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et murmures.) Je n'aurais pas cru qu'en proposant à des Français, en 1792, la destruction d'une Bastille, je fusse aussi mal accueilli. Il y a deux ans que je suis dans le corps du génie, et je ne parle pas en aveugle sur ce point. J'ai des lumières sur cet objet, et si j'ai apporté quelques sentiments dans cette Assemblée, c'est surtout l'amour de la liberté et la haine des tyrans. La citadelle est un poste fortifié et le sort de cette cité est entre les mains du commandant de la citadelle. Je demande donc la destruction de toutes les Bastilles du royaume. (Murmures.) Les Français de 1792 ne ressembleraient-ils pas aux Français de 1789!... (Murmures.) (1).

Plusieurs membres: Ce n'est pas là la question! M. Arena. Nous ne pouvons trop nous hâter de poursuivre tous ceux qui attaquent la liberté et notre Constitution; nous ne pouvons trop nous empresser de sévir contre les coupables qui se tourmentent tous les jours du spectacle de notre félicité, et les coupables, ce sont ces officiers qui ont cherché à séduire et à corrompre leurs soldats, eux qui toujours auraient dû les conduire dans le chemin de l'honneur. Quoi! vous balanceriez à remplir un devoir sacré quand on vient vous dénoncer que les officiers du 20° régiment et qu'un commandant du 12° régiment, M. Dusaillant, ont cherché à suborner leurs soldats dans les casernes pour les introduire dans la citadelle de Perpignan; quand on vous dit qu'on a préparé des canons et des cartouches et qu'on allait livrer la citadelle aux ennemis, quand on vous dit que des citoyens ont couru risque d'être menacés. (Murmures.) Je m'exprime mal peut-être, mais si je ne suis pas né Français, j'ai le bonheur de l'être devenu. (Bravo! Bravo! vifs applaudissements.) Qu'est-ce donc que le patriotisme? Est-ce donc là le courage des représentants de la nation? Il est constant que les officiers ont cherché à séduire leurs soldats. On demande des preuves! Les preuves résultent des procès-verbaux, des arrêtés, des adresses, des déclarations, des dépositions qui vous ont été lues. Certes, vous avez porté des décrets d'accusation sur des preuves bien plus faibles que celles-là. (Applaudissements.) Et je n'ai pas besoin de preuves plus fortes pour me persuader que ces officiers méritent d'être livrés à la justice. Il y a assez longtemps que la générosité française doit être lasse; il faut enfin des exemples de sévérité et de rigueur.

Je ne pense pas, cependant, que M. Chollet, lieutenant général, soit dans le cas d'être accusé comme les autres, et je vais vous en dire les motifs. Il n'est accusé ní par le département, ni par la municipalité, ni par ses soldats. Il a été forcé. Vous n'avez contre lui que sa déclaration et sa déclaration est celle d'un militaire honnête, qui dit la vérité. Qu'a-t-il fait? Il a été traduit à la citadelle par des officiers coupables qui lui ont peint la situation du 20° régiment comme pénible; il dit lui-même qu'il a été forcé de donner l'ordre, mais aussitôt qu'il en a trouvé le moyen, il s'est empressé de retirer cet ordre. Vous n'avez donc rien encore à condamner dans M. Chollet. Autant je réclame votre juste sévérité à l'égard des hommes contre lesquels il y a des preuves, autant j'invoque votre justice pour ceux qui sont innocents, et M. Chollet doit être présumé tel,

(1) Voir ci-après aux annexes de la séance, page 60, le document distribué par M. Carnot ainé, à ses collègues pour leur exposer son opinion.

d'après la déclaration des droits, jusqu'à ce que vous ayez recueilli de nouvelles preuves par la procédure qui sera instruite. Par les interrogatoires des prévenus, il vous sera facile d'apprendre si M. Chollet a manqué à son devoir, et alors il sera temps de le punir. Mais, dans ce moment, ma conscience ne me dit pas qu'il y a lieu à accusation contre lui. (Vifs applaudissements.)

