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avoir son exécution« au premier éveil, à la première alerte, c'est-à-dire au moment où les citoyens seront armés, et en état d'opposer la plus grande force aux projets des conspirateurs! C'est un singulier complot, que celui dont on prend soin d'écrire toutes les particularités en forme de règlement, et auquel on ne trouve aucun autre but que d'arrêter les désordres qui menaceraient la tranquillité publique! aucun rapport, aucun fil ne montrent à qui tient la prétendue conspiration de Caen. Caen est à plus de 100 lieues de Coblentz, de Worms et de Spire. Ce n'est pas sans surprise que l'on lit dans le procès-verbal de la municipalité de Caen, que l'on avait des inquiétudes sur les dispositions des émigrants, quí depuis quelque temps résidaient dans la ville de Caen ».

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Des émigrants résidant dans la ville de Caen! des propriétaires demeurant dans les campagnes, qui, dans des moments de trouble, viennent s'établir dans une ville voisine, sont-ils des émigrants?

Quel nom leur eût-on donné s'ils eussent quitté leur patrie?

La perte de leur liberté était-elle le prix réservé à la loyauté avec laquelle ils s'étaient conduits à Caen dans des circonstances critiques, depuis qu'un péril commun à toute la France, les avait engagés à y fixer leur domicile ? Craignons que la rigueur du traitement qu'ils ont essuyé, ne leur ait fait regretter, je ne dis pas de n'avoir point grossi le nombre des émigrés rebelles, mais au moins de n'avoir pas été chercher une contrée lointaine, où, à l'abri des orages de la révolution, ils eussent coûlé des jours tranquilles.

Hâtons-nous de rendre à 84 Ritoyens une liberté qu'ils n'eussent jamais dù perdre; l'humanité le veut; la jutice le commande.

Voici le décret que je propose :

Projet de décret.

« L'Assemblée nationale décrète qu'il n'y a lieu à accusation contre les 84 citoyens détenus dans la tour de Caen; le pouvoir exécutif enverra sur-le-champ un courrier à la municipalité de Caen pour les faire mettre en liberté. »

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE. Séance du mardi 24 janvier 1792, au soir. PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY, ex-président. La séance est ouverte à six heures du soir. M. Rougier-La-Bergerie, au nom du comité d'agriculture, fait un rapport et présente un projet de décret sur les sommes à payer par la Trésorerie nationale à l'école vétérinaire d'Alfort, et à celle de Lyon pour l'acquittement de ses dettes. Ce projet de décret est ainsi conçu (1): "L'Assemblée nationale, reconnaissant l'utilité des écoles vétérinaires et voulant pourvoir au payement des sommes dues pour leur entretien,

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative : Dette publique, tome II, 0.

et aux dettes contractées par celle de Lyon, dont le dépérissement serait inévitable sans un secours provisoire, décrète :

« Art. 1er. Que la réduction proposée par le comité des finances pour l'Ecole vétérinaire d'Alfort, demeure fixée provisoirement à la somme de 28,700 livres; en conséquence, que les commissaires à la Trésorerie nationale en acquitteront les dépenses sur ce pied, jusqu'à l'entière et définitive organisation des écoles vétérinaires en France.

Art. 2. Il sera payé par la Trésorerie nationale, à l'Ecole vétérinaire de Lyon, la somme de 21,027 liv. 6 s. montant des dettes qu'elle a contractées jusqu'au 31 décembre 1791; laquelle somme sera employée à l'acquit de ses dettes, sous la surveillance du directoire du département de Rhône-et-Loire.

« Art. 3. L'Assemblée nationale charge son comité d'agriculture de lui présenter incessamment un projet de décret sur l'organisation définitive des écoles vétérinaires. >>

Plusieurs membres : L'impression du rapport et du projet de décret!

D'autres membres: La question préalable sur l'impression du rapport!

(L'Assemblée rejette l'impression du rapport par la question préalable; décrète l'impression du projet de décret et en ajourne la discussion à la séance de jeudi soir.)

