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commencée hier sur le mode de recrutement. Il est de mon devoir de lui exposer mes dernières observations à cet égard.

Je suis intimement convaincu qu'il est impossible d'espérer une issue heureuse à la guerre la plus juste, si les troupes de ligne ne sont pas portées au complet déterminé par la loi de l'Assemblée nationale. J'en rappellerai les raisons les plus simples et les plus décisives:

1° Tout changement fait dans le moment où les troupes peuvent avoir besoin d'agir est dangereux en lui-même, et donnera lieu, soit dans l'armée, soit chez les étrangers, à des opinions très fâcheuses;

2o Les recrutements exigeant du temps, et ce temps étant plus nécessaire encore pour mettre les nouveaux soldats en état d'entrer en campagne, il faut pouvoir donner aux bataillons, et surtout aux escadrons qui doivent être employés, la force nécessaire à leur action, sans rien changer à l'établissement général de l'armée, et se préparer en même temps dans les places de guerre des troupes que l'on puisse employer au besoin;

3° Malgré la valeur et le patriotisme des volontaires nationaux, malgré ce que l'avenir nous promet de leur discipline et de leur instruction, il serait impossible de soutenir la guerre sans troupes engagées pour un temps déterminé, et soumises à toute la sévérité du régime militaire. Et il se présente, à cet égard, une réflexion bien simple, qui ne doit pas échapper à l'Assemblée, c'est qu'il n'est pas question d'augmenter l'armée de ligne, mais de la compléter pour la mettre en état d'agir, et que cette mesure faisant partie de son organisation, telle qu'elle a été établie par l'Assemblée nationale constituante, a dù nécessairement influer sur les détails dé cette organisation, qui seraient tous dérangés par un incomplet aussi considérable.

Comment le faire cesser? d'après les décrets rendus avant-hier, il ne resterait plus qu'un seul moyen un sacrifice d'argent de près de 10 millions pour tripler le prix des engagements dont on pourrait diminuer la durée, et le retard de la levée de nouveaux bataillons de volontaires nationaux, jusqu'au moment où le recrutement de l'armée serait parfaitement assuré. Ce moyen de recrutement, ou tel autre également efficace, les propositions contenues dans la lettre du roi, la demande que j'ai faite d'un changement dans le mode de commandement des officiers des volontaires nationaux et des troupes de ligne, sont des objets tellement indispensables que, dans mon opinion, il est impossible sans eux de se charger du département de la guerre.

En me dévouant, selon les forces de mon âme, à servir la cause de la liberté dans la place que le roi m'a confiée, j'ai dû espérer que la gravité des circonstances rallierait toutes les opinions, et que, dans un objet purement militaire, l'Assemblée témoignerait aux généraux et à moi une confiance dont notre honneur répondait, et que l'approche de la guerre exigeait peut-être impérieusement.

Si mon attente était trompée, si l'Assemblée ne remplaçait pas dans l'armée les 51,000 hommes qui manquent, ma conscience m'ordonnerait de déclarer à l'Assemblée que je dépose la responsabilité d'une guerre dont les succès ne me sembleraient pas possibles. (Murmures.) Cette résolution prise par un homme de bonne foi, peut produire un moment de découragement dans ceux qui lui ressemblent; mais je serais con

damné à braver cette crainte même; je serais condamné à sacrifier la gloire que j'espérais recueillir, et dont la bienveillance de l'Assemblée m'avait offert le présage, si je cesse d'apercevoir les moyens d'être utile. C'est dans cette fermeté de caractère que j'espérais trouver ma force; c'est dans elle que sera ma consolation. Je conjure cependant l'Assemblée de se demander encore quel inexplicable sentiment pourrait entraîner à vouloir la guerre, et à rejeter tous les moyens d'avoir une armée.

Si je pouvais concevoir la possibilité de servir la chose publique sans le concours de l'Assemblée, je resterais malgré ses décisions; mais ne connaissant aucun moyen d'agir que de concert avec elle, n'ayant de talent que pour l'exécution des mesures simples et ouvertes, je dois me retirer, si l'Assemblée ne m'accorde pas ce que j'ai jugé indispensable. Me refusant alors à attendre la honte comme ministre, j'irai chercher la mort comme soldat de la Constitution, (Applaudissements.) et c'est dans ce dernier posté qu'il me sera permis de ne plus calculer le nombre ni la force de nos ennemis. (Applaudissements.)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de décret du comité militaire sur le mode de recrutement des 51,000 hommes destinés au complet de l'armée (1).

