots et vous maintiendrez cette liberté que la Constitution nous garantit. Mais qu'espèrent-ils donc en nous renvoyant au milieu de l'hiver? Pensent-ils que leur injustice atroce nous fera commettre une insurrection, pour avoir lieu de dire que nous sommes des

factieux, des brigands, et qu'ils ont bien fait de nous renvoyer? Eh bien! ils se trompent. Pensent-ils encore que, nous ôtant le pain, nous irions à Coblentz et à Worms pour en avoir ? Eh! les malheureux, ils se trompent encore. Plutôt mourir que d'avoir l'intention de pareils procédés! (Applaudissements.) Après ces considérations, nous sommes dans la douce espérance que rien n'arrêtera les représentants du premier peuple du monde. Vous mettrez le comble à notre bonheur et vous nous ferez justice. (Applaudissements.)

M. le Président, répondant à la députation. Citoyens, en vous montrant les protecteurs des héros de la liberté, vous annoncez combien vous êtes dignes de jouir de son inestimable bienfait. Quand on protège les martyrs du despotisme, on est disposé à le devenir soi-même. Et vous, généreux vainqueurs de la Bastille, braves gardes françaises, jouissez de l'intérêt que vous inspirez à l'Assemblée nationale. Vous lui demandez justice, et comment pourriez-vous ne pas l'obtenir? vous dont les mains courageuses ont, pour ainsi dire, mis ce dépôt dans les mains des représentants du peuple. L'Assemblée nationale prendra votre pétition en considération. Si les ennemis de la Constitution proscrivent ses enfants, c'est aux amis de la Constitution à les adopter et à les défendre. (Applaudisements.) L'Assemblée vous invite à assister à sa séance.

(Les pétitionnaires entrent dans la salle au milieu des applaudissements des tribunes et des membres de l'Assemblée.)

M. Lecointe-Puyraveau. Messieurs, déjà un très grand nombre de députations des différentes sections de Paris ont rappelé à l'Assemblée nationale le bienfait insigne que rendirent les gardes françaises au premier jour de la liberté. Toutes les fois, Messieurs, qu'on a rappelé ce bienfait dont le souvenir ne s'effacera pas, le Président de l'Assemblée nationale a répondu qu'on prendrait la pétition en grande considération. Ces mots, Messieurs, suffisent-ils? Non; si nous nous bornions là, notre considération serait infructueuse.

En 1789, la voix de la liberté se fit entendre; les gardes françaises levèrent leurs bras puissants, la Bastille s'écroula et la liberté fut fondée. Je demande que la pétition qu'on vient de vous présenter soit réunie aux 3, 4, ou peut-être 10 ou 12 qui vous ont été faites sur ce sujet, pour que l'on rende justice aux gardes françaises dont les malheurs sont un reproche fait à la nation et qu'ils puissent rester dans Paris. (Applaudissements.)

Un membre: J'ajouterai aux observations du préopinant que les gardes françaises se trouvent sans solde depuis le 12 de ce mois, et qu'il est de la générosité de la nation...

Plusieurs membres : De sa justice!

Le même membre... de ne pas laisser ces citoyens sans solde. (Applaudissements.) Je demande que la pétition soit renvoyée au comité militaire pour en faire le rapport demain.

M. Fauchet. Il est constant qu'il y a eu une combinaison profondément perfide pour dissiper et détruire la première armée de la liberté, et notamment les ci-devant gardes françaises. On cherche à les dégouter de toute manière. On leur

alloué une pension qu'ils perdent lorsqu'ils restent au service. On fait plus, on leur donne des cartouches qui ne sont point signées par

M. Pétion. Le comité de surveillance a vu plusieurs de ces cartouches, portant la date du 12 janvier et signées Bailly. (Murmures.) Il est essentiel qu'on entende à la barre M. Bailly, M. Lajarre et les autres officiers qui ont signé ces cartouches, pour savoir pourquoi on les a données. (Vifs applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé! Bravo! bravo!

