Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du jeudi 19 janvier 1792, au soir. PRÉSIDENCE DE MM. DAVERHOULT, président, ET GUADET, vice-président, PRÉSIDENCE DE M. DAVERHOULT.

La séance est ouverte à six heures du soir. Un membre: On vous a dénoncé le directoire du département de Paris. Vous avez chargé votre comité de législation (1) de vous faire un rapport relativement à la démarche insidieuse de ces hommes qui n'ont eu en vue que de troubler la tranquillité publique, et votre comité ne vous présente pas ce rapport, qui devait être soumis très prochainement à votre discussion.

Plusieurs membres L'ordre du jour!

M. le Président. On demande de passer à l'ordre du jour; je le mets aux voix. (Non! non!)

Le même membre: Je demande donc que le comité de législation nous fasse le rapport sur l'adresse présentée à jour fixe au roi par les membres du directoire du département de Paris et relative au décret concernant les prêtres perturbateurs. (Applaudissements.) Messieurs, notre indifférence est déjà tardive, et la France entière attend avec impatience la décision d'une affaire dans laquelle il a été porté atteinte à la souveraineté nationale et qu'il importe à la chose publique de voir maintenant finir. (Oui! oui! Applaudissements.)

M. Delacroix. J'appuie la proposition qui vient d'être faite, et je demande aussi qu'à jour fixe le comité de législation présente l'acte d'accusation contre les princes français et autres personnes qui ont été mises en état d'accusation le premier de ce mois. (Applaudissements.)

M. Lequinio. Et que le comité présente en

(1) Voy. Archives parlementaires, 1r série, t. XXXVI, séance du 11 décembre 1791, pages 1 à 9, la dénonciation du directoire du département de Paris, et le renvoi au comité de législation.

1re SÉRIE. T. XXXVII.

même temps un projet de ce décret pour le séquestre de leurs biens. (Applaudissements.)

M. Lemontey. Je demande qu'avant ces deux rapports, le comité de législation vous présente celui sur la responsabilité des ministres et celui sur la manière de constater les naissances, mariages ct décès. J'observe qu'il est inutile de charger le comité de ce rapport, si quelqu'un des membres de l'Assemblée peut le faire.

M. Mouysset. Le plus intéressant est de passer à l'ordre du jour. Nous n'avons rien de plus pressant que la défense du royaume. Le rapport du comité militaire est à l'ordre de ce soir. Je demande qu'il soit fait à l'instant.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'elle ne passera pas à l'ordre du jour. (Vifs applaudissements.)

M. Charlier. Je demande que le rapport relatif au directoire du département de Paris soit ajourné à mercredi prochain.

(L'Assemblée adopte la motion de M. Charlier.) Un membre demande que le comité de législation présente lundi prochain l'acte d'accusation contre les princes français.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

Un membre: Quant à la proposition de M. Lemontey, je prie l'Assemblée d'observer que relativement aux décès, mariages et naissances, le comité doit embrasser un plan général, que ce travail exige une grande maturité de réflexion, qu'il n'y a pas 18 jours que l'Assemblée a partagé le comité en deux sections de 24 membres, que leur travail vient de leur être distribué, et qu'il faut qu'ils aient le temps de le méditer. Je demande qu'on passe à l'ordre du jour sur la proposition de M. Lemontey.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur la motion de M. Lemontey.)

M. Gossuin. Je réclame la parole, au nom de tous les départements du royaume, pour les faire jouir de la faculté accordée aux citoyens de Paris, de présenter des adresses et pétitions à l'Assemblée nationale. Il y en a plus de 400 au comité des pétitions. Je demande à en rendre compte succinctement à l'Assemblée.

33

Plusieurs membres : L'ordre du jour!
(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

MM. Abbema, Huber, Boetzelar, Van Hoey, de Witt et de Koch, patriotes réfugiés hollandais, sont admis à la barre.

