Page images
PDF
EPUB

M. Lecointre et plusieurs autres membres : Non! non!

(L'Assemblée rejette la proposition de M. Jollivet.)

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Messieurs, je viens réclamer auprès de l'Assemblée l'exécution du décret qui met à l'ordre du jour d'aujourd'hui la discussion des propositions du roi sur l'armée. Je ne peux répéter sans une espèce de désespoir que nous sommes au 21 janvier, que j'entends parler de l'époque du 10 février et que rien n'est prêt pour que je puisse présenter à l'Assemblée des aperçus de dépense et donner des ordres. Il n'y a pas de temps à perdre. Je supplie l'Assemblée de vouloir bien exécuter le décret qui ajourne à ce matin la discussion du rapport sur le mode de recrutement de l'armée. (Applaudissements.)

Plusieurs membres observent que l'Assemblée a ajourné à aujourd'hui la suite de la discussion du rapport du comité diplomatique sur l'office de l'empereur.

M. Albitte. Le comité militaire s'est occupé tous ces jours-ci des propositions faites par M. le ministre de la guerre. Il a cru qu'il devait y réfléchir avant de vous les présenter; il vous les proposera très incessamment. Mais, Monsieur le Président, ainsi que l'Assemblée l'a décrété, l'ordre du jour a déterminé, pour ce matin, la suite du rapport sur l'affaire de Caen.

Plusieurs membres : La priorité pour l'affaire de Caen.

M. Albitte. Vous avez fixé à ce soir le rapport sur le recrutement; je demande que ce décret ne soit pas changé.

M. Fauchet. J'appuie la proposition de M. Albitte et j'observe à l'Assemblée que, dans cette affaire, elle remplit les fonctions de jury, que le rapport n'a été fait que verbalement et que si vous n'en écoutez pas la suite, les faits seront oubliés avant la discussion. Il serait donc dangereux de laisser écouler un temps trop long.

M. Basire. La priorité pour la discussion sur l'office de l'empereur!

M. le Président met successivement aux voix la priorité pour la continuation de la discussion sur l'office de l'empereur, sur l'affaire de Caen et sur le mode de recrutement.

(L'Assemblée refuse la priorité à la discussion sur l'office de l'empereur et sur l'affaire de Caen et l'accorde à la discussion sur le recrutement de l'armée.)

M. Lamarque. Je demande à faire une motion d'ordre.

M. le Président. Vous avez la parole.

M. Lamarque. Messieurs, pour soutenir la grande mesure que vous allez prendre, soit relativement à l'empereur soit relativement à toute autre puissance qui voudrait se mêler de notre gouvernement et attenter à la liberté française, je veux dire, Messieurs, la mesure de guerre, qui nous est commandée par des circonstances si impérieuses et que l'opinion libre de tous les bons Français a déjà hautement et presque universellement proclamée, pour soutenir cette mesure, j'observe qu'il en est une accessoire que l'Assemblée nationale semble avoir perdue de vue après l'avoir renvoyée à son comité de législation, et qui cependant doit aller avec la première et en rendre les effets plus sûrs et plus dignes de

nous. Cette mesure, Messieurs, c'est le séquestre des biens de tous les traitres conjurés contre la Constitution et l'Etat. (Applaudissements.)

Hâtez-vous d'annoncer dans les départements que ceux qui, par leurs complots, auront nécessité la guerre, en payeront les frais, et que les citoyens, qui en supporteront les fatigues, doivent en être indemnisés. Alors, Messieurs, que la guerre se porte au Nord, qu'elle se porte au Midi, à l'Orient ou à l'Occident, ou sur toutes les frontières à la fois, vous y verrez courir avec une ardeur impatiente des millions de citoyens, citoyens que l'amour seul de la liberté y précipiterait sans doute, mais dont cet acte éclatant de justice ne peut qu'augmenter la confiance et le

courage.

Et à cet égard, Messieurs, je dois vous faire connaître un fait bien capable de presser notre détermination.