M. Crublier d'Optère. Plusieurs moyens vous ont été proposés sur la question qui nous occupe en ce moment; les uns avaient pour base le recrutement des troupes de ligne dans les bataillons de volontaires nationaux vous avez sagement rejeté cette mesure. D'autres ont proposé de se borner à augmenter ces mêmes bataillons. Avant d'entamer la discussion, il est nécessaire de répondre à ceux qui combattent le recrutement des troupes de ligne. Si nous avons la guerre, la guerre sera-t-elle offensive, ou purement défensive? C'est une grande question dont la solution ne doit être déterminée qu'après un mûr examen de l'état et de la nature de nos forces, c'est une grande question dont la solution a plus de rapport qu'on ne le pense avec celle que nous agitons actuellement. Čar, autant il est vrai de dire que dans une guerre purement défensive, dans une guerre de postes de positions et de sièges, nos bataillons de volontaires serviront d'une manière utile et glorieuse, autant il est à craindre que dans une guerre offensive, dans une guerre de campagne, ou la science des grandes manoeuvres, science si perfectionnée par le grand Frédéric, et la célérité des développements décident du sort des batailles, ces mêmes bataillons de volontaires ne puissent, dans une première campagne, à défaut d'une expérience assez longue, se former en ligne en présence de l'ennemi, changer de front et conserver toujours cet ensemble et cette unité de masse qui constituent toute leur force et toute leur résistance.

Faut-il présenter des faits à l'appui de ces principes élémentaires? En voici, dont plusieurs membres de l'Assemblée ont été, ainsi que moi, les témoins. Dans la guerre d'Amérique, l'armée du général Washington était composée de patriotes; au commencement de la guerre surtout, elle était formée de l'élite des propriétaires du continent

(1) Voy. ci-dessus, séance du samedi 21 janvier, page 554, et du 22 janvier, page 582, le commencement de la discussion,

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De ces principes et de ces faits, que faut-il conclure? Que si vous voulez être sûrs d'avoir une armée en état de tenir la campagne, en état de recevoir ou livrer des batailles, en état, en un mot, de combattre l'infanterie et la cavalerie allemandes qui, en ce moment, sont les mieux exercées de l'Europe, vous devez promptement porter votre armée de ligne au complet de guerre par des recrutements et non en augmentant les compagnies par de nouvelles compagnies. Voudriez-vous donc vous exposer à de premières défaites et vous refuseriez-vous à calculer les tristes résultats qu'elles peuvent avoir?

On objecte encore qu'il faut craindre le pouvoir exécutif, auquel on prétend qu'il est dangereux de confier une armée de ligne trop considérable. Et moi aussi, je le crains le pouvoir exécutif, mais celui des puissances étrangères me parait bien plus redoutable que le nôtre. D'ailleurs, que pouvons-nous avoir à craindre d'une armée de ligne? n'est-ce pas au Corps législatif qu'il appartient d'en fixer le nombre, et de la réduire, quand il le faudra, au pied de paix? N'avez-vous pas votre Trésor public qui ne s'ouvre que par votre ordre, et que vous fermez à volonté ? La confiance nous est nécessaire: j'aime mieux m'occuper des moyens de forcer nos agents à la mériter, qu'à trouver les motifs de la leur ôter.

On a proposé aussi de recruter l'armée de ligne en complétant les premiers régiments avec les hommes des derniers régiments; mais cette mesure n'augmente pas l'armée ou nous expose à former des régiments complètement neufs, tandis qu'en incorporant des recrues dans des corps incomplets, on verra ces recrues se former plus activement aux manoeuvres. Elle peuvent d'ailleurs être utiles à la garde des hôpitaux des camps et économiser pour ces fonctions des hommes plus instruits qu'elles.