M. Rouyer. Je ne sais par quelle fatalité, par quel génie destructeur de la Constitution, il arrive que nous avons beau faire, que nous avons beau dire, les aristocrates s'emparent toujours des meilleures places. Cela est si vrai que je sais qu'un certain Brissac, qu'on dit lieutenant-général (Murmures.) et chef de la garde du roi, a refusé beaucoup de gardes françaises pour être gardes du roi; et quand ceux-ci ont voulu faire des représentations, il leur a répondu que l'obéissance était le premier devoir des soldats, sans savoir lui-même que la justice est le premier devoir des généraux. (Applaudissements.) Il les a renvoyés avec cette réponse.

J'ai vu moi-même trois de ces cartouches dont vient de parler M. Fauchet. Elles sont signées par M. Bailly, maire de Paris, en date du 12 janvier 1792. Ces trois cartouches sont des congés expédiés sous fausse date, puisqu'en effet, en 1792, M. Bailly n'était plus maire de Paris. Heureusement pour cette ville, qu'elle n'a pas pour maire en ce moment un homme aussi modéré que lui. (Murmures dans l'Assemblée. plaudissements dans les tribunes.)

Ap

Un membre: Il y a des cartouches signées Pétion.

M. Rouyer. Je réponds à l'interrupteur que je ne suis point aveugle et que je lui affirme avoir vu trois cartouches, du 12 janvier 1792, signées Bailly, maire de Paris. Elles sont dans ce moment sur le bureau.

J'appuie de toutes mes forces la motion qui été faite par M. Fauchet de mander à la barre M. Bailly pour rendre compte de sa conduite et pour lui demander notamment d'où vient qu'il a signé, le 12 janvier 1792, comme maire de Paris, des cartouches qu'il n'avait pas le droit de signer. Je demande, en outre, qu'on renvoie au comité militaire la pétition des ci-devant gardes françaises, que le comité militaire soit tenu de nous en faire le rapport samedi prochain et qu'ils soient réintigrés dans tous leurs droits et rappelés au service. Ce sont de tels soldats qu'il faut pour défendre la Constitution. On aura beau me dire que nos généraux sont patriotes, je ne croirai jamais à leur patriotisme... (Applaudissements dans les tribunes. Murmures prolongés dans l'Assemblée.)

Voix diverses: A l'ordre, Monsieur Rouyer! L'ordre du jour!

M. Rouyer. Laissez-moi finir, vous ne savez pas ce que je veux dire.

Plusieurs membres : Laissez-le parler!

M. Rouyer. Monsieur le Président, maintenez-moi la parole; je n'ai pas fini. (Bruit; murmures.) Je continue et je dis que tant que je parlerai le langage de la vérité, les murmures pourront empêcher qu'on entende ma voix, mais ne me feront pas taire. (Bruit.)

M. Basire. Si la France avait été trahie d'hier, on ne pourrait donc pas le dire aujourd'hui !

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. le Président. On demande l'ordre du jour; je vais...

M. Delacroix. La liberté des opinions n'existerait pas dans cette Assemblée si l'on passait à l'ordre du jour sans permettre à un opinant d'achever la phrase qui excite des murmures. Je demande que M. Rouyer soit entendu.

M. le Président. Je consulte l'Assemblée sur le passage à l'ordre du jour.

(L'Assemblée, consultée, décide qu'il ne sera point passé à l'ordre du jour. -Applaudissements dans les tribunes.)

:

M. Rouyer. Je dis, Monsieur le Président, et je ne peux pas me lasser de le répéter, que je ne croirai au patriotisme de nos généraux que lorsque je les verrai demander et rechercher les soldats de la Révolution. (Applaudissements réitérés.) Je demande à ceux qui m'ont interrompu, si un colonel ou un capitaine de cavalerie, à qui le pouvoir arbitraire aurait ôté son régiment ou sa capitainerie, et qu'on voudrait indemniser en lui offrant un régiment ou une compagnie de milice, ne saurait pas répondre On m'a ôté mon régiment ou ma compagnie; c'est mon régiment de cavalerie ou ma compagnie qu'il faut me rendre. Il en est de même, Messieurs, des gardes françaises. On les a chassés de leur poste, on leur a oté des places qu'ils devaient conserver, des places qu'ils avaient achetées au prix de leur sang. Et quels sont ceux qui les en ont privés? Ce sont d'indignes chefs qui les auraient fait pendre, s'ils n'étaient pas venus à bout de renverser jusqu'à la dernière pierre de la Bastille. (Applaudissements.) Je conclus donc, je le répète encore, à ce que la pétition des gardes françaises soit renvoyée au comité militaire pour en être fait rapport samedi soir et j'appuie la motion de M. Fauchet tendant à ce que M. Bailly, ci-devant maire de Paris, soit mandé à la barre, pour rendre compte de sa conduite, et notamment pour répondre à la signature qu'il a donnée. (Applaudissements dans l'Assemblée et dans les tribunes.)

M. Basire. Je ne crois pas qu'il y ait matière à mander M. Bailly à la barre. M. Bailly signait en blanc comme le font tous les fonctionnaires publics qui ont beaucoup de signatures à donner. Il a dù signer plusieurs exemplaires imprimés de ces cartouches et les renvoyer à l'étatmajor où il en est resté une certaine quantité dont on s'est servi par mégarde. Mais il serait faux de dire qu'il a signé sciemment, à l'époque du 12 janvier, en qualité de maire. S'il l'eût fait, il aurait commis un faux, et certes cela n'est pas présumable de la part de M. Bailly. (Applaudissements.) Je demande donc la question préalable sur la motion de le mander à la barre; mais je demande, en même temps, que la solde des gardes françaises leur soit continuée jusqu'à la décision de leur affaire, comme s'ils n'avaient pas quitté le service.

M. Fauchet. J'insiste pour que, du moins, M. Lajarre et les autres officiers qui ont signé les cartouches soient mandés à la barre. Ils ont commis un délit; il faut en avoir justice.

Plusieurs membres prennent la parole en même temps; une grande agitation règne dans l'Assemblée.

M. le Président. Messieurs, si les vainqueurs

de la Bastille avaient combattu dans un pareil désordre, vous seriez encore esclaves.

(Le calme se rétablit.)

Plusieurs membres : La discussion fermée!

(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. le Président établit l'état de la délibération :

Plusieurs membres demandent la question préalable sur la motion de mander à la barre les officiers qui ont signé les cartouches.

D'autres membres : Le renvoi au comité militaire!

M. Thuriot. Je ne m'oppose point au renvoi au comité militaire; au contraire, je l'appuie; mais je m'oppose à la question préalable. Un faux matériel est dénoncé à l'Assemblée nationale. Les officiers, qui postérieurement à l'époque où M. Bailly a cessé d'être maire, se sont servis de sa signature, ont fait un acte criminel, que l'Assemblée ne peut pas voir avec indifférence. Cet objet démontre clairement qu'il y a un calcul perfide auquel on s'est livré pour enlever à Paris des soldats-citoyens dont cette ville a absolument besoin. Je demande donc qu'on charge expressément le comité militaire de prendre tous les renseignements nécessaires pour pouvoir donner à l'Assemblée nationale une explication précise et claire sur le faux qui lui est dénoncé.

(L'Assemblée renvoie la pétition des ci-devant gardes françaises au comité militaire pour en faire son rapport samedi soir et décrète la motion de M. Thuriot tendant à charger ce comité de prendre tous les renseignements nécessaires sur les trois cartouches jointes à cette pétition et qui sont revêtues, à la date du 12 janvier 1792, de la signature de M. Bailly qui n'était plus maire à cette époque.)

M. le Président. Je mets aux voix la motion de M. Basire tendant à continuer provisoirement aux ci-devant gardes-françaises leur solde, comme s'ils n'avaient pas quitté le service.

Un membre: Je demande à citer un fait. Quatre gardes françaises manquaient de pain; ils ne savaient où aller coucher, sans des citoyens de Paris qui les ont retirés chez eux et qui les ont réunis. Vous voyez bien, Messieurs, qu'il faut les solder.

