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Plusieurs membres: La question préalable!

D'autres membres: Motivez-la!

M. Dorizy. Il est aisé de motiver la question préalable; car, si vous ordonnez cet envoi, vous admettez une différence entre ce jeune homme et les autres citoyens qui vous ont adressé de pareilles offrandes.

(L'Assemblée rejette la question préalable et décrète que l'extrait du procès-verbal sera adressé à ce jeune citoyen au nom de l'Assemblée. (Vifs applaudissements dans l'Assemblée et dans les tribunes.)

M. Thévenet. Le receveur du district de la campagne de Lyon me marque qu'il a reçu plus de 400,000 livres sur les impositions de 1791, dont le montant est de 500 et quelques mille livres. Il espère que le reste sera payé sous peu de temps et m'assure que la plus grande tranquillité règne dans cette contrée. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Mention honorable!

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable au procès-verbal du zèle des habitants de la campagne de Lyon à payer leurs contributions.)

M. Dumolard fils. Messieurs, je viens de recevoir une lettre de la municipalité de Grenoble, contenant des faits sur les subsistances, qu'il est intéressant que l'Assemblée nationale connaisse.

Depuis plus d'un mois, le blé disparaît de plus en plus des marchés de cette ville avec une rapidité effrayante, et les citoyens ont conçu sur leur subsistance les plus vives inquiétudes. Les officiers municipaux ont voulu remonter à la source de ces désastres; il ne leur a pas été difficile de la découvrir. Alarmés par le discrédit des assignats, plusieurs des habitants des campagnes ont été déterminés à conserver leur récolte en nature. D'un autre côté, de vils accapareurs, toujours occupés à spéculer sur la misère publique, refusent d'ouvrir leurs magasins, parce qu'ils espèrent une nouvelle hausse dans le prix des denrées.

Mais ces deux premières causes de la disette ne sont rien en comparaison de la troisième, qui tend à affamer cette partie de nos départements méridionaux, si le Corps législatif et le roi ne prennent pas les mesures les plus sages pour en arrêter le succès.

Notre voisinage des Etats du roi de Sardaigne et la position montueuse de notre département facilitent une contrebande active et continuelle. Une quantité prodigieuse de blé s'exporte journellement en Savoie, et, comme dans ce pays, il est payé en argent, cet appât excite encore de plus en plus l'avidité des marchands. Ne croyez pas, Messieurs, qu'il rapportent ensuite dans le royaume le numéraire qu'ils ont reçu. Ils l'échangent en Savoie avec des assignats, et viennent recommencer en France des spéculations plus étendues et plus coupables. C'est ainsi, Messieurs, que la ville de Grenoble est peut-être, dans ce moment, dans un dénuement absolu. Ses magasins contiennent à peine assez de farine pour subvenir aux besoins de la garnison. C'est un fait dont la municipalité s'est assurée avant de m'écrire.

Cependant, je dois le dire à la gloire de mes concitoyens, pressés par les plus grands besoins et dans les plus vives alarmes, amis de l'ordre et des lois, ils ont constamment respecté les fortunes et les propriétés. Et, certes, Messieurs,

il ne s'agit pas pour eux du renchérissement du sucre et du café; il s'agit pour le pauvre d'un pain noir arrosé de ses sueurs et de ses larmes, et que sa femme et ses enfants lui demandent en vain. Je prie l'Assemblée nationale de renvoyer la lettre de la municipalité de Grenoble au comité de commerce. (Applaudissements.) Un membre: Il faut défendre les exportations! M. Cambon. Il existe une loi qui défend l'exportation des grains; il est inutile d'en faire de nouvelles. Nous en ferions dix, si elles ne sont pas exécutées, elles resteront dans nos procès-verbaux. Il est inconcevable que les ministres soient si indifférents à la faire exécuter. Je demande que cette lettre soit renvoyée au pouvoir exécutif et que le ministre de l'intérieur rende compte demain au Corps législatif des mesures qu'il a prises pour assurer l'exécution de cette loi et de la situation du département de Grenoble relativement au pain.