Dans le département de la Dordogne, il est un district qui seul vient de faire fabriquer 3,000 piques, et dont la garde nationale, après avoir ouvert une souscription pour le payement des contributions arriérées, vous envoie, dans ce moment, une députation chargée de se plaindre de ce qu'on la laisse dans l'inaction, et de vous demander, Messieurs, qu'on lui ordonne de se réunir incessamment à ses frères d'armes, pour la défense de la liberté. (Applaudissements.) Mais dans le voisinage de ce district, quelques habitants des campagnes ont fait, dit-on, une liste de tous les émigrés de leurs contrées et n'écoutant que leur indignation contre ces traîtres, ils menacent, au premier signal de guerre, de ravager leurs possessions et d'incendier leurs châteaux... (Murmures prolongés dans l'Assemblée. Applaudissements dans les tribunes.) Plusieurs membres : L'ordre du jour!

Un grand nombre de membres: A l'ordre les tribunes! à l'ordre! (Vive agitation.)

M. Aubert-Dubayet. Je demande aussi la parole pour une motion d'ordre; c'est avec des canons que nous voulons combattre les ennemis de la liberté, et nous ne voulons certainement pas faire la guerre avec des brandons. Je fais la motion qu'on rappelle les tribunes à l'ordre. (Murmures.)

M. Basire. On a bien applaudi à la proposition du séquestre des biens.

(L'Assemblée est dans une vive agitation.) M. le Président. Je rappelle aux tribunes qu'elles doivent garder le plus profond silence. (Le calme se rétablit.)

M. Lamarque. J'ai été fort mal entendu, et par les membres de l'Assemblée qui ont demandé l'ordre du jour, et par les citoyens qui ont pu applaudir, dans les cas où ces applaudissements porteraient, ce que je ne crois pas, sur l'intention de ceux qui méconnaîtraient assez les principes de notre Constitution et leur propre intérêt, pour vouloir incendier les campagnes. Mais les membres de cette Assemblée qui m'ont interrompu ont calomnié mon intention et détruit l'effet que pouvait produire ma motion. C'est précisément, Messieurs, parce qu'il peut se trouver dans les campagnes quelques citoyens égarés qui, ne suivant que leur indignation contre des traîtres à la patrie, abuseraient dans ce moment de la force qu'ils pourraient avoir; c'est pour prévenir le désordre qu'il faut substituer à une mesure arbitraire et violente dont les habitants des campagnes ne pourraient pas prévoir les

7

suites funestes, c'est pour entretenir la paix intérieure qu'il faut y substituer une mesure juste, légale et protectrice des propriétés. (Applaudissements.)

Je demande donc que votre comité de législation sont tenu de vous présenter, mardi prochain, le rapport dont vous l'avez chargé, sur le séquestre des biens des princes français et de leurs adhérents, et qu'immédiatement après, cette question soit livrée à la discussion dé l'Assemblée. (Applaudissements.)

M. Bigot de Préameneu. J'ai aussi à faire une motion d'ordre bien importante, c'est qu'aucun de nous ne cite désormais des faits, qu'il n'en apporte en même temps les preuves. Je ne peux pas croire que le peuple du département de la Dordogne fût capable de se porter aux excès dont vient de parler M. Lamarque... (Murmures prolongés.)

M. Basire. Et moi, je crois très bien... (Le bruit couvre la voix de l'orateur.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Bigot de Préameneu. Avant de prendre des mesures extraordinaires, nous devons maintenir la sûreté des propriétés. Je demande que les propriétés des femmes et des enfants des rebelles soient mises sous la sauvegarde de la nation. (Murmures.)

Un membre: Je demande que, sans s'arrêter à ces motions d'ordre, qui font perdre le temps de l'Assemblée, on passe à la discussion du projet du comité militaire.

M. Mathieu Dumas. Il a été fait par M. Lamarque une motion d'ordre; il faut que l'Assemblée la rejette ou l'adopte. Je l'appuie, car je crois que l'Assemblée doit la discuter. Mais je relève le fait cité par M. Lamarque. Il n'a point parlé du peuple de tel ou tel département, ni de telle partie du peuple, mais des seuls violateurs de loi qui pourraient abuser des circonstances... (Murmures.)