M. Delacroix. Dans le nombre des pétitionnaires, il y en a qui ont reçu un congé avec une retraite. Il faut donc, avant de prononcer sur la continuation provisoire de leur solde, que votre comité militaire vous fasse un rapport pour savoir si, d'après la retraite accordée, il y a lieu ou non à continuer cette solde. Je demande donc le renvoi de la motion de M. Basire au comité militaire et l'ajournement de la décision jusqu'après le rapport de votre comité.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Delacroix.)

Le sieur Latude est admis à la barre et présente une pétition par laquelle il expose que dans les fers il a rendu plusieurs services à l'Etat; depuis 8 ans, il ne vit que d'emprunts, il est accablé de dettes et manque de tout. 42 années de détention dans les cachots de la Bastille et de Vincennes l'ont mis hors d'état de travailler et de gagner de quoi subsister. Agé de 68 ans, il ne doit son existence actuelle qu'à la générosité de Mme Legros, sa libératrice. Il demande, qu'en attendant que son affaire soit examinée par le

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M. Lasource. Je n'ai que deux mots à dire sur la pétition qui vous est présentée, et je crois qu'en prononçant le nom de Latude, je dois intéresser l'Assemblée, parce que ce nom rappelle toutes les horreurs d'un régime arbitraire. Je vous dirai que le seul crime qu'il eût commis, c'est d'avoir manqué de s'attirer la bienveillance d'une femme alors trop célèbre et malheureusement trop puissante. Lors même que la tyrannie appesantissait sur cet infortuné son bras de fer, il traçait avec son propre sang un plan qu'il avait médité dans son cachot pour augmenter la force nationale. Un ministre ne rougit pas de s'approprier ce plan, et un autre crime de ce malheureux Latude fut de l'avoir conçu lui seul.

En sortant de ce sombre séjour, le gouvernement, tout cruel qu'il était, crut ne pouvoir se dispenser d'accorder à l'infortuné Latude une pension de 400 livres. Mais, Messieurs, cette pension ne lui est pas payée depuis longtemps. Sans la bienfaisance de cette femme respectable, comme lui sans fortune, et qui pourtant l'a secouru jusqu'à présent, le malheureux Latude, après avoir passé une vie malheureuse dans une captivité de 42 ans, finirait par la perdre aujourd'hui dans les déchirements de la faim. Depuis 8 ans qu'il est sorti du cachot, il a contracté des dettes; depuis 8 ans il ne vit que par Mme Legros. Sa cause est celle de l'innocence; son avocat, c'est l'humanité. Si vous ne lui accordez pas aujourd'hui un secours déterminé, il faudra qu'il retourne dans les prisons, car ses créanciers se saisiront de sa personne, comme autrefois les suppôts du despotisme. Je propose donc, Messieurs, que sa pétition soit renvoyée au comité des pétitions, et, en appuyant la demande qu'il vous fait, que vous veuilliez bien, dès aujourd'hui, lui accorder un secours provisoire. (Applaudissements.)

M. Quesnay. En attendant le rapport du comité des pétitions, je propose à l'Assemblée d'accorder à M. Latude, à titre de secours provisoire, les arrérages de la pension de 400 livres qu'on lui a donnée à sa sortie de la Bastille et dont il lui est dû plusieurs années.

M. Lasource. Ce n'est pas suffisant je demande qu'il lui soit accordé un secours provisoire de 3,000 livres. (Applaudissements.)

Plusieurs membres font successivement diverses propositions.

Plusieurs membres : La discussion fermée! D'autres membres demandent la question préalable sur la clôture de la discussion.

(L'Assemblée rejette la question préalable et ferme la discussion.)

Voix diverses La priorité pour la motion de M. Quesnay! La priorité pour la motion de M. Lasource!

M. Dorizy. M. Latude avait une pension de 400 livres; par l'effet des décrets du corps cons

686 [Assemblee nationale législative.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 janvier 1792.]

tituant, elle se trouve supprimée. Mais, comme elle est au-dessous de 1,000 livres et qu'il a plus de 50 ans, il a droit de la toucher s'il est en règle. Je ne viens point m'opposer à ce que vous accordiez des secours à cet infortuné mais je dis, et il est de mon devoir de dire à des législateurs éclairez-vous; sachez pourquoi vous accordez des secours, et pour cela demandez pour demain un rapport à vos comités de liquidation et des secours publics. Vous serez alors sûrs de marcher dans la règle. (Applaudissements.)