M. Lacombe-Saint-Michel. J'ajoute à ce que vient de dire M. Cambon qu'il est certain que, dans les départements méridionaux, on cherche à discréditer les assignats. Les bouchers et les boulangers commencent à les refuser, et il y a des municipalités assez peu dévouées au bien public pour garder un silence coupable. Je demande que l'Assemblée prenne promptement un parti pour prévenir les suites funestes de ces

manœuvres.

(L'Assemblée renvoie la lettre au pouvoir exécutif et décrète que le ministre de l'intérieur lui rendra compte, demain, des mesures qu'il a prises pour assurer la subsistance des départements méridionaux.)

M. Sébire. Voici une lettre des administrateurs du département de l'Ille-et-Vilaine, à laquelle est jointe une pétition relative aux digues de la ville de Dol. Je rappelle à l'Assemblée que cette ville a beaucoup souffert des ravages de la mer et qu'elle a demandé un secours de 150,000 livres pour réparer ce désastre (1). Je la prie de renvoyer ces pièces au comité d'agriculture qui sera chargé d'en faire le rapport à la séance de jeudi soir.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Sébire.) Un membre demande que la suite de la discussion du projet de décret des comités d'agriculture et de commerce réunis sur les subsistances soit mise à l'ordre du jour de demain au soir.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

M. Granet. Messieurs, le ministre de la guerre vous a dit, à la séance d'hier, que nos généraux patriotes se réunissent à penser que c'est une mesure dangereuse de payer en assignats, même le quart du prêt et que le soldat est hors d'état de supporter la perte que ce paiement lui fait éprouver. Ce que le ministre vous a dit du soldat, je dois vous le dire, Messieurs, des ouvriers des ports et arsenaux de marine qui souffrent depuis longtemps de ce paiement onéreux contre lequel ils ne cessent de réclamer. Porteur du vou du district et de la municipalité de Toulon, je vous le présente avec confiance, en vous priant de vouloir bien renvoyer ma motion aux comités réunis de marine et de l'ordinaire des finances, pour concerter un moyen de faciliter le paiement des ouvriers des ports d'une manière équitable, et qui concilié l'intérêt de la

(1) Voy. ci-dessus, séance du 4 janvier page 73.

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nation avec leurs justes demandes, en chargeant vos comités de vous présenter incessamment un projet de décret à cet égard.

(L'Assemblée renvoie la motion de M. Granet aux comités de marine et de l'ordinaire des finances réunis.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre des administrateurs composant le directoire du district de Falaise. Ils se plaignent de ce qu'au mépris des lois qui mettent sous la surveillance immédiate du ministre, et à la charge du Trésor public, tout ce qui concerne les primes et encouragements pour le commerce et l'agriculture, le directoire du département du Calvados a compris dans l'état des dépenses générales, à la charge du département pour L'année 1791, une somme de 40,000 livres qu'il a destinée, soit à l'achat d'étalons de belle race, soit en gratifications pour l'encouragement de l'agriculture.

M. Lacuée. Ce district me paraît être dans l'erreur sur l'interprétation de la loi; mais sans préjuger sur la répartition que le département du Calvados a faite des sols et deniers additionnels destinés aux dépenses générales à la charge du département du Calvados, je demande que l'Assemblée ordonne au ministre des contributions publiques de remettre, sous huitaine, au comité d'agriculture, un état, par département, des sommes qui ont été destinées, par tous les directoires où conseils de département, aux encouragements de tous genres en faveur de l'agriculture. De cette façon, le comité d'agriculture sera à portée de connaître la situation de l'agriculture dans les diverses parties de l'Empire, les besoins locaux et les genres d'encouragement que le Corps législatif doit accorder aux différents départements.