Un membre: Ce sont les beaux esprits!
Quelques membres : L'ordre du jour!

M. Mathieu Dumas. Si vous voulez le salut du peuple, eh bien, traitez ses plus grands intérêts. Je demande à être entendu. J'appuie la motion du préopinant...

(M. Goupilleau, qui interrompt, est rappelé à l'ordre par M. le Président.)

M. Merlin. Monsieur le Président, vous ne pouvez résister au vœu de l'Assemblée, on demande l'ordre du jour, faites votre devoir. (L'Assemblée décrète à une grande majorité qu'elle ne passera pas à l'ordre du jour.)

M. Mathieu Dumas. Il est d'autant plus nécessaire que le comité de législation s'occupe de cet objet... (Murmures.) Vous ne m'empêcherez pas de dire la vérité. (Murmures.) Le peuple doit compter sur nos soins pour lui conserver les lois. Je demande, pour assurer à chacun la garantie individuelle qui n'est que la loi qui veille pour tous, que vous mettiez aux voix la proposition de M. Lamarque.

M. Thuriot. Le rapport du séquestre est ajourné à lundi et toutes les questions qu'on traite ici sont des questions oiseuses.

MGoupilleau. Je demande que, toute affaire cessante, le rapport relatif au séquestre soit fait mardi.

(L'Assemblée décrète que le comité de législa

tion fera mardi prochain le rapport relatif au séquestre.)

La discussion est ouverte sur le projet de décret du comité militaire relatif au mode de recrutement des 51,000 hommes destinés au complet de l'armée.

M. Mathieu Dumas, rapporteur. Vous avez entendu, Messieurs, l'exposé des principes de votre comité militaire sur la question du recrutement extraordinaire de l'armée (1). Vous avez entendu le détail des circonstances; il me reste à vous faire une nouvelle lecture du projet de décret.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète :

Art. 1er. Immédiatement après la publication du présent décret, il sera ouvert dans chaque administration de district, et sous leur surveillance, dans chaque municipalité de chef-lieu de canton, un registre de recrutement pour porter l'armée au pied de guerre.

« Art. 2. Tout Français âgé de 18 ans et audessous de 50, qui n'ayant aucune infirmité ou difformité. se présentera pour s'engager dans l'infanterie, dans l'artillerie ou dans les troupes à cheval, sera invité, d'abord, d'après les conditions dont il lui sera donné connaissance, à déclarer dans laquelle de ces armes il veut servir.

« Art. 3. La taille nécessaire pour servir dans l'infanterie sera au moins de cinq pieds, pieds

nus.

« Dans la cavalerie et l'artillerie, au moins de cinq pieds trois pouces et demi.

«Celle pour les dragons, chasseurs et hussards, au moins de cinq pieds trois pouces.

«Art. 4. Le terme des engagements sera de deux ans.

« Art. 5. La paix ou la réduction de l'armée au pied de paix sera le terme des engagements contractés depuis le jour de la publication du présent décret, pour tous les citoyens dont le temps ne se trouverait pas rempli à cette époque. Art. 6. Le prix de l'engagement pour les

[ocr errors]

2 ans sera de 80 livres pour l'infanterie, de 100 livres pour la cavalerie et l'artillerie; il sera donné 60 livres à ceux qui ayant rempli un premier engagement de 2 ans, en contracteraient un second aussi de 2 ans.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

dats des troupes de ligne, sont autorisés et invités à s'employer au travail de ce recrutement extraordinaire; ils sont autorisés à faire connaître au son de trompette, de tambour ou autrement, les dispositions du présent décret. Ils conduiront à la municipalité les hommes qui s'adresseront à eux pour s'engager, et il leur sera remis une somme de 12 livres pour chaque homme de recrue qui sera admis d'après les formes prescrites.