M. Audrein. Tout ce que le despotisme... (Bruit. M. Audrein monte à la tribune.) Plusieurs membres : Nous demandons que l'orateur ne soit pas interrompu. (Rires.)

(On réclame la priorité pour les diverses motions.)

(L'Assemblée décide que M. Audrein ne sera pas entendu, refuse successivement la priorité à la motion de M. Quesnay et à celle de M. Lasource, décrète la motion de M. Dorizy, et renvoie en conséquence la pétition et les deux propositions de MM. Quesnay et Lasource aux comités réunis de liquidation et des secours publics, pour lui en faire le rapport demain à la séance extraordinaire du soir.)

Le sieur Belair est admis à la barre et prie l'Assemblée de prendre en considération l'hommage qu'il lui a fait le 20 décembre dernier (1), d'un ouvrage intitulé: Nouveaux éléments de fortifications.

M. le Président répond au pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la nouvelle pétition de M. Belair au comité militaire.)

Une députation des citoyens du faubourg SaintAntoine est admise à labarre :

L'orateur de la députation s'exprime ainsi : « Législateurs, les citoyens du faubourg SaintAntoine laissent aux femmes, aux vieillards et aux enfants à crier pour le sucre. Les hommes du 14 juillet ne se battent pas pour des bonbons (Vifs applaudissements.); la nature agreste et sauvage dans notre canton n'aime que le fer et la liberté... Que les conspirateurs, que les accapareurs, que les ennemis de l'ordre apprennent qu'à l'instant où des brigands soudoyés invitaient le peuple à la violation des propriétés, nous forgions tranquillement les piques qui doivent les exterminer. Les scélérats! ils voulaient mettre aux prises le peuple avec la garde nationale! Qu'ils sachent que les trois bataillons du faubourg et le peuple ne sont qu'un (Applaudissements.-Bravos.), que le même sentiment les anime, que nous ne composons qu'une seule et même famille. Qu'ils tremblent donc, ces perturbateurs du repos public; la patience du peuple est presque à bout. Nous dénonçons ici tous les accapareurs de tout genre; jusqu'aux denrées de première nécessité, tout est sous la main avide de ces assassins du peuple. Ces brigands parlent propriété cette propriété n'estelle pas un crime de lèse-nation!

Messieurs, au récit de la misère publique, le tocsin de l'indignation contre ces mangeurs d'hommes ne sonne-t-il pas dans vos cœurs sensibles? Le commerce languit et s'il a donné

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XXXVI, séance du 20 décembre 1791, page 279.

quelque signe de vie, c'est l'effet de l'accaparement. D'un bout de l'Empire à l'autre, le peuple, qui n'a d'autre nourriture qu'un pain trempé de sueurs et de larmes, vous demande de créer loi de mort contre les accapareurs; loi de mort contre les fonctionnaires qui protègent les accaparements; mort aux conspirateurs qui provoquent à l'incendie, au pillage et au meurtre; mort à ces favoris du monopole, qui, désespérés de voir le peuple et le maire de Paris unis par le patriotisme et l'amour de l'ordre, infestent la capitale de leurs placards incendiaires, cherchent à flétrir de leur haleine impure la couronne des magistrats citoyens et ne s'agitent avec tant de fureur que pour voir une seconde fois le drapeau rouge annoncer les jours de carnage et de sang. Guerre surtout à ces bandits gagés par les aristocrates, qui, sous la devise honorable du peuple, insultent aux lois et demandent à grands cris le massacre et la guerre civile !