Il faut 51,000 hommes, il s'agit de les trouver, et je demande que ce soit par le recrutement. Je me réunis d'opinion à ceux qui ont demandé que les engagements fussent fixés pour le présent et pour l'avenir à trois et quatre ans ; que le prix en fùt porté à 80 livres pour l'infanterie et à 100 livres pour les troupes à cheval et pour l'artillerie; et que les engagements qui, à l'expiration des congés, seront faits pour 2 ans, soient payés à 60 livres dans l'infanterie et 80 livres dans la cavalerie.

Je crois, en outre, que les articles 8, 9 et 10 du projet du comité relatifs aux moyens d'exécution du recrutement, doivent être adoptés tels qu'ils sont. Je demande que la question de savoir si on accordera aux soldats de la Constitution la jouissance du droit de citoyen actif, soit renvoyée au comité de législation, et qu'au lieu de permettre à ceux qui seront licenciés à la paix d'emporter leurs armes, le comité militaire vous présente une autre forme de récompense civique, car, si tous les soldats qui feront la guerre de la Constitution obtiennent la même faculté, vous dégarnissez vos arsenaux d'environ 200,000 fusils.

M. Daverhoult. Dans le moment même où

nous avons à examiner toutes nos relations extérieures avec toutes les puissances; à l'instant où il n'est que trop connu qu'il existe une ligue de rois et que la plupart sont mal disposés contre notre Constitution, ou sont au moins ennemis de la philosophie qui en fait la base, nous avons aussi à délibérer sur les moyens dé sauver la patrie et sur la meilleure manière de porter sur les terres de nos ennemis une guerre qui serait désastreuse si elle était faite sur notre sol.

Qu'avons-nous à faire, Messieurs? Nous avons à examiner comment il sera possible d'élever nos forces, dans la proportion de nos besoins. Est-ce en augmentant les gardes nationales, ou est-ce en augmentant les troupes de ligne que nous y parviendrons? Les amis de la liberté craignent que notre armée de ligne portée au complet de guerre puisse servir à ébranler notre Constitution. Plusieurs membres ont combattu les propositions du comité, parce qu'ils ont craint de laisser à la disposition du pouvoir exécutif une armée trop forte et victorieuse, dont il pourrait se servir pour opprimer la liberté de la nation. Je sais que l'histoire nous fournit des exemples qui peuvent justifier ces craintes. La mème armée qui servit à César pour faire la conquête des Gaules devint ensuite, dans ses mains, l'instrument de l'asservissement de sa patrie. Mais à cette époque, Rome était corrompue, et plusieurs causes secrètes l'avaient insensiblement amenée au point où la perte de sa liberté était inévitable. Elle était à vendre. Jugurtha le disait « Cette ville est à vendre, s'il y a quelqu'un d'assez riche pour l'acheter. » (Applaudissements.) Or, quand on fait autorité d'un ensemble, il faudrait au moins que tout fùt parfaitement semblable, et il s'en faut beaucoup que nous soyons dans cet état d'avilissement. Plus heureux que les Romains, vous créez votre armée dans un moment où, après avoir brisé vos fers, après avoir joui des premiers moments de la liberté, le même amour de la liberté et de la patrie embrase tous les cœurs et électrise tous les sentiments. Nous n'avons donc pas à craindre qu'une armée qui, jusqu'ici, a donné des preuves de patriotisme, qui a concouru elle-même, qui a aidé à construire cet édifice glorieux, tourne contre la liberté, parce qu'elle aurait reçu une légère augmentation. Voyons donc quelles sont les raisons qui établis sent la nécessité de porter l'armée de ligne au complet de guerre.

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Ici, Messieurs, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails relatifs à l'art militaire. L'art de la guerre est cet art que connaissaient les Grecs, qui a été perfectionné par les Romains, qui a été oublié dans le temps de la féodalité, et qui ne doit son existence qu'à la bataille de Bouvines, dans des temps récents. C'est là où furent mises en usage avec tant de succès les habiles manoeuvres que l'on fait faire aux différents corps. Dans l'instant où il manœuvre, un corps est dans sa plus grande faiblesse il faut donc que cette faiblesse ne dure qu'un instant, pour que l'ennemi ne puisse en profiter. Tout bataillon, tout corps qui doit déployer vis-à-vis de l'ennemi un front imposant, lui présente le flanc. C'est donc en rendant cet instant le plus court possible que l'on peut empêcher l'ennemi de profiter de cette occasion. Donc, ce sont les troupes les plus exercées à manoeuvrer qu'il nous convient dans ce moment- ci de porter au plus grand complet. Nous aurons à combattre

des armées disciplinées; il faut leur opposer une armée disciplinée et exercée.