(L'Assemblée, consultée, décrète que la pétition du district de Falaise sera renvoyée au comité d'agriculture et que le ministre des contributions publiques adressera, sous 8 jours, au comité d'agriculture, un état, par département, des sommes affectées, sur les sols et deniers additionnels, à l'encouragement de tout ce qui concerne l'agriculture.)

M. le Président invite l'Assemblée à se retirer dans ses bureaux pour procéder à l'élection d'un vice-président et de trois secrétaires en remplacement de MM. Dorizy, Lacuée et MathieuDumas, secrétaires sortants.

(L'Assemblée se retire dans les bureaux et rentre en séance un quart d'heure après.)

M. le Président lit le titre des objets mis à l'ordre du jour.

M. Duhem. Je demande que l'on reprenne la discussion du projet de décret du comité diplomatique sur l'office de l'empereur (1). Tandis que nous passons notre temps en débats oiseux, le cabinet de Vienne et le comité des Tuil..., le comité autrichien ne perdent pas un seul instant. Il faut hâter enfin le moment de faire expliquer ou d'attaquer l'empereur et tous les despotes.

M. Cambon réclame la priorité pour une affaire de finance que l'on renvoie de jour en jour et dit que, pour faire la guerre, il faut avoir de l'argent.

(L'Assemblée accorde la priorité à la continua

(1) Voy. ci-dessus, séance du 20 janvier, page 543.

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(L'Assemblée renvoie la lettre du ministre des contributions publiques et le tableau qui y est joint au comité de l'ordinaire des finances.)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de décret du comité diplomatique sur l'office de l'empereur.

M. Daverhoult (1). Messieurs, votre comité diplomatique, en s'attachant principalement à trouver le véritable sens des phrases contenues dans l'office de l'empereur qui annonce un concert avec les differentes puissances pour la sûreté et l'honneur des couronnes, a fixé le véritable état de la question. Vous n'avez dù, Messieurs, Vous occuper des émigrés, qu'autant que leurs attroupements, près des frontières du royaume, pouvaient faire naître et encourager les desseins perfides de nos ennemis intérieurs: de concert avec vous, le roi a fait les réquisitions nécessaires près des princes étrangers qui favorisaient ces rassemblements, ces formes diplomatiques ont été appuyées par de formidables préparatifs de guerre. Déjà les princes allemands, protecteurs des attroupements, annoncent le désir de rentrer dans les bornes que prescrit le droit des gens, et si le prince tonsuré, jadis évêque de Strasbourg, veut donner à ces armements une nouvelle consistance, en attirant chez lui les Français mécontents, cette inutile bravade prouve qu'aucun prince de l'Empire ne veut défendre la cause des émigrés, puisqu'ils sont réduits à s'étayer d'un aussi faible appui le roi eut compromis la dignité nationale s'il se fut abaissé au point de faire quelques réquisitions au cardinal de Rohan, mais les démarches vigoureuses faites près du prince dirigeant du cercle, et près du chef de l'Empire germanique ont produit à cet égard l'effet qu'on avait lieu d'en attendre. Nous ne serions donc ni à la hauteur de nos devoirs, ni à celle des destinées de la France, si nous nous occupions davantage des projets insensés de nos paladins errants, et qu'importe à la nation française de quelle couleur sont les cocardes qu'ils affectent d'étaler aux yeux des nations étrangères! Cette décoration fait participer les cours qui les reçoivent avec cette marque distinctive, au ridicule de leur colère impuissante. Au reste, Messieurs, ce

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Diplomatie, n° 22.