Nous venons ici jurer, au nom de 40,000 hommes armés, un amour éternel pour la déclaration des droits de l'homme; nous jurons fraternité et assistance aux patriotes; nous jurons de laisser végéter en paix ces vils esclaves qui n'ont pas assez de courage pour apprécier la dignité de l'homme libre; mais qu'ils ne s'y trompent pas, au moindre complot contre l'ASsemblée nationale, à la moindre lésion des droits du peuple seul souverain, la nuit du tombeau engloutira leurs cadavres impurs ou la postérité dira Là fut jadis le faubourg Saint-Antoine! (Applaudissements réitérés.)

:

Les citoyens du faubourg, assemblés au nombre de plus de 10,000, paisiblement et sans armes, dans la maison commune de la section des Quinze-Vingts et environs, nous ont chargés de vous demander:

1° De prendre toutes sortes de mesures pour étouffer l'agiotage et de rendre en conséquence un décret qui enjoigne aux corps administratifs de surveiller toutes les caisses qui émettent des billets de confiance et de s'assurer des dépôts des assignats échangés. (Applaudissements.)

Nous attendons de votre sagesse une loi répressive, mais tellement juste qu'elle assure les propriétés du négociant honnête, et réprime l'avarice de ces marchands qui accapareraient, je crois, jusqu'aux ossements des patriotes, pour les vendre aux aristocrates. (Rires et applaudissements.)

Nous demandons, en second lieu, que vous rappeliez à votre souvenir notre pétition du 15 de ce moi qui a pour épigraphe : « Les beaux esprits et les gens bêtes, tous veulent être libres » et dont vous avez ordonné l'impression. Elle était revêtue seulement de 30 signatures, parce que nous étions pressés du besoin de sanctionner votre décret du 14. Veillez, législateurs, veillez, fonctionnaires publics. Roi, ministres, généraux, répétons-nous avec un de vos estimables collègues, tenez-vous pour avertis; vous êtes placés entre l'autel et l'échafaud, choisissez. Nous n'abuserons pas de vos moments. Veillez encore une fois, et empêchez que les pétitions ne servent à allumer les bougies de vos commis. (Applaudissements.)

M. le Président, répondant à la députation. Messieurs, si la France pouvait avoir oublié ce que vous fites pour la liberté, l'Assemblée nationale se plairait à le rappeler. Elle dirait qu'à

l'époque mémorable de notre heureuse Révolution, il n'est pas de sacrifice qui vous ait coùté; elle dirait qu'au mois de juillet 1789, vous sùtes braver jusqu'aux dangers de la famine pour vous livrer tout entiers aux élans de votre sublime patriotisme.

Persévérez, Messieurs, dans les sentiments que vous venez de manifester; c'est par votre union et surtout par votre respect pour les lois, que vous parviendrez à déjouer les ennemis de la chose publique.

L'Assemblée nationale vous invite à assister à sa séance.

M. Caminet. Il importe peut-être plus qu'on ne croit au salut de la chose publique qu'on fasse enfin une sérieuse attention à la première demande des pétitionnaires. Déjà, deux fois, j'ai fait la motion que les caisses patriotiques fussent entièrement connues, entièrement surveillées, et que le gage de leur émission fùt certain.

Cependant, dans la capitale, les caisses patriotiques se permettent, à l'instant même où ils connaissent l'émission que nous allons faire des petits assignats, se permettent, dis-je, de nouvelles émissions. Tous les jours, dans les caisses patriotiques on délivre, contre des assignats, pour 10, 15 et 20,000 francs de billets nouvellement fabriqués.

Vous ne pouvez retarder plus longtemps de vous occuper de cet objet essentiel; il est urgent que vous connaissiez la quantité de ces émissions et que vous sachiez quel en sera le terme. Je demande donc que le rapporteur, qui, hier, présenta un projet de décret, se présente de nouveau à la tribune dans une de vos prochaines séances pour vous proposer de décréter que les caisses patriotiques des maisons de secours, banques et sections, soient surveillées par les corps administratifs et que l'Assemblée nationale, en statuant sur le terme des émissions des billets de confiance, s'assure de la quantité de ces billets et du gage qui doit en assurer le payement. M. Guadet, président, est remplacé au fauteuil par M. Lemontey, ex-président.

PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY.