L'orateur de la députation s'exprime ainsi : Messieurs, des républicains chassés de leur patrie par le despotisme du premier ministre de l'Etat, dispersés loin de leurs foyers par le fer, le feu, les proscriptions et le pillage, ont demandé à un peuple allié l'asile et les secours que la justice avaient promis à la liberté malheureuse. Ils n'ont point réclamé pour cette liberté les moyens de protection active qu'on leur avait offerts dans d'autres circonstances, et sur lesquels ils avaient alors appuyé leur plus grande et presque leur unique espérance. Convaincus avec toute l'Europe que la foi de la nécessité a pu seule alors opposer un obstacle invincible aux efforts qu'ils avaient le droit d'attendre de la loyauté et de l'intérêt politique de la France, ils se sont soumis à cette grande infortune avec un sentiment de résignation honorable pour euxmêmes et pour leurs généreux alliés. En pleurant sur les ruines d'une patrie que la violence efface du rang des Républiques, ils ont porté leurs regards sur le mouvement universel qui entraîne en Europe les Empires et les individus vers la liberté, et leur âme est restée ouverte aux consolations des hommes dignes d'être libres.

Ils saisissent le glorieux instant où les droits des nations sont examinés, où les engagements avec elles sont pesés, où la France donne l'exemple à toute la terre que la morale peut s'unir à la saine politique, que la vertu et la bonne foi de nation à nation sont comptées pour quelque chose, comme des principes certains de la réunion universelle des hommes jouissant de leurs droits imprescriptibles.

Les causes, les circonstances et les effets de la Révolution hollandaise sont connus de toute la terre; mais jamais la raison publique ne fut mieux disposée à les apprécier que dans les circonstances actuelles; jamais l'impulsion des esprits et la situation des choses n'offrirent une occasion plus favorable de justifier auprès de la nation française l'intérêt qu'elle avait pris à cette grande cause de la justice et de la liberté.

Les amis de la patrie dans les Provinces-Unies voulaient réformer les abus de leur Constitution particulière et de la Constitution générale de l'Etat, en rétablissant leur liberté politique et leurs droits individuels sur des bases plus solides que celles qu'avaient posées leurs ancêtres en 1579.

Ils voulaient renfermer dans les bornes de l'intérêt commun les fonctions du stathouder, fonctions qu'il avait insensiblement accrues, soit par des usurpations ouvertes, soit par son influence prépondérante dans les Etats de chaque province.

Ils voulaient réprimer l'autorité arbitraire qu'il exerçait en qualité de capitaine général et de grand amiral de la République. Honteux et effrayés de son attachement passif à une cause étrangère contre les propres intérêts de sa patrie, ils voulaient qu'il ne pût disposer à son gré des forces navales et militaires de l'Etat, afin que son aveugle dévouement n'imprimat pas une seconde fois à la nation batave la honte dont il l'avait couverte dans la dernière guerre, en retenant dans les ports de la République les

10 vaisseaux de ligne destinés à se joindre aux forces navales de la France, à Brest, contre un ennemi commun.

des

Ils voulaient enchaîner l'aristocratie grands, qui, marchant avec le despotisme de l'administration stathoudérienne et le fortifiant de son pouvoir et de son influence, renversait devant elle tous les appuis de la Constitution, de la liberté civile et de l'égalité républicaine.

Ils voulaient, par l'établissement des bourgeoisies armées, placer la défense de la liberté intérieure dans les mains qui seules pouvaient la garantir en la respectant.

Ils voulaient restituer au peuple le droit inaliénable et imprescriptible de nommer ses magistrats, droit constamment reconnu par les anciens ducs et comtes.

Ils voulaient former des municipalités véritablement électives, en détruisant le système d'usurpation qui, dans presque toutes les provinces, avait concentré la nomination de ces mandataires publics dans les mains de leurs collègues ou dans celles du stathouder et de ses agents subalternes.

Ils voulaient que des administrations provinciales, organisées d'après les vrais principes de la représentation, missent tous les citoyens à portée de concourir, par leur zèle et leurs lumières, à la conservation et à l'accroissement de la prospérité publique.

Ils voulaient, par des régences amovibles et des élections renouvelées à des époques fixes, appeler les citoyens à la jouissance d'un des droits les plus immuables de l'ordre social, étouffer dans toutes les âmes ces habitudes ou ces désirs de pouvoir arbitraire qui naissent toujours, et malgré les plus sages dispositions de loi, de la perpétuité ou de la longue durée de charges publiques.