qui est un signe de rébellion de la part des Français à l'égard de la France, n'en est point un à l'égard des puissances chez lesquelles ce signe est porté, vous n'avez pas le droit de requérir que les Français demeurant en pays étrangers soient vêtus plutôt d'une manière que d'une autre, tout ce que vous avez le droit, tout ce que vous devez exíger des puissances étrangères, c'est que vos concitoyens voyageant dans leurs Etats, y jouissent de la protection des lois, des droits sacrés de l'hospitalité, et que votre pavillon et votre cocarde nationale y soient respectés. Mettant donc de côté tout ce qui concerne les Français rebelles, je m'attache unique ment à la grande question, celle du concert qui existe entre les différentes puissances. Je ne m'arrêterai point, Messieurs, au tableau de la situation de l'Europe déjà on a levé le voile diplomatique qui couvre les intrigues des différentes cours; on a calculé leurs forces, leurs moyens et leurs intérêts divers, mais dans un temps où le cours ordinaire paraît suspendu, où des alliances contradictoires lient ensemble des puissances constamment rivales, où une trêve paraît proclamée entre les opérations opposées des différents cabinets, il est nécessaire de remonter aux causes qui ont pu produire un événement qui paraît aussi contraire à l'ordre naturel des choses.

:

Faibles jouets des passions de ceux qui les environnent, constamment trompés sur leurs véritables intérêts par des hommes avides, qui profitent seuls de l'autorité arbitraire, tous les princes ont dû voir la Constitution française avec horreur. La philosophie, cette arme si redoutable, parce qu'elle tire sa force de la raison éternelle, qui exísta avant les trônes et règnera sur leurs débris, voilà l'ennemi contre lequel les princes ont formé une ligue défensive. Ils se sont affranchis la plupart de l'influence du sacerdoce, cette puissance rivale du trône, ils luttent avec avantage contre les prétentions de cette caste qui tire son origine de la faiblesse des princes et de la lâcheté des peuples. L'exemple de la Suède et celui du Brabant attestent cette vérité.

Quelle est donc la cause qui les engage à une marche rétrograde en paraissant applaudir aux vains efforts de ces deux ci-devant ordres en France? C'est qu'ils ont vu que ce n'est qu'en subdivisant l'exercice de l'autorité arbitraire entre des mains intéressées à sa conservation, qu'ils peuvent espérer l'anneau de cette chaîne qui lie les peuples, ce n'est pas un peu plus ou un peu moins d'autorité entre les mains du prince qui peut étendre la Constitution française chez les autres nations européennes : c'est la réforme de tous les abus, c'est la destruction

de tous les préjugés, c'est, en un mot, la sain de égalité des droits qui est l'armée redoutable que craignent ceux qui gouvernent les autres hommes; violez cette égalité, foulez aux pieds les droits imprescriptibles de la nature, rétablissez cette bigarrure avilissante pour le corps politique, et vous verrez tous les cabinets vous tendre l'olivier de la paix, rassurés alors sur les effets que la Constitution française produira sur les autres peuples; puisqu'elle ne leur permettra plus aucun avantage, ils vous abandonneront les bornes prescrites à l'autorité royale, bien certains que la nation elle-même devrait alors l'étendre pour se défendre des vexations des prêtres et des nobles.

Mais, Messieurs, si tels sont les désirs qui

naissent dans le cœur des princes, différents obstacles s'opposent à l'exécution d'un aussi vaste dessein, le premier de tous est le courage de vingt-cinq millions d'hommes libres, dont des parties peuvent être vaincues, mais dont le tout ne saurait être asservi. Le second est la terreur qu'inspirent nos armes morales; notre déclaration, non des droits des Français, mais de l'homme, épouvante les princes; le premier coup de canon tiré contre la France pourrait être le signal du réveil des nations, et cette possibilité se changerait en certitude, si une pareille guerre était prolongée. La crainte de voir s'étendre chez eux le système français, empêche donc également une paix franche et une guerre ouverte. Il est possible que votre comité diplomatique ait rencontré juste, lorsqu'il a attribué la marche incertaine des différentes cours, et surtout du chef de la maison d'Autriche, à l'espoir de l'établissement d'un congrès pour modifier notre Constitution au gré des princes qui en redoutent l'influence; mais c'est aussi tout ce qu'on peut dire de cette hypothèse, car la déclaration de l'empereur par laquelle il reconnait la libre acceptation de la Constitution de Louis XVI, ôte toute apparence à cette conjecture. Un tel moyen ne pourrait réussir qu'à l'aide des divisions intestines et de la més intelligence entre les deux pouvoirs, il est donc subordonné à nos opérations intérieures, au désordre dans la finance, au non-paiement de l'impôt, et il dépend de nous seuls d'anéantir une espérance aussi frivole. Le saint enthousiasme qui a saisi l'Assemblée nationale, les ministres et le public présent, lorsqu'elle prononça, le 14 janvier, le serment non moins fameux que celui du Jeu de Paume, le décret qui en fut la suite, le message du roi, sa réponse franche et loyale, la prompte sanction du décret, et l'arrivée de tous les ministres chargés par le roi d'annoncer à l'Assemblée son assentiment aux vœux des représentants du peuple, ce seul jour suffit pour déjouer toutes les intrigues de plusieurs mois.