Je sais, Messieurs, et nous en sommes convaincus, que nos gardes nationales se sont exercées; que le patriotisme qui les anime leur a fait remarquer le danger; mais c'est à raison de leur patriotisme même qu'il faut qu'elles soient protégées par une troupe plus manœuvrière qu'elles, parce qu'elle a existé plus longtemps avant elles. Vos troupes de ligne ont cet avantage à cet égard, que les recrues que vous y porterez, étant menées par le reste de la masse, parviennent même, sans avoir le degré d'expérience que peuvent avoir vos bataillons de gardes nationales, au but qu'elles doivent remplir, tandis que vos bataillons de gardes nationales, plus exercés que les recrues que vous faites entrer dans vos troupes de ligne, mais n'ayant pas l'expérience qu'ont les soldats, les officiers et les sousofficiers des troupes de ligne qui depuis longtemps sont exercés, n'ont point la mêine facilité de se mouvoir en masse et de se porter d'un point à un autre. Le patriotisme est le même partout; mais voilà la différence qui existe entre la garde nationale et la troupe de ligne, et qui prouve invinciblement la nécessité de porter la troupe de ligne au complet de guerre.

Je vais examiner séparément la question pour les différentes armes. En premier lieu, votre infanterie est dans le cas de devoir être portée au complet de guerre; les raisons qui vous ont été données par M. Crublier d'Optère m'empêchent de m'étendre beaucoup à cet égard. On vous dit que dans nos anciennes guerres, l'infériorité du nombre n'a pas empêché, dans un grand nombre d'occasions, que nos armées ne remportassent la victoire. J'en conviens; mais c'est parce qu'alors notre infanterie était composée d'hommes exercés, expérimentés dans l'art militaire, que la bravoure française a été couronnée de succès.

Vos généraux, vos chefs de brigade pourront aussi se servir utilement des gardes nationales; mais durant le cours d'une bataille, il faut que les différents corps d'une armée puissent se mouvoir et changer de position soit pour couvrir les parties faibles, soit pour profiter habilement des fautes de l'ennemi, soit pour réparer celles que votre armée a pu faire. C'est là que, par dessus tout, il faut que les hommes soient exercés à manoeuvrer, à se former en colonne, et à se déployer devant l'ennemi en quelques instants, sans pouvoir être rompus. Sans cet art de la manoeuvre, Souvent une vingtaine de hussards peuvent mettre en déroute des bataillons entiers.

Il n'est pas moins nécessaire, Messieurs, de porter votre cavalerie au complet; vous en avez encore un besoin plus urgent. L'histoire moderne nous fournit une infinité d'exemples des avantages que les armées ont retirés de la cavalerie. L'un des plus fameux est celui du comte de Schullembourg qui, avec un escadron de 200 hommes, résista avec succès à l'armée entière de Charles XII et à sa cavalerie. Cette marche plus savante que ne fut celle de la retraite des 10,000 Grecs, est citée dans l'histoire moderne en faveur de l'infanterie; mais, Messieurs, par cela même qu'elle est citée, il est prouvé que la cavalerie à de l'avantage sur elle dans tous les cas ordinaires. Il faut donc que la cavalerie protège votre infanterie. Dans toutes les armées, il existe un rapport entre la cavalerie et l'infanterie. Vous avez déjà augmenté considérablement votre infanterie par l'adjonction de 100,000 gardes nationaux; votre cavalerie est restée dans le même

état; vous n'avez point de gardes nationales à cheval, et vous ne pourriez point en former, parce que vous auriez bien des hommes à cheval, mais pas de cavaliers. Cependant, il est démontré que c'est la cavalerie qui protège l'infanterie, et que sans elle, l'avantage du nombre est souvent illusoire; il est prouvé aussi qu'il faut plusieurs années d'exercice pour former les troupes à cheval, que par conséquent le recrutement de celles-ci est ce qu'il y a de plus instant. Plus vos gardes nationales auront d'ardeur dans les combats, plus elles se seront avancées; plus aussi dans une retraite il sera nécessaire de les soutenir par la cavalerie. Il est donc urgent de porter votre cavalerie au complet de guerre.

