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M. Dusaillant ne soit coupable; son crime est bien caractérisé. D'autre part, le crime d'un grand nombre d'officiers est également bien caractérisé, mais il est possible que, dans le nombre, il s'en trouve quelqu'un d'innocent, et que les preuves que nous avons ne s'appliquent pas à tous. Les procès-verbaux disent seulement : « Un très grand nombre d'officiers ». Or, certainement, cela ne veut pas dire que tous les officiers sont coupables. Il convient donc d'ajourner pour parvenir sûrement à connaître la vérité, pour examiner et peser mûrement les preuves.

A l'égard de M. Chollet, M. Vergniaud a fort bien dit que nous ne devións pas être plus sévères que les lois que nous avons abolies. Si l'ordre n'existe pas..... (Murmures.)

Plusieurs membres : Il existe.

M. Chéron-La-Bruyère. Je le veux bien, mais il ne prouve pas que M. Chollet soit du complot. Et je dis encore... (Murmures.) Je vais me résumer. (Ah! ah!) Je demande qu'il soit porté un décret d'accusation contre M. Dusaillant (Murmures.), et, pour M. Chollet, je demande que l'on attende le résultat des informations que fait actuellement le tribunal saisi de cette affaire. Quant aux autres prévenus, je propose l'ajourne

ment.

Plusieurs membres : La discussion fermée!

M. Chéron-La-Bruyère. Je m'y oppose et je demande que la discussion soit continuée tant qu'il y aura quelque membre qui voudra parler en faveur des accusés.

M. Grangeneuve. Je repousse la proposition de M. Chéron et je trouve qu'il est indécent de faire dépendre la longueur d'une discussion du caprice des membres qui diront vouloir parler pour les prévenus.

(L'Assemblée, consultée, ferme la discussion.) M. Mathieu Dumas. Puisque la discussion est fermée, je demande à rétablir un fait qui me paraît avoir été dénaturé dans la discussion et à lire un projet de décret. Ce fait, c'est qu'on n'a pas pris le délit de M. Chollet dans son principe. Le voici.

Plusieurs membres : La discussion est fermée! M. Mathieu Dumas. Quoi! vous voulez rendre un décret d'accusation sur une simple lecture! Je viens défendre un accusé et vous me refusez la parole! Je dois être entendu.

Plusieurs membres: Non! non! La discussion est fermée!

M. Viénot-Vaublanc. Nous demandons que M. Dumas soit entendu et il le sera. (Murmures prolongés et exclamations.)

Plusieurs membres demandent que M. ViénotVaublanc soit rappelé à l'ordre pour avoir manqué à l'Assemblée.

M. le Président. Je connais mon devoir et și 30 personnes à la fois ne m'avaient pas parlé, je l'aurais déjà rempli. M. Vaublanc n'avait pas la parole et je le rappelle à l'ordre. Mais, Messieurs, M. Dumas a la parole, et je rappelle à l'ordre tous ceux qui l'ont interrompu.

M. Mathieu Dumas. Le premier tort de M. Chollet, c'est d'avoir quitté sa maison la nuit pour aller à la citadelle. Remarquez que M. Chollet est dans son quartier. Il a été au département; il a obéi et obtempéré aux réquisitions. Il est retourné ensuite chez lui. Là, rien ne nous dit comment il est allé à la citadelle; car, du mo

ment où il est hors de chez lui, tout devient ou violence ou erreur. Est-ce par violence? Il faut en avoir la preuve. Est-ce spontanément? Eh bien, alors...

Plusieurs membres : C'est la discussion.

M. Mathieu Dumas. Alors, il faudrait que quelques documents nous en assurassent pour que nous puissions prononcer en connaissance de cause. (Murmures.)

Un membre: M. Dumas n'a pas rétabli le fait. Monsieur le Président, la discussion est fermée. C'est trop longtemps abuser de la patience de l'Assemblée. Consultez l'Assemblée pour savoir si M. Dumas sera entendu.

(L'Assemblée, consultée, décide que M. Dumas ne continuera pas.)

M. le Président établit l'état de la délibération. Plusieurs membres demandent la priorité pour le projet du comité et la question préalable sur tous les ajournements.

(L'Assemblée, consultée, rejette successivement tous les ajournements par la question préalable et accorde la priorité au projet du comité. Applaudissements dans les tribunes.)