Un membre: Les services rendus à la chose publique par la garde nationale parisienne, soldée ce qu'elle a fait pour sa patrie, ont été pour elle le plus doux des devoirs, et les noms de ceux qui l'ont servie avec tant de succès, devraient être gravés sur des tables d'airain. L'Assemblée constituante, par un décret du 18 septembre dernier, récompense ces braves guerriers par des pensions dignes de leurs services. Ils en jouiraient tranquillement sans votre décret du 13 décembre dernier, qui oblige à justifier d'un certificat de résidence en France, depuis 6 mois. La garde nationale parisienne soldée demande que cette loi ne lui soit pas rigoureusement appliquée, parce que son civisme est trop connu et qu'il est impossible à la plupart d'entre eux d'y satisfaire; je demande qu'elle soit exceptée du décret et que ma motion soit renvoyée au comité de l'extraordinaire des finances pour présenter, après demain, un projet de décret relatif à cet objet.

M. Thuriot. Je demande l'ajournement de la motion à jeudi soir.

(L'Assemblée renvoie cette motion au comité de l'extraordinaire des finances, pour lui en rendre compte à la séance de jeudi soir.)

Le sieur Joubert est introduit à la barre. Il fait part à l'Assemblée nationale du projet qu'il a conçu de créer, en quelque sorte, une seconde fois, et de multiplier par la gravure, les productions que le génie de la liberté enfanta et peut enfanter encore aux époques les plus marquantes de la Révolution. Il en a recueilli les principaux traits et les a multipliés par la gravure. Il fait hommage aujourd'hui de la première partie de cette entreprise, à ceux-là mêmes que le peuple a chargés d'achever et de perfectionner la Révolution nationale. C'est une gravure de l'un des deux bas-reliefs placés sur l'arc de triomphe à la Fédération générale de 1790. II témoigne le désir que son ouvrage soit placé dans le lieu des séances de l'Assemblée nationale. (Applaudissements.)

M. le Président répond au pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance.

M. Quatremère-Quincy. Je demande qu'il soit fait mention honorable au procès-verbal de l'hommage du pétitionnaire, et que l'Assemblée donne des ordres pour que cette gravure et les suivantes soient placées dans la salle des séances.

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable de cette offrande civique dans son procès-verbal, et charge les commissaires de la salle de déterminer les ornements et d'assigner les places qui conviendront le mieux à ces diverses gravures.)

Une députation des ci-devant gardes des ports est introduite à la barre.

Les pétitionnaires se plaignent de ce que leurs officiers ont négligé de leur rendre des comptes. Ils demandent que l'Assemblée veuille bien statuer à cet égard et prendre en considération la demande que lui font les premiers soldats de la liberté, qui, par leur zèle, ont seuls protégé le commerce de Paris en veillant rigoureusement sur tous les ports de la Seine. Ils réclament avec force, et sur des points très importants, une justice depuis longtemps sollicitée et constamment refusée.

M. le Président répond aux pétitionnaires que l'Assemblée s'occupera de cette pétition avec la plus grande attention, et leur accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition au comité militaire avec ordre d'en faire rapport très incessamment.)

Une députation des citoyens de la ville d'Arles est introduite à la barre.

