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empressé de saisir cette déplorable circonstance, où la baisse de nos échanges lui donne un bénéfice de 50 0/0. Le négociant français a partagé les mêmes idées, et sa spéculation a été excitée par un autre motif, sans doute bien moins réel, mais dont les conséquences sont absolument les mêmes l'occasion de placer ses assignats, dont il a très chimériquement redouté le sort.

Espérer que ce négociant étranger nous enverra du sucre brut, par exemple, lorsque le droit de 9 livres par quintal à son introduction en France sera supprimé, ce serait étrangement s'abuser, puisque ce sucre est maintenant, dans tous les pays de l'Europe, à un prix aussi élevé qu'en France, et que le change, alors en sens inverse pour ce négociant, lui causerait une perte de 50 0/0, c'est-à-dire de 70 à 80 livres par quintal sur le prix actuel de cette denrée. Cette considération est la seule qui ait empêché votre comité de vous proposer la suppression du droit d'entrée sur le sucre brut étranger; il eût d'autant moins hésité à vous faire cette proposition, que le prix de cette espèce de sucre, étant le plus modéré, s'approprie le mieux au besoin général, mais votre comité a pensé qu'il fallait laisser subsister un droit dont la suppression ne produirait absolument rien, si ce n'est de présenter au peuple une faveur illusoire, d'affecter une bienveillance stérile et mensongère, tout à la fois outrageante pour une nation libre, et indigne de la loyauté de ses représentants.

Mais cette suppression de droit d'entrée, qui ne serait qu'inutile étant appliquée au sucre brut, pourrait être infiniment préjudiciable si elle était relative aux sucres terrés ou raffinés.

Les droits à l'entrée en France sont de 18 livres par quintal de sucre terré et de 25 livres par quintal de sucre raffiné ou en pain. Cette élévation du droit sur ces deux espèces de sucre a été calculée pour maintenir à nos raffineries l'opération du terrage et du raffinage. L'Angleterre, au contraire, qui a toujours en vue le double projet de favoriser ses propres fabriques et de détruire celles des autres pays, accorde une prime d'environ 45 livres au change actuel par quintal de sucre raffiné exporté à l'étranger. J'avoue que cette prime, jointe à la suppression de notre droit sur l'introduction du sucre raffiné, ne suffirait pas encore pour nous en faire venir de l'Angleterre, et cela à cause de l'excessive perte du change; mais il pourrait arriver que l'Angleterre augmentât considérablement sa prime de sortie, et alors nous aurions des sucres raffinés anglais; mais que résulterait-il de cette introduction? précisément la chose que l'Angleterre désire le plus ardemment, la ruine de nos raffineries, et cette affreuse calamité qui réduirait une foule d'ouvriers à l'inaction et à la misère. Pourriez-vous l'ordonner? Non; cette atroce pensée ne peut approcher des bienfaiteurs de la France. Ils n'arracheront pas le pain de la main d'une partie considérable de citoyens, pour en mettre quelques autres dans le cas d'avoir du sucre à meilleur marché.

Et qu'on ne croie pas qu'il soit chimérique de supposer que, si nous supprimions notre droit d'entrée sur les sucres raffinés, l'Angleterre pourrait élever sa prime de sortie sur les mêmes sucres on a vu cette nation faire de bien plus grands sacrifices pour son commerce. On l'a vue, après cette longue et folle guerre avec les EtatsUnis, déterminer les propriétaires de marchandises anglaises, vainement étalées dans les marchés du nouveau continent, à les donner à des

prix extrêmement bas, en indemnisant ces propriétaires de la perte qui en résultait, et cela dans l'unique vue d'écarter la concurrence de la France et de rester, comme auparavant, en possession d'approvisionner seule les marchés américains; ce à quoi elle n'a malheureusement que trop réussi.

A l'égard du coton, il est franc de tous droits, tant à l'entrée qu'à la sortie.