M. Taillefer Je n'ajouterai rien aux motifs qui vous ont été développés par l'honorable préopinant en ce qui concerne l'ajournement du projet de décret. (Rires.) Mais je ne suis pas de son avis relativement à M. Chollet. M. Chollet est, sinon l'âme, au moins l'instrument de la conspiration. Est-il supposable qu'un officier général n'ait aucune connaissance, aucun soupçon des mouvements qui se font dans sa division? Est-il à supposer qu'il donne des ordres, et que ces ordres s'exécutent avant qu'il n'en sache rien? Et lors même, Messieurs, que M. Chollet ne serait pas l'instigateur de ce complot, il n'en serait pas moins coupable, parce qu'alors il aurait trahi son devoir, parce qu'il aurait cédé par une lâche et vile pusillanimité, et dès ce moment, il se serait montré indigne de la confiance de la nation. Rappelez-vous l'exemple de l'Angleterre qui a condamné à mort l'amiral Bing, non pas pour avoir trahi sa patrie, mais pour n'avoir pas rempli son devoir. Pour un officier, manquer à son devoir, c'est trahir la patrie, et je dis que M. Chollet me semble, à moi, selon le témoignage de ma conscience, être le ressort secret de cette conspiration qui avait pour but de livrer la citadelle de Perpignan aux émigrés, quoiqu'au premier abord il ne paraisse pas avoir trempé dans le complot. De toutes façons, soit pour avoir conspiré contre l'Etat, soit pour avoir manqué à son devoir de militaire, M. Chollet doit être compris dans le décret d'accusation.

M. Mathieu Dumas. Plus nous remplissons un ministère rigoureux et tutélaire... (Murmures prolongés.), oui tutélaire, car, lorsqu'on est chargé de diriger le glaive de la loi, sans doute on protège sa patrie. Je dis donc que, plus nous sommes chargés d'un ministère rigoureux et tutélaire, et plus nous devons l'exercer avec calme et réflexion.

Je vois avec douleur, dans le cours de cette malheureuse affaire, une série de délits militaires qui annoncent un complot formé, et je ne balance pas à dire mon opinion sur ce premier point; c'est qu'il faut des mesures sévères contre les conspirateurs. Mais je vois aussi que le commandant de la division militaire ne peut point être inculpé de la même manière que les autres officiers:

1° Parce qu'il n'a pas paru, ainsi que ceux-ci, comme moteur ou instigateur;

2o Parce qu'il a été dénoncé aux tribunaux par la voie légale et qu'il faut attendre l'effet de cette première instruction d'où doit nécessairement ressortir le degré de soupçon dont nous avons besoin;

3° Parce que la loi dit bien qu'un commandant devra diriger, suivant les réquisitions, la partie de force qui lui aura été demandée; mais elle ne dit point, et il est impossible qu'elle dise, qu'une réquisition peut paralyser une partie ou la totalité des forces d'une garnison. Et après avoir, Messieurs, consacré ce principe, examinons si nous devons, dans ce moment, porter le décret d'accusation contre les officiers.

Je trouve dans toutes les pièces qui nous ont été rapportées, beaucoup d'índices, et point de preuves assez mûries (Murmures.) pour pouvoir déterminer tout à l'heure notre jugement. Je m'explique, Messieurs, car on pourrait croire que j'entends par cette maturité de preuves, celles qui, étant ensuite parfaites dans le cours de l'information, donneront lieu à un jugement. J'entends par la maturité des indices, la certitude que chacun de nous doit acquérir par l'examen et la comparaison des pièces pour être en état de rendre un décret d'accusation. (Murmures.) Je ne pense pas, Messieurs, qu'aucun de nous puisse dire que sur une lecture rapide d'un grand nombre de pièces, nous puissions conclure que la totalité des officiers qui y sont dénoncés doive être mise en état d'accusation. Il peut s'en trouver dans le nombre qui sont innocents ou qui n'ont été séduits que par l'erreur d'un moment. Tous les faits se sont passés avec une telle rapidité, qu'il est vraisemblable que tous ne sont pas également coupables. Ne concevez-vous pas que dans cette foule d'officiers plusieurs aient pu entraîner leurs jeunes camarades? Nous n'avons vu que trop d'exemples de cette malheureuse facilité à entraîner dans le crime ceux qu'on a sous les yeux, ceux sur lesquels on a quelque commandement.

Et quand il n'y aurait que cette simple considération de ne pas prononcer à la fois sur un aussi grand nombre de coupables, sans s'être donné le temps de la réflexion ! L'Assemblée est convaincue, comme moi, qu'il a existé un complot; on en voit les traces dans la suite des événements, dans la fuite de celui qui se trouvait commander un des postes extérieurs, dans la chaleur avec laquelle les officiers ont cherché à entraîner leurs soldats, dans des suggestions perfides à un vieux général respecté jusque-là et que l'on a voulu entraîner dans ces coupables

manœuvres.