L'orateur de la députation s'exprime ainsi : Représentants du peuple, députés d'une extrémité de l'Empire par 800,000 patriotes, nous venons mettre sous vos yeux la situation de la ville d'Arles. Dans une si grande distance de ce lieu, vous ne pouvez voir qu'à travers le voile infidèle du pouvoir exécutif. Après avoir consommé deux mois entiers àl errer vainement,autour de l'Assemblée nationale, avant de retourner vers nos commettants les mains vides et sans être environnés de cette protection éclatante que 800,000 patriotes attendent de vous, nous venons solliciter une dernière audience dont la publicité peut nous absoudre du silence du comité des pétitions. Venez vite, nous écrivait au milieu d'octobre dernier M. Antonelle, venez m'aider à faire entendre à l'Assemblée nationale ce qui se passe dans la colonie lointaine des Bouches-du-Rhône. Le citoyen que nous devions regarder comme le fondateur de la liberté, le meme homme qui a montré autant de courage que d'éloquence, que nous avons vu intrépide dans les dangers à Aix, à Arles, à Marseille; cet homme, dont notre reconnaissance avait gravé le nom dans les places publiques, que nous voulions rendre aussi immortel que notre cité, M. Antonelle en un mot; puissions-nous, en lui rappelant ses triomphes, le rendre à ses concitoyens et à la patrie. Ce député leur avait donné les plus grandes espérances. Il leur semblait que dans la seconde Assemblée nationale comme dans la première, ce serait au département des Bouches-du-Rhône que la tribune du peuple français devrait encore son plus bel ornement. Ce même homme, après nous avoir appelé par ses lettres, n'a paru que nous fuir depuis que nous sommes arrivés. Au lieu de nous donner

trois discours qu'il nous promettait, nous n'avons pu en tirer trois paroles. Abandonnés de celui qui devait, le dernier, abandonner notre cause, nous n'avons pas laissé de poursuivre notre mission; nous avons déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un mémoire renvoyé au comité de pétitions, pour en faire le rapport; et c'est inutilement que nous avons pressé ce rapport: nous avons trouvé le comité aussi sourd que le maire d'Arles est devenu muet.

Sachez, représentants, que les villes d'Arles et d'Avignon sont les Worms et les Coblentz du Midi. Pour ne parler que d'Arles, sachez qu'une armée de mécontents de Nîmes, Montpellier, Saint-Gilles et Uzès est cantonnée dans nos murs et que la ville est en état de guerre; ils en ont hérissé les remparts de 50 pièces de canon qu'ils ont fait marcher avec nos meilleurs guerriers. Sachez qu'une légion de prêtres contre-révolutionnaires a fanatisé toutes les têtes. Sachez qu'ils ont chassé la municipalité et le district pour les recomposer inconstitutionnellement. D'après ces excès et tant d'autres détaillés dans notre mémoire du 7 septembre, le directoire de département des Bouches-du-Rhône, ne voyant pas d'autres moyens de prévenir la guerre civile, avait enjoint par un arrêté aux citoyens de déposer leurs armes à l'hôtel de ville. Les patriotes s'empressèrent d'obéir à ce décret; mais, cinq jours après, cet arrêté était déjà cassé par le pouvoir exécutif. Les aristocrates, ainsi soutenus, prennent les armes, et s'emparent alors de celles des patriotes; ils arborent même l'étendard de la contre-révolution. Les patriotes désarmés sont contraints de se bannir de leur domicile; toutes les gardes nationales du département se soulèvent, demandent à grands cris qu'on les mène contre Arles; 12,000 se rassemblent à Marseille, le corps électoral proclame une circulaire et provoque une croisade pour nettoyer nos murs. Mais MM. Martineau, Duport et Dandré font rendre le décret du 13 septembre, qui improuve le corps électoral et supplée à cette mesure vigoureuse par la voie de trois commissaires endormeurs. Depuis ce moment, la contrerévolution est pleinement faite à Arles. Voulezvous savoir ce que sont venus faire les commissaires? Recevoir des fêtes, ne se montrer en public qu'avec les chefs des contre-révolutionnaires; diner chez l'aristocratie et souper chez le fanatisme. Voici, Messieurs, quelles étaient ces fêtes. Les administrateurs patriotes, insultés et menacés publiquement, le sieur Ange, officier municipal, chassé de la maison commune, poursuivi par plus de 200 personnes jusque dans l'appartement des commissaires, n'ont trouvé la paix que dans le sein de ces perfides médiateurs, et en embrassant l'autel de leur inviolabilité; le sieur Pascal, officier municipal, insulté et meurtri de coups sur la place publique, les prêtres constitutionnels chassés de leur temple et remplacés par des réfractaires, etc., etc... Voilà, représentants du peuple, voilà les médiateurs que le pouvoir exécutif nous a envoyés.