Quant à l'artillerie, mon opinion diffère de celles déjà émises. Je crois que le temps qu'il faut pour dresser un soldat d'artillerie est trop long pour que vous puissiez espérer de la compléter utilement par les moyens de recrutement extraordinaires. Je pense donc qu'il faut continuer à la recruter d'après les lois existantes, et qu'il y aurait de l'inconvénient à y incorporer un trop grand nombre de recrues. Les bataillons de volontaires nationaux en activité de service vous offrent une ressource, parce qu'ils sont composés d'hommes déjà faits à la discipline. Je propose d'attacher des bataillons entiers de gardes nationales à l'artillerie, en qualité de servants. Ce moyen aura l'avantage d'exercer une partie de vos gardes nationales dans ce métier, qui demande une étude plus suivie et plus longue que toute autre, et cette artillerie nouvelle servira dans les circonstances où toutes les ressources de l'art ne seront pas nécessaires. Le moyen que je vous propose est le plus simple, il vous donnera deux espèces d'artillerie, comme vous avez deux espèces d'infanterie. Ce sera aux généraux à employer l'une ou l'autre, suivant les circonstances. Cette augmentation dans l'artillerie sera prompte, et elle est indispensable.

Après avoir prouvé, Messieurs, la nécessité de porter l'armée au complet de guerre, je me borne aux moyens qui me paraissent les plus propres pour y parvenir. Vous avez rejeté le moyen qui consistait à décomposer une partie de votre armée pour compléter l'autre; je crois que ce moyen qui pouvait avoir des avantages, avait aussi des inconvénients, et je pense que l'Assemblée a eu raison de ne pas l'adopter. Mais il faut à présent en trouver un équivalent; car si vous avez besoin de faire la guerre, il est nécessaire d'attaquer si vous ne voulez pas être attaqués chez vous, et pour faire la guerre dans le pays ennemi, et en rase campagne, il faut une combinaison de forces bien autrement imposante que pour la défense d'une place forte.

Je demande donc, Messieurs, que le mode consiste à diminuer le temps des engagements en le portant à 2 ou 3 ans; en second lieu, que le prix des engagements soit augmenté; et en troisième lieu, ainsi que l'a dit M. d'Optère, qu'il soit donné des récompenses civiques à ceux qui auront combattu vaillamment dans les différentes armes, mais en n'admettant pas cependant cette distinction qui consisterait à emporter leurs armes chez eux, parce que cette distinction n'est pas admissible. En effet, ce serait établir une différence entre les 51,000 hommes dont vous avez besoin pour compléter votre armée et le reste de l'armée. Cette distinction ne peut pas exister dans votre armée sans le plus grand danger. Ainsi je demande qu'on trouve tout autre moyen de récompense, ou qu'on l'étende sur

toute l'armée et sur toutes les gardes nationales soldées. Voilà, Messieurs, à quoi je me borne, et je demande que le comité militaire vous présente un décret sur ces bases. (Applaudissements.)

M. Delmas. J'ai fortement combattu le système qui consistait à incorporer une partie des volontaires nationaux dans les troupes de ligne; mais je suis également convaincu, comme le préopinant, de la nécessité de porter au grand complet de guerre l'armée de ligne et particulièrement les troupes à cheval et l'artillerie. Je crois même qu'il est tellement important de les compléter pour entrer en campagne que nous n'avons pas un moment à perdre. Pour y parvenir, je prie l'Assemblée d'observer que pour faire une levée d'hommes soit pour la cavalerie, soit pour l'artillerie, il faut que le mode de recrutement que vous adopterez offre de grands avantages. D'un autre côté, il est infiniment prudent de ne pas établir, entre les anciens soldats et les hommes de recrue, des differences qui exciteraient des mécontentements.