Ils voulaient que tous les citoyens, sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents, pussent être admis à l'honorable devoir de servir la patrie dans des emplois publics devenus jusqu'alors le patrimoine exclusif d'un petit nombre de familles nobles ou patriciennes.

Ils voulaient que tous les agents du pouvoir exécutif fussent responsables de leurs actions au tribunal de la loi.

Ils voulurent mettre les magistrats à l'abri de l'influence inconstitutionnelle du stathouder, parce que cette indépendance était un des plus fermes soutiens de la liberté publique et de la sûreté individuelle.

Ils voulaient défendre aux membres des Etats généraux et des Etats de province, d'être au service ou à la solde du stathouder ou de tout autre prince.

Ils voulaient réformer la représentation incohérente et vicieuse de l'Etat dans les Assemblées législatives, où le plat pays n'est représenté presque en aucune d'elles.

Ils voulaient abolir les usurpations les plus onéreuses et les plus humiliantes de la féodalité, telles que les services personnels des habitants des Pays-Bas à l'égard des drossards ou baillis, et les abus du droit de chasse exclusif.

Ils voulaient enfin effacer toutes les traces de l'esprit d'injustice et d'inégalité sociale, en renversant les barrières de l'intolérance religieuse, et en réparant, à l'égard des catholiques les maux qu'ils avaient reçus de l'ignorance et de la barbarie des âges précédents.

Telle était la révolution que la raison et le res

pect des droits de l'homme allaient créer au milieu des Provinces-Unies.

Mais ce grand exemple de liberté que préparaient, avec une si courageuse constance, tant d'hommes réunis par le même zèle et les mêmes lumières, ce grand exemple devait alors manquer à la terre. Le despotisme du stathouder et l'aristocratie noble ou patricienne liés autrefois par un intérêt commun, ensuite séparés par leurs prétentions respectives, se confondirent de nouveau par la haine de la justice et l'effroi de la liberté.

Au milieu de cette lutte sanglante, de cet horrible déchirement de toutes les parties de l'Etat, les défenseurs de la patrie appelaient à leur secours la protection, la justice de la France, cette protection si hautement annoncée, cette justice si fortement promise jusqu'au dernier instant, et dont l'assurance avait pu seule diriger d'abord leur résolution et soutenir si longtemps leur courage. La France leur avait dit : « qu'elle regarderait comme une offense personnelle, tout ce qu'on entreprendrait contre leur liberté. » Leur liberté était attaquée, leur liberté allait être envahie; mais la France ne put entendre leurs cris, et les défenseurs de la liberté batave ayant à combattre à la fois et les conspirations les plus audacieuses au dedans et une invasion étrangère, furent subjugués par les forces supérieures d'une troupe de satellites appelés au pillage et au meurtre.

Ainsi fut arrêtée tout d'un coup cette grande restauration nationale, que tant d'années de lumières, de courage et de patriotisme avaient préparée. Les Provinces-Unies perdirent leur liberté, et la France, en perdant l'honneur de donner une seconde fois un exemple de justice au monde, vit enlever à ses intérêts politiques une alliance digne de ses plus grands efforts et de sa plus vive sollicitude, et dont l'anéantissement était devenu l'objet des désirs les plus ardents de sa rivale.

Nous pourrions développer avec plus d'étendue les différents avantages que la nation française avait droit d'attendre de son alliance avec les patriotes bataves, et combien l'industrie des Hollandais réfugiés lui était utile; mais respectant des moments précieux pour le salut et le bonheur de notre patrie adoptive, nous nous bornons à ce court exposé, en rendant grâces des bienfaits répandus sur la partie malheureuse de nos compatriotes.