Le comité des pétitions nous demande des pièces justificatives des faits dont nous nous plaignons, comme si l'expulsion de la municipalité et du district, comme si l'état de contrerévolution où est notre ville, comme si la proscription, l'oppression des patriotes, ne nous mettaient pas dans l'impuissance de leur présenter des preuves légales; comme si la preuve de tant d'excès, dont nous demandons justice, n'était pas consignée dans les procès-verbaux

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de l'ancienne municipalité et du district; comme s'il n'y avait rien de plus dérisoire que de renvoyer l'accusateur devant ceux qu'il accuse.

Nous demandons: 1° que le détachement des dragons de Penthièvre soit retiré d'Arles, attendu qu'il a évidemment aidé et soutenu les contrerévolutionnaires, qu'il a affiché l'incivisme en insultant, menaçant et frappant les patriotes; 2o qu'on remplace ces dragons par des gardes nationales; 3° qu'on rappelle les commissaires envoyés par le pouvoir exécutif, et qu'ils soient mandés à la barre pour rendre compte de leur conduite; 4° que la nouvelle administration, organisée contre toutes les lois comme il résulte de la pétition individuelle qui a été envoyée à l'Assemblée, soit cassée et qu'il soit procédé à une nouvelle élection; 5o enfin que votre comité de surveillance, qui doit avoir reçu des instructions sur la situation alarmante des départements méridionaux, soit réuni au comité des pétitions pour examiner ces différentes plaintes et dénonciations, et en faire le rapport incessamment. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le Président, répondant à la députation. Messieurs, soyez convaincus qu'aucun lieu de la France n'est étranger à la sollicitude et à la vigilance de l'Assemblée nationale. Elle pèsera votre pétition dans sa justice et vous invite à sa séance.

M. Delpierre. Messieurs, les députés d'Arles que vous venez d'entendre se plaignent de ce que le rapport de leur pétition n'est pas encore fait C'est moi qui suis chargé de ce rapport, et si je ne l'ai pas fait à l'Assemblée, c'est que ce rapport n'est pas faisable. Je n'ai eu encore pour toutes pièces dans cette affaire que les injures que se sont dites deux partis opposés. Quand bien même j'aurais mis au creuset ces éléments contradictoires, je n'en aurais jamais fait sortir la vérité. J'ai donc dù me taire, et jusqu'à ce que j'aie des pièces justificatives, je déclare que je continuerai de garder le silence. (Applaudissements.)

M. Mulot. J'observe à l'Assemblée qu'en effet, pendant mon séjour à Arles, et aux environs, je me suis convaincu qu'il y avait dans cette ville, à Carpentras et dans le voisinage, un véritable foyer d'aristocratie. J'ai vainement tenté tous les moyens de l'éteindre, et la situation actuelle de cette ville mérite toute la sollicitude de l'Assemblée nationale. Je la prie de ne point négliger de porter ses regards sur cette partie de l'Empire.

Un membre: Je demande que les ministres soient tenus de vous rendre compte des mesures qu'ils ont dù prendre.

M. Pieyre expose que la ville de Nîmes n'est point exempte d'agitation et surtout de fanatisme. Par des motifs très pressants, tirés uniquement de toutes les considérations du salut public, il appelle la surveillance spéciale de l'Assemblée sur les départements méridionaux et particulièrement sur ceux du Gard, de la Lozère et des Bouches-du-Rhône.

Un membre, député du département des Bouchesdu-Rhône, et un membre député du département de l'Hérault, parlent dans le même esprit et sollicitent, comme les précédents, des mesures promptes et des moyens sûrs.

Un membre, non moins convaincu que tous ces foyers de contre-révolution communiquent entre eux et s'unissent encore à celui qui fut tou

jours si actif dans plusieurs villes du ci-devant Comtat, renouvelle ses instances pour obtenir que le rapport sur l'affaire d'Avignon et ses dépendances soit entendu à la plus prochaine séance. Plusieurs membres : Une séance extraordinaire demain soir!