Un membre: Monsieur le Président, rappelez les tribunes à l'ordre; nous ne faisons pas ici une partie de plaisir.

M. le Président. Il est nécessaire que je rappelle aux citoyens qui sont dans les tribunes qu'ils ne doivent pas applaudir à l'acte le plus terrible, mais le plus indispensable du Corps législatif.

M. Delacroix. Je demande que le décret d'accusation soit rendu individuellement contre chacun des accusés. (Oui! oui!)

(L'Assemblée adopte la motion de M. Delacroix.) M. le Président met aux voix le décret d'accusation successivement contre chacun des officiers et des citoyens dénommés au projet. Pendant la délibération, plusieurs membres n'y prenaient point part. M. le Président les a invités à se lever pour ou contre les décrets. Ils se sont levés alors et plusieurs ont crié, au milieu des murmures, qu'ils ne prenaient et ne prendraient pas part à la délibération, parce que leur religion n'était pas suffisamment éclairée.

Les noms des prévenus ayant été successivement proclamés et l'Assemblée ayant décidé séparément sur chacun d'eux, il a été décrété qu'il y avait lieu à accusation :

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Contre les sieurs Chollet, lieutenant général, commandant la 10e division; Dusaillant, commandant du 12o bataillon de chasseurs; Félix Adhémar; Monjons; Pomayrole; Laroule; Gérard; Siochamp; Blachères; Lablinière; François Adhémar; La Chasserie; Masseligne; Descorbière; Dulin; Lupé; Mongon; François Montjustin; Durou; Adhemar aîné; Larivière; Pierre Pont; de Saint-Marcouf; Pargade; Herssaussen; Delssu; Mougon; Marchal de Chatté, officiers au 20° régiment d'infanterie; Chapoulard, sergent audit régiment; Joseph Bonafos, homme de loi; Pierre Blandinière, ci-devant procureur; Vincent Boxader; François Molinier; François Bertrand; François Boxader; François Corneille; Laurent Prats; Michel Autier et Doc fils, tourneur, citoyens de Perpignan, arrêtés dans la citadelle de ladite ville, le 7 décembre dernier et détenus dans les prisons. »

M. Montault-des-Isles. M. Chollet n'est pas

même en état d'arrestation. Je demande que le pouvoir exécutif soit chargé d'envoyer un courrier extraordinaire à Perpignan pour le mettre en état d'arrestation. Sans cela, il fera comme M. Dusaillant; il passera en Espagne.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Montaultdes-Isles.)

L'Assemblée a ensuite décrété, conformément au projet du comité, qu'elle approuvait la conduite qu'a tenue, le 6 de ce mois, le sieur Desbordes, lieutenant-colonel du 20° régiment d'infanterie ainsi que celle des sous-officiers et soldats dudit régiment qui ont résisté aux suggestions perfides et mensongères de plusieurs de leurs officiers; qu'elle approuvait également celle du 70° régiment d'infanterie et du détachement du régiment ci-devant la Fère, artillerie, en garnison à Perpignan, et qu'elle donne des éloges au zèle que les membres du conseil du département des Pyrénées-Orientales, le maire, la municipalité, la garde nationale et tous les bons citoyens de Perpignan ont déployé pour prévenir et arrêter de plus grands désordres dans leur ville.

M. Delacroix. Je demande qu'on sépare le décret d'approbation du décret d'accusation, car un seul décret pourrait contenir des dispositions sujettes à la sanction; et comme il serait indivisible, le vote frapperait sur la totalité. (Oui! oui!)

(L'Assemblée adopte la motion de M. Delacroix et renvoie les deux décrets au comité militaire pour en présenter une rédaction dans le cours de la séance du lendemain.)

(La séance est levée à minuit.)

PREMIÈRE ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU MARDI 3 JANVIER 1792, AU SOIR. RÉCIT des désordres survenus à Perpignan dans les journées des 6 et 7 décembre 1791 (1).