Eh bien, malgré toutes ces traces d'un complot, je dis que si nous précipitions notre jugement lorsque tous les accusés sont en état d'arrestation, lorsqu'aucune preuve ne peut périr, nous montrerions moins de justice de pasque sion. (Murmures dans l'Assemblée et dans les tribunes.)

M. le Président. Je rappelle les tribunes au respect qu'elles doivent à l'Assemblée.

M. Mathieu Dumas. Oui, Messieurs, nous devons tout faire pour protéger la liberté, pour empêcher qu'aucune atteinte n'y soit portée. Nous devons frapper sur la tête des coupables, mais nous devons le faire en connaissance de cause. Nous devons tout à la loi, à son exécution rigoureuse, et nous ne devons rien aux passions. (Nouveaux murmures.)

M. Lasource. Je demande, Monsieur le Président, que vous rappeliez nominativement à l'ordre ceux qui interrompent l'orateur. Quand l'Assemblée nationale va porter un décret d'accusation, elle doit être dans le plus grand calme.

M. Mathieu Dumas. Dans les circonstances où nous nous trouvons, au moment où nos ennemis voudraient exciter des dissentions civiles, au moment où ils nous menacent de toutes parts, au moment où nous armons la loi de ses foudres vengeresses, au moment où nous avons un tribunal imposant et respectable aux yeux de l'Europe entière, nous devons plus que jamais nous garder de la précipitation.

Je me résume et je dis que puisque toutes les

pièces qui vous ont été lues ne mentionnent les officiers de ce régiment que d'une manière collective, puisque M. Chollet est plutôt excusé qu'accusé par les arrêtés du département et de la municipalité et par sa correspondance avec le ministre, puisqu'il ne s'agit que d'un délit militaire qui ne doit être informé que militairement, puisqu'enfin nous devons juger avec réflexion, je conclus à ce que le décret d'accusation ne soit pas porté dans la séance même où la lecture des pièces a été faite, mais qu'il soit ajourné à huitaine... (Quelques mumures.)

Un membre: Après la campagne!

M. Mathieu-Dumas... que pendant l'intervalle de cette séance à celle où sera prononcé l'ajournement, les pièces soient déposées au comité militaire pour que chacun des membres de l'Assemblée puisse en prendre connaissance. Je demande secondement que M. Chollet soit, quant à présent, séparé de cette accusation. (Murmures.) Je demande enfin, Monsieur le Président, que le projet de décret soit imprimé conformément au règlement. (Murmures.)

M. Albitte. Un de vos membres dernièrement, en prenant avec autant d'énergie que de courage la défense des soldats de Châteauvieux, Vous disait que toutes les fois qu'il était question des officiers, on y regardait de plus près que lorsqu'il était question de soldats. On vous dénonce un complot qui ne tendait à rien moins qu'à livrer Perpignan aux ennemis, et l'on vient demander que les pièces soient déposées au comité, et l'on vient demander des preuves. Ne sontce pas des preuves que les pièces qu'on vient de vous lire? il y en a plus qu'il n'en faut pour rendre un décret d'accusation. Messieurs, quand il a été question d'un malheureux tambour, vous avez tenu séance la nuit et l'avez accusé sur-le-champ... (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Jaucourt. On a passé 3 jours et 3 nuits pour ne pas le mettre en état d'accusation.

M. Albitte. Sur de simples lettres, on a cru pouvoir porter un décret d'accusation contre les sieurs Varnier et Delattre, et vous hésitez à décréter d'accusation des officiers dénoncés par un directoire, par une municipalité, par leurs soldats! Quant à M. Chollet, on nous dit qu'il a toujours été estimé; mais j'observe qu'il y a deux sortes d'estime. Autrefois le courage seul faisait estimer, mais aujourd'hui on n'est estimé que par le courage joint au patriotisme. Or, M. Chollet n'a pas dû ignorer ce qui se tramait à Perpignan; il devait d'autant plus veiller qu'il y avait plus à craindre. Je demande donc qu'il soit compris dans le décret d'accusation, et je m'oppose à ce que les pièces soient déposées au comité militaire, parce que nous en avons une connaissance suffisante. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Lagrévol. Messieurs, je crois que nous devons d'abord considérer s'il existe un délit, si le délit est de nature à être de notre compétence et s'il existe des coupables connus ou présumés.