M. Basire. J'observe à l'Assemblée qu'il n'est pas possible de faire convenablement ce rapportlà demain soir!

M. Bréard. Je suis chargé du rapport de l'affaire d'Avignon. Tous les jours, il m'arrive des pièces nouvelles, insignifiantes, mais dont je ne puis connaître le contenu qu'après les avoir lues. Cette vérification emporte tout mon temps et me met dans l'embarras. Je propose à l'Assemblée de faire, vendredi soir, un rapport pour lui indiquer des mesures provisoires, en laissant de côté les éclaircissements à tirer de l'affaire d'Avignon.

(L'Assemblée décrète que, vendredi prochain, une séance extraordinaire du soir sera consacrée à ce rapport et à celui de la ville d'Arles, et ordonne aux comités des pétitions et de surveillance réunis, déjà chargés du rapport sur l'affaire d'Avignon, de faire celui sur la ville d'Arles.)

Un membre: Le ministre de l'intérieur a des pièces officielles qui ont été remises par le procureur général syndic du département du Gard. Si l'Assemblée veut décider avec connaissance de cause, il faut qu'elle ordonne au ministre de rendre compte.

(Cette motion n'a pas de suite.)

Une députation des chasseurs volontaires de la garde nationale parisienne est introduite à la barre.

Ils se plaignent de ce qu'au mépris d'un décret rendu, deux compagnies de chasseurs ont été incorporées dans la garde nationale. Ils manifestent à la fois leur soumission aux lois qui fixeront leur nouveau régime et leur désir d'être encore utiles à la chose publique et leur impatience de connaître comment il leur sera permis de la servir.

M. le Président les admet aux honneurs de la séance après leur avoir annoncé que le rapport sur l'objet de leur pétition était à l'ordre du jour et qu'ils allaient l'entendre.

Une députation du 2° bataillon des volontaires nationaux de Seine-et-Oise est introduite à la barre,

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L'orateur de la députation s'exprime ainsi : Représentants de la nation française, le 2o bataillon des volontaires nationaux du département de Seine-et-Oise, rempli de tous les sentiments qu'inspirent à la fois la liberté et l'amour de la patrie, s'est dévoué sans réserve à la défense de cette chère patrie; et dans les cantonnements divers qui lui ont été assignés, il a su propager les principes de la Constitution et les faire aimer par sa conduite.

« Les alarmes publiques lui ont fourni des occasions d'être utile à ses frères, de s'acquérir des titres à leur estime, et même à leur amitié; les villages de Belloi, de Manicourt, de Mécourt et Hall ont senti les effets de la sollicitude fraternelle, et peut-être de l'intrépidité des volontaires, dont les efforts heureux ont arraché aux flammes et à la mort les malheureux habitants de ces villages, et préservé leurs maisons d'une destruction entière.

Heureux ces soldats de la liberté! si toujours

occupés à soulager les infortunés et préparer des vainqueurs aux ennemis de l'Etat, ils n'avaient eu à combattre les préjugés des villageois simples et crédules, dont l'esprit égaré par les discours insidieux et perfides des aristocrates et des prêtres non sermentés ont amené les scènes d'horreur et de sang dont nous gémissons tous et dont vous frémissez sans doute.