Reste le café, sur lequel le droit d'entrée, venant de l'étranger, est de 30 livres par quintal. La suppression de ce droit n'en pourrait pas faire venir de l'Angleterre; car il paye, en entrant dans cette île, un impôt d'environ 66 livres par quintal, qui n'est restitué dans aucun cas; ni de la Hollande, puisqu'il est presque aussi cher qu'en France, et qu'en outre, la perte du change, qui serait, en la calculant sur le prix actuel du café, de plus de 100 livres par quintal, en repousserait absolument l'importation. La suppression de notre droit d'entrée sur cette denrée serait donc encore une faveur entièrement illusoire.

Mais prenez garde, Messieurs, que si, malgré ces considérations, vous vous décidiez à supprimer les droits d'entrée sur les denrées coloniales venant de l'étranger, par l'unique motif d'en faire baisser le prix en France, ce même motif vous entraînerait à supprimer pareillement les droits sur l'introduction des draps, des toiles, en un mot, de tous les objets de fabrique étrangère, puisque le prix de ces objets a éprouvé, comme celui des denrées coloniales, un surhaussement considérable. Je n'ai pas besoin de vous exposer les meurtrières conséquences d'une pareille mesure vous sentirez que ce serait, d'un seul coup, anéantir presque toutes nos manufactures, réduire le quart de la population à mourir de faim, et achever d'épuiser entièrement notre numéraire.

Quelques personnes ont cru apercevoir, dans une mesure contraire, un moyen plus sûr de produire une diminution dans le prix des denrées des colonies. Au lieu de permettre l'importation de l'étranger, elles ont proposé d'en défendre l'exportation à l'étranger. Votre comité, avant de discuter l'efficacité de cette mesure, a dû examiner si elle était juste, si elle était politique, si elle était avantageuse à la nation; et il a reconnu, à l'unanimité, qu'elle était inadmissible sous tous les rapports. Entre une foule de motifs à l'appui de cette opinion, il ne vous en présentera qu'un seul, mais d'une telle évidence qu'il a lieu d'espérer qu'il dissipera tous les doutes.

La France reçoit annuellement pour environ 200 millions de marchandises des autres Etats, elle ne peut s'acquitter de cette somme que de deux manières, ou avec ses propres marchandises, ou avec son argent; or, dans l'énumération des marchandises qu'elle donne en payement, les denrées de nos colonies forment seules un article de près de 80 millions. Il est incontestable que si nous défendions la sortie de ces denrées, il faudrait donner notre numéraire à la place; et ce mode de payement serait d'autant plus ruineux pour la France qu'il comblerait le discrédit de son commerce et la perte de ses changes.

Votre comité de commerce ne s'est pas dissimulé qu'indépendamment des causes qui dérivent de la nature même des circonstances, l'accaparement et l'agiotage peuvent avoir contribué au surhaussement dans le prix des denrées co

loniales; mais, s'il existe quelques moyens de répression contre ces effets de la cupidité, ce n'est pas dans la loi, mais dans l'opinion qu'il convient de les chercher. Il faut dévouer au mépris ces hommes avides qui se composent un vaste superflu des privations des citoyens; mais il faut en même temps conserver toutes les propriétés. Les désordres qui ne seraient pas sévèrement punis, auraient même un effet diamétralement opposé à celui qu'on en ose espérer. Le sucre et le café resteraient dans les ports ou disparaîtraient du commerce, et le prix en doublerait dans la capitale; ce qui serait d'autant plus affligeant, que, dans ce moment, au contraire, ces denrées y sont moins chères que dans toute autre ville du royaume.

Messieurs, le bonheur de tous les Français est votre premier vou et le premier objet de votre sollicitude; mais y parviendrez-vous, en abandonnant le vaisseau de l'Etat aux tempêtes de toutes les passions? Devez-vous recevoir ou dominer l'influence populaire? Que dis-je, Messieurs, on le calomnie ce bon peuple; il ne cédera pas aux efforts des ennemis de la patrie qui cherchent à l'égarer. Il a fait la Révolution, mais il sait qu'elle est faite. Il veut aujourd'hui la Constitution; il veut le règne de la justice et des lois; et ce n'est qu'en les maintenant d'une main inflexible sur le trône qu'elles ont dans ce sanctuaire, que vous éterniserez son estime et sa reconnaissance.