1o Il y a délit, car il est prouvé par les procèsverbaux qu'on a voulu s'emparer de la citadelle; 2o nous sommes compétents, puisque nous sommes spécialement chargés par l'Etat de faire punir tous les complots contre la sûreté de

Messieurs, les fonctions que nous faisons sont celles de juré, et à cet égard, nous devons plus nous occuper de la nature du délit que de la

conviction des coupables. J'ose dire que ce dernier article ne nous concerne pas et que nous devons seulement examiner s'il y a des prévenus. Quant à M. Chollet, si j'ai bien entendu, dans la déclaration qu'il a faite devant les commissaires du département, il y est dit, il est vrai, qu'il a donné l'ordre de faire arriver le 20o régiment à la citadelle; mais il y est dit aussi que c'est par violence qu'il a donné cet ordre, qu'il y a été forcé le pistolet à la gorge et qu'il l'a rétracté aussitôt qu'il a été libre. De quoi est-il coupable alors, d'une faiblesse, d'une lâcheté ? Mais cette lâcheté n'est pas une conspiration; cette lâcheté n'a produit aucun mauvais effet, et vous ne devez, Messieurs, vous ne pouvez la considérer comme un attentat contre la sûreté publique. Ensuite, Messieurs, la déclaration de M. Chollet est indivisible; vous devez la prendre à charge comme à décharge, et vous trahiriez les droits de la justice distributive, si vous preniez ce qui est contre lui, sans admettre ce qui est en sa faveur. Je conclus donc à ce qu'il soit déclaré qu'il n'y a lieu à accusation contre lui. J'en viens à présent à M. Dusaillant. Celui-ci, Messieurs, je l'avoue, me parait prévenu, pour ne pas dire convaincu. Je conclus donc, quant à lui, à ce qu'il soit mis en état d'accusation.

Les officiers du vingtième régiment sont complices, Messieurs; ils sont plus, s'il est permis de s'expliquer ainsi, ils sont auteurs et coupables, et si je devais seul les juger, j'opinerais, d'après ma conviction intime, pour les mettre en accusation. Mais l'ajournement vous est demandé par nombre de nos collègues; ils vous ont déclaré qu'ils n'avaient pas pu, sur une lecture rapide, saisir l'ensemble des faits, s'en pénétrer assez pour délibérer, et cela suffit, je crois, pour nous engager à adopter l'ajournement; nous ne pouvons pas raisonnablement donner les fonctions de juges à des gens qui déclarent n'être pas instruits. Au surplus, Messieurs, rien ne periclite; tous les officiers à accuser sont en état d'arrestation, et ils n'y gagneront rien, et la nation n'y perdra rien pour attendre. Je demande donc l'ajournement à samedi, et que l'on fasse imprimer le rapport et le projet de décret. (Applaudissements.)

M. Vincens-Plauchut. Je ne parle qu'incidemment sur cette question. Messieurs, les frontières d'Espagne me paraissent mériter une grande attention de la part de l'Assemblée; dans la circonstance où se trouve l'Empire français. Tandis que vous déployez des forces au nord de la France, les frontières méridionales paraissent placées dans une situation dangereuse. L'événement de Perpignan, vous ne pouvez le dissimuler, est lié certainement avec un grand projet contre la sûreté de l'Empire, et tandis que le gouvernement espagnol amène des forces considérables de ce côté, le fanatisme se ménage des intrigues dans les départements voisins; c'est un fait que les députés du département des Pyrénées-Orientales peuvent vous attester. Je crois donc, Messieurs, qu'il est important de pourvoir, par des mesures précises, à ces tentatives contre la liberté nationale, et je suis chargé de vous offrir, de la part des volontaires nationaux du Gard, l'honneur d'être appelés les premiers à combattre les fantassins et les moines espagnols. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Lacuée jeune. La lecture approfondie que le comité a fait des pièces de la conspiration nous montre, d'une manière bien évidente, un