Augustes représentants du peuple français, le 2o bataillon de volontaires nationaux du département de Seine-et-Oise vous adresse ses plaintes, il dépose le sentiment de sa douleur dans le sein des pères de la patrie; cinq volontaires de la 6o compagnie ont été assassinés par des prêtres non sermentés et leurs agents, dans le village de Maurepas, district de Péronne, département de la Somme, le 4 janvier présent mois. L'un de ces volontaires est mort d'un coup de fusil, et ses camarades ne sont pas encore guéris des blessures qu'ils ont reçues. Nos frères sont assassinés et les méchants vivent encore! Notre respect pour les organes de la loi des jurés, loi sainte et bienfaisante dont nous ne connaissons que l'esprit, laisse en liberté quelques-uns des coupables; un officier de police, malgré des preuves presque convaincantes, ne les a pas frappés du mandat d'arrêter; les autres sont en fuite. Notre vengeance était sure, deux des présumés coupables étaient entre nos mains; mais la vengeance de la loi est la seule que nous désirons : nous combattons les ennemis de l'Etat à main armée; mais nous ne nous souillerons pas du sang de vils assassins. Cependant huit jours se sont passés depuis celui du délit et aucunes poursuites n'ont été faites excepté les procès-verbaux de l'état des assassinés et quelques déclarations qu'on a reçues de leur bouche, nous gémissons de le dire, aucun acte qui puisse constater le lieu du délit, aucune audition de témoins qui puisse en faire connaître les auteurs, aucune perquisition qui puisse en laisser des traces, aucun moyen judiciaire enfin, utile à la tranquillité publique et à la juste réparation due aux assassinés, n'ont été mis en usage par l'officier de police. Nous ignorons quelles formes il a suivies dans sa procédure; mais nous savons qu'aucun procès-verbal écrit des dépositions faites dans la journée du 5 janvier, ne peut constater ce qu'ont dit les déposants entendus dans le lieu des séances de la municipalité de Maurepas. Nous le répétons, les déclarations seules des quatre volontaires échappés à la mort, et celles de leurs compagnons d'infortune, font connaître encore et le lieu du délit, et les délinquants, et les armes dont ils se sont servis.

« Représentants du peuple, pour vous faire connaître cette scène cruelle d'une manière précise et sans obscurité, le 2o bataillon des volontaires de Seine-et-Oise vous adresse les procèsverbaux qu'il a faits à Maurepas, et dont les membres de la municipalité de ce village ont reconnu la fidélité en les garantissant par leurs signatures; vous prendrez aussi connaissance d'un procès-verbal de la gendarmerie nationale, dont nous vous envoyons copie; à ces pièces en seront jointes encore d'autres, telles que des réquisitions des municipalités de Péronne, de Cléry et même de Maurepas; et plusieurs autres enfin, à la suite desquelles vous trouverez des certificats honorables que le bataillon a obtenus de son respect pour les lois et de son amour pour son pays: ces pièces seront suffisantes pour déterminer votre jugement; mais nous les croirions incomplètes, si nous ne les faisions précé

der d'un récit naïf et fidèle des événements antérieurs à la catastrophe qui nous fait demander votre justice.

«La paroisse de Maurepas était desservie par un curé, prêtre non sermenté, ou pour mieux dire, qui avait révoqué son serment ce curé s'appelle Caron et tient, par les liens de l'amitié, à une famille nombreuse et puissante dans ce village; nous ignorons si un plan combiné avec l'aristocratie et les prêtres factieux guidait ses démarches, nous ignorons si un fanatisme pernicieux était le principe de ses actions; mais nous savons, par la notoriété publique, que ses discours, ses prédications et son exemple, avaient formé dans le village de Maurepas un parti décidément ennemi des patriotes et de la Constitution. Lors des élections des membres qui composent la municipalité de Maurepas, la faction fanatique (et la voix publique le disait ainsi) voulait, soit par intrigues, soit même par la force, porter à la place de maire un sieur d'Assouviller, de la famille amie du curé; et la voix publique disait que cette nomination n'était désirée par ces factieux que pour acquérir une autorité sans bornes dans le village; les patriotes de Maurepas furent alarmés et demandèrent, pour protéger la liberté des élections, un détachement des volontaires de la 6 compagnie de notre bataillon; cette mesure eut l'effet qu'ils en attendaient. La liberté fut protégée, le fanatisme en frémit; mais ses murmures sourds parurent ridicules, parce qu'ils étaient impuissants. Cependant, on fit la cérémonie de l'installation de la municipalité, une messe fut chantée dans l'église de Maurepas; les volontaires y assistèrent et aperçurent aux voûtes de l'église un drapeau empreint d'un écusson féodal: la municipalité fut invitée à faire disparaître ce drapeau inconstitutionnel, et le drapeau disparut; mais lorsque les volontaires furent retirés dans leur cantonnement, les clameurs fanatiques redoublèrent, les injures contre les soldats de la patrie furent prodiguées, et le drapeau féodal reparut aux voûtes de l'église. Les patriotes de Maurepas en avertirent les volontaires de la 6e compagnie; ceux-ci vinrent à Maurepas, et le drapeau fut brûlé aux cris de joie des patriotes, qui chantèrent le Ça ira, en dansant autour de ses cendres. (Applaudissements.) Les volontaires restèrent quelques jours dans leur cantonnement sans entendre parler des fanatiques, ni de leur curé ah! que n'ont-ils ignoré plus longtemps les nouvelles injures qu'ils débitaient contre eux et contre la Constitution!