Perpignan, 8 décembre 1791. Voici l'exposé fidèle des troubles qui ont dernièrement eu lieu dans cette ville :

Le 5 décembre, il y eut dispute entre quelques grenadiers de Cambrésis et de Médoc; le 6, au matin, il devait y avoir un cartel. Les corps administratifs, instruits, avertirent M. de Chollet et l'on envoya sur les lieux l'on ne trouva personne, mais, à 9 heures du matin, l'on apprit qu'un garde national venait d'être blessé mortellement, en traitre, par un grenadier de Cambrésis. Il y avait beaucoup de bourgeois présents, sans armes et des soldats armés de sabres. L'on voulut arrêter l'assassin, les soldats (de Cambrésis) s'y opposèrent. Il se réfugia au corps de garde de la porte Notre-Dame. Un officier se trouva là et dit au grenadier: « Tu as fait un bon coup, voilà 24 sols pour boire ». Les grenadiers de Cambrésis, au lieu de remettre le détenu à la garde qui les relevait, le menèrent avec eux au quartier, ce qui occasionna un grand tapage.

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La garde nationale prit les armes, parce qu'elle était menacée par la citadelle, et par le régiment de Cambrésis, qui était en armes au quartier.

M. de Chollet fut prié de passer au département; il s'y rendit; le tumulte augmente; l'on demande le renvoi du régiment de Cambrésis dans 24 heures, au plus tard. M. de Chollet est gardé au département; on veut qu'il signe l'ordre du départ de ce régiment, il tergiverse et s'échappe par la porte de derrière; le peuple l'arrête et le reconduit au département sans lui faire de mal; le temps s'écoule, toute l'aprèsdînée, en motions et en pétitions; le procureur général syndic accompagne M. Magny au quartier de Cambrésis pour savoir des nouvelles du grenadier assassin; ils trouvent le régiment en grande fermentation; ils sont insultés par les officiers. Le procureur général syndic parle aux soldats en homme libre et le langage de la loi; ils retournent au département. Une députation d'officiers et de sous-officiers de Cambrésis arrive; ils demandent que la garde nationale quitte les armes; l'un des officiers dit que le régiment a aussi des armes, qu'il s'en servira. Ils retournent au quartier échauffer de plus en plus l'imagination des soldats.

La nuit approche; M. de Chollet désire s'en retourner chez lui; on délibère et l'on arrête qu'il sera accompagné par 12 membres de l'administration. En sortant, il est insulté, mais on ne lui fait aucun mal. Les membres rentrés au département, on délibère si l'on fera partir le régiment de Cambrésis; il est arrêté que M. de Chollet sera requis de le faire partir dans 3 jours, au plus tard. Il est près de 8 heures du soir; la garde nationale toujours sous les armes, les canons braqués, la gendarmerie nationale fait patrouille à cheval toute la nuit. Les officiers de Cambrésis se retirent aux casernes, animent les soldats en leur disant que 2,000 citoyens doivent venir les attaquer, pendant la nuit, avec 25 pièces de canons, qu'ils seront tous massacrés, qu'il convient de monter à la citadelle, que le général est en danger, qu'il est de leur honneur de le défendre. Il est bon d'observer que, pendant tout ceci, les exprès envoyés par eux ne faisaient que monter et descendre de la citadelle, qu'ils envoyèrent à trois reprises des députations à Médoc afin de l'engager de se joindre à eux. Celui-ci répondit toujours qu'il ne bougerait de son quartier que sur une réquisition de la municipalité. Les officiers de Cambrésis, voyant que les soldats n'étaient pas bien déterminés de monter à la citadelle, laissèrent quelques-uns d'entre eux pour les solliciter encore, et le plus grand nombre s'y réfugia.

M. de Chollet monte à la citadelle vers les 11 heures du soir; de là il donne ordre, par écrit, au régiment de Cambrésis d'y monter; les officiers redescendent avec l'ordre on le lit au régiment à une heure après minuit, mais les soldats répondent qu'on leur échauffe les oreilles et qu'ils ne sortiront du quartier qu'un officier municipal à leur tête. Ces messieurs reportent cette triste nouvelle à la citadelle: M. de Chollet en redescend vers les 4 heures du matin environ et les officiers de Cambrésis et un grand nombre d'aristocrates refugiés restent dedans. A 8 heures du matin, une députation de Cambrésis arrive à la municipalité, rend compte de tous les complots de leurs officiers, de toutes les tentatives qu'on a faites auprès d'eux, protestent de leur attachement à la Constitution, déclarent qu'ils ont été trompés, égarés par leurs officiers;

plusieurs avouent qu'on leur a donné de l'argent, fait des promesses, etc... demandent qu'on suspende leur départ et qu'ils se conduiront en bons citoyens, et sortent en criant: Vive la nation! Vive la garde nationale!