Tant que les deux pouvoirs se prêteront un appui mutuel, les ennemis du dehors ne pourront espérer d'établir ce congrès que par la voie des armes, et ce n'est pas leur plan. Pour le prouver, il suffit d'examiner la conduite de Léopold, dont le cabinet paraît en ce moment exercer une influence considérable sur tous ceux de l'Europe. Politique adroit, et craignant en cas d'explosion, plus que tous les autres princes, les effets de nos armes morales, dont le succès serait plus sûr dans ses Etats que dans tous les autres, il a temporisé pendant six mois avant d'accéder au conclusum de la diète de Ratisbonne, quoiqu'il s'attirât, par là, l'inimitié de l'Empire, qu'il a intérêt de ménager pour l'élec tion prochaine d'un roi des Romains.

Il a porté la Prusse à reconnaître, comme lui, la liberté du roi. Les conventions de Pilnitz, de Padoue, de Vienne, la déclaration par laquelle, après avoir reconnu la libre acceptation par Louis XVI, de la Constitution française, il fait mention du concert entre les différentes puissances, les recommandations faites par lui aux princes dirigeant des cercles, pour gêner la liberté de la presse, et étouffer ce qu'il nomme esprit d'innovation, sa conduite vis-à-vis de l'électeur de Trèves, qu'il n'a voulu défendre qu'au cas qu'il fut attaqué, la conduite des électeurs et princes d'Allemagne qui viennent de disperser les rassemblements, l'office même qui fait le sujet de vos délibérations actuelles, vous

prouve que ce n'est ni contre la France, ni contre la Constitution, mais contre la philosophie elle-même que Léopold a formé sa ligue offensive. Depuis longtemps ses intentions auraient été connues, si vos ministres des affaires étrangères eussent demandé aux cours de Vienne et de Berlin une explication claire sur les motifs d'une alliance aussi bizarre, mais il était peutêtre de leur intérêt de vous laisser à cet égard dans l'ignorance, il leur convenait mieux d'abandonner les amis de la liberté, privés de données précises au feu d'un patriotisme qui pouvait les égarer, tandis que, sans le démasquer, ils auraient tiré d'une guerre inutile et injuste les fruits qu'ils s'en promettaient.

Voyez combien ce plan perfide se développe, ils vous ont annoncé que l'empereur avait accédé au conclusum de là Diète de Ratisbonne, mais ils se sont bien gardé de vous prévenir que depuis longtemps l'empereur, forcé par la Constitution germanique, ne pourrait refuser de se rendre à la fin au vou de l'Empire, et que déjà on lui faisait un crime d'avoir balancé, pendant six mois, à seconder l'impatience de ces princes; ils nous ont donné connaissance des pièces qui prouvent ce concert entre les différentes puissances pour que, révoltés de la conduite de votre allié, le chef de la maison d'Autriche, un premier mouvement nous égarât, mais ils savaient que suivant a paix de Hubertsbourg, faite en 1763, la cour de Berlin ne pouvait contracter à votre insu, que la Hollande est alliée à la France par un traité récent, que l'Espagne et tous les princes de la maison de Bourbon, quoique attachés à cet Empire par le traité qu'on nommait autrefois le pacte de famille, donnaient des preuves plus fortes que Léopold ou Frédéric Guillaume d'une inimitié secrète; ils le savaient, ils ne vous l'ont pas dit. Quel autre motif pouvait les diriger dans l'espérance que, par une démarche imprudente de la part de l'empereur, vous forceriez l'Europe entière à changer son attitude défensive contre une attaque générale et soudaine, et des amis de la liberté ont donné dans le piège! Ils ont compté sur des alliances dont ils avaient reconnu l'impossibilité si on leur avait mis le véritable état de l'Europe sous les yeux.