"Dans les premiers jours de janvier, ils furent instruits que la faction de Maurepas avait repris toute sa force et que la Constitution était le but qu'elle attaquait sans cesse. 10 d'entre eux, après s'être persuadé que prêcher contre les lois étant un crime qu'ils partageraient eux-mêmes, s'ils ne le faisaient punir, résolurent d'aller inviter le curé non sermenté de Maurepas à changer de conduite, s'il ne voulait se voir traduire devant les tribunaux de Péronne. (C'est ici que commence l'affreux récit de l'assassinat arrivé à Maurepas.) Les 10 volontaires se présentèrent chez le curé; il était absent et ne devait être de retour que le soir, à ce qu'on leur dit. Ces volontaires, presque sans armes, promirent de revenir, et, en attendant l'heure de retour du curé, allèrent se rafraîchir à une auberge dite du Tiers-Etat ». Un moment après y être arrivés, ils virent entrer et sortir des hommes armés de bâtons qui leur parurent suspects; cependant, ils n'osèrent

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imaginer qu'on se préparait à les égorger; et fidèles à leur dessein, ils revinrent au logis du curé à l'heure convenue. Au premier coup qu'ils frappèrent à la porte, on leur répondit par des menaces dans lesquelles étaient mêlés les mots de fusil et de municipalité. Les malheureuses victimes, incapables d'effroi, comme de soupçons, frappèrent de nouveau; à ce coup, la porte s'ouvrit, et, comme ils en franchissaient le seuil, ils furent assaillis par une fusillade; l'un d'eux fut frappé de mort sur la place et les autres furent grièvement blessés. Après le coup de feu, des hommes armés de bâtons et autres armes, sortant de derrière une porte, tombèrent sur les volontaires, qui purent à peine emporter le mort et les blessés. En se retirant, ils essuyèrent les injures des femmes dévotes, qui leur fancèrent même quelques pierres. Le tocsin sonna, et ceux des volontaires qui purent fuir, en sortant du village, essuyèrent encore des coups de fusil, mais heureusement ne furent pas atteints; ils volèrent avertir leurs camarades de venir les venger. Le capitaine de la 6o compagnie, qui possède l'amitié de ses frères d'armes, parvint à les maintenir jusqu'au retour d'un exprès qu'il envoya au commandant du bataillon, pour en obtenir des avis et des secours d'hommes; car la clameur publique annonçait alors que les factieux de Maurepas et des environs s'étaient armés et réunis pour exterminer les volontaires. Le maire de Péronne jugea nécessaire que M. le commandant se mit à la tête de sa troupe. Le maire de Cléry fut du même avis, et M. le commandant arriva à 2 heures du matin dans le village de Maurepas. Sa troupe était aigrie et n'aspirait qu'à la vengeance; un des volontaires était mort, un des blessés était dans les rangs; ceux qui avaient échappé aux coups des assassins étaient armés; la circonstance paraissait alarmante; mais M. le commandant n'eut besoin, pour faire disparaître toutes les passions du cœur des volontaires, que de leur rappeler qu'ils étaient les soldats de la patrie, les défenseurs de la loi; ils jurèrent de n'agir que pour elle. (Applaudissements.) Tous les postes furent garnis de sentinelles, l'église et le domicile du curé et autres lieux suspects furent gardés à vue; des postes nombreux occupèrent les issues principales; des patrouilles et des rondes fréquentes rendirent la troupe maîtresse du village. Deux présumés coupables furent arrêtés dès que le jour parut; un volontaire, du nombre des blessés, en reconnut un à une marque certaine : une déposition et plusieurs indices semblaient prouver qu'il était convaincu; cependant les volontaires respectèrent sa personne; et elle fut remise sans violence entre les mains du juge de paix, qui malgré tant de présomptions, le fit remettre en liberté, et cette liberté fut respectée par qui? par des volontaires qui emportaient avec eux le cadavre de leur camarade assassiné! (Applaudissements.)