Votre comité de commerce a discuté la seule mesure raisonnable qui, suivant l'observation de M. Broussonnet, pouvait paraitre susceptible de produire une modération dans le prix des denrées coloniales. Les considérations qu'il vous a présentées le déterminent à conclure qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la question que vous l'avez chargé d'examiner. (Murmures.)

M. Massey. L'augmentation du prix des denrées coloniales a trois causes la première, les malheurs de la colonie de Saint-Domingue; la seconde, la circulation très active de notre monnaie actuelle en papier, jusqu'à sa conversion en domaines nationaux; la troisième enfin, les accaparements faits sur la première nouvelle, apportée par un navire anglais, de la dévastation d'un grand nombre de sucreries et caferies. A l'annonce des troubles des colonies, les négociants, par un effet bien naturel, ont converti tout leur papier en ces sortes de denrées, dont ils prévoyaient le surhaussement.

La principale cause de ces accaparements, vraiment affligeants et désastreux, c'est le gage des billets nommés patriotiques et de secours, laissé dans les mains des directeurs de ces établissements. L'émission des billets patriotiques, en augmentant la circulation du papier-monnoie, a facilité les moyens d'accaparement, parce que les assignats représentatifs de la valeur de ces billets de caisse, ont été convertis en marchandises. Jusqu'à quand, Messieurs, verrezVous avec indifférence ces établissements monétaires qui emploient leurs valeurs à faire des accaparements odieux? Si vous avez regarde comme un bien les coupures qu'ils ont établies de ces assignats, vous devez craindre que leur abondance ne finisse par porter un coup funeste à la confiance publique. Encore, s'ils déposaient en assignats la valeur de la masse de petits billets qu'ils mettent en circulation, cette précaution pourrait rassurer les citoyens. Mais pas du tout. Au contraire, Messieurs, les auteurs de

ces établissements ayant dans leurs mains la valeur représentative de leurs petits billets en circulation, ils emploient ces valeurs à des accaparements, dont le succès certain, avec de tels capitaux, devient une calamité publique par le renchérissement sur beaucoup d'objets d'approvisionnement.

Je ne vous proposerai point de fixer le prix des denrées, ce serait porter atteinte aux principes de la Constitution : ce serait violer le droit de propriété. Je ne vous proposerai point d'ouvrir nos ports à l'entrée des denrées coloniales des puissances étrangères, puisque les étrangers viennent eux-mêmes s'approvisionner dans nos ports et que la suppression des droits perçus ne serait qu'illusoire et n'apporterait aucun profit, aucune diminution. Mais je demande que vous rappeliez de la circulation des valeurs qui n'auraient jamais dû y entrer. Hâtez-vous, Messieurs, de faire déposer en assignats, par les caisses dites patriotiques, la valeur du papier-monnaie qu'elles ont en circulation. Par cet acte de précaution, vous diminuerez peut-être de 50 millions la masse de papier qui existe dans Paris, vous ferez cesser les inquiétudes terribles quí affligent les bons citoyens, vous forcerez à réaliser une partie des accaparements faits et vous provoquerez ainsi, par un acte de surveillance, la réduction des prix que vous vous proposez.

En conséquence, je propose: 1° que l'Assemblée nationale voulant, autant qu'il est en elle, détruire tous les accaparements et assurer le gage des billets de confiance, décrète que le ministre de l'intérieur se fera rendre compte, dans le délai d'un mois, du nombre des caisses patriotiques, de la somme de billets patriotiques en circulation dans les diverses communes du royaume, et de la somme d'assignats qui ont été déposés pour en être le gage; 2° que les directoires de district et de département, après avoir fait vérification, veilleront à ce qu'il ne soit plus mis de billets patriotiques en émission, sans une autorisation du directoire de département et le dépôt préalable de leur représentation en assignats. (Applaudissements.)