coupable prévenu, des coupables présumés de délits militaires, mais non d'attentats contre la sûreté de l'Etat; voilà quelle est la situation des divers accusés de Perpignan. Certainement M. Dusaillant paraît bien coupable, et je crois qu'il y a lieu de porter sur-le-champ contre lui un décret d'accusation, parce qu'indépendamment des faits qui l'appuient, une puissante raison doit le déterminer. M. Dusaillant n'ayant pas été mis jusqu'ici en état d'arrestation, nous devons à la sûreté de l'Etat, nous devons à la vengeance nationale de nous assurer le plus tôt possible de ce prévenu, pour qu'il ne puisse échapper au juste châtiment de son crime. M. Chollet devait mourir pour l'exécution de la loi et ne pas s'abandonner à une pusillanimité qui suppose la lâcheté ou la trahison; il doit être tenu dans l'état où il est jusqu'à ce qu'on ait acquis d'autres preuves contre lui. D'autre part, je vois dans les officiers du régiment ci-devant Cambrésis, 24 ou 25 accusés; mais je dis que dans quelques jours d'ici, lorsqu'on aura eu le temps de s'instruire de l'état des faits, on sera à portée de discerner les coupables d'avec les hommes qui n'auront été qu'entraînés; je ne crois pas les preuves contraires suffisantes. Quant aux citoyens trouvés dans la citadelle, le comité n'a peut-être pas assez examiné la force ou la faiblesse des présomptions contre eux.

D'après ces réflexions, je demande que M. Dusaillant soit mis en état d'accusation, et je crois que l'on doit adopter l'ajournement pour les autres accusés et laisser M. Chollet dans l'état où il est. Le comité militaire, en vous proposant un décret d'accusation contre eux, n'a peut-être pas assez examiné que des raisons autres que celles de complot contre l'Etat, peuvent les avoir conduits dans la citadelle; mais il n'est pas question d'entamer la discussion. (Murmures.) Je me résume porter le décret d'accusation contre M. Dusaillant, renvoyer les pièces au comité militaire pour qu'on puisse les consulter, ajourner à huitaine la discussion de cette affaire et laisser M. Chollet dans l'état où il est.

Un membre: Oui, jusqu'après la guerre.

M. Delacroix. Je m'oppose à l'ajournement qui a été proposé, parce qu'il y a assez de preuves contre tous les officiers pour les mettre en état d'arrestation; or, il ne faut pas sans doute plus de preuves pour prononcer le décret d'accusation, qu'il n'en faut pour les mettre en état d'arrestation. (Oh! oh!) Il n'y a point de oh! oh! (Rires et applaudissements.) Je soutiens qu'aux termes de la Constitution et de la Déclaration des droits, vous ne pouvez pas priver des citoyens de leur liberté, sans un décret; et si le délit pour lequel ils sont arrêtés existe, comme vous n'en pouvez pas douter, il y a lieu à accusation, comme il y avait lieu de les mettre en état d'arrestation.

Je soutiens qu'il y a lieu à prononcer le décret d'accusation contre M. Chollet; et, pour le prouver, je dis que les moyens qui ont été invoqués en sa faveur ne peuvent pas être adoptés par l'Assemblée. On vous a dit qu'on n'avait pas la preuve que cet officier eùt trempé dans la conspiration, mais vous avez la preuve qu'il a fait plus, qu'il y a contribué, qu'il y a coopéré en refusant d'abord de mettre aux arrêts, de consigner dans la caserne les soldats du régiment de Vivarais. On vous a dit que ce n'était pas un délit, parce qu'il n'y était pas obligé par une

seule loi, non sans doute; mais la loi du salut de l'Etat exigeait qu'il déférât, dans une pareille circonstance, à la réquisition des corps administratifs. Il a fait plus, Messieurs, il a donné un ordre par écrit au régiment de Cambrésis, à minuit, de se rendre à la citadelle, et pour excuser cet ordre, on vous a dit qu'on devait le regarder comme un acte de faiblesse; Messieurs, dans un fonctionnaire public, la faiblesse est une lâcheté, et la lâcheté est un crime. (Bravo! bravo! — Applaudissements.)