Nous supplions cette auguste Assemblée des représentants d'une nation généreuse et loyale de fixer:

1° Que la somme de 829,448 livres, à l'égard de laquelle le comité des finances de l'Assemblée constituante a déjà dit dans son rapport: « qu'il n'y a pas d'économie à proposer, et que la nation ne pouvait que se plaindre des circonstances qui ne lui permettaient pas de plus grands sacrifices», reste consacrée provisoirement en entier aux Hollandais substantés;

2o Que le terme fatal pour accorder des secours ultérieurs, mais pris sur cette même somme, soit fixé au premier mai prochain;

3° Qu'après cette époque l'extinction des pensions, soit par le départ ou le décès des fugitifs, sera réglée de sorte que la moitié rentre au Trésor public, et l'autre soit conservée pour les besoins imprévus des Hollandais infirmes ;

4° Enfin que tous ces objets soient examinés incessamment pour le rapport en être fait sans délai.

Bons et généreux alliés, peuple digne d'une immortelle gloire, et pour le bien que vous avez fait, et pour le bien que vous avez le pouvoir de faire, recevez ici, avec l'expression de nos vœux, celle de notre éternel dévouement. Puissent un jour les citoyens des Provinces-Unies prouver à l'Europe qu'ils n'ont oublié ni vos bienfaits, ni votre exemple. (Applaudissements.)

M. le Président répondant à la députation. Un ministre corrompu, après avoir soutenu la liberté américaine, vous abandonna à la verge des tyrans et vous soumit au joug du despotisme irrité des progrès que la raison avait faits sous un autre hémisphère.

Bataves, vous dont l'industrie fertilisa le sol que vous habitez; vous, pour qui surtout la liberté est un besoin; vous que le peuple romain honorait de son alliance et de son amitié, vous serez constamment les alliés du peuple français, tant que vous serez les amis de la liberté.

Après avoir combattu à vos côtés pour une cause aussi belle, je me félicite d'être en cet instant et à votre égard l'organe des sentiments d'un grand peuple dont la confiance m'a placé à ce poste éminent. (Applaudissements.)

L'Assemblée nationale prendra en considération vos demandes. Elle vous invite à assister à sa séance. (Applaudissements.)

M. Gossuin. Je demande la mention honorable du discours de ces estimables alliés aux procès-verbal.

Plusieurs membres: Le renvoi au comité de liquidation!

(L'Assemblée ordonne le renvoi de la pétition des patriotes réfugiés hollandais au comité de liquidation et décrète qu'il sera fait mention honorable au procès-verbal des sentiments de générosité et de dévouement professés dans la pétition de ces Bataves, que leur amour pour la liberté et leur haine contre le despotisme ont forcés de venir chercher en France une nouvelle patrie.)

M. Guadet, Vice-Président, prend place au fauteuil.

PRÉSIDENCE De m. guadet.

L'ordre du jour appelle le rapport du comité militaire sur le mode de recrutement des cinquante-et-un mille hommes destinés au complet de l'armée.

M. Mathieu Dumas, au nom du comité militaire, obtient en conséquence la parole et s'exprime ainsi (1):

Messieurs, vous avez renvoyé à votre comité le compte qui vous a été rendu par le ministre de la guerre, de l'état des frontières et de la situation de l'armée, et en dernier lieu la proposition formelle du roi, contresignée par le ministre, sur les objets indispensables pour compléter les préparatifs de guerre; votre comité, Messieurs, sent toute l'importance du travail qui lui est confié en ce moment, il s'en occupe sans relâche et s'efforcera de répondre au zèle civique dont l'Assemblée nationale donne et propage l'exemple pour la défense de la cause

commune.

Votre comité m'a chargé de vous soumettre

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés Collection des affaires du temps, Bf, in-8° 165, tome 157, n° 19.

ses vues sur le point qui réclame le plus instamment votre sollicitude, celui du recrutement de l'armée.

Il est essentiel de vous faire observer d'abord qu'il n'est pas question de produire, par des moyens extraordinaires, ces recrutements forcés, qui décèlent la pénurie d'hommes et l'énervement des forces. Nous sommes riches, et c'est la volonté avec laquelle tous les citoyens se portent à remplir les bataillons de volontaires nationaux qui se trouvent sur les frontières, qui ralentit le recrutement de l'armée. (Applaudissements.) Jamais une levée aussi considérable d'hommes n'a été faite en aussi peu de temps dans aucun pays de l'Europe, et si l'on ajoute à cette levée le grand nombre des gardes nationales des départements frontières, qui se trou vent sur leurs foyers dans les places fortes, ou à portée de différents postes à défendre, n'ont point eu à se déplacer, on verra à la fois l'immensité de nos ressources, et les causes de la lenteur des recrutements de l'armée de ligne, dont une partie cependant est déjà près du complet.