M. le Président. On va vous donner lecture d'une lettre de M. Boscary, membre de l'Assemblée. M. Dorizy, secrétaire, donne lecture de cette lettre qui est ainsi conçue.

« Monsieur le Président.

«Le peuple, égaré par des gens malintentionnées, s'est porte hier matin chez moi en foule au moment où j'allais me rendre à l'Assemblée, et m'a empêché de me rendre à mon poste. On lui insinue que ma maison de commerce, sous le nom de Ch. Boscary et compagnie, avait fait des accaparements de denrées coloniales, assertion aussi fausse que calomnieuse. On a tenté d'entrer par force dans ma maison, et on a cassé toutes mes vitres du premier étage... (Bruit dans les tribunes.)

M. le Président. Je rappelle les tribunes au respect dù aux représentants du peuple.

M. Dorizy, secrétaire, continuant la lecture. "... avant que la force publique ait pu m'accorder protection. Je suis encore menacé en ce moment; et malgré la garde qu'on a voulu me donner, on jette des pierres contre mes fenêtres ma fortune, celle de nos amis sont en danger. J'invoque la loi, la sauvegarde de la propriété, non seulement pour moi, mais encore

pour tous les négociants de Paris, qui ne sont pas exempts des égarements du peuple... (Murmures sourds.)

M. Dorizy, secrétaire. Je ne comprends pas ces murmures; le sentiment des malheurs publics ne devrait qu'affliger l'Assemblée. (Rires à l'extrême gauche et dans les tribunes.)

Un membre: Puisque nous ne pouvons plus dire la vérité ici, je demande que l'Assemblée se forme en comité général.

M. Bijon. Lorsque l'Assemblée constituante a cédé sa place à la Législature, elle n'avait pas pensé sans doute qu'elle serait entourée des huées d'une troupe de vampires. Je demande que les tribunes soient rappelées à l'ordre.

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M. Dorizy, secrétaire, continuant la lecture. «Je ne m'attendais pas, Monsieur le Président, à devenir l'objet de la fureur du peuple. Je n'ai jamais fait de mal à personne ; j'ai fait du bien quand je l'ai pu. Personne plus que moi ne s'est livré à la Révolution. Constamment dans les places civiles ou militaires, j'ai été le premier à défendre les propriétés en danger; et aujourd'hui les miennes sont menacées. J'espère que le peuple, revenu de son égarement, me ren-dra l'estime et la justice que je mérite à tous égards. Je vous prie, Monsieur le Président, de communiquer de suite à l'Assemblée cette lettre importante pour moi. (Rires dans les tribunes.) Je suis avec respect, etc.

a Signé BOSCARY, député de Paris. »

M. Dehaussy Robecourt. Je demande que cette lettre, et celle qui a été lue au commenecment de la séance, soient envoyées sur-le-champ à la municipalité, afin qu'elle prenne toutes les précautions nécessaires pour que les propriétés des citoyens soient respectées.

M. Merlin et quelques autres membres appuient la motion de M. Dehaussy-Robecourt. Un membre: Je demande le renvoi de la lettre au pouvoir exécutif.

M. Thuriot. Je demande à parler contre le renvoi au pouvoir exécutif. Messieurs, renvoyer au pouvoir exécutif, c'est vouloir admettre la possibilité d'un retard; et, dans ce moment-ci, il n'y a pas un instant à perdre. M. Boscary vous parle de faits qui se sont passés hier et qui vous ont été transmis par la municipalité, elle a pris des mesures pour conserver hier soir ces propriétés. Dans ce moment-ci, le peuple trompé fait encore des mouvements contre la propriété de M. Boscary: la municipalité va reprendre naturellement sa marche. C'est donc efle qu'il faut prévenir à l'instant et non pas le pouvoir exécutif. (Applaudissements et murmures.)