Il y a un moyen de concilier à cet égard ce que la justice exige, avec ce que commandent impérieusement les besoins du moment. Ce moyen, c'est qu'à compter du jour de la publication de votre décret, tous les engagements contractés antérieurement soient réduits pour le temps qui reste à écouler, dans l'infanterie, à 3 ans, et dans l'artillerie et la cavalerie, à 4 ans. Voici maintenant pour les 2 dernières armes, le mode extraordinaire de recrutement que je propose. Je demande que le premier dimanche, à compter du jour de la publication de votre décret, toutes les municipalités du royaume, dans leur arrondissement respectif, fassent assembler les gardes nationales, qu'on leur fasse lecture de ce décret et qu'on demande à ces citoyenssoldats s'ils veulent s'enrôler pour marcher à la défense des frontières, soit dans les bataillons des volontaires nationaux, soit dans les troupes à cheval, soit dans l'artillerie. On donnera à ces citoyens le choix de ces armes. Ceux qui voudront contracter un engagement dans la cavalerie ou dans l'artillerie recevront une somme de 100 livres. Mais pour l'infanterie, je demande que le recrutement se fasse conformément aux lois existantes.

Ceux qui se feront inscrire pour les bataillons de volontaires nationaux ne contracteront pas d'engagement, mais je crois qu'ils doivent être tenus à rejoindre l'armée, du moment qu'ils seront réunis au nombre de 60 ou de 70, car l'expérience a prouvé qu'il fallait beaucoup de temps pour organiser des bataillons entiers. Beaucoup de départements ont employé 4 ou 5 mois, et encore cette organisation n'était-elle pas complète. Je crois que pour parvenir à notre but, il vaudrait infiniment mieux n'organiser que des compagnies, ce qui, j'espère, ne demanderait pas plus d'un mois, et leur faire rejoindre les bataillons de département qui devraient les recevoir. Ce moyen est préférable à celui de l'incorporation de 16 hommes par compagnie, en ce que les volontaires de cette nouvelle formation seront, comme les autres, sous le commandement immédiat d officiers de leur choix.

Je pense avec M. d'Optère que le moyen d'encouragement proposé par le comité militaire ne peut être adopté; il donne à chaque soldat-citoyen ou à chaque citoyen-soldat le droit d'emporter son habillement, son équipement et ses armes après la guerre. Si cet usage était une fois introduit il faudrait qu'il subsistât toujours,

et vos arsenaux seraient bientôt dégarnis. Il convient d'accorder des récompenses civiques à ceux qui ont, avec courage, défendu leur pays, mais c'est après la victoire qu'elles seront décernées. Le seul moyen propre à accélérer le recrutement est, ce me semble, celui que je propose; car les municipalités faisant, dans un même jour, assembler toutes les gardes nationales du royaume, et leur faisant sentir par un exhortation patriotique la nécessité de compléter l'armée, je suis sûr que les hommes en état de servir, se présenteront en foule, et que, sous bien peu de temps, votre artillerie et vos troupes à cheval seront au grand complet. Je pense que l'on ne doit pas faire de la même manière une levée d'hommes pour l'infanterie : 1o parce qu'il est beaucoup plus instant de compléter l'artillerie et la cavalerie; 2° parce que vous compléterez votre infanterie de 36,000 'hommes de gardes nationales.

M. Carnot-Feuleins jeune. Je demande la parole pour une motion d'ordre. L'Assemblée nationale a décrété le principe que les troupes de ligne ne pourraient se recruter dans les bataillons de gardes nationales en activité, et par cela même elle a implicitement décrété qu'on aurait recours au recrutement. La question qui nous occupe n'en est plus une maintenant. Nous convenons tous qu'il faut compléter l'armée et prendre un nouveau mode de recrutement. Il est donc inutile de discuter sur cet objet. Je propose à l'Assemblée de fermer la discussion au fond, de faire lire le projet de décret du comité et de le discuter article par article. On pourra alors écouter tous les amendements et les articles additionnels.

(L'Assemblée ferme la discussion et décrète que le projet du comité sera discuté article par article.)