Pour recruter les 5,000 hommes qui manquent encore pour atteindre à l'entier développement de nos forces, c'est-à-dire à près de 400,000 hommes, Le ministre de la guerre vous avait proposé de permettre que les gardes nationaux volontaires puissent s'engager dans les troupes de ligne. Il venait de visiter nos phalanges nationales, il avait vu que leur bonne volonté pouvait suffire à tout, et que plutôt que de laisser incomplets les rangs de leurs frères d'armes de l'armée de ligne, sur l'expérience desquels leur zèle fraternel aime à s'appuyer, ils étaient disposés à passer sous leurs drapeaux, sûrs d'être remplacés à l'instant par leurs frères d'armes des départements, impatients de partager l'honneur d'y combattre.

Votre comité, Messieurs, a mûrement examiné ce moyen de recrutement si facile, si prompt et si sûr qu'il a dù séduire et les généraux qui pressent avec ardeur la parfaite organisation de feur armée, et les braves gardes nationales qui pouvaient doublement y concourir, et le ministre qui doit attacher sa gloire à la perfection des apprêts de guerre.

Mais, en considérant, d'une part, l'inconvénient qui résulterait de ce mouvement, qui priverait peut-être les bataillons des sujets les plus formés et les mieux instruits, et, del'autre, les ressources qui nous restent dans les départements, et peuvent suffire à recruter les bataillons de gardes nationales et de l'armée de ligne, si elles sont sagement employées, votre comité a cru devoir conserver l'intégrité des bataillons de volontaires, et rejeter toute incorporation de troupes ou d'individus, soit obligés, soit volontaires.

C'est dans ce principe de la liberté des engagements, celui qui se rapproche le plus de l'esprit de notre Constitution, et tend le plus à corriger l'immoralité des formes employées autrefois, que votre comité a trouvé le moyen qu'il vous propose.

La trop longue durée des engagements, l'inégalité de leurs conditions que la composition de notre armée et l'isolement de la force publique rendaient nécessaire, sont des vices qui ont été aperçus par tous les amis de la liberté; ils ne peuvent être détruits tout à coup, mais il est de notre devoir de ne pas laisser échapper une occasion de tendre vers la régénération de l'esprit public.

Ce n'est pas la seule vérité, le seul bien que promettent et cachent encore les effets salutaires de notre Constitution; les calculs de probabilité sur le nombre d'hommes que la France pouvait tenir constamment sous les drapeaux n'ont plus aucune base; et quand l'esprit de civisme et de liberté n'aura plus de préjugés à combattre, l'état du soldat français deviendra de plus en plus honorable, et nous verrons dans nos armées l'austère discipline qui distingua toujours les armées des peuples libres.

Votre comité a pensé qu'il fallait faire concourir tous les citoyens de l'Empire à compléter immédiatement les forces nationales déployées pour leur défense commune; il a vu dans le mouvement général un résultat très utile. Il n'a pas douté que chaque citoyen ne répondît à cet appel aux armes, par le dévouement de ses forces individuelles ou par le tribut de ses ressources, mais surtout au moins par son exactitude à acquitter ses engagements envers l'Etat. Sans doute, quand chaque un père de famille entendra la voix de la patrie appeler son fils au combat, quand il verra l'Etat lui payer d'avance la partie de ses sacrifices pour laquelle il est nécessaire qu'il soit dédommagé, quand il connaîtra les avantages qui sont assurés à son fils, il s'empressera de payer l'impôt. Celui-là qui porte au Trésor public le fruit de son travail et même de ses privations, fait à lui seul une guerre utile à nos ennemis (Applaudissements.); il a déjà dans son cœur une juste part au triomphe, il a acquis des droits certains à la reconnaissance nationale; et c'est alors, mais seulement alors, qu'il lui appartient d'exiger qu'un compte exact fui soit rendu, par ses représentants, de l'emploi qu'ils ont fait de cette offrande sacrée. Si votre comité vous propose d'augmenter pour cette fois le prix de l'engagement, ce n'est pas qu'il ait jugé nécessaire d'offrir un encouragement pécuniaire au zèle de nos concitoyens; mais c'est parce qu'il a reconnu que les circonstances où nous nous trouvons et dont nous détruirons tant au dehors qu'au dedans les causes empoisonnées, nécessitaient ce sacrifice pour procurer aux nouveaux soldats l'aisance modérée, nécessaire à celui qui débute dans la carrière des armes.