A 9 heures du matin, le département envoie des commissaires chez M. de Chollet, pour apprendre de lui les événements de la nuit et pourquoi il avait requis Cambrésis de monter à la citadelle à 1 heure du matin; il répond qu'il a été enlevé par force de chez lui, qu'on l'a conduit à la citadelle et qu'on l'a forcé de donner cet ordre. La garde nationale est toujours sous les armes; la ville est hérissée de baïonnettes et de canons; des patrouilles passant sous les glacis sont assaillies de coups de fusil partis de la citadelle, 3 patriotes sont blessés, la patrouille riposte, la fermentation devient terrible, le départ des chasseurs est résolu et l'ordre est donné pour 2 heures. L'on continue de se tenir en garde; deux heures approchent, les chasseurs sont relevés par un détachement de Médoc et un de Cambrésis; la municipalité se transporte sur l'esplanade à la tête de forts détachements de Cambrésis et Médoc et de toute la gendarmerie nationale; la garde nationale est en bataille sur la place d'armes; deux heures sonnent; les chasseurs descendent de la citadelle au milieu des cris et des huées de toute la populace et d'un grand nombre de femmes.

Plusieurs aristocrates de la ville, réfugiés, s'étaient déguisés en chasseurs, le fusil sur l'épaule, le sac sur le dos; ils descendent avec la troupe; ils sont reconnus, arrachés du milieu des rangs, déshabillés, ballottés d'importance et conduits en prison à coups de bourrades. Il a fallu toute l'activité et le courage du maire pour les soustraire à la fureur du peuple. On en a conduit 8 ou 9 en prison; de ce nombre sont Bonafos, le jeune Boxader, Molinier, etc. Ensuite la garde nationale monte par détachements, un officier municipal à la tête de chacun; l'on fait perquisition, l'on a trouvé les officiers de cavalerie renfermés dans une Chambre; ils ont été désarmés, conduits en prison et dégradés impitoyablement par les soldats. On arrache croix de Saint-Louis, épaulettes; on les dépouille de leurs habits, l'on coupe jusqu'au bouton uniforme de leur chapeau et, dans cet état, on les fourre sur la paille où, sans doute, ils n'ont pas beaucoup dormi.

Depuis cette expédition, la ville est tranquille. La garde nationale se retire à 4 heures du soir; l'on soupçonne qu'il y a encore quelqu'un de caché à la citadelle, entre autres des prêtres, l'on fouille et l'on ne trouve personne, mais le casernier, M. Pons, a mauvaise grâce, on lui prend les clefs et on le fourre en prison, de façon que s'il y a quelqu'un de caché ils périront de faim dans leur trou; l'on a trouvé 12 ou 10 paires de pistolets dans une chambre et 4 barils de poudre. L'on doit des éloges à la conduite de M. Desbordes, premier lieutenant-colonel de Cambrésis; on croit que c'est lui qui a éclairé les soldats et qui les a, par bonheur, empêchés d'obéir; il a été menacé d'être assassiné pendant la nuit parce qu'il ne voulut pas monter à la citadelle avec les autres. Les grenadiers le prirent sous leur protection et il resta avec eux; les canonniers, bons patriotes, qui se trouvaient à la citadelle, seulement au nombre de 25, étaient fort embarrassés, il fallait pointer les canons sur la ville ou être massacrés, mais tout cet horrible projet manqua par le refus de Cambrésis.