« Cette conduite a été louée, et nous sentons qu'elle doit l'être par des hommes habitués à suivre l'élan de toutes leurs passions; mais nous qui avons juré d'être les soldats de la patrie, les défenseurs de la loi, nous ne croyons pas qu'on soit louable parce qu'on obéit à son serment et aux lois immuables de la liberté civile.

« Pères de la patrie, nous saurons mourir pour elle mais sachez veiller pour nous; nous en avons la conscience et sommes avec respect, etc. (Applaudissements.)

(Suivent soixante-seize signatures.)

M. le Président, répondant à la députation. Messieurs, l'Assemblée nationale a entendu avec douleur le récit que vous venez de lui faire. Elle applaudit à la conduite sage et patriotique de votre bataillon et elle prendra votre pétition en grande considération. Quels citoyens ont des droits plus sacrés à la protection des lois que ceux qui ont juré sur leurs armes de mourir pour elles! L'Assemblée nationale vous invite à sa séance. (Applaudissements.)

M. Chéron-La-Bruyère. La soumission aux lois est un devoir; mais malheureusement cette vertu n'est pas encore assez générale. Je demande l'impression, mention honorable au procès-verbal et l'envoi à tous les départements. (Murmures.)

M. Lecointe-Puyraveau. J'appuie, autant qu'il est en moi, la proposition de faire mention honorable au procès-verbal de la conduite qu'ont tenue les gardes nationales de Seine-et-Oise. Mais, Messieurs, cela est-il suffisant? Il n'est pas un seul membre de cette Assemblée qui n'ait entendu, avec la plus vive émotion, avec une indignation mêlée d'horreur, les détails de l'assassinat qui vous a été dénoncé. Ce n'est pas le premier de cette nature. Il faut que l'Assemblée prenne des mesures pour assurer la prompte punition des crimes auxquels excite tous les jours le fanatisme. Il y a à peu près 3 semaines, on Vous a instruits qu'un malheureux jeune homme, garde nationale, se trouvant dans une auberge, avait été assassiné par un homme qui était dévoué au fanatisme. Vous décrétâtes, Messieurs, que le ministre de la justice donnerait des ordres pour assurer la poursuite de ce crime et vous en rendrait compte sous quinzaine. Que la résolution que vous prites dans cet instant vous serve de règle pour la conduite que vous avez à tenir aujourd'hui. Je demande que le ministre de la justice soit tenu d'exécuter ce décret et de vous rendre compte pareillement de ce qu'il aura fait dans la circonstance actuelle pour poursuivre le crime. Il faut que nous sachions si, une fois, les meurtres et les assassinats du fanatisme et de l'irréligion seront punis. (Oui! oui! Applaudissements.)

(L'Assemblée décrète que le ministre de la justice rendra incessamment le compte qui lui avait été demandé. Elle décrète, en outre, que le même ministre sera tenu également de rendre compte, sous quinzaine, des poursuites contre les auteurs des assassinats commis au village de Maurepas, district de Péronne, en la personne de 5 volontaires nationaux du département de Seine-et-Oise.)

M. Basire. M. Chéron a demandé l'impression de l'adresse. J'appuie cette proposition. On a imprimé de très longs discours; on peut imprimer aujourd'hui celui où l'on donne de si bons exemples.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur la motion d'impression.)

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