Si donc j'ai prouvé que cette ligue des princes n'est que défensive, qu'il dépend de nous seuls de déjouer par nos opérations intérieures les desseins de ceux qui voudraient modifier notre Constitution dans un congrès, s'il n'est pas moins prouvé que tous les princes ont besoin de la paix, désirent la paix, si déjà ils vous en ont donné la preuve en dispersant les attroupements qui portaient atteinte à votre tranquillité intérieure, que deviennent alors les phrases de ceux qui voudraient vous exciter à faire une guerre injuste? Ce n'est pas devant vous, et dans une discussion où il s'agit du salut de la chose publique, que je sais composer avec la vérité. L'on vous induit en erreur lorsque, bâtissant sur des hypothèses et en vous circonvenant de vaines terreurs, l'on veut vous engager à attaquer l'empereur afin de forcer cette ligue de princes à prendre le caractère offensif; car la déclaration que le traité de 1756 est rompu et la satisfaction qu'on demande équivalent à une déclaration de guerre : c'est donc par une misérable équivoque qu'on opposé dans cette tribune la dignité de la nation française à celle d'un seul homme couronné. Tant que les nations nos voisines, n'auront pas changé leur gouvernement, l'homme qui est à

leur tête est leur représentant de fait, et sa dignité devient la dignité nationale.

Je ne vous répéterai pas que le traité avec l'Autriche vous est onéreux, toute la France le sait: il est inutile d'en donner des preuves et ce n'est pas ici qu'on doit débiter des lieux communs; mais ce qui est digne de votre attention c'est d'examiner si c'est dans l'instant où vous n'avez aucun autre allié, où toutes les liaisons entre les différentes cours sont formées, que vous devez non seulement rompre ce traité, mais forcer Léopold à la guerre, sur l'espoir douteux que d'autres puissances formeront des traités avec vous. Est-ce d'après des données aussi incertaines que nous devons agir, Messieurs, lorsqu'il s'agit du salut public? et s'il m'est permis de me servir d'une phrase aussi triviale, est-ce en båtissant des châteaux en Espagne que nous défendrons la liberté et la Constitution française? Ne vous le dissimulez pas, l'empereur et la Prusse, qui, seuls, ont 500,000 baïonnettes à leurs ordres, resteront unis et seront forts de l'alliance de toutes les autres puissances, quand la guerre sera injuste de votre part et qu'elle ne sera pas nécessitée aux yeux de tous les peuples par la conduite de ces mêmes puissances. L'on vous a cité l'exemple de l'Angleterre, mais l'on ne vous a pas dit que, supérieure sur mer à toutes les autres puissances, elle n'avait rien à craindre pour elle-même par sa position. L'on vous a cité Charles XII, mais l'on vous a passé Pultava sous silence.

Messieurs, soyons vrais, les amis de la liberté voudraient venir au secours de la philosophie outragée par la ligue des princes, ils voudraient appeler tous les peuples à cette liberté, et propager une sainte insurrection: voilà le véritable motif des démarches inconsidérées qu'on vous propose. Mais devez-vous laisser à la philosophie elle-même le soin d'éclairer l'univers, pour fonder, par des progrès plus lents, mais plus sûrs, le bonheur du genre humain, et l'alliance fraternelle de tous les peuples? ou bien, devez-vous, pour hâter ces effets, risquer la perte de votre liberté, et celle du genre humain, en proclamant les droits de l'homme au milieu du carnage et de la destruction?