Tout était tranquille, le soir, à 7 heures; la gendarmerie seule était sur pied; il fallut rédiger les procès-verbaux; l'on écrit à M. de Chollet de dire les noms de ceux qui l'ont enlevé et conduit à la citadelle, le nom de ceux qui lui ont arraché par force l'ordre de faire monter Cambrésis et les personnes à qui il remit cet ordre. Sa réponse est, qu'il était tellement troublé qu'il n'a connu, ni ceux qui l'ont enlevé de chez lui, ni ceux qui l'ont forcé de donner l'ordre, ni ceux à qui il l'a remis. Aujourd'hui 8, l'on a arrêté le courrier au faubourg à 6 heures du matin; l'on a déposé la malle intacte à la municipalité; l'on veut savoir les lettres qu'elle contient. Une autre pétition vient d'être présentée au département; on demande que M. de Chollet soit mis en état d'arrestation: beaucoup de fermentation s'élève à ce sujet; il est actuellement 3 heures, rien n'a été statué, l'on garde sa maison à vue, mais sans armes et sans faire semblant de rien. Le nombre des officiers arrêtés de Cambrésis est de 25, y compris le second lieutenant-colonel, le reste s'est enfui ou caché, il n'en reste que 5 ou 6 au corps. Les bourgeois arrêtés, déguisés en chasseurs, sont 8 ou 9.

L'on doit aussi des éloges à la conduite de Médoc. J'apprends qu'on vient de nommer deux commissaires du département pour être présents à l'ouverture de la malle.

Le département délibère dans ce moment pour savoir si l'on arrêtera M. de Chollet. Je ne sais quel sera le résultat; 4 heures sonnent, je ferme ma lettre et je vous dirai de plus qu'il y avait des projets affreux dont on cherche à découvrir la trame; je crains bien que M. de Chollet ne soit mal dans ses affaires.

9 décembre. La tranquillité paraît rétablie : les citoyens suspects quittent la ville en grand nombre et la municipalité cherche le fil des trames odieuses qu'on nous préparait, le complot était affreux. Le ci-devant comte de Toulouse-Lautrec est à Fiqueras et le signal était donné pour qu'au premier coup de canon parti de la citadelle ils tombassent sur la place de Bellegarde, s'en emparassent sans difficultés. Au reste, l'on fait plusieurs autres versions.

Nous apprenons à l'instant que les officiers de Cambrésis, détachés à Collioure, viennent de se

sauver.

Un courrier vient d'arriver de Narbonne annonçant qu'on n'avait pas voulu recevoir le régiment de chasseurs. Ils ont eu ordre d'aller à Čarcassonne où, sans doute, un pareil sort les attend.

DEUXIÈME ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU MARDI 3 JANVIER 1792, AU SOIR.

CARNOT aîné, DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DU pasDE-CALAIS, ET CAPITAINE AU CORPS DU GÉNIE, A SES COLLÈGUES (1).

A la séance du soir, le 3 de ce mois, je vous proposai la destruction d'une citadelle qui avait

(1) Extrait du Moniteur Universel, du 7 janvier 1792, n° 7, page 28.

menacé la liberté des citoyens (1), mais les murmures qui m'empêchèrent de développer mon opinion, m'apprirent que ceux qui recherchent la vérité avec le plus d'ardeur, ne sont pas toujours ceux qui savent le mieux la reconnaître quand elle se présente. Vous n'êtes pas obligés, mes collègues, de savoir ce que c'est qu'une citadelle, car il serait trop honteux, pour des représentants de la nation, de laisser sciemment subsister au milieu d'elle cinquante bastilles semblables à celle dont la chute à écrasé le despotisme, et fixé l'ère de la liberté française. Une citadelle est un poste fortifié près d'une ville, qu'il commande, qu'il peut foudroyer à chaque ínstant, et qui bien loin de nuire aux ennemis du dehors, ne peut que favoriser leurs perfides projets car, si vous m'eussiez permis d'expliquer ma proposition, vous auriez compris que je ne demandais pas le rasement total des citadelles, mais seulement de démanteler la partie de leurs remparts qui est tournée contre l'intérieur des villes or, cette partie des remparts ne peut nuire qu'aux villes mêmes, et nullement à ceux qui viennent l'attaquer.

On objecte que la citadelle sert de retraite, dans le cas où la ville serait prise avant elle. Cela est vrai, et j'ajoute qu'autant les citadelles sont traîtresses, autant les villes fortes sont utiles au salut de la liberté, mais cela ne prouve pas qu'il faille conserver, en temps de paix, les remparts qui les divisent. C'est pendant le siège même de la ville qu'il faut les relever s'ils sont utiles à la défense; et le siège de la moindre bicoque donne quatre fois plus de temps qu'il n'en faut pour cela. Je ne fais point ici un traité de fortification, et ce que je viens de vous dire suffit: si vous voulez des autorités, si vous désirez en savoir davantage lisez Vauban, et plus vous vous éclairerez dans les ouvrages de ce grand homme, plus vous apprendrez à chérir la liberté, et plus vous serez convaincus qu'une citadelle est une monstruosité dans un pays libre, un repaire de tyrannie contre lequel doit s'élever toute l'indignation des peuples et la colère des bons citoyens.