«Art. 10. Il sera formé dans chaque chef-lieu de district et sous les ordres du commandant du poste de la gendarmerie nationale un premier dépôt de recrues.

Dès que le nombre des recrues s'élèvera audessus de 20 dans un chef-lieu de district, la recrue sera conduite en bon ordre, de brigade en brigade, par un sous-officier de gendarmerie nationale, à l'un des principaux dépôts de recrue ci-après indiqués.

« Art. 11. Il sera formé dans les chefs-lieux des 20 départements qui seront jugés par le ministre le plus convenablement placés, soit par rapport aux armées, soit dans l'intérieur, pour recueillir plus facilement les recrues des départements les plus éloignés des frontières des dépôts principaux, et le ministre de la guerre fera connaître incessamment à tous les corps administratifs et à toutes les municipalités, l'emplacement de ces dépôts et les routes par lesquelles chaque district doit diriger les envois particuliers de recrue vers ces mêmes dépôts.

Art. 12. Le pouvoir exécutif fera tenir le plus tôt possible à la disposition des administrations de district les fonds nécessaires au travail de ce recrutement.

<< Les engagements ne seront payés qu'au cheflieu du district sur le mandat de l'administration dudit district.

«Art. 13. Tout citoyen qui, dans le délai d'un mois, à compter du jour de la publication du présent décret, se trouvera dans un des corps de l'armée, ou se sera engagé dans les formes prescrites et qui aura resté présent aux drapeaux jusqu'à la fin de la guerre et jusqu'à l'époque de la réduction de l'armée au pied de paix, jouira des droits de citoyen actif, comme s'il avait servi pendant 16 ans conformément au décret rendu par l'Assemblée nationale constituante.

« Art. 14. Tout garde national dans les bataillons de volontaires nationaux, tout soldat, cavalier, dragon, chasseur ou hussard dans les troupes de ligne, qui aura été présent aux drapeaux depuis l'époque du premier mars prochain jusqu'à celle du licenciement ou de la réduction de l'armée au pied de paix et qui aura, à cette dernière époque, obtenu son congé en bonne forme, aura le droit d'emporter et de garder en toute propriété son armement, son équipement et

ses armes. »

M. Jean Debry. Messieurs, il manque au complet de l'armée française 51,000 hommes; de quels moyens vous servirez-vous pour en assurer, pour en hâler le recrutement? Le ministre de la guerre vous en a indiqué; votre comité vous en à offert d'autres, et le militaire qui m'a précédé à cette tribune vous a aussi présenté les siens, si d'un côté la détermination est instante, de l'autre le choix des moyens n'est pas aisé, et l'objet luimême n'est pas sans difficulté.

Messieurs, il est, dans la marche du législateur, des actions, des lois dont l'effet est borné à celui qu'elles annoncent; ainsi la loi protectrice d'une

découverte utile acquitte une dette, protège le peuple et encourage ceux qui travaillent pour lui; mais il en est d'autres dont les immenses résultats embrassent tout l'horizon politique, pénètrent, en quelque façon, la Constitution même, et conservent une existence active dont on ne peut déterminer l'intensité ni la durée. Dans cette dernière classe doit être rangée toute disposition relative à la force publique, armée pour l'exécu tion des décrets de la volonté générale. Gardonsnous donc d'envisager isolément cette question, et d'écarter d'elle le cercle des futurs contingents qui l'environne.

Quels que puissent être nos desseins, nos besoins, le choix et l'emploi de nos ressources doivent toujours être calculés sur la jalousie de nos droits. L'homme armé peut tout, et pour lui faire tout vouloir, il suffit de l'égarer; or, ce ne sont pas les mauvaises intentions qui manquent.