M. Ducos. J'ai demandé, il y a deux jours (1), le renvoi au comité de commerce et de législation pour une mesure générale contre les accaparements. Je demande aujourd'hui, en appuyant la motion de M. Caminet, que vous mettiez à la discussion le projet que M. Massey vous a présenté mardi matin sur les caisses patriotiques (2).

M. Dorizy. Je suis bien éloigné d'être opposé à la motion que M. Caminet vient de réitérer je pourrais même dire qu'il y a longtemps qu'elle a été conçue dans le sein de votre comité des assignats et monnaies et dans celui de l'extraordinaire des finances, puisqu'un projet de décret, à cet égard, y a été mûrement pesé pendant trois jours. Les administrateurs du directoire du département de Paris y avaient été appelés. Comme cette question exige un examen très approfondi, je demande que vous vous borniez aujourd'hui à renvoyer au comité des assignats et monnaies, réuni à celui de l'extraordinaire des finances, les vues présentées par M. Caminet.

(1) Voy. ci-dessus, séance du mardi 24 janvier 1792, au matin, page 617.

(2) Voy. ci-dessus, séance du mardi 24 janvier 1792, au matin, page 614.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Rouyer. Je m'oppose à la motion de M. Caminet, du moins quant à présent. Il serait très dangereux d'arrêter l'émission des billets patriotiques avant que l'émission des petits assignats nationaux puisse être faite. Mais j'ai une autre mesure, que je crois fondée en raison, à proposer à l'Assemblée nationale, et la voici : Je propose que le comité des assignats et monnaies soit tenu de porter la plus grande surveillance pour que les nouveaux assignats nationaux soient fabriqués et émis promptement; qu'il soit nommé des commissaires par l'Assemblée nationale, pour faire émettre, sous leur surveillance, un certain nombre de billets patriotiques pour la ville de Paris; que les propriétaires des billets soient tenus de se trouver à cette émission et qu'ils soient obligés de remettre un égal nombre de billets de 50 livres ou de plus fortes sommes en garantie de ces billets de confiance.

Par là, Messieurs, vous serez assurés de faire émettre d'une manière solide les billets patriotiques. Je demande que ma motion soit renvoyée au comité de législation.

M. Thuriot. Il y a deux raisons d'ordonner la vérification des caisses patriotiques. La première, c'est que vous devez au public de vous assurer de l'état de ces caisses; la seconde, c'est que, s'il était possible que les propriétaires des billets patriotiques eussent abusé du droit qui leur avait été accordé, ou plutôt de la tolérance que la capitale avait eue pour eux, et eussent accaparé réellement, il s'ensuivrait que, forcés de rétablir les valeurs, ils vendraient à plus bas prix les denrées dont on a besoin journellement. Aussi je demande que l'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que lé pouvoir exécutif donnera les ordres les plus précis pour que la municipalité de Paris fasse vérifier, sans délai, les caisses patriotiques et de secours, pour savoir si les effets qui sont le gage des échanges, y existent réellement.

Plusieurs membres : La discussion fermée!

(L'Assemblée ferme la discussion et renvoie les propositions de MM. Caminet et Thuriot aux comités réunis des assignats et monnaies et de l'extraordinaire des finances, pour en faire le rapport incessamment.)

Plusieurs membres demandent qu'il soit fait mention honorable au procès-verbal de l'adresse des citoyens du faubourg Saint-Antoine.

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable au procès-verbal de l'adresse des citoyens du faubourg Saint-Antoine. (Applaudissements.)

Le sieur Binot, l'un des ci-devant administrateurs de l'Hôpital général de Notre-Dame-du-Pontdu-Rhône et du grand Hôtel-Dieu de Lyon, est admis à la barre. Il met sous les yeux de l'Assemblée les avances que les administrateurs de ces hôpitaux ont faites pendant le temps de leur administration; ils en demandent le rembourse

ment.

M. le Président répond au pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition aux comités des secours publics et de liquidation réunis.)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de décret des comités d'agriculture et de commerce réunis, sur les subsistances.

M. Mosneron ainé, rapporteur. Les trois pre

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