M. Mathieu Dumas, rapporteur. Voici le premier article :

Immédiatement après la publication du présent décret, il sera ouvert, dans chaque administration de district, et sous leur surveillance, dans chaque municipalité de chef-lieu de canton, un registre de recrutement pour porter l'armée au pied de guerre. »

M. Rouyer. Avant de rendre un décret sur la forme des enròlements, l'Assemblée doit rendre un décret fondé sur un acte de justice, et un acte de justice éclatant. Je demande que, pour premier article, l'Assemblée nationale ordonne le rappel de tous les soldats qui ont été renvoyés de leur corps par l'aristocratie des officiers (Vifs applaudissements dans l'Assemblée et dans les tribunes.) et qui n'ont jamais manqué à leur service. Cependant, comme parmi ces soldats, il pourrait s'en trouver quelques-uns qui ne seraient pas dignes de cette faveur et qui eussent été réellement renvoyés pour avoir manqué à leur service, je demande par amendement au projet que je propose, qu'ils soient jugés, mais que le jugement soit rendu par les soldats des compagnies dans lesquelles ils servaient. (Murmures dans l'Assemblée. — Applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres: La question préalable!

M. Rouyer. Il est étonnant qu'on demande la question préalable, tandis qu'il est certain que par l'appel de ces soldats, vous aurez tout de suite 20,000 hommes qui compléteront vos diffé rents corps, et ces 20,000 hommes sont des sol

dats expérimentés. Je crois même que M. le ministre de la guerre, qui nous a dit que la force des armées consistait essentiellement dans l'art des manœuvres, sera certainement très satisfait quand, par un seul décret, vous lui donnerez 20,000 hommes, tous expérimentés, sachant faire la guerre et qui, d'ailleurs, n'ont démérité que par leur patriotisme. Ces soldats sont disciplinés, ils sont patriotes; vous pourrez leur confier sans crainte la défense de la Constitution, car ils ne demandent pas mieux que d'aller se battre contre les officiers qui les ont chassés. Leurs adversaires sont à Coblentz; ils sauront les reconnaître, et soyez persuadés qu'ils ne les rencontreront pas impunément. Ceux-là ne vous trahiront point; ils connaissent la guerre et se prêteront très volontiers à instruire ceux que vous leur donnerez pour compagnons d'armes. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Lacuée. Il n'est pas douteux que parmi les soldats qui ont été renvoyés par les conseils de discipline, il n'y en avait un grand nombre dont le seul crime ait été le patriotisme; mais il en est beaucoup à qui l'on peut reprocher des crimes d'un autre genre. Il serait dangereux et impolitique de rendre une loi par laquelle vous les rappelleriez tous à leurs drapeaux. Peut-être affaibliriez-vous, par ce rappel, les sentiments d'obéissance à la loi, et l'esprit de subordination que vous devez chercher à maintenir parmi les défenseurs de la patrie. J'ajouterai qu'entre ces deux espèces d'hommes qui sont sortís des corps, il a déjà été mis une barrière, qui admet les innocents, et exclut les coupables. Le comité militaire vous a proposé une voie ouverte à ceux qui ont été renvoyés arbitrairement par les conseils de discipline; et vous avez adopté ses principes à cet égard. Ainsi tous ceux qui n'auront rien à se reprocher, pourront se présenter devant des cours martiales. Je demande donc la question préalable sur la proposition de M. Rouyer, attendu que les innocents peuvent être réintégrés en vertu de la loi, et que les autres ne méritent pas de l'être.

M. Lecointe-Puyraveau. J'appuie de toutes mes forces la proposition de M. Rouyer, mais je crois que ce n'est pas le moment de nous en occuper. Indépendamment de cette mesure, il faut un mode extraordinaire de recrutement. Elle est cependant très sage, et peut-être serait-il très impolitique de ne pas pardonner à ceux qui, pour de légères fautes, ont été punis de la peine de l'expulsion. C'est pourquoi je demande que la motion de M. Rouyer, modifiée, soit proposé comme article additionnel au projet de comité.