Cette entreprise ne sera noble, grande, digne de vous, que lorsque, provoqués à une guerre devenue juste et nécessaire, l'attaque sera le seul moyen de défense, lorsqu'en vous constituant un état de guerre effective vous pourrez prouver à l'univers entier qui vous contemple et la France qui vous a confié ses plus chers intérêts, que c'est pour maintenir sa Constitution dont vous êtes les gardiens, que vous allez confier son sort et le sang de ses frères au hasard des combats.

Laissons donc à la philosophie le soin d'éclairer l'univers, et si l'aveuglement de cette ligue de princes dévance l'heure qui a été marquée de toute éternité pour fonder le seul Empire durable, celui de la raison, plaignons le sort de l'humanité souffrante, qui alors, ne verrait luire ces beaux jours qu'après un orage aussi terrible.

J'invoqué la question préalable sur le projet de décret de M. Brissot, parce qu'il repose sur une fausse hypothèse, celle d'une ligue offensive, formée entre différentes puissances, et que, confondant dans Léopold le caractère d'empereur avec celui de chef de la maison d'Autriche, il envisage comme un acte d'hostilité la sanction du conclusum de la Diète de Ratisbonne, tandis que l'empereur ne pouvait se dispenser d'exécu

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ter, à cet égard, les lois de l'Empire, sans essuyer de la part des membres du corps germanique le juste reproche de son intérêt personnel, comme chef de la maison d'Autriche, et en cette qualité d'allié de la France, l'empêchait de remplir ses fonctions comme empereur. Je crois d'autant plus nécessaire d'appliquer la question préalable, que cette distinction entre les doubles qualités de plusieurs des princes de l'Empire, empêchera également que nous confondions l'électeur d'Hanovre avec le roi d'Angleterre, que ce sera le seul moyen convenable pour éviter que le différend avec la Diète de Ratisbonne ne nous donne la guerre avec toute l'Europe.

J'invoque pareillement la question préalable sur l'amendement proposé par M. Isnard; si l'opinant avait eu les traités des Barrières sous les yeux, il y aurait vu que ces traités, formés entre la maison d'Autriche et la Hollande, pour s'opposer conjointement au despotisme de Louis XIV, dont l'ambition paraissait aspirer à la monarchie universelle, exigeaient de chacune de ces deux parties contractantes, qu'elles tinssent un certain nombre de troupes dans les PaysBas, dont le minimum, mais jamais le maximum, n'a été réglé. Au reste, ces traités des Barrières ont été entièrement annulés par les deux parties contractantes elles-mêmes, sous le règne de Joseph II. Quand même donc on pourrait en conclure, ce qui n'est pas, que l'empereur ne pourait avoir que 40,000 hommes dans les Pays-Bas, il serait encore absurde que la France, contre laquelle ces traités étaient dirigés, en réclamât l'exécution abandonnée par les parties contractantes elles-mêmes.

Enfin, Messieurs, j'appuie le projet de décret du comité diplomatique, en y faisant les changements suivants. Le voici tel que je l'ai amendé:

«Art. 1er. Le roi sera invité, par un message, de demander à l'empereur, au nom de la nation française, des explications claires et précises sur les motifs et les bases de ces alliances, qu'il désigne sous le nom de concert de différentes puissances, pour le maintien de la sûreté et de l'honneur des couronnes.

2° Qu'il sera pareillement invité de déclarer à l'empereur que le traité du 9 mai 1756 ne peut plus être considéré comme un traité de prince à prince, mais comme un engagement solennel entre la nation française et le chef de la maison d'Autriche que dans le nouvel état des choses la première condition à remplir par l'empereur est nécessairement de reconnaître la Constitution française, seul titre en vertu duquel le traité puisse être désormais maintenu et renouvelé, et qu'à défaut de reconnaître explicitement les droits politiques de la nation française, devenue sa partie contractante, le traité du 9 mai 1756, entre la maison d'Autriche et celle de Bourbon, sera anéanti comme étranger à la nation française.