Que dirait l'Assemblée nationale à un officier municipal qui aurait refusé de proclamer la loi martiale, sans laquelle les citoyens ne peuvent rétablir le bon ordre, s'il venait vous dire qu'il a laissé égorger ses concitoyens, parce qu'il craignait d'être tué en sortant de chez lui. Que diriezvous à un ministre qui, pour s'excuser d'avoir signé un ordre contraire au bien de l'Etat, viendrait dire qu'il y a été contraint par le roi, qu'il y a faiblesse de sa part, mais qu'il n'y a pas crime; et je vous le demande, Messieurs, qu'est-ce que la nation vous dirait à vous-mêmes, si vous aviez la faiblesse de violer le serment que vous avez fait de maintenir la Constitution, si, attaqués par des rebelles et des ennemis extérieurs, vous osiez, pour conserver vos jours, transiger et composer avec eux? (Vifs applaudissements.)

Plusieurs membres : Non! plutôt la mort! (Applaudissements.)

M. Delacroix. Non, Messieurs, le devoir de tout fonctionnaire public est de le remplir ou de mourir. (Bravo! bravo! Applaudissements.) Eh bien, c'était celui de M. Chollet. Si M. Chollet eût consigné les troupes, les désordres qui sont arrivés n'auraient point eu lieu; si M. Chollet eût refusé de signer un ordre, si M. Chollet fût mort à son poste, il aurait emporté nos regrets; mais il aurait prévenu un grand malheur, et alors nous n'aurions que des éloges à donner à sa mémoire. Il n'a pas fait son devoir; nous devons donc le mettre en état d'accusation (Vifs applaudissements.) pour servir d'exemple à tous les fonctionnaires et leur apprendre que leur devoir est de remplir leurs fonctions ou de mourir. Je conclus donc au décret d'accusation contre M. Chollet. (Applaudissements dans l'Assemblée et dans les tribunes.)

Plusieurs membres : Fermez la discussion! (Non! non!)

(L'Assemblée, consultée, décide que la discussion continuera.).

M. Lecointe-Puyraveau. Monsieur le Président, je demande que vous veuillez bien consulter l'Assemblée pour savoir si on se bornera à discuter sur l'ajournement. Si l'ajournement est rejeté, on discutera le fond.

M. Vergniaud. Je m'oppose à la proposition. Si l'Assemblée se croit assez éclairée, elle rendra le décret d'accusation si elle ne se trouve pas suffisamment éclairée, elle ajournera. Je demande donc qu'on continue la discussion.

M. Mailhe. Ceux qui ont opiné pour l'ajournement se fondent sur la nécessité de prendre des renseignements ultérieurs; or, je ne puis concevoir comment vous balancez sur des preuves aussi évidentes que celles qui vous sont adressées par un directoire, une municipalité, par des corps administratifs. Si vous ne prononciez pas le décret d'accusation, surtout dans une affaire où il s'agit de la sûreté des frontières, ce serait de

votre part une espèce de complicité. Il n'y a rien à ajouter aux observations précises et fortes de M. Delacroix, relativement à M. Chollet. Cependant je vous prie de remarquer que ce sera au juré de jugement à prononcer si le crime de M. Chollet est excusable; cela n'appartient point au juré d'accusation dont nous remplissons la place en ce moment. Je demande donc que le décret d'accusation soit rendu sur-le-champ contre tous les accusés.

M. Léopold. On a tramé à Perpignan un exécrable complot. Le décret d'accusation doit porter nominativement, individuellement sur chacun des officiers coupables. Or, je vous le demande, quel est celui d'entre nous qui soit intimement persuadé que chacun des officiers compris dans le projet du comité mérite le décret d'accusation? Il y en a un qui est coupable aux yeux de tout le monde, contre lequel il y a des preuves certaines, c'est M. Dusaillant. Mettez-le en état d'accusation, je serai le premier à voter contre lui, parce que j'ai dans ma conscience la conviction intime de son crime; mais je n'en ai point contre les autres officiers et je ne crois pas que je doive voter contre eux d'après une lecture rapide des pièces. J'ajoute que lorsque je vois votre comité militaire n'être pas d'accord, lorsque je le vois mettre trois semaines à nous faire un rapport, il me semble que nous pouvons bien prendre 3 jours pour examiner ce rapport et les pièces sur lesquelles il s'appuie.

M. Delmas. Je demande la parole pour un

fait.