M. Léonard Robin. Je m'oppose au renvoi à la municipalité. Les circonstances, Messieurs, ne doivent jamais nous faire départir des principes et surtout des principes constitutionnels. L'Assemblée nationale ne doit point avoir l'ad

ministration de Paris. L'Assemblée nationale ne doit pas correspondre avec les municipalités : l'Assemblée nationale, pour l'exécution de ses lois, ne connaît que le pouvoir exécutif et ne doit correspondre qu'avec lui. Ici, c'est au ministre de l'intérieur, qui a la haute police, que le soin du rétablissement de l'ordre doit être particulièrement recommandé. C'est donc à lui qu'elle doit renvoyer la lettre de M. Boscary. J'assure que Boscary vient de recevoir des secours; je suis son voisin et s'il y a de nouveaux mouvements autour de sa maison, je suis persuadé que la force publique s'y portera encore davantage; car la sollicitude du département et de la municipalité doit être encore plus active aujourd'hui qu'hier. Je demande le renvoi au pouvoir exécutif. (Murmures.)

M. Hua. Je demande l'ordre du jour et je le motive. M. Delbé vous a fait la même plainte que M. Boscary; vous avez passé à l'ordre du jour. Est-ce parce qu'il s'agit d'un député que vous prendriez actuellement une autre mesure? (Applaudissements dans les tribunes.) Ce n'est pas à l'Assemblée à faire la police.

MM. Emmery, Tarbé et plusieurs autres membres demandent à combattre l'ordre du jour.

(L'Assemblée, après de longs et tumultueux débats, rejette l'ordre du jour et renvoie la lettre de M. Boscary au pouvoir exécutif.)

Un membre: Je demande que la lettre de M. Delbé y soit jointe.

M. Dorizy. Je demande que le député de l'Assemblée nationale, qui connaît M. Delbé se lève et assure à l'Assemblée que ce citoyen existe. J'ajoute que j'interroge non seulement l'Assemblée, mais même les assistants à l'Assemblée nationale. Quant à moi, je nie son existence.

(Personne ne répond à la demande de M. Dorizy, et l'Assemblée passe de nouveau à l'ordre du jour.)

M. Ducastel. Je demande la parole pour une motion d'ordre. Il existe un décret de l'Assemblée constituante, en date du 21 juin 1791, qui défend aux personnes qui sont ou qui seront admises dans les tribunes de donner aucune marque d'approbation ou d'improbation... (Les huées des tribunes couvrent la voix de l'orateur.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

Un membre: La motion d'ordre de M. Ducastel est une vraie motion de désordre. La loi existe, il n'y a point de loi à faire.

(Il s'élève dans l'Assemblée une violente agitation au milieu de laquelle se fait entendre l'improbation des tribunes.)

M. Vergniaud. On vous supplie, Monsieur le Président, au nom du bien public, de faire cesser ce désordre et les motions qui y donnent lieu, afin que l'Assemblée puisse s'occuper d'autres objets importants.

M. Delacroix. L'ordre du jour!

M. Ducastel. Je demande si ma qualité de représentant de 25 millions d'hommes doit m'obtenir du silence.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

Un membre: C'est une tactique criminelle qu'on emploie toujours pour troubler les délibé

rations.

M. le Président. Je réclame le silence au nom de la patrie.

M. Ducastel. Et moi, Monsieur le Président, je le demande au nom de la loi. Ma motion a pour objet de savoir si les représentants de la nation entière doivent obéir et céder à une section du peuple.

Plusieurs membres : L'ordre du jour! l'ordre du jour!

M. le Président. J'ai accordé la parole à M. Ducastel, je la lui maintiendrai. Vous pourrez passer à l'ordre du jour sur sa motion; mais ce ne sont ni des murmures ni des cris qui ménagent le temps de l'Assemblée. Je rappelle l'Assemblée au calme et au silence.

(Le calme se rétablit.)

M. Ducastel. Je relis le décret :

་་

L'Assemblée nationale défend aux personnes qui sont ou qui seront admises aux tribunes de donner aucune marque d'approbation ou d'improbation, et ordonne que celles qui s'écarteront de cette règle par des clameurs ou des murmures indécents, seront sur-le-champ contraintes d'en sortir. »

Je demande que ce décret soit lu au commencement de toutes les séances et qu'il soit ponctuellement exécuté. (Murmures dans les tribunes et dans une partie de l'Assemblée. Rires dans les tribunes.) Ainsi on brave vos lois. Vous l'entendez, Messieurs, vous n'aurez jamais d'ordre. (Murmures.)