Votre comité a cherché d'ailleurs à balancer cet excédent de dépenses par l'économie qui résulte de l'emploi des corps administratifs et des municipalités des chefs-lieux de canton, ainsi que de la gendarmerie nationale au travail de ce recrutement extraordinaire.

Enfin, Messieurs, et il me tardait de faire hommage du moyen d'encouragement sur lequel votre comité compte le plus, parce qu'il en a pris l'idée dans votre généreux patriotisme, et n'a fait sans doute que présenter vos dispositions, nous vous proposons d'accorder à tous les citoyens français qui auront combattu dans l'armée de ligne pour l'affermissement de la Constitution, et qui n'auront pas quitté leurs drapeaux, la même faveur que vous avez déjà accordée aux gardes nationales volontaires, le droit de citoyen actif, qui, aux termes des décrets antérieurs, ne pouvait être acquis que par 16 années de service militaire. (Applaudissements.)

Pour ajouter à cette distinction, la plus précieuse que la patrie puisse offrir, une marque d'honneur qui fùt égale pour tous ceux qui, dans des postes differents, auraient montré un égal courage, et surtout une égale constance, le même empressement à courir aux armes, et les mêmes vertus guerrières en les portant.

Votre comité vous propose de décréter que tout citoyen qui aura fait la guerre de la Constitution, soit dans les bataillons de gardes nationales, soit dans les troupes nationales, soit dans les troupes de ligne, avec les armes qu'il aura pu arracher à l'ennemi, emportera chez lui les armes avec lesquelles il aura lui-même combattu. (Applaudissements réitérés.)

Puissent-elles être pour chacun aussi heureuses, que leur réunion le sera certainement pour la patrie. Puissent ces trophées glorieux servir dans chaque famille de dieux de la liberté; et que, dans sa vieillesse honorée, chaque soldat de la Révolution, entouré de ses enfants, leur montrant sur les armes sacrées les exploits dont ils sont auteurs ou témoins, enflamme leur jeune courage pour la liberté, et grave dans leur cœur la haine des tyrans. (Vifs applaudissements.), Votre comitě vous propose le projet de décret suivant :

Décret d'urgence.

«L'Assemblée nationale, considérant la nécessité de hâter le recrutement de l'armée, et de porter tous les corps au pied de guerre sous un état qui corresponde à la célérité des préparatifs ordonnés pour faire avec succès la guerre de la Constitution; considérant qu'il est de sa justice de donner à tous les citoyens de l'Empire une égale facilité pour se ranger sous les drapeaux de la liberté, et une égale part à l'honneur de combattre; considérant enfin que le plus sûr moyen de bien composer les troupes de ligne est d'y appeler tous les citoyens de l'Empire par la réunion des avantages les plus prisés par eux, les dangers à courir, les témoignages de civisme et les marques d'honneur après la victoire, décrète qu'il y a urgence.

Décret définitif.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète :

« Art. 1er. Immédiatement après la publication du présent décret, il sera ouvert dans chaque administration de district, et sous leur surveillance, dans chaque municipalité de chef-lieu de canton, un registre de recrutement pour porter l'armée au pied de guerre.

« Art. 2. Tout Français âgé de 18 ans et audessous de 50, qui n'ayant aucune infirmité ou difformité, se présentera pour s'engager dans l'infanterie, dans l'artillerie ou dans les troupes à cheval, sera invité d'abord, d'après les conditions dont il lui sera donné connaissance, à déclarer dans laquelle de ces armes il veut servir.