M. Léopold. Si j'ai erré sur un fait, je ne demande pas mieux que d'être éclairé. Parlez, Monsieur Delmas.

M. Delmas. Le préopinant vient de dire que les membres du comité n'étaient point d'accord, que d'ailleurs le comité était resté 3 semaines pour vous faire ce rapport. J'invoque ici le témoignage de tous les membres du comité qui ont assisté à cette importante affaire. Ils vous diront tous que sur 16 membres, 14 ont voté pour le décret d'accusation, et que les deux autres, et notamment M. Lacuée, ont été d'avis que M. Chollet fût livré à une cour martiale. Le comité n'a mis que 3 jours pour examiner toutes les pièces et faire son rapport; et s'il paraît si tard, ce n'est pas sa faute, puisque M. le rapporteur a sollicité la parole longtemps avant de l'obtenir.

Je crois devoir faire part à l'Assemblée d'une circonstance qui a frappé le comité : c'est que M. Chollet, qui déclare que les officiers lui ont forcé la main pour se rendre à la citadelle et pour signer l'ordre de faire venir le 20 régiment, a pu, une heure après, signer un contre-ordre. Ce contre-ordre a été porté et exécuté; et cet homme qui n'était pas libre, cet homme qui a été forcé, qui n'a pas eu le courage de faire son devoir, sé trouve assez libre quelques moments après, pour faire lever les ponts de la citadelle, pour sortir et pour aller faire sa déclaration au directoire de département. Je demande à l'Assemblée si, en rapprochant ces circonstances, on ne verra pas véritablement que M. Chollet est prévenu de crime contre l'Etat. Quant aux citoyens de Perpignan qu'on a trouvés dans la citadelle, plusieurs étaient en veste avec des gibernes et des briquets. Plusieurs membres : Aux voix le décret d'accusation!

M. Léopold. J'ai dit que les membres du comité n'étaient pas d'accord; tout en me réfutant,

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M. Delmas vient de vous l'avouer. J'ai dit que le comité avait été longtemps à faire son rapport. Les pièces sont datées du 7 décembre; le rapport vous est présenté un mois après. Avais-je si grand tort? M. Delacroix a démontré la pusillanimité de M. Chollet, mais il n'a pas prouvé que la pusillanimité fût un crime. Je pense avec M. Lacuée que M. Chollet doit être soumis à une cour martiale. (Murmures.) Il y a une autre raison qui milite en sa faveur; c'est qu'on ne peut être poursuivi dans deux tribunaux à la fois. Or, M. Chollet est dénoncé par le procureur général syndic à l'accusateur public du tribunal criminel. En me résumant, je demande l'impression des pièces, l'ajournement à huitaine, et j'appuie le décret d'accusation contre M. Dusaillant.

M. Vergniand. On a observé que nous exécutions un ministère de rigueur, et que nous devions nous abstenir de toute passion ce principe, Messieurs, a besoin d'une légère explication. Si l'on a voulu dire que nous devions nous abstenir de toute passion haineuse et individuelle, on a dit une grande vérité, mais on a dit une chose inutile. Car, certes, il n'est aucun membre de cette assemblée, assez indigne des fonctions qui lui sont confiées, pour diriger son opinion par un pareil sentiment. (Applaudissements.). Mais il est une autre passion qui ne doit jamais nous abandonner, qui doit être la base de toutes nos opinions, qui doit nous diriger dans toutes nos délibérations et que nous ne devons jamais redouter Celle-là, c'est l'amour de la patrie. (Applaudissements.)

Or, dans les circonstances où nous nous trouvons, que nous commande l'amour de la patrie? De toutes parts, il paraît qu'on conspire contre elle de toutes parts, il paraît que l'on menace la liberté. Dès lors, notre devoir et l'amour que nous avons pour elle nous prescrivent impérieusement de diriger sans délai, comme sans omission, le glaive vengeur de la justice sur tous ceux qui seraient prévenus d'avoir trempé dans ces complots.

A-t-il été formé un complot pour livrer la citadelle de Perpignan? Ceux qui ont voté pour l'ajournement du décret d'accusation, ceux qui ont craint que ce décret ne fût rendu avec trop de rapidité, n'ont pas osé nier l'existence du délit. Tout le monde convient qu'il y a eu un complot formé à Perpignan: voilà donc l'existence du crime bien prouvée.