Je ne reviendrai pas sur le moyen simple et facile proposé par le ministre et dont votre comité a fait sentir l'inconvénient, celui d'incorporer les gardes nationales aux troupes de ligne pour compléter ces dernières et de faire ensuite une nouvelle levée de volontaires. Je ne sépare point leurs vues, tous sont enfants de la patrie; mais, comme l'a pensé votre comité, je crois qu'il importe à la liberté de ne pas confondre encore ces deux armées. Il n'y a qu'une nation libre qui puisse avoir des gardes nationales, conservons les nôtres. 15 siècles de tyrannie ont persuadé au despotisme que le soldat était à lui; je ne sais si le civisme des nôtres l'a désabusé. Quoi qu'il en soit, l'incorporation, dans ce moment, serait regardée comme la perte d'un des garants de notre liberté ainsi, il faut y renoncer. Un jour viendra peut-être où notre union, notre sagesse, notre situation politique et la somme de bonheur placée à chaque point de notre existence sociale permettront une incorporation en sens inverse, c'est-à-dire que le soldat de ligne n'aura, avec le garde national, qu'un nom, qu'un uniforme, qu'un service, comme ils n'ont qu'un sentiment et qu'un cœur; que les peuples, disait Mirabeau, ou plutôt que le peuple qui a le bonheur d'avoir trouvé dans sa Constitution de quoi se passer des armées toujours subsistantes, chérira sa condition en pensant à ce que coûte à l'espèce humaine et aux droits de l'homme ce triste avantage.

Recruter l'armée en établissant un contingent à fournir par département, c'est au vrai renouveler le régime des milices. Je veux croire que le patriotisme verrait le but sans s'attacher au moyen; mais nous, Messieurs, nous devons nous garder de donner un dangereux exemple en rappelant des formes justement proscrites, un germe de mal est une source intarissable d'abus.

Au fait, comme la liberté de l'individu est avant tout, on ne peut aider à un recrutement qu'en multipliant les avantages et les encouragements.

L'inscription des soldats auxiliaires, ordonnée par le décret du 28 janvier, était une de ces mesures. Différents motifs, tels que la levée des volontaires, l'incertitude du service et surtout les conseils de l'aristocratie, qui brilla toujours dans les détails de la méchanceté, en ont éludé l'effet. Rien n'empêcherait en employant d'autres ressources plus promptes, et dont je vais parler, de raviver celle-ci à l'époque où nous sommes : l'esprit en est connu, ainsi, sa nouveauté n'effrayerait pas. D'ailleurs, la concurrence avec les bataillons de volontaires a cessé puisque ceux-ci sont au complet.

Il y aurait toujours une difficulté subsistante, celle de la différence des soldes. De toutes les déclamations mises en œuvre par les ennemis de la Révolution, c'est celle sur laquelle ils ont le plus insisté. Habiles à émouvoir ces deux passions qui ont toujours mené les hommes, l'intérêt et l'amour-propre; ils ont représenté d'une part, aux soldats de ligne, qu'un traitement inférieur était à la fois une privation et un acte de mépris; car, disaient-ils, on paye comme on estime; de l'autre, ils insinuaient aux gardes nationales qu'on les trompait en leur offrant l'appât de cette solde de 15 sols, puisqu'il fallait en déduire une retenue suffisante pour leur habillement et leur bois; et cela est constant. Aussi les uns et les autres doivent voir aujourd'hui que la différence est plus apparente que réelle. L'indétermination du temps de service des gardes nationales l'a nécessitée, cette différence. Ils s'habillent, ils s'équipent, parce qu'il serait possible qu'après 6 mois ils ne fussent plus nécessaires, et alors les avances de l'Etat seraient perdues.

Si vous croyez devoir examiner les lois rendues sur ce point, Messieurs, je pense qu'il serait plus utile de prendre pour base de la solde, celle de la troupe de ligne, et de fournir alors aux volontaires les mêmes objets qui sont livrés au soldat de ligne. Car il y a réellement une différence et je la crois toute au désavantage des gardes nationales.

On vous a proposé, c'est l'article 4 du projet de votre comité, de fixer le terme des engagements à 2 ans. Le principe du roi de Prusse était qu'il fallait 6 ans pour faire un bon cavalier et trois ans pour un soldat à pied. Mais les mesures doivent varier ici d'après les objets auxquels on les applique, et je sens qu'on peut, en 6 semaines, combattre valeureusement pour ses foyers et n'être encore qu'un instrument impropre dans les mains d'un despote.