Songez, mes collègues, qu'une citadelle n'est et ne peut être bonne qu'à vous remettre dans les fers; que la plus florissante des cités peut être à chaque moment réduite en cendres, au caprice d'un commandant de château, pétri du limon féodal, et empâté dans la plus stupide et la plus incorrigible aristocratie.

Voilà ce que c'est qu'une citadelle; voilà ce que vous n'avez pas voulu entendre. Eh! comment aurais-je été appuyé? Je suis militaire, je parle peu, et je ne suis d'aucun parti.

J'espère cependant, mes collègues, que vous ne renverrez pas à vos successeurs la gloire d'avoir affranchi votre pays de ces restes de barbarie. Puisse le délai que vous y apporterez, à la veille d'une guerre où la trahison est l'arme principale de vos ennemis, ne jamais exciter vos regrets!

(1) Voir ci-dessus, même séance, page 52.

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du mercredi 4 janvier 1792.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.

La séance est ouverte à une heure du matin. Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du mardi 3 janvier, au matin.

M. Pillaut, au nom du comité de division. Je propose à l'Assemblée de déclarer vérifiés et valides les pouvoirs de M. Gamon, premier suppléant du département de l'Ardèche, en remplacement de M. Valadier, ainsi que l'Assemblée l'a ordonné dans la séance d'hier soir (1).

M. Fressenel. Messieurs, vous vous rappelez qu'il y a quelques jours, on vous proposa de prendre des mesures sévères contre les députés qui ne s'étaient pas encore rendus à leur poste (2). Si je me rappelle bien, on renvoya au comité des inspecteurs de la salle. On ne vous proposa aucune mesure générale; et je suis étonné que l'on ait choisi M. Valadier pour servir d'exemple à ceux qui ne se rendent pas à leur poste. Je viens réclamer contre le décret rendu hier soir sur cet objet; je crois que le suppléant ne s'en prévaudra pas, car il sait que M. Valadier est malade depuis longtemps et qu'il va se rendre sous quelques jours à l'Assemblée nationale.

Je sais que M. Valadier n'a pu répondre encore à la lettre qui a été écrite, j'ose le dire, du consentement de l'Assemblée, pour savoir s'il voulait se rendre à son poste. Mais, Messieurs, j'écarte ces considérations et je soutiens que le décret en lui-même ne peut pas subsister. Effectivement, il faut, pour qu'il y ait lieu à l'admission d'un suppléant, qu'il y ait mort ou démission du membre nommé; or, il n'y a pas mort, il n'y a pas démission, il n'y a qu'absence, et une simple absence, lorsqu'elle n'est pas volontaire, ne peut entraîner le remplacement. M. Valadier ne mérite pas qu'on l'exclue avec précipitation. Je demande le rapport du décret.

Plusieurs membres demandent qu'avant d'admettre un suppléant, M. Valadier soit constitué en retard.

M. Lagrévol. Messieurs, nous devons moins considérer cette affaire sous les rapports d'intérêt particulier que sous les rapports d'intérêt public. Sans doute, il importait à l'Assemblée d'avoir dans son sein M. Valadier dont le civisme et les talents sont connus; mais il importait plus encore que la députation de l'Ardèche fût complète. Je conclus de là, Messieurs, que l'Assemblée a dû recevoir M. Gamon, premier suppléant; j'examine à présent si elle a commis une injustice à l'égard de M. Valadier et si elle a blessé la loi constitutionnelle.

Premièrement, il résulte du procès-verbal d'élection du département de l'Ardèche que M. Valadier, ayant été informé de son élection, répondit que sa santé ne lui permettait pas d'accepter. Il est vrai que l'assemblée électorale lui fit ré

(1) Voy. ci-dessus, séance du mardi 3 janvier 1792, au soir, page 44.