Maintenant, pour obtenir l'ajournement, on dit: le complot étant découvert, il est avorté, il n'y a donc plus de danger. J'avoue que je n'ai pas trop compris cette logique si la ville de Perpignan était notre seule ville frontière, dans laquelle nous eussions un puissant intérêt à maintenir l'amour de la Constitution et à surveiller ceux qui veulent la renverser, il serait possible de se laisser diriger par la clémence. Mais Perpignan n'est pas notre seule ville frontière, la seule où nous ayons des officiers de ligne, la seule où il faille épouvanter ceux qui seraient tentés d'imiter le mauvais exemple donné à Perpignan. Il faut donc un salutaire exemple. Ce serait une bien mauvaise mesure pour les effrayer que de temporiser, et j'avoue que je ne conçois pas comment on peut différer.

Je distinguerai, comme le préopinant, entre les officiers, M. Chollet et les citoyens. Pour ce qui concerne les officiers, j'avoue que je n'ai pas encore entendu une seule raison plausible pour motiver l'ajournement de l'accusation. On de

mande des preuves! N'en a-t-on pas dans les pièces qui nous ont été lues. Si, pour rendre un décret d'accusation, il faut toutes les preuves possibles, nous devons prononcer la destruction de la haute cour nationale et nous imposer la loi de ne jamais rendre de décret d'accusation. En effet, le décret d'accusation se rendant avant l'instruction du procès, il est bien évident que nous n'aurons jamais les preuves que l'on aura acquises après l'instruction. (Applaudissements.)

Quant à M. Chollet, je crois qu'il ne doit pas être rangé, en ce moment, dans la classe des autres officiers. Je m'explique: M. Chollet prétend qu'il a signé l'ordre par force; s'il n'avait pas cette excuse à donner, je n'hésiterais pas à voter pour qu'on rendit le décret d'accusation contre lui. Il y a, comme on vous l'a observé, deux manières de trahir la patrie: la première en faisant des actions contre elle; la seconde, en ne remplissant pas les devoirs qu'elle nous impose. Si un général d'armée n'osait faire avancer ses troupes contre l'ennemi, parce qu'il aurait peur d'être tué du premier boulet de canon, je demande si quelqu'un s'élèverait pour le défendre? Si un de vos commandants de places frontières, environné de 5 à 6 officiers au moment où une armée assiégerait cette place, capitulait avec l'ennemi sans faire de résistance et lui livrait la ville, et qu'ensuite il vint s'excuser sur ce que les 6 officiers lui ont tenu le pistolet sur la gorge pour lui faire signer cet ordre, je vous demande si quelqu'un oserait proposer cette excuse comme une excuse valable? Je n'admets point l'excuse de M. Chollet; il n'est aucun de vous qui ne porte au fond de sa conscience le sentiment que la lâcheté de cet officier serait aussi coupable que la conspiration la plus directe. Mais il faut savoir si l'ordre signé de lui est joint aux pièces; car si nous ne le tenons que de sa propre déclaration, il serait trop dur de nous appuyer sur son seul aveu pour le con

damner.

Plusieurs membres : Et l'adresse des soldats.

M. Vergniaud. Ne soyons pas aussi sévères que le code barbare que nous avons aboli. Je dis qu'en ce moment il ne peut y avoir lieu à accusation contre M. Chollet, que si l'ordre signé par lui est remis à l'Assemblée. Mais il est un autre obstacle qui nous empêchera peut-être de prononcer aujourd'hui sur M. Chollet, c'est qu'il a été dénoncé à un autre tribunal, et qu'il y a déjà une procédure entamée. Or, il est de principe qu'on ne peut être jugé dans deux tribunaux à la fois. Il faudrait, dans le cas où l'ordre aurait été remis, demander à ce tribunal les pièces du procès pour juger si M. Chollet est susceptible du décret d'accusation.

Quant aux autres citoyens trouvés dans la citadelle, j'avais pensé aussi qu'à leur égard on pouvait ajourner le décret d'accusation. Il n'existe contre eux que des suspicions, au lieu qu'il y a contre les officiers des preuves complètes. Je conclus en demandant l'ajournement du décret d'accusation contre M. Chollet et les citoyens, et le décret d'accusation contre tous les officiers.

M. Jouneau, rapporteur. L'ordre que M. Chollet a donné n'existe point ici en original; mais, Messieurs, l'adresse des soldats du 20e régiment que je vous ai lue prouve son existence.

M. Chéron-La-Bruyère. Il existe certainement un complot, il existe un grand délit, il existe de grands coupables, il faut un exemple. D'abord, Messieurs, il n'y a point de doute que

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