Un troisième article porte les mêmes dispositions que celui de votre comité diplomatique, avec la seule différence qu'au lieu du terme du 1er février prochain vous mettrez le 1er mars (Murmures.); ce terme vous paraîtra long, mais je m'explique, il est nécessaire de mettre le 1er mars. Je vais vous faire sentir les motifs qui me déterminent à le proposer. Il ne suffit pas que nous calculions s'il faut tant de jours au courrier pour arriver à Vienne, s'il faut quelques jours à l'empereur pour se décider et faire sa réponse. Nous ne devons pas exposer le genre humain à voir la paix troublée, ni la France à

entamer une guerre, dans le cas où un courrier, par un accident qui peut arriver tous les jours, ne serait pas arrivé à Vienne à l'époque indiquée. Il faut donc quelques jours de plus, et c'est pour cela que je demande le 1er mars. » M. Laureau. Je demande l'impression du discours de M. Daverhoult.

Plusieurs membres : Appuyé!

D'autres membres: La question préalable! (L'Assemblée rejette la question préalable et décrète l'impression et la distribution du discours de M. Daverhoult.)

(La discussion est interrompue.)

M. le Président. Voici le résultat du scrutin pour l'élection d'un vice-président. Sur 272 votants, la majorité absolue était de 137. M. Condorcet a réuni 175 voix. Je le proclame viceprésident. (Vifs applaudissements.)

La suite de la discussion du projet de décret du comité diplomatique sur l'office de l'empereur est reprise.

M. Condorcet (1). Messieurs, le rapport de votre comité vous à montré la France seule au milieu de l'Europe incertaine ou ennemie. Les monarques, jaloux de notre alliance, l'ont oubliée où rompue. Il semble qu'un prince, devenu roi par la volonté du peuple, ne soit plus digne d'être leur ami. A peine peuvent-ils consentir à le croire libre, parce qu'il a reconnu la liberté et les droits de l'homme.

La nation française avait choisi, sous ses formes antiques, des représentants chargés par elle de réformer les abus et de la faire remonter au rang des nations libres. Ils lui ont donné une Constitution nouvelle.

Un serment solennel de tous les citoyens, une fédération universelle ont prouvé qu'en se revêtissant de ce pouvoir, ces représentants n'avaient été que les interprètes fidèles du vœu national. La Constitution rédigée par eux a été consacrée par la sanction du peuple; car il a élu de nouveaux députés, et en les élisant, il les a soumis au serment de maintenir cette Constitution; car sur plus de dix mille assemblées qui embrassaient la généralité des citoyens français, il n'en est pas une seule qui ait fait entendre une réclamation ou un murmure.

Jamais aucune Constitution n'a obtenu le consentement immédiat d'une nation sous des formes plus régulières; jamais une Constitution n'a été plus clairement le résultat de la volonté du peuple, expressément manifestée. Cependant ces mêmes monarques la méconnaissaient encore : ils ne voient dans la France qu'un roi et point de nation; ses représentants ne sont rien pour eux, parce que leur assemblée n'existe pas en vertu d'un ancien usage, mais seulement par la volonté et le droit du peuple.

L'espagne, pour laquelle nous avons armé en 1790, repousse en 1791 les Français de son sein ou veut les forcer d'abjurer leur patrie.

L'empereur, qui avait mérité pendant vingtcinq ans, d'être placé dans la liste si courte des princes éclairés, justes, pacifiques, nous menace de troupes, dont, par une condescendance exagérée, nous avons souffert la réunion et qu'il ne pourrait employer contre nous, si nous n'avions par trop légèrement compté sur sa bonne

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés: Collection des affaires du temps, Bf. in-8° 165, tome 149, no 12.

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