«Art. 3. La taille nécessaire pour servir dans l'infanterie, sera au moins de 5 pieds, pieds nus.

Dans la cavalerie et l'artillerie, au moins de 5 pieds 3 pouces et demi.

«Celle pour les dragons, chasseurs et hussards, au moins de 5 pieds 3 pouces.

«Art. 4. Le terme des engagements sera de

2 ans.

» Art. 5. La paix ou la réduction de l'armée au pied de paix, sera le terme des engagements contractés depuis le jour de la publication du présent décret, pour tous les citoyens dont le temps ne se trouverait pas rempli à cette époque.

» Art. 6. Le prix de l'engagement pour les 2 ans, sera de 80 livres pour l'infanterie, de 100 livres pour la cavalerie et l'artillerie : il sera donné 60 livres à ceux qui, ayant rempli un

engagement de 2 ans, en contracteraient un second aussi de 2 ans.

« Art. 7. Tous soldat, cavalier, chasseur, dragon, hussard, actuellement engagé, dont le terme de l'engagement viendrait à expirer avant l'époque de la réduction au pied de paix, seront admis à contracter un engagement qui ne pourra être moins de 2 ans, et ils recevront dans l'infanterie 80 livres, et 100 livres dans les troupes à cheval.

« A l'époque de la réduction de l'armée au pied de paix, les termes d'engagement pour tous ceux qui auront été engagés antérieurement au présent décret, seront réduits à la moitié du temps qui leur resterait à faire à cette époque. « Art. 8. La loi relative aux recrutements, engagements et congés, du 25 mai 1791, qui règle toutes les formes de vérification et de ratification à suivre pour les recruteurs et les municipalités, continuera d'être exécutée pour tout ce qui n'est pas abrogé par le présent décret.

« Art. 9. Les sous-officiers et gendarmes de la gendarmerie nationale, les sous-officiers et soldats des troupes de ligne, sont autorisés et invités à s'employer au travail de ce recrutement extraordinaire: ils sont autorisés à faire connaître, au son de trompette, de tambour ou autrement, les dispositions du présent décret. Ils conduiront à la municipalité les hommes qui s'adresseront à eux pour s'engager, et il leur sera remis une somme de 12 livres, pour chaque homme de recrue qui sera admis d'après les formes prescrites.

«Art. 10. Il sera formé dans chaque chef-lieu de district, et sous les ordres du commandant du poste de la gendarmerie nationale, un premier dépôt de recrues.

Dès que le nombre des recrues s'élèvera audessus de 20, dans un chef-lieu de district, la recrue sera conduite en bon ordre, de brigade en brigade, par un sous-officier de gendarmerie nationale, à l'un des principaux dépôts de recrues ci-après indiqués.

« Art. 11. Il sera formé dans les chefs-lieux des 20 départements qui seront jugés par le ministre le plus convenablement placés, soit par rapport aux armées, soit dans l'intérieur, pour recueillir plus facilement les recrues des départements les plus éloignés des frontières, des dépôts principaux, et le ministre de la guerre fera connaître incessamment à tous les corps administratifs et à toutes les municipalités, l'emplacement de ces dépôts et les routes par lesquelles chaque district doit diriger les convois particuliers de recrues vers ces mêmes dépôts.

« Art. 12. Le pouvoir exécutif fera tenir le plus tôt possible à la disposition des administrations de district les fonds nécessaires au travail de ce recrutement.

[ocr errors]

Les engagements ne seront payés qu'au cheflieu du district, sur le mandat de l'administration dudit district.

« Art. 13. Tout citoyen qui, dans le délai d'un mois, à compter du jour de la publication du présent décret, se trouvera dans un des corps de l'armée, ou se sera engagé dans les formes prescrites, et qui aura resté présent aux drapeaux jusqu'à la fin de la guerre, et jusqu'à l'époque de la réduction de l'armée au pied de paix, jouira des droits de citoyen actif, comme s'il avait servi pendant 16 ans, conformément au décret rendu par l'Assemblée nationale constituante.

« Art. 14. Tout garde national dans les bataillons de volontaires nationaux, tout soldat, cava

A

« PreviousContinue »