Les articles qui suivent offrent un développement plus important: c'est de borner l'engagement au temps de la guerre ou jusqu'au décret réductif au pied de paix. J'appuie de toutes mes forces cette disposition; elle rentre dans les vues du patriotisme, car, sans doute, on ne conservera pas alors une armée de 400,000 hommes. Je vous ai laissé entrevoir le danger politique qui en résulterait, si on les gardait. Le danger n'est pas moins grand pour la prospérité nationale, puisque s'il est besoin de bras pour défendre la liberté, il en faut aussi pour la nourrir.

Eh! qui mieux que nous, Messieurs, qui mieux que la France peut espérer de voir ces milliers de bras, armés pour notre défense, s'employer aux arts utiles? Nous avons repris ce qui était à nous; nous ne sommes armés que pour le conserver; notre système défensif est assis dans la Constitution même; elle ne peut, elle ne doit fleurir qu'avec l'olivier de cette paix que nous avons jurée à tous les peuples.

Ces, considérations sur les corps auxiliaires, sur les moyens de M. Hugau, l'attention que j'ai donnée au projet de votre comité ne me persuadent pas entièrement de l'efficacité des mesures proposées pour porter l'armée au complet. Il en est une plus certaine, plus économique et surtout plus politique.

Le mal auquel on veut remédier est un déficit de 51,000 hommes dans l'armée de ligne. Il résulte de cela que les bataillons agissant en moindre masse en sont plus aisés à rompre. Où serait l'inconvénient delprendre, dans l'armée elle-même, ces hommes dont on a besoin. Les derniers régi

ments, en ordre de numéro, respectivement dans leur arme, fourniraient proportionnellement aux vides existants, les officiers de toutes armes remplaceraient de droit les fuyards de Coblentz, et s'il faut absolument que l'armée s'élève à 400,000 hommes, de nouvelles légions de volontaires peuvent être créées en un instant sans retomber par le prix d'un engagement quelconque sur le Trésor national. L'exemple, l'émulation les disciplineront rapidement; c'est pour la patrie, pour leurs propriétés qu'ils combattront; il vous arrivera ce qui est survenu lors de leur première formation, c'est que partout le nombre exigé sera décuplé.

Il ne faut pas se le dissimuler, Messieurs, tous les moyens employés pour avoir de bons soldats de ligne seront insuffisants si l'on n'y joint ces moyens moraux auxquels nous croyons trop peu, et qui, chez tous les peuples, ont pourtant assuré la stabilité des Empires. L'article 13 du projet de votre comité qui propose de donner les droits de cité à ceux des soldats de ligne qui seront restés sous leurs drapeaux jusqu'à la fin de la guerre est, dans ce sens, peut-être admissible. Je n'en dirai pas de mème de l'article 14 sur lequel je demande une question préalable, malgré les applaudissements dont l'a couvert le noble enthousiasme français, pour tout ce qui lui paraît grand. Je ne m'oppose point à ce que le citoyen, qui aura servi, ait, comme tout autre citoyen, des armes pour le service de garde nationale; mais je m'oppose à ce que ce soit à titre de récompense. Je me rappelle avec effroi que tel a été le commencement de la féodalité; qu'ainsi s'acquérait la noblesse militaire; que de là sont dérivées ces concessions bénéficiaires sur lesquelles ont été bâties toutes les distinctions que nous avons détruites. Que leur souvenir déplorable soit éteint à jamais. Ne laissons pas aux despotes la facilité de remonter sur leur trône oppresseur. Que les libérateurs du monde conservent à jamais les bases de la liberté. La véritable gloire consiste à bien servir sa patrie; ce sentiment en est la plus digne et la plus belle récompense. D'ailleurs l'Assemblée nationale, la nation sauront bien récompenser les citoyens qui auront bien mérité. Le moyen que je vous ai offert pour arriver au complément de l'armée peut être défectueux; on peut objecter qu'il n'ajoute rien à la troupe de ligne; mais les gardes nationales ou les recrues n'y ajouteraient pas davantage. Il présente, au contraire, l'utilité d'avoir un corps complet de troupes exercées et sans mélange. Peu de temps, peu de dépenses pourraient mettre les gardes nationales en état de remplacer celle des armes qui serait épuisée. Si l'Assemblée adopte ce principe pour remplir le vide existant dans les bataillons de ligne, je demande :