Un membre: Je demande l'ordre du jour qui est infiniment plus intéressant que de nous occuper de ces vains débats.

Voix dans les tribunes: Oui! oui! L'ordre du jour !

M. Ducastel. J'entends demander l'ordre du jour. En ce cas, l'Assemblée n'est pas libre. Elle est libre pour ceux qui aiment cette liberté-là ; elle ne l'est pas pour moi.

Un membre: L'Assemblée constituante savait se faire respecter et vous ne le savez pas. Plusieurs membres : L'ordre du jour! D'autres membres : C'est honteux de passer à l'ordre du jour sur l'exécution d'un décret.

M. Ducastel. En ce cas, il faut sortir et retourner dans nos départements.

M. Vergniaud. Je demande l'ordre du jour. M. Delacroix. Je demande à le motiver.

Un membre: Je demande que celui qui invoque l'ordre du jour contre l'exécution de la loi le motive.

M. Delacroix. Voilà le motif sur lequel j'appuie l'ordre du jour c'est que toutes les fois qu'il y a une loi, il faut la faire exécuter etqu'il est inutile d'en faire une seconde pour la faire exécuter. C'est M. le Président qui est chargé de faire respecter la loi que M. Ducastel vient de lire. Si M. le Président ne la fait pas respecter, qu'on le rappelle à l'ordre.

Plusieurs membres : Mais ce n'est pas cela.

M. Delacroix. L'intention de M. Ducastel est sans doute d'apprendre aux citoyens des tribunes qu'ils ne peuvent ni applaudir ni improuver; mais tous ces citoyens ne viennent pas en même temps à la séance, et la lecture de ce décret serait inutile.

Je dis, d'un autre côté, que nous manquons, nous aussi, à notre règlement. Il nous défend d'applaudir et de murmurer et j'entends tous les jours applaudir et murmurer. Je demande donc

l'ordre du jour. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. Thuriot. Je demande l'ordre du jour. Il paraît qu'il y a un parti pris pour faire perdre le temps à l'Assemblée et enchevêtrer la délibération.

M. Viénot-Vaublane. Je demande que la loi qui vient d'être lue soit imprimée en placards et affichée dans les tribunes et dans les corridors qui y conduisent. Je sais qu'il est des moments où l'on ne peut se défendre d'exprimer des sentiments naturels, mais le peuple qui respecte la loi, n'oublie pas volontiers ce qu'il doit à ses auteurs, et il lui suffira de connaître l'ordre qui est nécessaire aux délibérations pour ne plus s'en écarter.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Viénot-Vaublanc. Je suis donc convaincu que les bons citoyens se feront un devoir d'obéir, et que l'Assemblée nationale saura toujours distinguer entre de simples mouvements d'approbation ou d'improbation qui ne sont pas un manque de respect pour elle, et entre d'autres mouvements qui, pour être blâmés, ne demanderaient pour juges que la majorité des citoyens présents dans les tribunes. (Applaudissements dans les tribunes.) Je demande donc tout simplement que la loi soit imprimée et affichée dans les tribunes et dans les corridors qui y conduisent. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Appuyé ! appuyé! Aux voix ! aux voix !

(L'Assemblée, consultée, décrète à l'unanimité la motion de M. Viénot-Vaublanc.)

M. le Président. L'Assemblée nationale espère qu'elle n'aura pas mis en vain la loi sous les yeux d'un peuple qui la respecte et qui la chérit.

L'Assemblée reprend la suite de la discussion du rapport du comité de commerce sur la question de savoir s'il existe un moyen d'entretenir le sucre et les autres denrées de nos colonies à un prix modéré.