M. Crestin. Beaucoup de soldats, renvoyés arbitrairement par des conseils de discipline, ont réclamé; mais déjà les conseils n'existaient plus, et malgré les ordres du ministre de la guerre, malgré les réquisitions du comité militaire, leurs réclamations ont été écartées. J'insiste donc pour qu'il soit fait un article additionnel à cet égard.

M. Delacroix. J'appuie la proposition faite par M. Rouyer. Je ne vois pas pourquoi on ne consentirait pas à recevoir les soldats renvoyés arbitrairement par les conseils de discipline, quand on conserve à des officiers qui sont à Coblentz des places dans leurs régiments. (Applau dissements.) Mais, Messieurs, si ce n'est pas ici l'instant de délibérer sur cette proposition, j'en vais faire une à l'Assemblée qui mérite toute votre attention.

Vous vous occupez à l'instant de compléter

votre armée; et cependant vous savez que votre armée a été dépeuplée par l'incivisme des chefs des régiments qui ont donné une grande quantité de cartouches aux soldats dont tout le crime était à leurs yeux d'être patriotes et de porter le ruban. Je demande, Messieurs, qu'à l'instant où Vous vous occupez du recrutement de l'armée, vous révoquiez la loi des 24 et 25 juin qui établit les conseils de discipline et qui leur donne le droit de juger provisoirement les délits militaires et de chasser provisoirement, avec des cartouches, les soldats, sans autre forme de procès. Qui, si vous ne révoquez pas cette loi, qui ne devait être que provisoire, pendant que vous allez travailler à recruter votre armée, on va la dépeupler d'un autre côté. Si l'Assemblée ne se trouve pas en état de prononcer là-dessus, je demande que ma motion soit renvoyée au comité militaire où elle a déjà été discutée, et qu'il en soit fait un article qui sera mis en tête du décret que vous allez rendre. (Applaudissements.)

M. Delmas. J'ai l'honneur d'observer à l'Assemblée que M. Rouyer n'a fait cette proposition que parce qu'il est bien convaincu que les soldats qui, pendant la Révolution, ont été renvoyés par les conseils de discipline, l'ont été pour leur patriotisme. Eh bien, Messieurs, je pense comme lui, et j'observe que ces mêmes patriotes sont à présent en grande partie dans les bataillons de volontaires nationaux, car, aussitôt qu'ils ont été renvoyés arbitrairement de leurs régiments, ils ont été se faire inscrire dans leurs municipalités respectives. Je sais, par exemple, que dans les 5 bataillons du département de la Haute-Garonne, il y en a une grande quantité. Mais, cependant, comme il est très possible que tous ne soient pas en activité dans les volontaires, je demande que, demain soir, le comité militaire vous fasse un rapport et vous présente un projet de décret sur la proposition de M. Rouyer.

J'observe encore que votre comité militaire est prêt sur la motion qui vient d'être faite par M. Delacroix, que je trouve très juste et que j'appuie. Je pense en effet que si les conseils d'administration peuvent renvoyer arbitrairement les soldats, vous n'aurez jamais d'armée. Il est donc important à la sûreté de l'Etat que cette loi soit promptement abrogée.

M. Carnot-Feuleins jeune. Je suis le premier à solliciter la destruction de la loi qui autorise les conseils de discipline à renvoyer les soldats; mais je ne crois pas que la proposition de M. Rouyer puisse être adoptée dans les termes où elle a été proposée. Je dis qu'il n'est pas possible de faire rentrer dans le même corps un soldat qui a été renvoyé légalement pour objet d'indiscipline. Il est un autre moyen de les faire rentrer au service et peut-être d'une manière plus utile. Votre comité militaire a pensé que l'on pourrait former 6 légions, dont 4 seraient établies depuis luningue jusqu'à Dunkerque, une sur les frontières des Pyrénées, l'autre sur les Alpes. C'est dans ces légions composées d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie, qu'il serait possible de placer tous les officiers, tous les soldats patriotes qui ont été renvoyés de leurs régiments, et qui voudraient s'engager de nouveau. Je fais donc la motion que votre comité militaire soit chargé de vous mettre sous les yeux, dans deux jours, un projet de décret pour lever des légions et les attacher à l'armée. (Applaudissements.)

M. Mathieu Dumas, rapporteur. J'appuie la

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