1° Que, séance tenante, votre comité militaire vous présente un projet de décret sur le mode d'incorporation des régiments, les derniers en numéro pour compléter les premiers. Cette incorporation pourrait avoir lieu le 10 février prochain;

2° L'admission de l'article 13 du projet de décret de votre comité, ayant pour objet d'accorder le droit de citoyen actif à tout citoyen qui se sera engagé dans les formes prescrites, et qui restera sous les drapeaux jusqu'à la fin de la guerre;

3° La question préalable sur la proposition de donner en toute propriété au soldat, après la guerre, son armement, son équipement et ses armes. C'est à une disposition semblable que les droits féodaux durent leur naissance;

[blocks in formation]

M. Taillefer. En applaudissant à la sagesse des motifs qui ont déterminé votre comité à rejeter le mode de recrutement proposé par le ministre de la guerre, je suis étonné que les mêmes considérations ne l'aient pas empêché d'adopter celui qu'il vous présente.

Ce serait une grande question à discuter que celle de savoir si le régime des armées est compatible avec la liberté. Si cette discussion ne m'égarait hors de mon sujet, si la situation des puissances qui nous environnent n'enchaînait mes réflexions à cet égard, je pencherais sans doute pour la négative. Mais puisqu'enfin on est d'accord que leur entretien est un mal nécessaire, c'est déjà être convaincu qu'il est un mal. On devrait donc se restreindre à lui donner de puissants Correctifs; et cependant, trop flexible aux opinio ns du ministre, le comité ne vous propose que des mesures propres à perpétuer parmi nous l'entretien des armées permanentes, cette cause si active de la consomption des Etats.

Je croirais notre Constitution bien près de sa ruine, si le projet du comité n'était pas heureusement impraticable; mais le temps des enrolements est passé pour toute l'Europe, et plus spécialement pour la France. La même raison qui a fait abandonner la formation des 70,000 auxiliaires, qui rendrait inexécutable le projet de faire passer des volontaires dans des régiments de ligne, la même cause rend inexécutable l'enrôlement de 51,000 soldats. N'en tentez pas, croyez-moi, l'expérience; elle ne servirait qu'à Vous prouver qu'il ne faut jamais se hasarder de lutter contre l'opinion. Vous ne manquerez pas cependant de défenseurs en rejetant le projet du comité; vous en aurez au centuple de ceux qui vous sont nécessaires.

Dans un gouvernement, devenu libre par l'abondance et la dispersion des lumières, il n'est pas un citoyen qui ne soit prêt à mourir pour défendre sa liberté; mais il en est bien peu qui puissent se résoudre à l'aliéner le moins du monde; aucun n'y est avare de son sang bien peu consentiraient à se donner un joug qu'ils ne pourraient quitter à volonté. Voilà la cause de l'extrême facilité que vous avez eue à créer des bataillons volontaires, à les grossir, à les doubler selon vos besoins; n'en cherchez pas d'autres de l'extrême lenteur qu'a éprouvée le rassemblement de quelques milliers d'auxiliaires; c'est aussi la raison de la cessation absolue des enrôlements. Il faut donc renoncer à toute idée d'augmenter, quant à présent, les troupes de ligne; l'on peut supporter sans regret cette privation, en considérant l'inépuisable ressource qui doit y suppléer.