M. Caminet. Je n'examinerai point s'il s'agit en ce moment d'une denrée de première nécessité, puisque, si cette denrée est d'un usage très commun dans les villes, dans les grandes villes, elle est à peine connue dans les campagnes. Le surhaussement des denrées des colonies a diverses causes l'une des plus essentielles, et la seule dout vous deviez vous occuper, est celle dont vous a parlé M. Massey. Vous ferez difficilement une loi contre les accaparements. Mais qu'est-ce qui y l'argent du peuple, ce sont ces billets particuliers donne lieu? qui est-ce qui a pu y fournir ? C'est jetés dans la circulation en si prodigieuse quantité. Il y a maintenant dans la capitale pour 50 millions de ces billets. Je distingue les établissements patriotiques des départements, parce qu'ils sont sous la surveillance des municipalités, et qu'elles ont en dépôt le gage de leur représentation en assignats. C'est avec ces 50 millions qui ne coûtent rien à ces capitalistes, qu'ils ont la faculté de faire des accaparements. Voilà le véritable point sur lequel vous devez vous arrêter. J'appuie donc la proposition de M. Massey; je la regarde comme le seul moyen qui puisse rétablir la tranquillité et le salut du peuple (Applaudissements.), et je pense que rien ne peut appeler plus sûrement l'abondance des denrées et la diminution de leur prix que la facilité des échanges. Cette facilité

naîtra nécessairement de la circulation de la monnaie de cuivre et des petits assignats nou→

vellement décrétés et de la suppression des billets des maisons de secours ou de confiance. Cet avantage précieux, vous le tenez dans vos mains. Hâtez-vous donc de donner à la fabrication de la monnaie de cuivre et des petits assignats, toute l'activité qu'exigent les circonstances. Vous offrirez au peuple un secours réel dans l'achat de tous ses comestibles, et vous le préserverez des maux que doit lui faire craindre une confiance à laquelle la nécessité l'a réduit.

M. Ducos. J'ajoute un petit nombre d'observations à celles qui vous ont été présentées par le rapporteur de votre comité et par les préopi

nants.

Trois moyens ont été proposés à cette Assemblée pour opérer une réduction dans le prix des

sucres.

Le premier est de permettre aux étrangers l'introduction du sucre dans nos ports; le second, d'en prohiber la sortie hors du royaume; le troisième, proposé par les deux préopinants, mérite une sérieuse attention.

Je crois le premier moyen complètement inutile. En effet, pour en retirer quelque avantage, il faudrait pouvoir attendre de la liberté d'importation dans nos ports une quantité de sucre étranger assez considérable pour former une concurrence qui fit baisser le prix des nôtres : or, voilà ce que vous ne pouvez pas espérer. Vous n'ignorez pas qu'aucune des nations commerçantes, qui possèdent des colonies, ne recueille une assez grande quantité de sucre, pour en former l'objet d'un grand débouché et pour exporter l'excédent de sa consommation. L'Angleterre, qui est après nous, celle des puissances commerçantes dont les plantations en fournissent le plus, n'en exporte qu'une très faible partie. L'aisance de ses habitants y a rendu l'usage du sucre plus général et plus considérable que parmi nous. Le gouvernement avait, à la vérité, encouragé par une prime et par une restitution de droit à la sortie appelée drawback, l'exportation du sucre raffiné; mais effrayé de l'augmentation subite de cette denrée dans les marchés de France, il vient de supprimer le drawback et la prime. C'est nous qui fournissons presque tout le reste de l'Europe de cette denrée, et la plupart des commerçants étrangers ne pourraient user de la liberté que vous leur accorderiez, que pour nous rapporter les mêmes sucres qu'ils auraient exportés de nos ports.