(2) Voy. Archives parlementaires, 15° série t. XXXVI, séance du 28 décembre 1791, page 477.

pondre par son président, qu'elle espérait que sous peu il pourrait se rendre à son devoir et qu'elle n'acceptait pas sa démission. Depuis cette époque M. Valadier n'a donné aucun signe de vie; d'où je conclus qu'il a persisté dans sa première volonté et qu'il est dans la résolution de ne pas accepter.

Secondement, la Constitution n'a pas prévu le cas qui nous occupe. Elle a déclaré, il est vrai, que si, dans le courant de mai, l'Assemblée n'était pas complète jusqu'à 300 membres, elle pourrait prendre des arrêtés pour faire rendre les membres absents; mais elle n'a pas dit qu'un citoyen fût malgré lui réputé député, et qu'un département et la chose publique pussent souffrir de l'incertitude d'un homme honoré de la confiance de ses concitoyens. Je demande donc que l'Asà l'ordre du jour. semblée passe

M. Thuriot. Je soutiens que la démission existe, parce qu'il n'était pas au pouvoir de l'assemblée électoral de délibérer sur la démission de M. Valadier, de la refuser ou de l'accepter. Depuis ce moment, M. Valadier n'a écrit, ni au président de l'assemblée électorale, ni à celui de l'Assemblée nationale, ce qui était au moins un devoir de décence. D'après cela, je crois que rien ne peut nous déterminer à forcer un homme d'accepter malgré lui les honneurs de la députation au Corps législatif. Je demande la question préalable sur la motion de rapporter le décret d'hier.

MM. Albitte et Grangeneuve appuient les observations de M. Thuriot.

Plusieurs membres : La discussion fermée ! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Fressenel. Je demande à faire lecture d'une lettre nouvelle que M. Valadier a adressée à la députation de l'Ardèche et qui contient une acceptation formelle de sa part.

Voix diverses: Oui! oui! Non! non!

M. Delacroix. C'est une ruse. Plusieurs membres : Lisez la lettre! (Non! non!) (L'Assemblée, consultée, décrète que la lecture de la lettre lui sera faite.)

M. Fressenel. La voici :

«Dans le moment où je reçois la lettre que vous m'avez écrite, datée du 17, et signée de MM. Reboul, Saint-Prix et Vacher, je vous dois donc compte de ma santé. La fièvre m'a quitté depuis trois semaines; j'ai pris mes remèdes depuis la semaine dernière; ma force revient, et, quoique je ne sois pas encore sorti de la maison, j'espère, autant que des fièvres d'automne peuvent m'inspirer de sécurité, j'espère pouvoir entreprendre le voyage avant la fin de novembre.....

Un membre: Encore un an!

M. Fressenel, continuant la lecture de la lettre. « Je serais bien fâché si les affaires de ce département pouvaient souffrir de mon absence; mais vous y êtes, Messieurs, que reste-t-il à désirer? Je sais qu'il y aurait gagner dans l'admission de M. Gamon à ma place, et j'ai vu, dans ce temps, avec peine que, dans le choix des députés et des suppléants, on ait donné à l'âge l'attention que les talents méritaient de captiver. Si cette admission peut être faite à temps et jusqu'à mon arrivée à Paris, je dois avoir des regrets qu'elle n'ait pas été sollicitée plus tôt. Si elle exige ma démission absolue, je vous prie de me dire ce que je puis. Si c'était

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« J'ai pensé qu'il serait agréable à l'Assemblée de connaître promptement chaque nature d'assignats qui, par l'effet des décrets, ont dû ou doivent entrer dans la circulation; j'ai fait former le tableau ci-joint qui présente la quotité des assignats par création et le montant des brûlements, soit qu'ils proviennent des rentrées des domaines, soit qu'ils proviennent d'échanges contre des assignats de 5 livres.

« Ces brûlements s'élèvent à 369 millions, ce qui réduit la masse des assignats au-dessus de 5 livres à 1,361 millions. Il y avait encore sur cette somme, au 31 décembre, 89,700,000 livres, tant à fabriquer que dans la caisse de M. Le Couteulx. Ils doivent servir à payer 31,830,000 livres, à échanger 21,395,000 livres de billets de caisse et à continuer le service de la caisse de l'extraordinaire. Au moyen du décret du 27 décembre, je me propose de faire mettre ce tableau à la suite du compte de décembre que l'on s'occupe de rédiger.

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