Pouvez-vous, en effet, imaginer que ces jeunes citoyens, que leur patriotisme et leur courage appellent au milieu des armes, se décident pour le service de la ligne, lorsque la paye étant plus forte, au moins en apparence, dans les bataillons volontaires, la faculté de se retirer après la campagne leur étant accordée, jouissant d'une infinité d'avantages qui résultent de la nature de leur organisation, ils puissent balancer entre la perpétuité d'un engagement dans les troupes de ligne, et le service des bataillons volontaires? Quel puissant aiguillon ne serait-ce pas pour

exciter le soldat à prodiguer son sang pour la
patrie, si on lui offrait, après la victoire, la li-
berté, le repos et la jouissance des droits de
citoyen actif? Car, en cela, j'adopte le projet du
comité.

Quant à la proposition d'augmenter d'une manière proportionnelle le prix des enrôlements, je la trouve entièrement mauvaise. Quoi! vous proposeriez à des hommes libres une espèce de corruption, l'appât de l'or, pour appeler à la défense de la liberté ? Ah! s'ils ont besoin d'un semblable aiguillon pour s'exciter à la défendre, ils ne sont pas dignes de la posséder.

Après avoir proposé un enrôlement extraordinaire, et une gratification d'encouragement pour compléter votre armée, il était tout simple que le comité se retranchât sur l'ancienne et immorale méthode de l'embauchage, qu'il proposât d'accorder une récompense de 12 livres par tête de recrue. Cette proposition seule m'engagerait à m'opposer de toutes mes forces au projet du comité. Législateurs d'une nation que la servitude n'avait pu dégrader, vous qui devez lui donner des mœurs, des principes, de la vertu, sans lesquels les lois qui lui ont été données par vos prédécesseurs n'auraient qu'une périssable durée, n'employez jamais des moyens dont vous puissiez rougir.

Ne serait-il pas plus simple de décréter que les officiers municipaux seraient tenus de faire publier que tous ceux qui voudraient prendre parti dans l'armée s'adresseraient à eux pour passer l'engagement, sauf au soldat de spécifier le régiment dans lequel il aimerait mieux entrer? Par ce moyen, on économiserait les primes dont on gratifie les recruteurs; et par une voie simple, sans frais, exempte de toute immoralité, on parviendrait au même but.

On dira peut-être qu'il est essentiel d'augmenter l'armée afin de multiplier les moyens d'instruction pour les volontaires. On s'abuse, si l'on croit que cette finesse de tactique sera d'un grand secours à nos ennemis. La guerre qui va se faire ne peut ressembler à une autre guerre. Il s'agit de les rendre étonnés, indécis, stupé.aits par l'enthousiasme, l'intrépidité, l'impétuosité de nos soldats. Semblables aux enfants d'Odin, aux soldats d'Omar et d'Ali, vos guerriers rendront vaine la mousqueterie des Allemands en se précipitant sur eux et éteignant dans leur sang la foudre qui devait les écraser. Un bois, un ravin, un mur, une haie, un amas de pierres feront des retranchements ou un champ de bataille toujours sous la main. Voilà comment combattent ceux qu'anime la passion de la liberté ; et dans cette lutte d'une nouvelle espèce, la manoeuvre sert peut-être moins qu'elle ne nuit.

Pourquoi ne pas adopter le système de M. Hugau, tendant à augmenter les bataillons de gardes volontaires de 16 hommes par compagnie ou même de 28? Cette disposition est à la fois aussi simple que féconde; elle nous laisserait entrevoir l'époque heureuse où les troupes permanentes ne seraient plus nécessaires, où le plus grand fléau de l'agriculture et de l'industrie commencerait à disparaître ainsi que l'ennemi naturel de la liberté. Essayant ainsi ce système des armées spontanément formées de la masse la plus pure de la nation, nous n'aurions à craindre, ni de les voir fuir devant l'ennemi, ni de tourner leurs armes contre la patrie. Imitateurs de nos prédécesseurs en liberté, nous tirerions comme les Grecs et les Romains le soldat de la navette et de la charrue; et disciplinés sur

« PreviousContinue »