Qu'importe, dira-t-on peut-être, si l'accaparement à tellement fait renchérir cette marchandise en France, que les étrangers trouvent encore du bénéfice à nous revendre celle qu'ils nous ont rachetée à un prix beaucoup plus bas, il y a quelques mois? mais ceux qui proposeraient cette objection raisonneraient sur une erreur de fait qu'il faut détruire. Telle est votre influence sur vos voisins, pour le prix des denrées coloniales, que leur cours suit toujours à peu près, dans les marchés du Nord, les variations qu'ils éprouvent dans les nôtres. Le sucre augmentet-il à Bordeaux et à Nantes; il augmente à Amsterdam et à Hambourg, dans une proportion assez constamment uniforme; diminue-t-il dans nos places de commerce; la baisse se fait bientôt ressentir en Allemagne et en Hollande. La raison en est simple. La France ne consomme que la huitième partie, à peu près, du sucre qu'elle retire de ses colonies, le reste est acheté dans ses ports, par des commissionnaires, pour le compte des étrangers. Ainsi le prix des sucres

éprouvera chez vos voisins, ainsi que chez vous, un surhaussement extraordinaire qui ne leur laissera la perspective d'aucun profit dans la réexportation en France; je tire d'autres conséquences de ces faits, c'est que les accaparements dont vous vous indignez avec tant de raison, sont faits en partie pour le compte des négociants étrangers, et que les consommateurs de Hollande et d'Allemagne souffriront ainsi que le peuple de la France des nouvelles manoeuvres de nos agioteurs. Dans le moment même où les citoyens de Paris murmuraient du surhaussement extraordinaire du prix du sucre à 42 sous la livre, on l'enlevait à Bordeaux, pour les étrangers, à 290 livres le quintal, ce qui fait près d'un écu par livre.

Vous voyez, d'après ces faits, que même en supputant la perte du change, le prix de cette denrée ne permettra pas aux négociants étrangers des spéculations sur la vente de nos propres sucres dans nos ports; vous voyez encore que nous ne supporterons pas seuls l'accroissement de son prix, et que la nation trouve du moins un faible dédommagement de cette calamité momentanée dans l'augmentation de ses bénéfices avec les nations étrangères. Vous ne me verrez jamais donner mon assentiment aux mesures prohibitives qui vous seront proposées; mais lorsque j'élèverai ma voix en faveur de la liberté du commerce, ce n'est point une liberté partielle et illusoire que je réclamerai: j'ai prouvé que celle qu'on a sollicitée ne pouvait produire aucun avantage en ce moment. Je ne lui trouve d'ailleurs d'autre inconvénient que d'être parfaitement inutile, et de donner, si elle était adoptée, une idée aussi désavantageuse qu'injuste des lumières de l'Assemblée, en matière de commerce. La proposition qui vous est faite se réduit, en un mot, à permettre la libre importation, en France, d'une denrée qui ne peut y venir de nulle part. Je conclus à ce qu'elle soit écartée.

La seconde mesure qui consiste à prohiber la sortie des sucres du royaume, aurait des conséquences plus funestes. Elle ne peut être envisagée sans effroi, par ceux qui ont des notions saines sur nos relations commerciales. J'ai annoncé que la France ne consomme qu'à peu près la huitième partie du sucre qu'elle reçoit de ses colonies; elle en expédie donc annuellement les sept huitièmes pour l'étranger; j'ajoute une seconde observation: nous recevons de nos colonies du sucre de deux sortes, le brut qui n'a reçu que les premières préparations, et c'est presque uniquement de cette qualité que consomment les fabriques nationales, et le sucre terré qui a déjà reçu un degré de raffinage, et qui passe chez nos voisins. La valeur de cette dernière sorte est double, à peu près de celle du sucre brut.

Vous sentez maintenant qu'en prohibant la sortie de cet immense excédent de consommation:

1° Vous privez la nation d'une portion de revenu très considérable et très lucrative, qu'on peut évaluer à plus de 30 millions par an;

2o Vous lui enlevez la faculté de se libérer avantageusement des dettes qu'elle contracte chez l'étranger: car il y a plus de profit à solder nos voisins avec du sucre, qui gagne, qu'avec des assignats, qui perdent:

3o Vous paralysez entièrement le commerce des ports avec vos colonies: car un armateur se garderait d'envoyer du vin et de la farine à Saint-Domingue, pour recevoir en retour du

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